Au vu de l’histoire de l’Europe, la recherche d’une intégration entre des pays en paix semble relever de l’utopie. En effet, les moments d’unité ont été très rares. On peut mentionner l’Empire romain puis l’empire carolingien, ce dernier durant finalement moins de 50 ans entre le sacre de Charlemagne et le traité de Verdun de 843. En dehors de ces parenthèses, l’Europe a surtout vécu sur un équilibre des puissances très fragile, conduisant à la remise en question systématique des traités et au maintien d’un état de guerre. En réalité, jusqu’en 1945, les idéaux pacifistes promus par une avant-garde d’intellectuels n’ont trouvé que peu de support politique, et il a fallu attendre le chaos consécutif à deux conflits mondiaux pour convaincre les élites politiques que, pour reprendre la formule de Robert Schuman, « l’égoïsme ne paie plus ». La paix européenne repose avant tout sur une Union de droit. Reprenant les thèses kantiennes de la paixperpétuelle, Jean Monnet présente dans ses Mémoires l’Europe communautaire comme le rejet volontaire de la guerre par la mise en place de règles de droit contraignantes pouvant être imposées aux États. Cette Union de droit est sans cesse consolidée. D’une part, par l’établissement de nouvelles règles communes. À cet égard, la moitié du droit national français repose sur les actes de droit dérivé de l’Union européenne. C’est pourquoi la négociation de ce droit fait en France l’objet d’un suivi attentif et interministériel, lorsque se pose une question d’importance transversale ou de conformité à la constitution. D’autre part, par la jurisprudence du juge de l’Union. Nous sommes pleinement conscients que l’avenir de l’Union se joue aussi à Luxembourg, et la France est actuellement présente dans 104 procédures devant la Cour de justice de l’Union européenne. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la Cour de justice est sans doute l’institution la moins décriée aujourd’hui, et qu’après de vifs débats dans le cadre du Brexit, le Royaume-Uni a considérablement assoupli sa position sur le rôle de la Cour et la place de sa jurisprudence durant la phase transitoire qui permettra un retrait progressif. L’immixtion du droit de l’Union dans les systèmes normatifs nationaux n’est pas sans poser lui-même de nouveaux défis, en termes d’articulation parfois difficile entre ordres juridiques, en particulier avec celui de la Convention européenne des droits de l’homme ou celui découlant de la Charte de l’Organisation des Nations Unies. Parmi les principaux défis figurent le défi migratoire, qui alimente partout en Europe, et au-delà, les populistes, remettant en cause l’acceptation d’acquis tels que la liberté de circulation. La menace terroriste pose également la question de la conciliation entre le plein respect des libertés individuelles et la sécurité. À cet égard, les mesures établies dans le cadre de l’État d’urgence en France l’ont été sous le contrôle attentif des juges nationaux, de l’Union et de la Cour européenne des droits de l’homme. On peut évidemment ajouter le défi écologique. Sur ce point, la France et l’Union européenne promeuvent l’adoption d’instruments multilatéraux plus efficaces. Il s’agit bien entendu de l’Accord de Paris, mais également du projet de Pacte mondial pour l’Environnement ou d’un instrument juridiquement contraignant sur la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale (dit Accord BBNJ). L’implication de notre partenaire canadien dans ces combats en matière d’environnement s’avère évidemment précieuse, notamment en ce qui concerne la protection des océans et de l’Arctique. Pensons également aux enjeux soulevés par les nouvelles technologies de l’information, en particulier en termes de protection des données. À cet égard, la France a participé activement à l’élaboration du …
L’intégration européenne à la croisée des chemins : quelles perspectives d’avenir ? « Surmonter les défis »[Notice]
M. François Alabrune, diplômé de Sciences Po Paris et licencié en droit, est directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Les vues exprimées dans ce texte n’engagent que leur auteur.