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Rédigé au bilan des douze années de gouvernement Harper, responsable d’une dévalorisation sans précédent de la relation entre le Canada et l’Organisation des Nations unies (ONU), l’ouvrage Canada and the United Nations : Legacies, Limits, Prospects s’interroge sur le rôle du Canada au sein de l’ONU lors des soixante-dix dernières années. Le Canada est-il un fidèle allié des États-Unis, un pion pour les Britanniques ou un État conciliateur[1]? Les directeurs Collin McCullough (professeur auxiliaire à la faculté d’histoire de l’Université McMaster) et Robert Teigrob (professeur associé à la faculté d’histoire de l’Université Ryerson) évitent de circonscrire le Canada à une de ces étiquettes. L’analyse historique des auteures et auteurs révèle plutôt que le Canada s’est présenté comme un acteur clé au sein de l’instance multilatérale dès sa création. Au fil des générations, les Canadiennes et Canadiens, autant au sein de la sphère politique que dans la société civile, se sont identifiés à l’internationalisme libéral, étroitement lié aux idéaux de l’ONU. Cependant, à la lecture de Canada and the United Nations, il est clair que depuis plus de vingt ans, l’image toujours vive du Canada en tant que peacekeeper relève davantage du lègue des décennies précédentes que de la réalité contemporaine[2]. Bien que la littérature scientifique soit abondante quant aux enjeux spécifiques que rencontre le Canada à l’ONU[3], l’ensemble de l’oeuvre remplit la tâche jusqu’alors inaccomplie de poser une réflexion générale et actuelle sur la relation entre le Canada et l’ONU.
L’ouvrage collectif émerge d’une conférence organisée à l’Université de McMaster invitant des experts à se prononcer sur le rôle historique du Canada au sein de l’ONU. Le fruit de cette commune réflexion se décline en huit chapitres qui se superposent chronologiquement depuis les premières participations du Canada au sein d’instances bilatérales comme la Commission mixte internationale (1909) jusqu’aux promesses de revalorisation de la place du Canada dans l’ONU émises par le premier ministre Justin Trudeau (2016). Nous présenterons le substrat de chacune des contributions de l’ouvrage.
Dans le premier chapitre, David Mackenzie explique la naissance de la coopération multilatérale canadienne. Jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, l’influence britannique pesait lourd sur la politique canadienne alors que le Canada agissait en unisson avec les membres du Commonwealth explique Mackenzie. La voie du multilatéralisme, via la Société des Nations (SDN) et l’Organisation internationale du Travail (OIT), était donc une stratégie d’affirmation de l’autonomie du Canada sur la scène internationale. Or, il note qu’aux balbutiements du multilatéralisme canadien, le maintien de l’unité nationale était un enjeu à considérer, alors que francophones et anglophones étaient divisés à propos du rôle du Canada et de ses provinces au sein de ces instances.
Suzanne Langlois, en deuxième chapitre, témoigne de la manière dont le Canada, en collaboration avec l’ONU, a effectué de la propagande cinématographique afin de populariser les valeurs libérales canadiennes dans la période d’après-guerre. Entre 1943 et 1947, l’Office national du film du Canada (ONF) a produit des films en collaboration avec l’ONU montrant les ravages causés par la guerre dans les zones libérées par les Alliés. Langlois explique qu’un faisceau de communication était ainsi fondé, liant la société civile canadienne aux familles dévastées de l’Europe de l’Est. L’objectif était de promouvoir un système de valeur basé sur la démocratie libérale et la coopération internationale légitimant les politiques européennes de reconstruction.
Au tournant de la Deuxième Guerre, l’ONU à peine créée dû se montrer pertinente malgré l’immobilisme du Conseil de sécurité enlisé dans les tensions géopolitiques de la guerre froide. David Webster affirme que l’assistance technique internationale en contexte de décolonisation était une stratégie employée par le Canada et l’ONU pour le développement économique mondial. Lors des vingt premières années d’après-guerre, le Canada s’est positionné en tant que nation clé dans l’assistance technique en raison de sa réputation d’impartialité. Il s’agissait alors d’une opportunité réussie de promouvoir l’internationalisme libéral canadien.
L’étude de Tarah Brookfield s’intéresse à l’écho de l’internationalisme libéral dans la société civile et plus particulièrement chez les femmes. Elle expose comment des centaines de Canadiennes ont contribué aux efforts des instances de l’ONU pour le développement. L’univers de la coopération internationale a offert un espace pour que des Canadiennes influencent le domaine patriarcal des relations internationales. Tarah Brooksfield nous instruit sur le rôle des femmes en tant que piliers de la promotion des idéaux de l’ONU et du Canada à l’aune de la guerre froide.
Collin McCullough exprime l’ampleur avec laquelle les Canadiennes et Canadiens se sont appropriés l’activité internationale qu’est le maintien de la paix pour la hisser au rang de symbole national. Grâce à l’analyse d’une panoplie de biens culturels tels des manuels scolaires du secondaire, des discours ou des lettres d’opinion, l’auteur affirme que le maintien de la paix, et ses grands acteurs comme Lester B. Pearson, se sont ancrés dans l’identité canadienne au cours de la seconde moitié du vingtième siècle. L’engouement général pour le maintien de la paix s’est également révélé un point de ralliement rare entre la minorité francophone et les anglophones du Canada.
Les représentants et représentantes du Canada ont utilisé les sessions plénières de l’Assemblée générale comme plateforme privilégiée pour communiquer les enjeux vitaux du pays. C’est du moins la thèse défendue dans la contribution de Kim Richard Nossal. Depuis les requêtes pour des élections libres en Hongrie lancées par Diefenbaker jusqu’au support actif de Loyd Axworthy pour la création de la Cour pénale internationale, l’utilisation du podium de l’Assemblée générale afin de faire progresser les idéaux parfois romantiques, parfois réalistes du pays relève d’une constante. L’auteur affirme toutefois que Harper a mis un terme à cette tradition.
L’article de Greg Donaghy est une ode à la tentative échouée de Pierre Elliot Trudeau d’instaurer un nouvel ordre économique international (NOEI). L’auteur nous fait part de la stratégie « réaliste romantique » déployée par Trudeau afin de construire un pont entre les économies du Nord et du Sud. Les efforts persistants du premier ministre se sont cependant heurtés aux préoccupations d’Ottawa, alors que de nombreux bureaucrates jugeaient ses idées trop ambitieuses sur le plan économique. Donaghy retient malgré tout que Trudeau est parvenu à situer le Canada au centre du dialogue nord-sud.
Le dernier article rédigé par Kevin Spooner est une injection de réalisme dans le portrait lisse du Canada en tant que peacekeeper. Il affirme que contrairement au mythe d’un Canada altruiste, depuis plus de vingt ans, il s’opère un désengagement du pays envers les opérations de maintien de la paix. Ce réalignement politique est attribuable aux restrictions économiques, à la réorientation vers l’OTAN et à la désillusion par rapport aux Casques bleus.
Canada and the United Nations: Legacies, Limits, Prospects accomplit le mandat qu’il s’octroie en introduction : offrir une plus ample compréhension des interactions entre le Canada et l’ONU au cours des soixante-dix dernières années. Il en ressort que, malgré une rupture sous l’ère Harper, le Canada a historiquement porté des valeurs étroitement liées à celles de l’ONU. Le lecteur ou la lectrice intéressé bénéficiera d’une lecture in extenso puisque chaque contribution s’inscrit dans le sillon de la précédente. L’ouvrage offre une narration chronologique au cours de laquelle les auteurs et auteures prennent part à un dialogue.
Canada and the United Nations se démarque par le spectre d’analyse déployé. Il se penche autant sur les rouages diplomatiques au sommet que sur l’implication de la société civile canadienne. Non seulement il parvient à prendre le pouls de la relation complexe entre le Canada et l’ONU, mais il offre également une meilleure compréhension de l’identité canadienne.
Parties annexes
Notes
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[1]
Collin McCullough et Robert Teigrob, dir, Canada and the United Nations: Legacies, Limits and Prospects, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2016 à la quatrième de couverture.
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[2]
Voir Kevin Spooner, « Legacies and Realities: UN Peacekeeping and Canada, Past and Present » dans Collin McCullough et Robert Teigrob, dir, Canada and the United Nations: Legacies, Limits and Prospects, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2016 à la p 208.
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[3]
Pour quelques ouvrages notoires, voir Jack Lawrence Granatstein, Who Killed the Canadian Military?, Toronto, Harper Collins, 2004 ; Robert Bothwell, Alliance and Illusion: Canada and the World, 1945–1984, Vancouver, UBC Press, 2007; Adam Chapnick, The Middle Power Project: Canada and the founding of the United Nations, Vancouver, UBC Press, 2009; Andrew F Cooper, Tests of Global Goverance: Canadian Diplomacy and the United Nations World Conferences, Tokyo, UNU Press, 2009.