![Couverture représentant le Volume 36, numéro 1, 2023](/fr/revues/rqdi/2023-v36-n1-rqdi09633/coverpage.jpg 135w)
Volume 15, numéro 1, 2002
Sommaire (9 articles)
Études
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LE RÔLE DE L’AIEA DANS LA GESTION DU SECTEUR NUCLÉAIRE : UNE APPRÉCIATION CRITIQUE
Katia Boustany
p. 1–32
RésuméFR :
Élaboré durant la Guerre froide, le Statut de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), reflète la tension entre les intérêts des puissances disposant de l’arme nucléaire et celles qui, ne la possédant pas, cherchent tout de même à faire un usage civil des technologies liées à l’atome. Partant, l’AIEA se voit investie d’une double mission : d’une part le contrôle des risques de dissémination militaire et la gestion du risque sanitaire pour les personnes et les biens. Forte de l’observation de la culture et du comportement de l’AIEA, l’auteur soutient que les défaillances de l’Agence dans la performance de son mandant relèvent principalement d’une perception inadéquate de sa place dans l’ordre juridique international et d’un entendement à courte vue des termes de son Statut. À la lumière du droit international régissant les organisations internationales et leurs rapports avec les États, l’auteur présente cinq de ces défaillances : (1) l’absence d’autonomie effective à l’égard des États membres; (2) une conception déficiente du régime des garanties; (3) les résultats insuffisants de l’application des normes de sûreté; (4) la méconnaissance de la compétence d’assistance législative et (5) le non-respect des principes d’indépendance des fonctionnaires internationaux, notamment concernant la politique de rotation du personnel. En conclusion, il est suggéré qu’il revient à l’AIEA, si elle veut être en mesure de continuer de remplir le rôle capital qui lui revient dans le monde de l’après Guerre froide, de moderniser conceptuellement et factuellement ses méthodes de travail, de réformer sa culture et de restructurer son action.
EN :
Designed in the Cold War period, the Statute of the International Atomic Energy Agency (IAEA) reveals the diverging interest of powers disposing of nuclear weapons and of those others States who nonetheless wished to make a civilian use of nuclear technologies. Thus, the IAEA is vested with a twofold mission-statement: on one hand to control the military dissemination of nuclear weapons and on the other the management of the sanitary risks for persons and property. Based on the observation of the Agency's culture and behaviour, the author maintains that the agency's failings in performing its mandate rest on an inadequate perception of its place within the international legal order and on a short-sighted understanding of the terms of its Statute. ln light of international law governing international organisations and their relations with States, the author presents five of those failings: (1) the absence of an effective autonomy from the Member-States; (2) a defective conception of the guaranties regime; (3) insufficient results in the application of safety norms; (4) a misunderstanding of the legislative assistance competence and (5) a lack of respect for the principles of independence of international officials. The author concludes that if the IAEA wants to be in a position to keep on playing its capital part in the post Cold War world order, it has to modernize both conceptually and factually its working practices, reform its institutional culture and restructure its action.
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RÉFLEXIONS SUR L’ÉVOLUTION DE LA POSITIVITÉ DU DROIT DES PEUPLES À DISPOSER D’EUX-MÊMES EN DEHORS DES SITUATIONS DE DÉCOLONISATION
François Roch
p. 33–100
RésuméFR :
Longtemps associé sinon occulté par le droit à la décolonisation, le droit à l’autodétermination fait déjà depuis quelques années l’objet de nouveaux développements normatifs en dehors du contexte de la décolonisation. Si la positivité des normes est encore mal assurée en ce domaine, elle traduit néanmoins une tendance lourde vers l’élargissement du principe. En revanche, l’évolution des normes d’autodétermination en dehors du contexte de la décolonisation illustre néanmoins l’échec relatif de trois grands principes : celui de l’indépendance économique des peuples, en particulier ceux du Tiers-Monde; celui du droit collectif à la démocratie et à l’autonomie pour l’ensemble de la population d’un état ou en faveur d’une collectivité infra-étatique selon le cas; et enfin celui d’un droit à la sécession fondé sur l’exercice du droit des peuples. Certes, ces principes ont eu une portée juridique certaine et ont produit des effets en droit. Partant ces derniers peuvent être qualifiés à juste titre de normes juridiques. Toutefois, le fait qu’ils ne soient pas véritablement reçus aujourd’hui comme normes positives en droit international suggère qu’il existe encore beaucoup d’obstacles à leur réalisation. La mondialisation est un phénomène multiforme et s’infère de volontés très diverses; parfois convergentes mais aussi divergentes. Supportée théoriquement par le droit à l’autodétermination, la démocratie à l’échelle nationale et internationale demeure pour l’essentiel un projet à construire et à mettre en œuvre au-delà de la rhétorique politique. Or, au dessein élitique d’un ordre supra-national en pleine construction et pour lequel on prête au concept de mondialisation la faculté de recouper pratiquement toute les facettes et avenues, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pourrait bien devenir à terme, nonobstant sa faible réception dans l’ordre juridique international actuel, l’un des rares remparts juridiques allant dans le sens du maintien de cet idéal démocratique.
EN :
Although associated to the right of decolonization, the right of self determination has been the object of new and separate normative development. The evolution of the norm of self-determination shows the relative failure of three important principles: that of economic independence of people, especially those of the third world; that of collective right to democracy and autonomy for the society as a whole or in the favour of an inter-state community; at the end that of a secession right based on the exercise of the right of peoples to self-determination. Those principles had a certain legal impact and produced some legal effects; therefore, they can be considered as legal norms. The fact that they are not considered as positive norms of international law suggests that a lot of obstacles exist as to their realization. Globalization is a multiform phenomenon generated by many different factors both converging and diverging. Theoretically grounded on the right to auto-determination, democracy at the national as well as international level remains a project to construct beyond the political rhetoric. The elitist purpose of a supra national order should leave its place for the rights of peoples to self-determination which becomes a judicial protection going in the direction of the maintenance of this democratic ideal notwithstanding its weak reception in the international order.
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ENDS AND MEANS IN POLITICS: INTERNATIONAL LAW AS FRAMEWORK FOR POLITICAL DECISION-MAKING
Sibylle Kapferer
p. 101–139
RésuméEN :
The international legal system in place since 1945 is based on two core principles: the repudiation of violence as a means of political action, and the protection of fundamental human rights and freedoms. It reflects the conviction that threats to international peace and security are best addressed collectively, through the procedures and institutions established for that purpose. The reality brought to the fore in the aftermath of September 11th, 2001 is very different. This paper argues that the military intervention in Afghanistan and other anti-terrorism measures undertaken by states have revealed a profound disregard for the principles and standards of international law. Far from constituting an effective response to current security concerns, the resort to force in a manner neither in keeping with the legal criteria for self-defense nor authorized by the UN Security Council, coupled with excessive restrictions of human rights, poses a threat to the very essence of the present international legal order. The paper makes a case for international law as basis for the conduct of international relations and framework for political decision-making, arguing that it is in the interest of all that those involved in political processes accept and implement its standards and principles. The paper specifically addresses the way in which international law applies to states’ efforts to respond to crimes such as those of September 11th and emphasizes the need to strengthen the rule of law not only as a sine qua non for any effective anti-terrorism strategy, but also as a matter of national self-interest.
FR :
Le système juridique international mis en place depuis 1945 est fondé sur deux principes fondamentaux : le rejet de la violence comme moyen d’action politique et la protection des droits humains et libertés fondamentales. Ceci reflète la conviction qu’il est préférable de combattre collectivement les menaces à la paix et à la sécurité internationale, et ce par l’entremise des procédures et institutions établies à cet effet. La réalité depuis le 11 septembre 2001 est pourtant très différente. En effet, l’intervention militaire en Afghanistan et d’autres mesures anti-terroristes entreprises par les États ont révélé un profond mépris des principes et standards du droit international. Loin de constituer une réponse efficace aux problèmes de sécurité actuels, le recours à la force sans respecter les critères légaux de légitime défense et sans autorisation par le Conseil de sécurité de l’ONU, joint à des restrictions excessives aux droits humains, pose une menace à l’essence même de l’ordre juridique international. Cet article plaide en faveur du droit international comme base de conduite des relations internationales et comme cadre pour la prise de décisions politiques, soutenant qu’il est dans l’intérêt de tous les acteurs politiques d’accepter et de mettre en œuvre ces standards et principes. Cet article s’adresse spécifiquement à la manière dont le droit international s’applique aux efforts des États en réponse aux crimes tel celui du 11 septembre et souligne le besoin de renforcer la règle de droit non seulement en tant que condition sine qua non afin d’assurer une stratégie efficace anti-terroriste, mais aussi comme problématique d’intérêt national.
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LA FONCTION DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE DANS L’ORDRE JURIDIQUE INTERNATIONAL : QUELQUES RÉFLEXIONS
Jean-Philippe Bufferne
p. 141–178
RésuméFR :
Cette étude s’attache à expliquer la fonction juridictionnelle de la Cour internationale de Justice dans la structure de l’ordre juridique international. La Cour, qualifiée d’organe principal par la Charte des Nations Unies, est victime d’une certaine marginalisation du fait de l’absence d’une compétence juridictionnelle obligatoire, des précautions qu’elle prend pour déterminer la volonté des États à se soumettre à sa juridiction et de l’absence de monopole juridictionnel dans l’interprétation du droit. Ces éléments ne doivent pas faire oublier sa contribution à la régulation du système politique international – par la voie contentieuse ou consultative – en développant les compétences de l’ONU, précisant le contenu du droit et les contours d’une éventuelle hiérarchie normative. Du fait de la structure fortement décentralisée de la société internationale et des caractéristiques de son droit – né de rapports intersubjectifs entre États souverains – la contribution de la CIJ au maintien de la paix explique tant la finalité de la fonction judiciaire que les limites de son exercice. En tant qu’organe consultatif, elle contribue à l’institutionnalisation de la vie internationale. En tant qu’organe de règlement pacifique des différends au service exclusif des États, elle n’apparaît que de manière ponctuelle comme un organe protecteur de l’ordre public international en l’absence de mécanismes adéquats permettant de rappeler leurs obligations aux différents acteurs de la scène internationale et, partant à substituer des rapports de droit aux rapports de force.
EN :
This study attempts to explain the jurisdictional function of the International Court of Justice within the structure of the international legal order. Even though the ICJ is the principal organ of the United Nations according to the Charter, it remains somewhat marginalized because of the absence of a mandatory jurisdictional competence, the caution it itself takes to determine the will of states to submit themselves to its jurisdiction, and the absence of a jurisdictional monopoly on international legal interpretation. These caveats must not overshadow the Court’s contribution to the regulation of the international political system. The highly decentralized character of the international society and the characteristics of its law, which evolved from intersubjective relations between sovereign states, nonetheless places the ICJ in a position where it can clarify the content of international law and start delimiting contours of an eventual normative hierarchy through its judgments rendered both on contentious issues and in advisory cases. However, the ICJ’s contribution to the maintaining of peace exemplifies both the finality and the limits of its judiciary function. As a site of consultation, the Court contributes to the institutionalization of international activity. As a site of peaceful litigation exclusive to state disputes, the Court presents itself as the protector of international public order only in a periodical fashion because of inadequate mechanisms to bring in line the various international actors and thus substitute legal relations to power relations.
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AUT DEDERE AUT JUDICARE: CONSTITUTIONAL PROHIBITIONS ON EXTRADITION AND THE STATUTE OF ROME
Paul Rabbat
p. 179–204
RésuméEN :
In many States, the ratification of the Rome Statute of the International Criminal Court raises the issue of the statute’s compatibility with certain dispositions of the national constitution. The potential issues of constitutional incompatibility are generally within one of the following categories: prohibitions on extradition, constitutional immunities from criminal prosecution, prohibitions on life imprisonment and concerns as to due process. The scope of this paper is limited to the first of these issues. The ICC will not prosecute individuals in absentia and will rely heavily on State cooperation to gain physical custody of suspects. In the author’s view, this reality renders the removal of impediments to prosecution all the more essential.
The prohibition on extradition sits at the extreme end of a spectrum of provisions relative to mobility rights afforded to citizens within a great number of national constitutions. These dispositions vary in intensity. While some simply assert the citizens’ right to move about the national territory and to enter or leave it freely, others aim explicitly at shielding citizens from prosecution in external jurisdictions. After examining the respective ways in which States have addressed potential impediments to the surrender of individuals to the ICC, the author makes a case for constitutional amendment in order to ensure full compliance.
FR :
Dans plusieurs États, la ratification du Statut de la Cour pénale internationale a soulevé la question de la compatibilité du Statut avec certaines dispositions de la constitution nationale. Les dispositions constitutionnelles susceptibles de donner lieu à une incompatibilité se retrouvent généralement dans l’une des catégories suivantes : prohibition de l’extradition, immunités de poursuites pénales, prohibition de l’emprisonnement à perpétuité et garanties dans la procédure pénale. Cet article traite de la première de ces catégories. Le Statut de la CPI exige de façon impérative la présence de l’accusé à son procès. Le succès de la Cour dépendra fortement de la coopération des États et nécessite donc l’élimination de toutes entraves potentielles à l’exercice de la compétence de la Cour.
La prohibition de l’extradition se situe à l’extrême d’un échelon de droits relatifs à la mobilité des citoyens présents dans plusieurs constitutions nationales. Ces dispositions sont d’une intensité variable. Alors que certaines ne font qu’affirmer le droit du citoyen de se déplacer ou de s’établir à l’intérieur de son État et d’y entrer ou sortir librement, d’autres visent expressément à le soustraire de toutes poursuites pénales dans une juridiction externe. Après avoir examiné les différentes approches adoptées par les États visant à éliminer les obstacles constitutionnels à une pleine coopération avec la CPI, l’auteur plaide en faveur de l’amendement constitutionnel.
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NULLUM CRIMEN NULLA POENA SINE LEGE PRINCIPLE AND THE ICTY AND ICTR
Guillaume Endo
p. 205–220
RésuméEN :
Not many scholarly writings deal with sentencing practices of the ICTY and the ICTR. When compared to frequently discussed topics within the subject matter jurisdiction of the ad hoc Tribunals, they are relatively scarce. Both of these Tribunals’ Statutes provide a sentencing regime encompassing, inter alia, a reference to national sentencing practice. It is the author’s view that the provisions of the statutes and rules of procedure and evidence may violate the nullum crimen nulla poena sine lege principle in certain respects. Without a doubt, the rationale underlying the Second World War precedents with respect to sentencing does not accurately reflect the status of international law norms today. As such, the evolvement of human rights law must be reflected in the current sentencing practice of the ad hoc Tribunals. Moreover, the ICTY and ICTR interpretation of the international sentencing mechanism provides inconsistent justice, which in turn harms the legacy of these ad hoc Tribunals. In fact, an accused could successfully argue that life imprisonment as provided by rules 101 of the Rules of Procedure and Evidence of both ICTY and ICTR are not prescribed by law. Accordingly, the ICTY and ICTR provisions regarding sentencing should be amended.
FR :
Comparativement à d’autres sujets relevant de la juridiction du TPIY et du TPIR, le régime des peines des tribunaux ad hoc n’a pas fait l’objet de maintes discussions dans la littérature spécialisée. Les statuts respectifs des tribunaux ad hoc prévoient, entre autres, une référence au droit national en ce qui a trait aux peines. Selon l’auteur, l’application des articles des statuts et des règlements de preuve et de procédure, contreviendrait à certains égards au principe nullum crimen nulla poena sine lege. En effet, l’objectif en matière de peine sous-tendant les précédents issus de la deuxième guerre mondiale ne reflète plus les normes actuelles du droit international. De plus, une interprétation incongrue des peines applicables aux TPIR et TPIY engendre une apparence d’injustice, ce qui compromet l’héritage des Tribunaux ad hoc. Enfin, un accusé pourrait en toute légitimité attaquer la légalité de l’article 101 des règles de preuve et de procédure, qui fait référence au concept d’emprisonnement à perpétuité, et ce en plaidant la violation du principe de légalité. Par conséquent, les dispositions des Statuts du TPIR-TPIY doivent être amendées.
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THE SURESH CASE AND UNIMPLEMENTED TREATY NORMS
Stéphane Beaulac
p. 221–240
RésuméEN :
This paper examines the role of unimplemented international treaty norms in the Canadian domestic legal system. The discussion focuses on the decision of the Supreme Court of Canada in Suresh, which is first investigated in some detail. In a unanimous judgement, it was held that the untransformed International Covenant on Civil and Political Rights and the Convention against Torture and other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment ought to inform the interpretation of the principles of fundamental justice in section 7 of the Charter and assist in deciding whether the exercise of power to deport under the Immigration Act was constitutional, given that the appellant could face torture if refoulé. The author refers to other recent decisions from the country’s highest court where unimplemented treaty obligations were used in the interpretation of Canada’s domestic law, namely, the Baker case in 1999 and the Hudson case in 2001. In conclusion, these developments are put in the broader contemporary strategy favouring contextual legislative interpretation, which includes resorting to international law, a trend that can be traced back to the adoption of the Charter in 1982.
FR :
Ce texte examine les normes internationales issues de traités non implantés et leur rôle en droit interne canadien. La discussion se concentre sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Suresh, qui est tout d’abord analysée en détail. Dans un jugement unanime, on a décidé que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui ne sont pas mis en œuvre au Canada, devraient aider à l’interprétation des principes de justice fondamentale sous l’article 7 de la Charte et à savoir si l’exercice du pouvoir de déporter en vertu de la Loi sur l’immigration était constitutionnel, vu la possibilité de torture en cas de refoulement. L’auteur voit d’autres décisions récentes où le plus haut tribunal du pays a considéré ces obligations conventionnelles non transformées lors de l’interprétation de lois canadiennes, soit les causes Baker en 1999 et Hudson en 2001. En conclusion, il est suggéré que ces développements s’inscrivent dans la stratégie générale moderne favorisant l’interprétation législative contextuelle, qui comprend le recours au droit international, une tendance forte depuis l’adoption de la Charte en 1982.