Avant-propos. 70 ans de la Convention européenne des droits de l’homme : L’Europe et droits de la personne[Notice]

  • Jean-Paul Costa,
  • Olivier Delas,
  • Peter Leuprecht,
  • Mulry Mondélice et
  • Kristine Plouffe-Malette

Les anniversaires sont l’heure des bilans, surtout au fur et à mesure que les années se font nombreuses. Il en va ainsi de femmes et des hommes, mais également des institutions. Cela permet de s’interroger sur ce qui a été fait et surtout ce que l’on voudrait encore faire, voir faire ou mieux faire. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) n’échappe pas à cela. En 70 ans d’existence, que de chemins parcourus et de décisions rendues! Dans la foulée de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’adoption de la CEDH fut le premier geste posé le 4 novembre 1950 par les États membres du Conseil de l’Europe. Dès sa création, la CEDH mérite tous les superlatifs : elle est le premier traité protégeant les droits de la personne en droit international, premier traité de droits de la personne prévoyant un contrôle juridictionnel et premier traité rendant ce recours accessible aux personnes. Les records, la CEDH les a également accumulés par le travail de ses organes de contrôle. Depuis 1949, selon les propres statistiques de la Cour, en 2019, ce sont plus de 882 000 affaires qui ont été examinées et 22 500 arrêts rendus. Il en découle une jurisprudence importante, bien souvent inédite et en bien des occasions avant-gardistes, qui nourrit l’ensemble des systèmes de protection des droits de la personne, qu’ils soient universel, régionaux, mais également, dans certains cas, nationaux. Pour autant, il ne convient pas, à l’heure du bilan, de dépeindre un portrait idyllique de ces années d’existence de la CEDH. Si aujourd’hui l’adhésion à la CEDH et l’acceptation de la compétence de la Cour vont de soi, ces 70 ans ont pourtant été nécessaires à certains États pour s’y soumettre, et ce, y compris pour des États ayant contribué à son élaboration. Par ailleurs, si la Cour ou plus particulièrement sa jurisprudence et l’influence de celle-ci peuvent être enviées, l’exécution des arrêts qu’elle rend a été et demeure une préoccupation. Le fait pour les États d’accepter de tirer toutes les conséquences de cette jurisprudence est non seulement essentiel pour l’efficacité de ce système de protection, mais également indispensable pour éradiquer les violations systémiques qui génèrent un flot d’affaires incessant. Ainsi, des 22 500 arrêts précédemment évoqués, 40% visaient seulement trois États parties. Ce nombre colossal d’affaires auquel a été confrontée la Cour, dû tant à des violations systémiques qu’à une mauvaise compréhension de son rôle par les justiciables (comme l’illustrent les 90% de requêtes déclarées irrecevables) a d’ailleurs bien failli avoir raison de la Cour. Quel paradoxe pour une juridiction sanctionnant la longueur déraisonnable des procédures judiciaires dans certains États, alors qu’elle-même prenait des années à rendre un arrêt, nombre d’années venant lui-même s’ajouter à celui passé devant les juridictions nationales! Grâce à différentes réformes et à la détermination de certains de ses présidents, la Cour a apuré son passif, mais il convient d’être prudent et de ne pas baisser la garde, car le nombre d’affaires pendantes demeure important et a connu une certaine augmentation en 2019 et 2020. Mais au-delà de leur ampleur, ces chiffres reflètent également une situation encore plus préoccupante quant aux trois valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe et qu’incarne la CEDH : les droits de la personne, la primauté du droit et la démocratie. Cette situation rend d’autant plus essentiel le contrôle qu’exerce la Cour dans la mise en oeuvre de la CEDH. Après la chute du mur de Berlin et la fin d’une Europe fracturée, les espoirs parfois candides de triomphe des valeurs précédemment évoquées ne dominent …