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Pendant de nombreuses années, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT de 1947)[1] a été vivement critiqué en raison de l’absence de latitude offerte aux Parties contractantes dans le domaine des politiques autres que commerciales, et notamment en matière de protection de l’environnement[2].

Toutefois, la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a pris la relève du GATT, a marqué une évolution des pratiques, permettant ainsi à l’OMC de s’adapter aux nouvelles exigences internationales en matière de développement durable. La nécessité de protéger l’environnement a trouvé une expression dans la jurisprudence de l’OMC qui a réinterprété les accords de l’OMC. Elle offre maintenant à ses Membres une marge de manoeuvre leur permettant de prendre des mesures fondées sur des préoccupations autres que commerciales, justifiables si elles sont appliquées de bonne foi[3].

Dans un premier temps, cette évolution a été marquée par une nouvelle interprétation, faite par les juridictions de l’OMC – les groupes spéciaux et l’Organe d’appel –, des exceptions générales énoncées à l’article XX du GATT de 1994. Les Membres de l’OMC ont logiquement pu se rendre compte qu’ils avaient une plus grande flexibilité pour mener à bien des politiques environnementales dans le contexte du commerce des marchandises. Ces interprétations jurisprudentielles spécifiques et parfois très engagées de l’article XX du GATT ont ouvert le droit du commerce aux préoccupations environnementales. Elles posent néanmoins des conditions empêchant de compromettre les règles et objectifs fondamentaux du GATT en matière de non-discrimination et de protectionnisme.

Dans un second temps, la jurisprudence plus récente tirée de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (Accord OTC)[4] est venue confirmer le droit fondamental qu’ont les Membres de prendre des mesures qui, incidemment, affectent le commerce, sous réserve qu’elles soient basées sur des objectifs légitimes. L’un des rôles principaux de l’Accord OTC est d’interdire la discrimination (principes du traitement national aussi bien que de la nation la plus favorisée) non justifiée due à l’introduction de règlements techniques[5]. Cependant, dans ces divers rapports portant chacun sur des allégations formulées au titre des dispositions de fond de l’Accord OTC relatives à la discrimination et à l’accès aux marchés, l’Organe d’appel s’est livré à une interprétation des articles 2.1 et 2.2 de l’Accord OTC favorable aux politiques non commerciales de ses Membres[6]. L’Organe d’appel a ainsi déclaré que, dans certaines circonstances, il est permis qu’un règlement technique imposé par un Membre ait des incidences préjudiciables sur les importations, toutefois, à la condition que ces incidences découlent de distinctions règlementaires qui, bien que n’étant pas axées sur le commerce, n’en restent pas moins légitimes[7]. Ces « distinctions règlementaires » incluent de façon évidente les politiques axées sur le développement durable et sa dimension environnementale[8].

Cette jurisprudence concernant l’Accord OTC illustre également le mécanisme de raisonnement prescrit aux organes juridictionnels de l’OMC par l'OA, qui est de rechercher chaque fois le meilleur équilibre possible entre d’une part, les obligations assumées par les Membres relatives à l’accès aux marchés, et d’autre part, leurs objectifs de politique publique. Cette recherche de l’équilibre entre droit des Membres et obligations est reflétée dans le préambule et dans la structure même du GATT et de l’Accord OTC.

Cet article a pour objectif de dresser un état des lieux de la jurisprudence de l’OMC relative à l’environnement, un point encore peu développé dans la doctrine francophone récente, ou de manière partielle – notamment sans aborder l’Accord OTC[9]. À l’inverse, il existe une doctrine relativement extensive, mais sur certains points précis dans le monde anglophone[10]. Dans le but d’approfondir les questions évoquées ci-dessus, la première partie de cet article retracera la genèse de l’OMC, son objectif de développement durable, ainsi que la façon dont ses juridictions ont réinterprété l’article XX du GATT (I), tandis que la seconde partie analysera l’évolution des conditions requises en matière de protection de l’environnement au titre de l’article XX (II). Une troisième partie sera consacrée à l’Accord OTC, sa particularité et le nécessaire équilibre qu’il vise à maintenir entre commerce et objectifs légitimes autres que commerciaux (III).

I. L’objectif de développement durable de l’OMC et la réinterprétation de l’article xx du GATT

L’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce[11] a incorporé, sans les modifier, les dispositions de l’ancien GATT de 1947 (qui est devenu la partie principale du GATT de 1994, ci-après dénommé GATT ou GATT de 1994), y compris son article XX sur les exceptions générales[12].

L’article XX énonce les exceptions générales aux obligations inscrites dans le GATT : la règle veut que, si une politique menée par un Membre relève du champ d’application de l’article XX du GATT et en satisfait les conditions, il lui soit permis de s’écarter des obligations du GATT. En d’autres termes, cet article permet, entre autres, la protection de l’environnement, mais il n’intervient qu’en deuxième temps, une fois la non-conformité à une obligation du GATT constatée. Aux fins de la protection de l’environnement définie de façon large, les paragraphes b) et g) de l’article XX sont particulièrement pertinents :

Article XX

Exceptions générales

Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent accord ne sera interprété comme empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des mesures :

… b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ;

… g) se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales.

Ces exceptions ont, durant la période du système commercial multilatéral incarnée par le GATT de 1947 à 1994, fait l’objet d’une interprétation assez limitée de la part des groupes spéciaux chargés de se prononcer sur le règlement des différends. Cela étant, dans le cadre de l’OMC, l’Organe d’appel leur a donné une nouvelle vie, en reconnaissant que l’OMC recherchait également à favoriser un développement durable (A), et accordait à ses Membres le droit de poursuivre des politiques environnementales même unilatérales et restrictives au commerce, si authentiques, (B) et ceci au niveau qu’ils le souhaitent, notamment dans le contexte de l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS)[13] et de l’Accord OTC (C).

A. Le nouvel objectif de l’OMC favorisant le développement durable

Premièrement, le préambule de l’Accord sur l’OMC, dont l’Organe d’appel dit qu’il « éclaire, ordonne et nuance les droits et les obligations des Membres au titre de l’Accord sur l’OMC[14] », mentionne le « développement durable » comme un des objectifs que l’organisation vise à atteindre. Cette référence exprime le changement d’attitude de la communauté internationale vis-à-vis des sujets qui touchent à l’environnement[15]. En parallèle, dans un souci de mieux comprendre les problématiques liées à ce domaine, l’Organisation a également adopté une décision sur le commerce et l’environnement et a créé un nouveau Comité du commerce et de l’environnement[16].

Deuxièmement, l’Organe d’appel a quant à lui, estimé qu’il était tenu d’interpréter les dispositions de l’article XX du GATT d’une manière plus large, afin que le droit des Membres de prendre des mesures environnementales ne soit pas « illusoire » et que les exceptions prévues à l’article XX ne soient pas « inutiles[17] ».

Ce nouvel objectif de l’OMC consistant à respecter le développement durable a été interprété comme une consécration du droit fondamental des Membres de l’OMC de prendre des mesures en vue de protéger l’environnement et comme expliqué ci-après à l’aide de la jurisprudence, au niveau qu’ils considèrent approprié.

L’objectif de l’OMC de lier commerce et développement durable, notamment en protégeant l’environnement, est clairement énoncé dans le tout premier rapport de son Organe d’appel, États-Unis – Essence. En l’espèce, l’Organe d’appel était confronté à la question de savoir comment interpréter l’article XX du GATT, invoqué par les États-Unis pour justifier une mesure de lutte contre la pollution atmosphérique. Cette mesure était par ailleurs incompatible avec l’article III du GATT sur le traitement national[18]. L’Organe d’appel a proposé une interprétation téléologique novatrice de l’article XX, qui tenait compte de la structure et de l’architecture générale du GATT de 1994. Pour justifier sa décision, l’Organe d’appel a souligné à la fois l’importance des droits protégés par l’article XX et des droits d’accès aux marchés des autres Membres. Ses observations sont les suivantes :

[…] l’article XX de l’Accord général contient des dispositions visant à permettre que d’importants intérêts des États – y compris la protection de la santé des personnes et la conservation des ressources naturelles épuisables – trouvent leur expression. […] De fait, dans le préambule de l’Accord sur l’OMC et dans la Décision sur le commerce et l’environnement, il est spécifiquement reconnu qu’il importe de coordonner les politiques relatives au commerce et à l’environnement. Les Membres de l’OMC disposent d’une large autonomie pour déterminer leurs propres politiques en matière d’environnement (y compris la relation entre l’environnement et le commerce), leurs objectifs environnementaux et la législation environnementale qu’ils adoptent et mettent en oeuvre. En ce qui concerne l’OMC, cette autonomie n’est limitée que par la nécessité de respecter les prescriptions de l’Accord général et des autres accords visés[19].

L’Organe d’appel a donc pu interpréter le GATT à l’aune des nouvelles valeurs de la communauté internationale.

B. Le droit de poursuivre des politiques environnementales unilatéralement prescrites

Ce premier rapport de l’Organe d’appel[20] indiquait clairement que les Membres de l’OMC ont le droit  la référence aux droits des Membres et non seulement leurs obligations était bienvenue, mais novatrice pour le GATT[21] - de poursuivre des politiques autres que commerciales, pour autant qu’ils respectent les conditions énoncées à l’article XX, y compris son texte introductif qui exige d’eux qu’ils ne fassent pas un usage abusif de ce droit.

Dans le différend relatif à l’environnement suivant, les deux affaires États-Unis – Crevettes[22], l’Organe d’appel a réaffirmé le droit des Membres de prendre des mesures environnementales, même unilatérales et restrictives pour le commerce. Il le fait en allant à l’encontre des conclusions formulées dans les deux rapports États-Unis – Thon établis par des groupes spéciaux du GATT[23]. Cependant les Membres doivent maintenir un équilibre des droits et obligations entre le droit de certains membres « d’invoquer l’une ou l’autre des exceptions spécifiées [à] l’article XX, d’une part, et les droits fondamentaux que les autres Membres tiennent du GATT de 1994, d’autre part », comme le prévoit le texte introductif de l’article XX[24].

En l’espèce, l’Organe d’appel a également réitéré que l’article XX autorise que les mesures relevant de l’une ou l’autre des exceptions prévues à l’article XX subordonnent ou conditionnent l’accès au marché d’un pays Membre importateur au respect par les Membres exportateurs d’une politique prescrite unilatéralement par ce Membre importateur[25]. Bien qu’une entière coopération multilatérale dans la poursuite d’un objectif environnemental soit toujours préférable[26], le rapport États-Unis – Crevettes a ouvert le champ des possibles. Désormais, un Membre qui ne souhaite pas coopérer sur une question environnementale internationale, peut néanmoins en subir les conséquences commerciales et être contraint de respecter, malgré lui, une politique de protection de l’environnement concernant ses exportations[27].

C. Le niveau de protection désiré

Un autre principe fondamental ayant trait à l’environnement dans l’article XX est clarifié par la jurisprudence de l’OMC dans le contexte d’autres instruments juridiques, l’Accord SPS et l’Accord OTC. Il s’agit du droit « incontesté » de chaque Membre de déterminer le niveau de risque qu’il est disposé à accepter suivant les circonstances. En conséquence, chaque Membre peut décider du niveau de protection qu’il juge approprié d’appliquer à une situation donnée[28], pour limiter le risque encouru.

Dès l’affaire Australie – Saumons, l’Organe d’appel a même affirmé que le niveau approprié de protection ou le niveau acceptable de risque pouvait être proche du « risque nul[29] ». Dans le différend CE – Amiante, par exemple, la France (en tant que membre des CE) a été confirmée dans son droit de prendre des mesures qu’elle alléguait avoir adoptées sur la base d’un risque de niveau nul contre le cancer[30]. À cette occasion, l’Organe d’appel confirme le droit des Membres de l’OMC de « fixer le niveau de protection de la santé qu’ils jugent approprié dans une situation donnée[31] ».

Notamment en raison du lien entre l’Accord SPS et l’article XX du GATT[32], mais aussi à travers l’Accord OTC, il apparaît clairement que, depuis leur création, les organes de règlement des différends de l’OMC ont confirmé sans ambigüité l’existence du droit des Membres de prendre des mesures de protection de l’environnement même si elles sont prises unilatéralement[33]. Ils ont néanmoins eu recours aux conditions de l’article XX pour éviter toute utilisation abusive et protectionniste de ce droit.

La partie II de cet article a pour objet d’examiner l’évolution des conditions imposées au titre de l’article XX concernant l’exercice de ce droit, afin d’évaluer la portée de la protection de l’environnement au titre du GATT tel qu’elle est actuellement interprétée.

II. L’évolution des conditions imposées par l’article XX du GATT au sujet de la protection de l’environnement

Trois questions importantes se posent au sujet de la portée donnée par l’article XX du GATT aux mesures relatives à la protection de l’environnement, qui ont également un impact sur le commerce : quelles mesures (de protection de l’environnement) relèvent des paragraphes XX g) (A) ? Lesquelles tombent dans le champ du paragraphe XX b) (B) ? Enfin, il convient également de s’interroger sur l’intention réelle susceptible de se cacher derrière une mesure de protection de l’environnement. En particulier, comment limiter la tentation d’un protectionnisme déguisé qui peut animer l’action politique d’un Membre (C) ?

À titre préalable, il est utile de brièvement s’arrêter sur l’ordre d’analyse préconisé par l’Organe d’appel pour l’article XX du GATT. Malgré une jurisprudence bien établie affirmant que le sous-paragraphe doit être analysé avant le chapeau[34], il a récemment nuancé son approche, pour la rendre moins formaliste. Il considère que c’est, de manière générale, l’approche à suivre. Néanmoins, il indique que, dans certaines circonstances, ne pas respecter cet ordre pourrait rester une analyse exempte d’erreur de droit[35]. Cette analyse en deux parties en présuppose encore une autre, préalable. Il s'agit d'une forme de qualification de la mesure examinée. Ainsi, l'Organe d'appel affirme qu'il est d'abord nécessaire de se demander s'il « existe un lien suffisant entre la mesure et l'intérêt protégé[36] ». Cette exigence est toutefois relativement permissive. Ainsi, s'agissant d'une mesure en lien avec l'article XX a), il suffit que celle-ci soit « "conçue" pour protéger la moralité publique[37] ». En d'autres termes, une relation relativement générale est requise, permettant avant tout d'assurer que l'analyse ne porte pas sur une mesure n'ayant rien à voir avec l'objectif poursuivi par le sous-paragraphe de l'article XX examiné.

A. Les conditions du sous-paragraphe XX g)

Concernant la première question, nous l’avons vu, la jurisprudence de l’Organe d’appel étend sans ambigüité la marge de manoeuvre offerte aux Membres pour poursuivre unilatéralement des objectifs environnementaux. Il adopte toutefois une approche particulièrement novatrice[38]. Dans l’affaire États-Unis – Crevettes, l’Organe d’appel a interprété l’expression "ressources naturelles épuisables" de manière dynamique et évolutive pour y inclure toutes les ressources vivantes, et pas seulement les ressources non vivantes. À cette occasion, il a effectivement fait en sorte que l’éventail complet des objectifs communément désignés sous le nom d’objectifs de protection de l’environnement relève bien des paragraphes b) et g) de l’article XX[39]. Cette interprétation est basée sur le nouveau préambule de l’Accord sur l’OMC. Dans son analyse, l’Organe d’appel reconnaît incidemment la préoccupation internationale entourant la protection de l’environnement[40].

Dans son interprétation du sous-paragraphe XX g) du GATT dans l’affaire États-Unis – Crevettes, l’Organe d’appel a examiné si « les moyens (le règlement contesté) correspond[aient] raisonnablement à la fin[41] ». Toutefois, en établissant ce critère, il a également insisté sur le libellé distinct des exceptions énoncées aux paragraphes b) et g) de l’article XX en spécifiant que leur portée et leur champ d’application étaient très différents. Le paragraphe g) – mesures se rapportant à la conservation des ressources naturelles – était considéré comme ayant une portée plus large, tandis que l’exception énoncée au paragraphe b) – mesures nécessaires à la protection de la santé au niveau désiré – exigeait un critère de "nécessité" plus strict. Ce point est détaillé dans la section II.B.1 ci-dessous.

Le sous-paragraphe XX g) semble donc prescrire une relation plus lâche que XX b) entre les mesures et l’objectif. Cela étant, ce lien ne saurait occulter la condition supplémentaire venant réguler ces mesures, soit qu’elles soient « appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales » (« obligation d’impartialité dans l’imposition de restriction[42] »). Un Membre ne peut faire porter l’entier du fardeau aux les autres Membres. Au contraire, il doit également participer à l’effort dans l’atteinte de son objectif. Faute de cela l’Organe d’appel considère qu’il serait en présence d’une « discrimination manifeste destinée à protéger les produits d’origine locale[43] ». Il n’est toutefois pas nécessaire que la mesure implique une identité de traitement formelle[44].

Un dernier critère brièvement développé dans l’affaire États-Unis – Essence concerne l’intention des Membres d’atteindre l’objectif en question. Sa réalisation ne doit pas être uniquement accessoire. Au contraire, l’Organe d’appel examine si la mesure en cause ne vise "qu’incidemment ou qu’accidentellement à la conservation de l’air pur"[45]. C’est là le sens donné par l’Organe d’appel à l’idée qu’une mesure doit "vis[er] principalement" à la conservation des ressources naturelles[46].

B. Les conditions du sous-paragraphe XX b)

1. LA NÉCESSITÉ DE LA MESURE

Par la suite, dans l’affaire Corée – Diverses mesures affectant la viande de boeuf[47], l’Organe d’appel a préconisé de soupeser et de mettre en balance les trois variables suivantes pour déterminer si une mesure restrictive pour le commerce était nécessaire. Ce cas portait sur un différend relatif au critère de « nécessité » au titre de l’article XX d)[48] (plutôt que sur un critère « se rapportant à » du paragraphe XX g)), mais nous le verrons, le raisonnement a été repris dans le cadre de la nécessité de l’article XX b). L’Organe d’appel constate que : i) « [p]lus cet intérêt commun ou ces valeurs communes sont vitaux ou importants, plus il sera facile d’admettre la "nécessité" d’une mesure conçue comme un instrument d’application[49] » ; ii) « [p]lus cet apport [à la réalisation de l’objectif poursuivi] est grand, plus il sera facile de considérer que la mesure peut être "nécessaire"[50] » ; et iii) « [u]ne mesure qui a une incidence relativement faible sur les produits importés pourra plus facilement être considérée comme "nécessaire" qu’une mesure qui a des effets restrictifs profonds ou plus larges[51] ».

Cela étant, dans un deuxième temps, le critère de soupesage et de mise en balance mentionné dans l’affaire Corée – Diverses mesures affectant la viande de boeuf semble avoir été nuancé par le rapport de décembre 2007 relatif à l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés[52]. Dans ce différend, le Brésil a invoqué à la fois l’article XX b) et XX g) du GATT à l’appui d’une interdiction d’importer des pneumatiques rechapés. Il a fait valoir que cette interdiction était nécessaire pour prévenir l’accumulation de pneumatiques de rebut qui, outre leurs effets sur l’environnement, servaient aussi de gîtes larvaires aux moustiques et étaient donc une source de maladies transmises par les moustiques telles que le paludisme et la fièvre dengue.

Même s’il avait une solide jurisprudence sur la manière d’interpréter le mot « nécessaire » figurant à l’article XX b) du GATT, l’Organe d’appel a précisé et allégé l’exercice de « soupesage et mise en balance » dans cette affaire. Il y a ajouté un questionnement essentiel : cette mesure restrictive apporte-t-elle ou est-elle à même d’apporter une contribution importante à la réalisation de l’objectif invoqué [53]? En discutant de cette relation entre le choix de la mesure et sa contribution à l’objectif désiré, qui combine les paragraphes b) et g), l’Organe d’appel a fait observer qu’une mesure dite « nécessaire » n’[est] pas limité[e] à ce qui [est] « indispensable[54] ». En effet, une mesure sera suffisamment liée à un objectif si « elle est à même d’apporter une contribution importante à la réalisation de son objectif[55] ». L’Organe d’appel a ensuite précisé ce qui constitue une contribution importante en énonçant ceci : « Pour être qualifiée de nécessaire, une mesure n’a pas besoin d’être indispensable. Cependant, sa contribution à la réalisation de l’objectif doit être importante, pas seulement marginale ou insignifiante[56] ».

L’Organe d’appel a ajouté qu’une telle « contribution » n’avait pas à être immédiatement observable, en notant qu’« il peut être difficile de discerner la contribution apportée par une mesure spécifique à la réalisation d’objectifs concernant la santé publique ou l’environnement de celles qui sont imputables aux autres mesures faisant partie de la même politique globale[57] ».

Dans l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés, le Brésil n’a pas apporté une telle preuve quantitative de contribution, s’appuyant plutôt sur une simple approche logique et qualitative fondée sur les vertus de son programme environnemental général. En acceptant la pertinence des arguments à la fois qualitatifs et quantitatifs comme preuve d’une contribution importante des mesures brésiliennes aux objectifs poursuivis, l’Organe d’appel a amélioré son critère, insistant sur l’aptitude de la mesure à apporter une contribution et reconnaissant qu’il peut être difficile d’isoler une contribution réelle des autres éléments d’une politique globale. De plus, cette contribution peut n’être perceptible qu’après une période prolongée.

Le critère énoncé dans Brésil – Pneumatiques rechapés a été encore affiné par la jurisprudence ultérieure relative à l’article XX du GATT. Dans le différend Chine – Publications et produits audiovisuels, l’Organe d’appel a confirmé le critère « à même d’apporter une contribution importante » dans le contexte de l’article XX a) du GATT, mais il a infirmé les applications qu’en avait faites le Groupe spécial[58]. En infirmant cette constatation, il a indiqué qu’un groupe spécial devait faire des « projections quantitatives » et/ou « présent[er] un raisonnement qualitatif fondé sur des éléments de preuve » avant de considérer une mesure comme à même d’apporter une contribution importante[59]. Finalement, le Groupe spécial chargé de l’affaire Chine – Matières premières a même analysé la nécessité de différentes mesures prises par la Chine en sections distinctes portant respectivement sur le point de savoir si ces mesures apportaient actuellement une contribution importante et si elles étaient « à même d’apporter une contribution importante dans le futur[60] ».

Revenant sur la jurisprudence de l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés dans le cas CE – Produits dérivés du phoque, l’Organe d’appel nuance à nouveau le critère de contribution importante. Invoquant la spécificité des faits de la première affaire, il souligne avoir énoncé un critère très large plutôt qu’un standard minimum absolu :

Nous notons par ailleurs que l’Organe d’appel a pris soin de ne pas indiquer que l’approche qu’il suivait dans ce différend nécessitait l’utilisation d’un niveau minimal généralement applicable pour une analyse de la contribution. De fait, l’Organe d’appel a fait la déclaration plus limitée suivante : "lorsqu’une mesure a sur le commerce international des effets restrictifs aussi graves que ceux qui résultent d’une interdiction d’importer, il apparaît, selon nous, qu’il serait difficile pour un groupe spécial de constater que cette mesure est nécessaire, à moins qu’il ne soit convaincu qu’elle est à même d’apporter une contribution importante à la réalisation de son objectif". Nous ne pensons donc pas que l’approche de l’Organe d’appel dans l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés établit un critère généralement applicable exigeant l’utilisation d’un niveau minimal de contribution prédéterminé pour analyser la nécessité d’une mesure au titre de l’article XX du GATT de 1994[61].

Concernant la nature exacte de l’analyse de la contribution de la mesure au sein de l’article XX b) du GATT, l’Organe d’appel indique ceci dans l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés : « Une contribution existe lorsqu’il y a une véritable relation entre l’objectif poursuivi et la mesure en cause pour ce qui est de la fin et des moyens[62] ».

Le test ainsi élaboré au titre de l’article XX b) du GATT se rapproche de celui appliqué au titre de l’article XX g) du GATT, qui concerne une relation plus générale entre les moyens et la fin[63]. L’Organe d’appel a peut-être suivi cette approche en sachant que la disposition parallèle de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) en matière d’exception (article XIV) ne contient pas d’exception équivalant à l’article XX g) du GATT, mais seulement une exception équivalant à l’article XX b) du GATT[64]. Bien que n’ayant pas mentionné ce fait, l’Organe d’appel a pu être influencé par le risque d’une incohérence qui résulterait de l’adoption par un Membre d’une mesure de protection de l’environnement dont les composantes affectant le commerce des marchandises pourraient finir par être admissibles selon des règles du GATT, mais non admissibles dans la mesure où elle affecte le commerce des services. Par la suite, l’Organe d’appel a toutefois pris le soin de bien distinguer les deux tests : « [c]ompte tenu des différents mots de liaison employés, nous considérons qu’en l’absence de contexte, un amalgame entre les critères différents prévus à l’article XX b) et à l’article XX g) se traduirait par une approche ne tenant pas compte d’importantes distinctions entre les divers alinéas de l’article XX »[65]. Tout en précisant que cela ne signifiait pas que l’un des paragraphes n’était pas pertinent pour l’analyse de l’autre[66], il affirme l’existence de deux analyses différentes entre l’article XX b) et XX g).

L’analyse des constatations de l’Organe d’appel figurant dans les rapports relatifs aux différends Brésil – Pneumatiques rechapés et CE – Produits dérivés du phoque d’une part, ajoutées au critère du « soupesage et mise en balance » développés dans l’affaire Corée – Diverses mesures affectant la viande de boeuf d’autre part, mène à la conclusion que, dans une large mesure et malgré des différences formelles, la relation requise par les deux paragraphes est similaire, ce qui rapproche le fonctionnement des exceptions relatives à l’environnement et à la politique de santé, qui sont d’ailleurs des politiques qui souvent se confondent[67].

Un dernier point mérite d’être soulevé en lien avec la jurisprudence récente de l’Organe d’appel concernant l’article XX j), dans l’affaire Inde – Cellules solaires[68]. Certes, sur le principe, ce paragraphe n’a pas réellement de lien avec la protection de l’environnement, visant les situations de pénurie. Cela étant, l’argument du gouvernement indien est axé sur la pénurie de composants des panneaux solaires, et la nécessité de promouvoir cette énergie renouvelable. Si l’Inde ne convainc finalement pas l’Organe d’appel, celui-ci reconnaît sur le principe la possibilité de mettre en place des mesures de restriction d’exportation de certains biens[69]. La jurisprudence semble admettre la possibilité d’imposer des mesures restreignant non seulement l’importation de certains biens mauvais pour l’environnement, mais aussi l’exportation de biens participant à sa protection, pour autant que les autres conditions de l’article XX soient respectées.

2. L’EXISTENCE D’UNE MESURE DE RECHANGE RAISONNABLEMENT DISPONIBLE

À l’époque du GATT, l’une des conditions les plus importantes pour bénéficier de l’article XX était qu’il n’existe pas d’« autre mesure moins restrictive pour le commerce[70] ». Dans l’affaire Corée – Diverses mesures affectant la viande de boeuf, l’importance de cette considération a apparemment été atténuée par le nouveau critère susmentionné de « soupesage et mise en balance » ; une mesure de rechange compatible avec l’Accord sur l’OMC était examinée après le critère de nécessité. Toutefois, dans l’affaire pertinente suivante, CE – Amiante, l’Organe d’appel a étendu l’influence de son « processus de soupesage et mise en balance » en indiquant que l’une de ses composantes faisait partie de la « détermination de la question de savoir si une mesure de rechange compatible avec l’Accord sur l’OMC est raisonnablement disponible[71] ». Cette approche a encore évolué dans les rapports plus récents. Dans l’affaire CE – Produits dérivés du phoque, l’Organe d’appel écrit :

L’exercice de soupesage et de mise en balance dans le cadre de l’analyse de la nécessité prévoit une détermination sur la question de savoir « si une mesure de rechange compatible avec l’Accord sur l’OMC, dont on pourrait "raisonnablement attendre" du Membre concerné "qu’il y ait recours", est à sa disposition, ou [sur] la question de savoir si une mesure moins incompatible avec l’Accord sur l’OMC est "raisonnablement disponible"[72] ».

Mais que cela signifie-t-il en pratique ? L’Organe d’appel a souligné que, pour être admise comme mesure de rechange raisonnablement disponible, la mesure en question devait atteindre « le niveau de protection choisi » par le Membre défendeur. Étant donné que la France (et les CE) avait choisi le risque nul comme niveau de protection, l’Organe d’appel a conclu que les autres possibilités telles que l’« utilisation contrôlée » ne permettraient pas d’atteindre l’objectif recherché par la France (et les CE) et qu’il n’y avait donc pas d’« autre mesure qui permettrait d’atteindre le même objectif et qui [aurait] moins d’effets de restriction des échanges [que l’]interdiction [contestée][73] ».

L’interprétation stricte des « mesures de rechange raisonnablement disponibles » a continué d’évoluer avec l’affaire États-Unis – Jeux, dans laquelle était invoquée la disposition de l’AGCS en matière d’exception concernant les mesures nécessaires pour protéger la moralité publique[74]. L’Organe d’appel a été d’avis qu’une mesure de rechange n’était pas "raisonnablement disponible" non seulement dans le cas où elle n’atteignait pas le niveau de protection choisi par le Membre défendeur, mais aussi

lorsqu’elle [était] de nature purement théorique, par exemple, lorsque le Membre défendeur n’[était] pas capable de l’adopter ou lorsque la mesure impos[ait] une charge indue à ce Membre, par exemple des coûts prohibitifs ou des difficultés techniques substantielles[75].

Cette position a été confirmée et étendue dans l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés, à propos de laquelle l’Organe d’appel a déclaré :

la capacité d’un pays de mettre en oeuvre des mesures correctives qui seraient particulièrement onéreuses ou qui exigeraient des technologies avancées, peut être pertinente pour l’évaluation du point de savoir si ces mesures ou pratiques sont des solutions de rechange raisonnablement disponibles pour remplacer une mesure préventive, telle que l’interdiction d’importer, qui ne comporte pas « des coûts prohibitifs ou des difficultés techniques substantielles[76] ».

Il a franchi là un pas important pour les pays en développement souhaitant protéger la santé ou le milieu naturel de leurs citoyens.

On constate ainsi une nette évolution de ce critère : lorsque cette exigence de la mesure de rechange moins restrictive pour le commerce a été formulée dans les deux différends États-Unis – Thon examinés par des Groupes spéciaux du GATT, il était entendu que le pays invoquant l’exception énoncée à l’article XX devrait prouver l’absence de telles mesures de rechange[77]. Mais, dans l’affaire États-Unis – Jeux, l’Organe d’appel a conclu que « la partie défenderesse doit montrer que sa mesure est "nécessaire" [mais] il n’incombe pas à la partie défenderesse de montrer, d’emblée, qu’il n’y a pas de mesures de rechange raisonnablement disponibles pour réaliser ses objectifs[78] ». Les rapports États-Unis – Jeux et Brésil – Pneumatiques rechapés ont donc établi que le fardeau de la preuve pour la mesure de rechange raisonnablement disponible bénéficie finalement aux Membres défendeurs adoptant des mesures de protection de la santé ou de l’environnement. Ce n’est pas aux défendeurs de démontrer qu’aucune mesure de rechange moins restrictive pour le commerce n’était raisonnablement disponible, mais c’est bien au demandeur de l’établir positivement. Cette exigence a été appliquée de manière particulièrement stricte dans le cadre de l’Accord SPS, un groupe spécial n’étant pas habilité à retenir une mesure de rechange proposée par des experts, si elle n’a pas été démontrée par la partie demanderesse elle-même[79].

Dans le différend Brésil – Pneumatiques rechapés, l’Organe d’appel a constaté que la plupart des mesures de rechange proposées par les CE – consistant par exemple à améliorer la rechapabilité des pneumatiques ou à assurer une meilleure mise en oeuvre des programmes de collecte et d’élimination existants – étaient complémentaires à l’interdiction d’importer et constituaient « des éléments qui s’étayent mutuellement d’une politique globale pour traiter la question des pneumatiques de rebut » plutôt que de « réelles mesures de rechange[80] ». Les mesures de rechange proposées, telles que la mise en décharge, le stockage et l’incinération avaient « leurs propres risques ou, en raison des coûts qu’elles entraîn[aient], n['étaient] à même d’éliminer qu’un nombre limité de pneumatiques de rebut[81] ». Pour reprendre les termes du critère tel qu’il fût formulé par l’Organe d’appel lui-même, étant donné que le Membre défendeur avait démontré que les mesures proposées par le Membre plaignant n’étaient pas une véritable solution de rechange ou n’étaient pas « raisonnablement disponibles », et compte tenu des intérêts ou des valeurs défendus, ainsi que du niveau de protection souhaité du Membre défendeur, il s’ensuivait que la mesure en cause était nécessaire[82].

Ce critère des mesures de rechange moins restrictives pour le commerce et raisonnablement disponibles a été à nouveau appliqué et affiné dans le différend Chine – Publications et produits audiovisuels de 2009. L’Organe d’appel y a confirmé la constatation du Groupe spécial selon laquelle la Chine n’avait pas pu prouver qu’une mesure de rechange pouvant se substituer aux prescriptions relatives au personnel et au plan de l’État proposée par les États-Unis n’était pas raisonnablement disponible[83]. Appuyant la constatation du Groupe spécial, l’Organe d’appel a noté qu’un Membre « ne peut pas démontrer qu’il n’existe pas de mesure de rechange raisonnablement disponible simplement en montrant qu’il n’existe pas de mesure de rechange moins coûteuse », il doit établir que les mesures de rechange suggérées par le plaignant « lui imposeraient une charge indue[84] ». Même si cette précision sur ce qui peut être entendu comme une mesure « raisonnablement disponible » fonctionne comme une légère réserve au droit du Membre défendeur de ne pas adopter une mesure de rechange disponible, il reste tout de même une marge de manoeuvre importante aux Membres qui cherchent à poursuivre de bonne foi des politiques admises par l’article XX (y compris des politiques environnementales). Ce critère soigneusement calibré signifie également qu’un groupe spécial ne peut rejeter une mesure de protection de l’environnement ou même une mesure de santé publique en invoquant une mesure de rechange compatible avec l’Accord de l’OMC ou moins restrictive pour le commerce, à moins que le plaignant ne démontre que cette mesure ne soit techniquement et financièrement réalisable pour le Membre en question et n’offre au moins le même niveau de protection que celui souhaité par le Membre qui adopte la mesure.

L’Organe d’appel a eu l’occasion d’apporter une légère précision quant au sens et à la portée du critère de « raisonnablement disponible ». Dans l’affaire CE – Produits dérivés du phoque, il a souligné que la disponibilité n’était pas uniquement à évaluer par rapport au Membre lui-même. Ainsi, une mesure qui imposerait des « coûts ou difficultés importants » à la branche de production plutôt qu’au Membre pourrait également être problématique[85].

En somme, une fois la nécessité d’une mesure établie, il faut se pencher sur l’existence d’une mesure alternative. Le plaignant aura le fardeau de proposer ces mesures alternatives moins restrictives pour le commerce, qui doivent non seulement atteindre le même niveau de protection, mais également être « raisonnablement disponibles ». L’Organe d’appel semble proposer un test équilibrant la liberté de règlementation des Membres avec l’objectif de libéralisation du commerce.

C. L’application effective de la mesure contestée et le protectionnisme déguisé

Une fois qu’une mesure est considérée comme relevant de l’un des paragraphes de l’article XX du GATT, elle doit néanmoins répondre au critère énoncé dans la clause introductive de l’article XX, qui met l’accent sur la manière dont la mesure en question est effectivement appliquée.

Les critères du texte introductif de l’article XX sont étudiés en détail par la jurisprudence. Il est notamment utile de préciser ce à quoi la « discrimination » fait ici référence. Comme l’Organe d’appel l’a précisé très tôt, elle ne peut logiquement pas faire référence au même standard que celui appliqué pour déterminer l’existence d’une violation du GATT. Ainsi, la simple violation de l’article I ou III ne pourrait automatiquement signifier que le critère de « discrimination arbitraire ou injustifiable » du texte introductif de l’article XX est rempli[86]. Il est donc envisageable qu’une mesure soit discriminatoire au sens des articles I ou III sans pour autant poser problème au regard des dispositions du texte introductif de l’article XX. Par ailleurs, cette discrimination doit avoir été prévue, et ne pas être « purement accidentelle ou inévitable[87] ».

Second critère requis par le texte introductif de l’article XX, la « discrimination arbitraire et injustifiable » doit avoir lieu « entre les pays où les mêmes conditions existent ». Il n’est toutefois pas précisé quelles « conditions » sont pertinentes à l’analyse de ce critère. S’agit-il d’une considération générale liée au niveau de développement ou à la richesse d’un pays ? Ou s’agit-il d’un critère lié au climat ou à l’environnement ? L’Organe d’appel répond à cette question dans l’affaire CE – Produits dérivés du phoque, en faisant référence aux conditions en lien avec l’objectif visé par la mesure analysée :

Nous estimons que, lorsqu’il s’agit de déterminer quelles « conditions » existant dans différents pays sont pertinentes dans le contexte du texte introductif, les alinéas de l’article XX, et en particulier l’alinéa au regard duquel une mesure a été provisoirement justifiée, fournissent un contexte pertinent. Autrement dit, les « conditions » concernant l’objectif de politique générale particulier visé à l’alinéa applicable sont pertinentes pour l’analyse au titre du texte introductif. Selon la nature particulière de la mesure et les circonstances spécifiques de l’affaire, les dispositions du GATT de 1994 avec lesquelles une mesure a été jugée incompatible peuvent aussi fournir des indications utiles sur le point de savoir quelles « conditions » existant dans différents pays sont pertinentes dans le contexte du texte introductif. En particulier, le type ou la cause de la violation dont l’existence a été constatée peuvent éclairer la détermination des pays qui devraient être comparés eu égard aux conditions qui existent dans ces pays[88].

La raison d’être de ces prescriptions additionnelles dans le texte introductif est que, si l’aspect environnemental d’une mesure contestée peut être légitime, son application peut révéler qu’elle est en fait détournée pour servir en réalité à favoriser la production nationale ou à établir une discrimination contre des produits étrangers. Le texte introductif de l’article XX est considéré comme « une façon d’exprimer le principe de la bonne foi[89] ». Les groupes spéciaux et l’Organe d’appel ont donc exigé que le Membre qui introduit la mesure restrictive pour le commerce ait, par exemple, adopté une politique efficace à cette fin au niveau intérieur et fait un effort légitime pour coopérer avec les autres Membres afin d’atteindre l’objectif de cette politique grâce à une action multilatérale, si souvent essentielle dans la poursuite d’objectifs environnementaux. Autrement dit, le texte introductif de l’article XX garantit essentiellement que la mesure n’est pas simplement un « moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable » ou une « restriction déguisée au commerce international », mais véritablement une mesure destinée à protéger l’environnement. Dans plusieurs différends, ce critère énoncé dans le texte introductif s’est en fait révélé décisif : les juridictions de l’OMC ont en effet conclu à de nombreuses reprises qu’une mesure contestée relative à la protection de l’environnement violait, de fait, le droit de l’OMC. Ces constatations sont conformes à la lutte contre le protectionnisme menée de longue date par l’OMC[90]. Néanmoins, ça ne saurait être interprété comme un refus des juridictions de l’OMC de prendre en compte les préoccupations liées à l’environnement[91].

III. Le problème similaire d’équilibrage entre le commerce et les préoccupations légitimes autres que commerciales : le cas de l’Accord OTC

Jusqu’à présent, cette étude a essentiellement porté sur la manière dont la jurisprudence de l’OMC relative à l’article XX du GATT a évolué et maintenu un équilibre entre les obligations relatives à l’accès aux marchés et le droit de protéger l’élément environnement du développement durable. Toutefois, la jurisprudence découlant des exceptions générales du GATT ne s’applique qu’aux allégations formulées au titre du GATT ou, au moins, des accords ayant des dispositions qui se réfèrent à l’article XX du GATT. Les avancées considérables réalisées dans le sens de la politique environnementale grâce à la richesse de la jurisprudence relative à l’article XX du GATT, ce qu’on appelle « l’écologisation du GATT[92] », ne s’appliquent pas automatiquement aux dispositions des autres accords visés de l’OMC qui utilisent des termes et des concepts différents. Comme déjà mentionné ci-dessus, les accords qui comportent également des exceptions générales comme notamment l’AGCS et son article XIV, ne reproduisent pas mot pour mot les termes de l’article XX du GATT. Partant, de nombreuses questions se sont posées sur le point de savoir comment exporter cette jurisprudence du GATT vers les autres accords de l’OMC.

En 2012, une série de rapports de l’Organe d’appel de l’OMC a mené à la conclusion que la logique globale sur laquelle repose l’équilibre entre les règles du GATT relatives à l’accès aux marchés d’une part, et les objectifs de l’article XX d’autre part pouvaient aussi fertiliser d’autres accords que celui du GATT.

Il a d’abord été énoncé que les principes et la jurisprudence de l’article XX du GATT étaient pertinents concernant l’interprétation et l’application de l’article XIV de l’AGCS[93]. Puis, dans trois affaires plus récentes concernant l’Accord OTC, l’absence de dispositions spécifiques accordant des exceptions aux obligations primaires de l’Accord OTC n’a pas empêché de considérer des justifications légitimes traditionnellement reconnues dans le cadre de l’article XX du GATT. D’ailleurs, un terreau est offert à cette fertilisation croisée des considérations issues de l’article XX du GATT, dans le contexte des cinquième et sixième considérant du préambule de l’Accord OTC, ainsi que dans celui de son article 2.2. En effet, le préambule de l’accord reconnaît que

rien ne saurait empêcher un pays de prendre les mesures nécessaires pour assurer… la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux… la préservation des végétaux [et] la protection de l’environnement… sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre des pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international[94].

Dans les trois affaires, déjà évoquées, et analysées ci-après, l’Organe d’appel s’est référé à la jurisprudence établie à propos des articles III et XX du GATT, et a introduit la notion de « distinction règlementaire légitime » dans l’interprétation et l’application de l’aspect « traitement moins favorable » de l’obligation du traitement national figurant à l’article 2.1 de l’Accord OTC (A). En outre, dans l’interprétation de l’article 2.2 de l’Accord OTC, qui interdit les règlements techniques plus restrictifs qu’il n’est nécessaire pour réaliser un objectif légitime, l’Organe d’appel s’est référé au préambule de l’Accord OTC et a adapté à son contexte la jurisprudence relative au critère de nécessité concernant l’article XX du GATT (B). L’évolution de ces critères a, au demeurant, soulevé la question de la détermination de ce qui est susceptible de constituer un standard international (C).

A. L’article 2.1 de l’Accord OTC et la notion de « distinction réglementaire légitime »

Les rapports de l’Organe d’appel relatifs aux affaires États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle[95], États-Unis – Thon II (Mexique)[96] et États-Unis – EPO[97] réaffirment que les règlements techniques, de par leur nature même, établissent des distinctions entre les produits en fonction de leurs caractéristiques ou des procédés et méthodes de production (PMP) s’y rapportant[98]. Dans le contexte du GATT, un traitement moins favorable des produits importés, contraire aux articles Ier et III, peut être justifié par un Membre défendeur à travers les exceptions énoncées à l’article XX. Dans l’Accord OTC, où il n’y a pas de dispositions en matière d’exceptions du type de l’article XX, l’Organe d’appel a déterminé que l’existence d’un « traitement moins favorable » est basée sur la question de savoir non seulement s’il y a un effet préjudiciable sur les mesures relatives aux importations, mais aussi si cet effet découle de « distinctions règlementaires légitimes ». En conséquence, au titre de l’Accord OTC, un effet préjudiciable découlant de « distinctions règlementaires légitimes » n’équivaudrait pas, en fait, à un « traitement moins favorable ». Ainsi, dans son rapport d’avril 2012 États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle, l’Organe d’appel a interprété pour la première fois l’article 2.1 de l’Accord OTC et en a conclu qu’il signifiait ceci :

Par conséquent, dans le cas où le règlement technique en cause n’établit pas de discrimination de jure à l’égard des importations [la plupart des règlements n’établissent évidemment pas de discrimination de jure flagrante contre les produits importés, c’est plutôt leur application qui crée une discrimination de facto], l’existence d’un effet préjudiciable sur les possibilités de concurrence pour le groupe des produits importés par rapport à celui des produits similaires nationaux n’est pas déterminante pour l’existence d’un traitement moins favorable au titre de l’article 2.1. Au lieu de cela, un groupe spécial doit analyser en outre si l’effet préjudiciable sur les importations découle exclusivement d’une distinction règlementaire légitime, plutôt qu’elle ne reflète l’existence d’une discrimination à l’égard du groupe des produits importés. Pour établir cette détermination, un groupe spécial doit analyser minutieusement les circonstances propres à l’affaire, à savoir la conception, les principes de base, la structure révélatrice, le fonctionnement et l’application du règlement technique en cause, et en particulier le point de savoir si le règlement technique est impartial, afin de déterminer si elles établissent une discrimination à l’égard du groupe des produits importés[99].

Dans ces trois affaires qui interprètent et appliquent l’article 2.1 de l’Accord OTC, les objectifs globaux identifiés par les États-Unis pour chaque mesure ont été acceptés comme « légitimes ». Toutefois, dans les litiges États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle, États-Unis – Thon II (Mexique) et États-Unis – EPO, il a été déterminé que les règlements des États-Unis étaient incompatibles avec l’article 2.1 de l’Accord OTC parce que leurs effets préjudiciables sur le commerce ne semblaient pas découler exclusivement de distinctions légitimes. Dans le cas d’espèce États-Unis – EPO, la question était de savoir si cet objectif était poursuivi d’une manière impartiale ou s’il créait une discrimination non justifiée. C’est du moins ainsi que l’expression « distinction légitime » a été interprétée et appliquée par l’Organe d’appel lorsqu’il disait ceci : « nous devons examiner… si ces distinctions sont conçues et appliquées d’une manière impartiale[100] ». Selon cette interprétation, il semble que ce soit l’effet préjudiciable spécifique et non l’ensemble de la politique dans son fondement qui doive être justifié si la distinction règlementaire est légitime, c’est-à-dire conçue et appliquée de manière équilibrée.

Dans le différend États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle, la mesure en cause poursuivait l’objectif légitime de santé publique consistant à réduire le tabagisme chez les jeunes. Toutefois, l’exclusion des cigarettes mentholées (principalement fabriquées dans le pays) de la portée de la mesure créait une discrimination en faveur des cigarettes mentholées vis-à-vis des cigarettes aux clous de girofle – une distinction entre les deux types de cigarettes pour laquelle il n’y avait pas de justification légitime en matière de politique[101]. Dans le différend États-Unis – EPO, bien que l’objectif consistant à donner aux consommateurs des renseignements sur l’origine des produits soit légitime[102], la tenue de registres supplémentaires et les renseignements de vérification exigés au sujet du bétail importé n’étaient, pour l’essentiel, pas répercutés dans l’information fournie au consommateur et n’étaient donc pas justifiés par cet objectif[103]. Dans le différend États-Unis – Thon II (Mexique), l’Organe d’appel s’est arrêté sur le fait que le traitement différencié, prévu dans la mesure contestée, du thon pris dans différentes zones et au moyen de différentes méthodes de pêche n’était pas une distinction qui découlait de l’objectif règlementaire légitime de protection des dauphins[104]. Ces deux dernières affaires recherchaient une certaine « impartialité » dans l’application de la mesure de politique publique qui rappelle le critère de bonne foi énoncé dans le texte introductif de l’article XX du GATT.

Il est difficile de ne pas remarquer les similarités entre les objectifs de l’article XX et ceux de l’Accord OTC, malgré des différences textuelles importantes. L’Organe d’appel lui-même a eu l’occasion de le souligner :

Nous reconnaissons qu’il existe des parallèles importants entre les analyses au titre de l’article 2.1 de l’Accord OTC et au titre du texte introductif de l’article XX. En particulier, nous notons que les concepts de "discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent" et de "restriction déguisée au commerce" figurent aussi bien dans le texte introductif de l’article XX du GATT de 1994 que dans le sixième considérant du préambule de l’Accord OTC[105].

Logiquement, l’interaction exacte du critère OTC de « distinction légitime » avec l’article XX du GATT a donc fait l’objet d’éclaircissements supplémentaires dans les affaires CE – Produits dérivés du phoque et États-Unis – Thon II (Mexique) (Article 21.5).

Dans un premier temps, l’Organe d’appel s’est prononcé de manière catégorique sur ce lien, soulignant les « différences notables » existant entre les deux articles[106]. Il souligne notamment la différence de nature entre la fonction du chapeau de l’article XX – équilibrer le droit à invoquer les exceptions et les droits des autres Membres – et de l’article 2.1 – une règle de non-discrimination, soit une obligation positive[107]. L’Organe d’appel estime en conséquence que le Groupe spécial a fait erreur en utilisant le même test pour le chapeau de l’article XX et l’article 2.1, recommandant de procéder à deux tests différents[108]. Il revient sur cette jurisprudence dans l’affaire États-Unis – Thon II (Mexique) (Article 21.5) pour en préciser la portée :

Des décisions antérieures au titre de l’article XX du GATT de 1994, concernant particulièrement la notion de "discrimination arbitraire ou injustifiable", peuvent éclairer utilement la façon dont le même concept devrait être interprété dans le contexte de la deuxième étape de l’analyse du "traitement non moins favorable" au titre de l’article 2.1 de l’Accord OTC[109].

Dans cette affaire, l’Organe d’appel estime la jurisprudence sur le chapeau de l’article XX applicable à l’analyse du « traitement préjudiciable découl[ant] d’une distinction règlementaire légitime », pour autant que l’analyse n’exclue pas les facteurs additionnels pertinents à l’analyse du cas[110]. Ainsi, la notion de discrimination arbitraire, développée dans la jurisprudence de l’article XX, est pertinente pour déterminer si le traitement était empreint de l’"impartialité" voulue par l’Accord OTC[111]. L’Organe d’appel mentionne toutefois sa surprise de voir la jurisprudence de l’article XX mentionnée immédiatement au début de l’analyse de l’article 2.1 par le Groupe spécial. Il semble donc y avoir une exigence – relativement formelle – que le Groupe spécial analyse les éléments pertinents à l’aune de l’article 2.1, et répète les points qu’il aurait pu retenir dans le cadre de son analyse de l’article XX, plutôt que d’importer directement le raisonnement[112]. Dès lors, l’analyse d’une mesure visant à protéger l’environnement faite dans le cadre du chapeau de l’article XX devra être répétée pour l’article 2.1, et inversement.

B. L’article 2.2 de l’Accord OTC et l’importation d’un critère de nécessité du type de l’article XX du GATT

L’article 2.2 de l’Accord OTC est particulièrement pertinent dans l’examen de la place des considérations environnementales au sein du droit de l’OMC. En effet, son présupposé est que la mesure découle d’un objectif légitime. Or, parmi ceux explicitement mentionnés, figure « la protection de l’environnement[113] ». Dans les rapports États-Unis – Thon II (Mexique) et États-Unis – EPO l’Organe d’appel aborde l’article 2.2 de l’Accord OTC pour la première fois[114]. Cet article ajoute à l’obligation fondamentale de non-discrimination énoncée à l’article 2.1 l’exigence que les règlements techniques ne soient "pas plus restrictifs pour le commerce qu’il n’est nécessaire pour réaliser un objectif légitime, compte tenu des risques que la non-réalisation entraînerait". Cette disposition, présupposant un objectif légitime et liant la nécessité à l’existence de mesures de rechange compatibles avec l’Accord de l’OMC ou moins restrictives pour le commerce[115], rappelle fortement le critère juridique élaboré au titre de l’article XX b) et d) du GATT, avant la conclusion de l’Accord OTC[116]. Dans les deux rapports États-Unis – Thon II (Mexique) et États-Unis – EPO, l’Organe d’appel a infirmé les interprétations des Groupes spéciaux et leurs constatations de l’existence de violations au titre de l’article 2.2 de l’Accord OTC.

Les deux rapports États-Unis – Thon II (Mexique) et États-Unis – EPO ont établi qu’une évaluation dans le contexte de l’article 2.2 de l’Accord OTC comporte une « analyse relationnelle » d’une série de facteurs.

1. L’exercice de soupesage dans l’article 2.2 de l’Accord OTC

Premièrement, il découle de l’interprétation du terme « réaliser » figurant à l’article 2.2 de l’Accord OTC, qu’un groupe spécial chargé de décider si une mesure est, ou n’est pas, « plus restrictive pour le commerce qu’il n’est nécessaire pour réaliser un objectif légitime », doit d’abord examiner le degré de contribution de la mesure à l’objectif légitime en cause. Cet examen devrait être mené à partir de la conception, de la structure et du fonctionnement du règlement technique, ainsi que des éléments de preuve relatifs à son application[117]. Selon l’Organe d’appel, la question précise à se poser est celle de savoir à quel degré le règlement technique contesté, tel qu’il est libellé et appliqué, est à même de contribuer et/ou contribue effectivement à l’objectif légitime recherché par le Membre[118]. Il est possible de considérer que ce volet du nouveau critère relatif à l’article 2.2 de l’Accord OTC reflète en grande partie la jurisprudence de l’article XX du GATT, complétée par la formule « apte à apporter une contribution » tirée de l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés, examinée ci-dessus[119].

Deuxièmement, du fait que l’article 2.2 de l’Accord OTC interdit les règlements techniques qui « cré[ent] des obstacles non nécessaires au commerce international », l’Organe d’appel exige que les groupes spéciaux évaluent le caractère restrictif pour le commerce de la mesure, entendu comme « les restrictions au commerce international qui vont au-delà de ce qui est nécessaire pour accomplir le degré de contribution qu’un règlement technique apporte à l’accomplissement d’un objectif légitime[120] ».

Puis, en troisième point suivant le texte détaillé de l’article 2.2 de l’Accord OTC, les groupes spéciaux devraient évaluer la nature des risques en cause et la gravité des conséquences qui découleraient de la non-réalisation du ou des objectifs poursuivis par le Membre au moyen du règlement technique[121]. Il s'agit là d'une « analyse relationnelle[122] » des trois critères, pour laquelle de fortes similitudes avec le test de nécessité établi à l’article XX du GATT apparaissent entre les lignes. Cette approche a, plus récemment, été reprise par le groupe spécial dans l’affaire Australie — Emballage neutre du tabac[123].

2. L’existence de mesures de rechange qui pourraient être raisonnablement disponibles

L’Organe d’appel a également constaté clairement que, dans la plupart des affaires, il sera demandé aux groupes spéciaux de comparer la mesure contestée et les mesures de rechange qui pourraient être raisonnablement disponibles afin d’évaluer, entre autres, si la mesure de rechange proposée est moins restrictive pour le commerce et apporterait une contribution équivalente à l’objectif légitime en cause[124]. Ce raisonnement est également confirmé par le Groupe spécial dans l’affaire Australie — Emballage neutre du tabac[125]. Là encore, cet aspect du critère relatif à l’article 2.2 de l’Accord OTC est en étroite affinité avec le critère de la mesure de rechange moins restrictive pour le commerce élaboré au titre de l’article XX du GATT et décrit dans la section II.B ci-dessus. Précédemment, l’Organe d’appel avait même pris soin d’établir un mécanisme de charge de la preuve similaire pour les allégations de mesures de rechange raisonnablement disponibles au titre de l’article 2.2 de l’Accord OTC et de l’article XX du GATT, le Membre plaignant étant tenu d’établir la non-conformité à l’article 2.2 de l’Accord OTC en proposant, entre autres choses, une mesure de rechange que le Membre défendeur doit ensuite réfuter[126].

Ce résumé montre que, dans l’ensemble, les éléments du critère au titre de l’article 2.2 de l’Accord OTC tels qu’ils ont été élaborés par l’Organe d’appel s’inspirent beaucoup des éléments correspondants du critère utilisé au titre de l’article XX du GATT de 1994. L’approche globale, qui consiste à évaluer la nécessité d’une mesure en examinant son degré de restrictivité pour le commerce en premier lieu, ainsi que la mesure dans laquelle elle contribue à son objectif en second lieu, pour finalement la comparer à des mesures de rechange possibles, en troisième lieu, a été élaborée pour la première fois dans le contexte de l’article XX du GATT. Cependant, il apparaît aussi qu’il y ait certaines différences entre le critère de « nécessité » de l’article XX du GATT et celui de l’article 2.2 de l’Accord OTC.

Quant à la question de la contribution, dans un premier temps il a semblé qu’un seuil de contribution différent serait appliqué entre l’article XX du GATT et l’article 2.2 de l’Accord OTC. En effet, l’Organe d’appel avait souligné l’idée de contribution importante pour le GATT[127]. Or, cette prescription minimale (contribution importante) ne semble pas exister au titre de l’article 2.2 de l’Accord OTC, pour lequel une contribution quelconque sera apparemment suffisante. Examinant les précédents sur cette question, l’Organe d’appel, dans son rapport États-Unis – EPO, a conclu que, dans son rapport antérieur sur l’affaire États-Unis – Thon II (Mexique), il n’avait pas « constaté ni laissé entendre que, pour qu’une mesure soit en conformité avec l’article 2.2, elle devait atteindre un niveau minimal de réalisation[128] ». L’Organe d’appel a alors déterminé que le Groupe spécial chargé du différend États-Unis – EPO avait fait erreur en affirmant que la mesure des États-Unis devait répondre à un niveau minimal de réalisation[129]. Cela étant, la jurisprudence subséquente a clarifié la situation. En particulier, dans l’affaire CE – Produits dérivés du phoque, l’Organe d’appel précise l’analyse faite dans l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés :

Nous ne pensons donc pas que l’approche de l’Organe d’appel dans l’affaire Brésil – Pneumatiques rechapés établit un critère généralement applicable exigeant l’utilisation d’un niveau minimal de contribution prédéterminé pour analyser la nécessité d’une mesure au titre de l’article XX du GATT de 1994[130].

En d’autres termes, les critères de contribution au sein des articles XX du GATT et 2.2 de l’Accord OTC sont, de prime abord, similaires.

Ensuite, une autre différence d’importance à noter entre la portée accordée par l’article XX du GATT et l’article 2.2 de l’Accord OTC, aux objectifs de politique publique d’un Membre, se trouve dans la nature des objectifs admissibles. Alors que l’article XX du GATT donne une liste restreinte d’exceptions en matière de politique et exige qu’un Membre défendeur montre que sa mesure relève bien de l’une des rubriques établies par les paragraphes de l’article XX, l’article 2.2 de l’Accord OTC « contient pour sa part, une liste non exhaustive, ouverte, d’objectifs légitimes », et c’est au Membre plaignant qu’il incombe de prouver que l’objectif du Membre défendeur n’est pas légitime[131]. L’effet pratique de cette différence est que certains objectifs qui ne seraient pas admissibles pour justifier la non-conformité à une obligation du GATT par le moyen de son article XX seront bel et bien admis au titre de l’article 2.2 de l’Accord OTC comme des objectifs légitimes capables de justifier des règlements techniques créant des obstacles au commerce. Déjà dans le différend États-Unis – EPO, un objectif qui n’aurait peut-être relevé d’aucun des alinéas de l’article XX du GATT, à savoir l’objectif des États-Unis consistant à fournir aux consommateurs des renseignements sur les pays où le bétail, à partir duquel la viande qu’ils achètent est produite, est né, élevé et abattu, était considéré comme légitime aux fins de l’article 2.2 de l’Accord OTC[132]. Ainsi, des considérations liées de manière très subsidiaire à la protection de l’environnement pourraient néanmoins être justifiées à travers d’autres objectifs légitimes, non mentionnés à l’article 2.2. Il reste à voir si, et dans quelle mesure, cette nouvelle jurisprudence relative à l’Accord OTC peut fertiliser de façon croisée la jurisprudence du GATT.

C. Les articles 2.4 et 2.5 de l’Accord OTC et la valeur des standards internationaux

Il convient de faire une dernière remarque au sujet de cette jurisprudence en relation avec l’article 2 de l’Accord OTC : la (ré)interprétation de ce qui constitue une « norme internationale ». Les Membres de l’OMC sont évidemment encouragés à utiliser les normes internationales comme base de leurs propres normes nationales. En outre, les normes nationales qui sont conformes aux normes internationales existantes sont présumées être compatibles avec les règles de l’OMC dans les contextes OTC et SPS[133]. Dans l’affaire États-Unis – Thon II (Mexique), l’Organe d’appel a déterminé qu’un organisme international à activité normative (qui peut publier des normes internationales aux fins de l’article 2 de l’Accord OTC) devrait être ouvert à « au moins tous les Membres de l’OMC[134] ». L’interprétation de l’Organe d’appel semble découler de l’Annexe 1.4 de l’Accord OTC et s’inspire en particulier des notions de transparence et d’ouverture exprimées dans la décision du Comité OTC. Elle laisse entendre qu’une norme qui est par essence régionale plutôt qu’universelle ou au moins à l’élaboration de laquelle seul un groupe de pays a participé, ne répond pas au critère de « norme internationale » aux fins de l’Accord OTC.

Suivant cette jurisprudence, il semblerait probable qu’un standard n’est « international » au sens des articles 2.4 et 2.5 de l’Accord OTC, que si l’organisme à activité normative concerné est ouvert aux organismes compétents d'au moins tous les Membres de l'OMC. Ceci pourrait impliquer que la plupart, sinon la totalité, des normes internationales existantes ne seraient pas considérées comme des normes internationales au sens des articles 2.4 et 2.5 par l’OMC, car les Membres de l’OMC ne sont pas tous considérés comme des États (Hong Kong, Taipei chinois, etc.) et les organismes qui produisent ces normes ne sont pas nécessairement ouverts aux "territoires douaniers distincts" prévus à l'article XII:1 de l’Accord de l’OMC.

Cette interprétation des articles 2.4 et 2.5 réduit le potentiel de cette présomption qui aurait pu éventuellement être invoquée en faveur de normes ou standards internationaux. Dans l’interprétation de l’article XX du GATT proposée dans l’affaire États-Unis – Crevettes, même des accords autres que l’Accord sur l’OMC et ne s’appliquant pas nécessairement à toutes les parties au différend ont été utilisés par les États-Unis comme guide d’une interprétation évolutive des flexibilités de l’article XX du GATT[135]. Ainsi des normes internationales ou d’autres types d’instruments internationaux qui pourraient ne pas remplir les conditions requises au titre des articles 2.4 et 2.5 de l’Accord OTC pourraient néanmoins être considérés comme des faits pertinents pour déterminer si une mesure relève ou non des justifications applicables en matière de politique au titre de l’OMC[136].

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Comme le révèle cette petite sélection de rapports de l’Organe d’appel pouvant avoir une influence sur la prise de mesures de protection de l’environnement, le GATT a évolué pour devenir l’OMC, et sa vision des questions environnementales a également mûri, essentiellement sur la base du nouvel objectif explicite de développement durable de l’OMC. Comme notre analyse l’a montré, l’Organe d’appel a interprété les paragraphes de l’article XX du GATT de 1947 de manière évolutive. Toute l’approche du droit du commerce OMC vis-à-vis de l’environnement et des autres considérations non commerciales s’est sophistiquée. Malgré qu'une collaboration multilatérale soit préférable, l’OMC a reconnu l’importance du droit de protéger de manière unilatérale la santé et l’environnement ainsi que le droit des Membres de fixer, unilatéralement toujours, leur propre niveau de protection, même si ce niveau est très élevé ou correspond à un risque considéré comme nul. L’interprétation du critère de nécessité a évolué de l’« indispensable » vers un critère de contribution importante ; la charge de la preuve a été imposée au plaignant, et la portée des solutions de rechange raisonnablement disponibles a été réduite pour prendre en compte la capacité réelle et le niveau de développement du Membre mis en cause. Cependant, alors que le droit de l’OMC accorde une flexibilité beaucoup plus grande pour les politiques environnementales que celui du GATT, son prédécesseur, il conserve son rôle de surveillance du protectionnisme commercial, rôle qui continue d’être assuré grâce aux limites mises à l’exercice de l’article XX du GATT.

Les faits récents ont confirmé que l’interprétation des dispositions pertinentes du GATT par l’Organe d’appel de l’OMC avait atteint cet équilibre entre l’exigence imposée aux gouvernements de respecter leurs engagements convenus en matière de libéralisation des échanges et la possibilité pour eux de poursuivre des objectifs légitimes de politique publique. De façon très frappante, l’Organe d’appel a maintenu le même équilibre dans le contexte de l’OTC, un accord qui ne contient pas d’exceptions générales comme la disposition de l’article XX du GATT, au titre de laquelle cette approche a été progressivement développée. L’utilisation d’un critère de nécessité du type de l’article XX du GATT dans l’interprétation de l’article 2.2 de l’Accord OTC et l’émergence de la notion de « distinction règlementaire légitime » pour nuancer les constatations de l’existence d’une discrimination au titre de l’article 2.1 de l’Accord OTC, sont des indications qu’une interprétation appropriée des accords de l’OMC a rendu le droit de l’OMC capable d’instaurer des relations plus fructueuses avec le monde en général et prêt à rester au diapason des priorités et des valeurs changeantes de la société internationale.

Bien entendu, l’introduction d’une logique de type exceptions générales dans les dispositions de fond d’autres accords que le GATT risque de créer certaines difficultés. Comme il est possible qu’une seule et unique mesure règlementaire soit couverte à la fois par l’Accord OTC et par le GATT, la coordination de l’interprétation et de l’application des articles Ier, III, XI et XX du GATT, d’une part, et des dispositions de l’Accord OTC, d’autre part, continuera de soulever des questions importantes de cohérence.

Ce qui est clair pour l’instant, c’est que, avec ses premiers rapports incontournables sur l’élaboration d’un critère équitable et équilibré au titre de l’article XX du GATT et son interprétation récente de l’article 2 de l’Accord OTC, l’Organe d’appel de l’OMC a permis d’interpréter les accords visés de l’OMC d’une manière qui reconnaît l’importance des priorités actuelles comme la protection de l’environnement et de la santé, sans abandonner sa raison d’être : la lutte contre le protectionnisme commercial.