Numéro hors-série, novembre 2012 Des analyses « Tiers-mondistes » aux « Postcolonial Studies » – théories critiques du pouvoir et revendications politiques Sous la direction de Martin Gallié
Sommaire (7 articles)
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INTRODUCTION – DES ANALYSES « TIERS-MONDISTES » AUX « POSTCOLONIAL STUDIES » – THÉORIES CRITIQUES DU POUVOIR ET REVENDICATIONS POLITIQUES
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LES ÉTUDES POSTCOLONIALES ET LE « SOUS-DÉVELOPPEMENT »
Dimitri della Faille
p. 11–31
RésuméFR :
Dans cet article, l’auteur appelle à une meilleure connaissance des études postcoloniales dont l’intérêt est croissant dans les sciences sociales et humaines en langue française. Pour l’auteur, une meilleure connaissance de ce corpus d’oeuvre permettrait une meilleure compréhension du « sous-développement ». L’article présente rapidement l’histoire et les auteurs les plus importantes des études postcoloniales. Ensuite, l’article fait la synthèse des critiques des termes du débat entre les études postcoloniales et les études du développement. Pour terminer, l’article présente plusieurs éléments (critique des États-nations, de l’histoire, de la connaissance, du vocabulaire, des hiérarchies et des territoires) qui permettent un éclairage original pour l’examen des dynamiques sociales, culturelles, politiques et économiques par les approches critiques en études internationales.
EN :
In this article, the author calls for a better knowledge of postcolonial studies which have recently met a growing interest from social sciences and humanities in French. For the author, a better understanding of this corpus of work may allow for a superior understanding of “underdevelopment”. The article quickly introduces the history and the most important authors in postcolonial studies. Then, the article, presents several elements (criticism of Nation states, history, knowledge, vocabulary, hierarchies, and territories) which allow for an original perspective for the examination of social, cultural, political and economic dynamics in critical international studies.
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LES ÉTATS POSTCOLONIAUX ET L’INDÉPENDANCE DES SUJETS
Seloua Luste Boulbina
p. 33–42
RésuméFR :
On a confondu l’indépendance des États (la souveraineté) avec l’indépendance des sujets, (la décolonisation). L’objectivité des situations collectives a occulté la subjectivité des personnes. C’est pourquoi les analyses tiers-mondistes n’ont pas suffi pour comprendre les nouveaux pays du XXe siècle. Les études postcoloniales présentent l’intérêt de faire droit aux subjectivations et de laisser place, à côté de l’historiographie, à la littérature, qui en dit souvent plus que celle-là sur les subjectivations et leur expression dans des langues particulières. L’intérêt ne porte pas alors exclusivement sur le développement mais sur l’existence des individus et sur leurs représentations.
EN :
The independence of States (sovereignty) has been mistakenly synonymous with the independence of subjects (decolonization). The objective quality of collective situations has overshadowed individual subjectivity. As such, third-world analyses fail to provide adequate understanding pertaining to emerging countries of the 20th century. Post-colonial studies determine the significance of complying with subjectivation in order to make way, along with historiography, to literature. Often times, literature, compared to historiography, offers further explanations related to subjectivation itself and its expression in different languages. The interest lies in the existence, not only the development, of individuals and their representations.
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RÉSISTANCES CONTRE LE DISCOURS DOMINANT SUR LES DROGUES : USAGES THÉRAPEUTIQUES ET RELIGIEUX DE L’AYAHUASCA DANS LE MONDE GLOBALISÉ
Hughes Brisson
p. 43–72
RésuméFR :
La légalité (et donc la légitimité) des pratiques reliées à l’ayahuasca est établie dans les États de là où elles viennent. C’est surtout lorsque ces groupes (et leurs pratiques) s’impliquent dans la mondialisation, en dépassant leurs frontières d’origine, qu’ils doivent affronter l’inquisition du discours dominant sur les drogues. Le terrain juridique est sans contredit le plus foisonnant et le plus investi par les porteurs du rituel de l’ayahuasca puisque son analyse en révèle beaucoup sur la façon dont l’État comprend cette infusion psychoactive, sur le discours qu’il formule à son sujet et ultimement sur son rôle dans la construction sociale de l’ayahuasca. De plus, nous pourrons constater que les porteurs de l’ayahuasca investissent d’autres terrains de résistance afin de faire entendre leurs voix et de défendre la légitimité de l’ayahuasca : utilisation de médias, implication dans la recherche, lobbying. Nous souhaitons offrir un tour d’horizon général (droit international, États-Unis, Europe, et attention particulière sur le Canada) sur l’état des relations entre ces voix marginales et l’État, en tentant de voir si cette relation renforce la légitimation de la vision hégémonique sur les drogues ou si au contraire elle permet aux marginalisés de se faire entendre.
Cet article se déclinera en deux parties. Dans la première, nous reverrons d’abord rapidement les principaux concepts théoriques qui guident ce travail (l’hybridité et la résistance), pour ensuite brièvement nous pencher sur la construction sociale des drogues et mieux définir l’ayahuasca et son rituel. Divisée en deux sections, la seconde partie est consacrée à une étude de cas sur la façon dont les porteurs du rituel de l’ayahuasca sont confrontés à l’État et au discours dominant sur les drogues dans le monde globalisé. Nous y verrons d’abord la façon dont les groupes faisant un usage religieux de l’infusion psychoactive font valoir leur légitimité devant l’État. Ensuite, nous nous pencherons sur différents cas récents impliquant l’usage thérapeutique/médicinal de l’ayahuasca lors desquels l’État est intervenu, afin de jeter un regard comparatif sur la légitimité octroyée par ce dernier selon l’usage qui en est fait.
EN :
The legality (and therefore, the legitimacy) of customs related to ayahuasca is determined by the States in which these practices are found. As they partake in globalization and cross borders, ayahuasca users (and their practices) are often faced with the inquisitorial and popular anti-drug discourse. Without question, legal doctrine is the most widely invoked by participants of the ayahuasca ritual. In fact, its analysis reveals how State actors grasp psychotic infusion, how the State formulates opinions regarding it and ultimately, what the State’s role is within the social construction of ayahuasca. As will be demonstrated, in order to defend the legitimacy of ayahuasca, consumers invest in other means of resistance. These methods include media outlets, research and lobbying. The present dissertation aims to offer a general view (International Law, United States, Europe, with particular attention paid to Canada) of the relationship between the marginal group of ayahuasca users and the State. Additionally, the paper will attempt to determine whether the relationship reinforces a hegemonic view of drugs, or on the contrary, if it allows for the marginalized group to be heard.
The article will be divided in two parts. In the first, a brief review of central theoretical concepts that guide the analysis (hybridism and resistance) will take place, in order to then describe the social construction of drug use and better define ayahuasca and its ritual. The second part will be devoted to a case study of ayahuasca consumers, as they confront the State and a popular anti-drug discourse in a world of globalization. To begin with, the paper will examine the way in which groups involved with psychoactive infusion defend their legitimacy before the State. Subsequently, State intervention in recent cases of therapeutic/medicinal uses of ayahuasca will be analysed in order to compare State-granted legitimacy with the actual use of ayahuasca.
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SOUVERAINETÉ DES « ÉTATS POST-COLONIAUX » ET DROIT DES PEUPLES À DISPOSER D’EUX-MÊMES
Madjid Benchikh
p. 73–99
RésuméFR :
L’auteur se propose de contribuer à la réflexion sur les conditions de fonctionnement de la souveraineté des États en développement pour tenter de mieux en comprendre le sens, en se demandant si son exercice, dans ses manifestations principales, traduit le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Il considère, dans un premier temps, que la construction de l’État et le système politique le plus souvent autoritaire mis en place dans ces pays au lendemain de l’indépendance, constituent un moment déterminant pour analyser la nature de la souveraineté et son lien avec le droit des peuples à l’autodétermination.
Dans un deuxième volet, l’auteur considère que la lutte contre le sous-développement, objectif central de tous les États en développement, est de ce fait un observatoire indispensable pour examiner les principales politiques de ces États et voir si la souveraineté qu’elles expriment s’alimente à la source qui devrait être la sienne, c’est-à-dire au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour conforter son analyse l’auteur se réfère aux diagnostics économiques et sociaux sur lesquels se basent les politiques que ces États décident, aux nationalisations auxquels ils procèdent et aux voies de construction économiques qu’ils choisissent, en se demandant si ces politiques sont, au-delà des discours, des instruments de lutte contre la désarticulation et la dépendance qui sont les principales caractéristiques du sous-développement.
EN :
The author contributes to the discussion on the operating conditions of sovereignty in developing States. The aim is to better understand the meaning of sovereignty by examining whether its application, in its prevailing forms, translates to peoples right to self-determination.
To begin, the author considers the moment at which the analysis of sovereignty and its rapport with peoples right to self-determination is most pivotal. Benchikh goes on to explain that this moment is achieved in the wake of independence, following the implementation of state construction and political systems that are generally authoritative.
In the second part of the work, the author examines an objective that is central to all developing countries, that of fighting underdevelopment. This struggle provides an indispensable opportunity to observe the rapport between sovereignty and peoples right to self-determination. It allows for the analysis of State policies. In addition, it allows for the study of manifestations of sovereignty and whether they result from within the State, that is to say from peoples right to self-determination.
In order to support the study, the author refers to social and economic conclusions from which State policies are based. Benchikh also refers to the processes of nationalization that are employed as well as economy-building measures selected by States. The author questions whether these policies are, in practice, mechanisms that fight disarticulation and dependence. Both are predominant characteristics of underdevelopment.
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LES RAPPORTS NORD/SUD DANS LE MOUVEMENT SYNDICAL INTERNATIONAL : LE POIDS DE L’HISTOIRE ET LA RIGIDITÉ DES STRUCTURES
Sid Ahmed Soussi
p. 101–127
RésuméFR :
Cet article propose une analyse critique de l’évolution des rapports Nord-Sud dans le mouvement syndical international (MSI) dans le contexte de la restructuration amorcée avec la fondation, en 2006, de la Confédération Syndicale Internationale (CSI). Elle explicite les nouveaux enjeux de ces rapports, face au phénomène croissant de l’externalisation transnationale du travail qui affecte la conflictualité collective et la régulation du travail en Afrique et en Amérique latine. Nombre de syndicats du Sud, privilégiant, en termes d’action collective, des alliances locales élargies à des acteurs non syndicaux, reprochent à la CSI d’ignorer les résistances locales et de leur préférer une action globale portée par des stratégies continentales et institutionnelles. Ces divergences ne résultent pas seulement des rapports de force internes au MSI depuis les assises de Vienne en 2006. Elles doivent leur persistance, d’abord au poids de l’Histoire, lestée notamment par des rapports de domination que la période postcoloniale a continué de reconduire sous d’autres formes. Il y a ensuite ces conceptions de l’action collective qui se déclinent à travers des rapports au politique différenciés notamment par des rapports à la société civile et à l’État que les organisations syndicales du Nord et leurs alter ego du Sud fondent sur des prémisses distinctes. Cette analyse est illustrée ici par le cas des modes de coopération internationale des centrales syndicales du Québec. Plusieurs recherches soulignent l’émergence de nouvelles formes de représentation et d’action collectives menées par nombre d’organisations syndicales du Sud. Même si elles reprennent parfois les figures traditionnelles du syndicalisme dans ces régions – engagement politique marqué, instabilité des structures – ces formes apparaissent comme des stratégies atypiques : cohabitation entre syndicalisme de transformation sociale et community unionism, mobilisation de résistances locales par des coalitions élargies à d’autres acteurs de la société civile autour d’enjeux prioritaires (économies informelles surdimensionnées et secteurs publics compressés). Cette analyse fait le point sur cette dynamique à l’oeuvre qui, à partir de la récurrence de ces expériences locales, produit des conséquences à l’échelle globale.
EN :
The following article submits a critical analysis regarding the evolution of North-South relations within the International Trade Union Movement, specifically concerning the creation of the International Trade Union Confederation (ITUC) in 2006. Currently faced with a growing transnational outsourcing phenomenon, affecting collective conflict and labor regulation in Africa as well as South and Central America, the ITUC draws attention to new issues. In terms of collective action, numerous South and Central American unions favor local alliances that extend to non-unionized actors. They criticize the ITUC’s ignorance of local resistance as well as its preference for global action that is carried out through continental and institutional strategies. Divergences among members of the International Trade Union Movement are not only the result of internal power struggles that surfaced within the organization in 2006, during the Vienna exchanges. These differences owe their existence to history, notably to rapports of domination that the postcolonial period renewed and brought forward in other forms. In addition to history, declining notions of collective action resulting from differential policies also contribute to divergences. These policies are similar to the relationship between society and the State that Northern and Southern organizations base on separate premises. Here, the analysis is depicted by Quebec’s central labor organizations’ and the international methods of cooperation they employ. Several studies underline the emergence of new forms of representation and collective action lead by a number of South and Central American labor organizations. Even though, in some cases, these new types of representation take on traditional forms of unionism such as marked political involvement and organizational instability, they surface within atypical strategies. These unusual approaches include the coexistence of socially-generated unionism and community unionism, as well as the mobilization of local resistance movements through coalitions that extend to other community actors with prioritized issues (oversized informal economies and a compressed public sector). The analysis explores the underlying dynamic that, based on recurring local experiences, produces consequences on a global scale.
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LES DONS DE L’INDUSTRIE MINIÈRE AUX UNIVERSITÉS CANADIENNES : LES ENJEUX DE LA PHILANTHROPIE
Karen Hamilton
p. 129–167
RésuméFR :
Cet article explore la relation entre le pouvoir et la production du savoir sous l’angle de la « corporatisation » de l’enseignement supérieur, particulièrement en ce qui concerne les contributions de l’industrie minière aux universités canadiennes. Au cours des vingt-cinq dernières années, le Canada est devenu un acteur majeur du secteur minier mondial, secteur qui est également le théâtre de vives controverses et de débats de politiques. C’est dans ce contexte que les entreprises minières ont effectué d’importantes donations aux universités canadiennes. Cet article recense ces « dons » et questionne les impacts de la philanthropie minière sur la production du savoir et sur les rapports de pouvoir à l’oeuvre dans le secteur minier. Il argumente que l’impact de ces dons sur la liberté académique doit nécessairement être considéré à la lumière du rôle joué par la production du savoir dans la dynamique de régulation et de légitimation propre au secteur minier mondial à l’heure actuelle.
EN :
This article explores the relationship between power and knowledge production in the context of the “corporatization” of higher education, with particular attention paid to the contributions of mining companies to Canadian universities. Over the past twenty-five years, Canada has become a major player in the global mining sector, a sector which is also the subject of much controversy and policy debate. It is in this context that mining companies have made significant donations to Canadian universities. This article examines these “gifts” and questions the impacts of mining philanthropy on knowledge production and on the power dynamics at work in the mining sector. It argues that the impacts of mining philanthropy on academic freedom must be understood in light of the role played by knowledge production in the regulation and legitimation processes that are specific to the global mining sector today.