Comptes rendus

Fragments accordés. La composition musicale contemporaine et le monde arabe, par Anis Fariji, Marseille, Diacritiques Éditions, 2023, 208 pages[Notice]

  • Showan Tavakol

Le livre d’Anis Fariji, enseignant-chercheur, ethnomusicologue et maître de conférence au département Arts de l’Université de Lille, nous plonge au coeur de la tension entre tradition et contemporanéité qui caractérise le monde musical arabe. Le livre comporte deux grandes parties, respectivement intitulées « La tradition musicale, la modernité et l’interculturalité » et « Résurgences du matériau traditionnel », chacune contenant trois chapitres. À première vue, chacune des différentes sections du livre pourrait facilement faire l’objet d’un ouvrage à part entière, tant leur contenu et leur approche les rendent pratiquement autonomes. Toutefois, leur agencement au sein de Fragments accordés dégage une vision très complète de la part de l’auteur, et permet au lecteur de comprendre le concept de contemporanéité par rapport à une tradition orale à travers le temps et au sein d’une société, avec des exemples clairs. Il semble que le livre d’Anis Fariji ne se limite pas à être simplement une analyse des oeuvres contemporaines de trois compositeurs, mais explore profondément la vision contemporaine inspirée des sources d’une tradition orale à travers différents cadres philosophiques et sociologiques de l’art. Trois compositeurs, Ahmed Essyad, Zad Moultaka et Saed Haddad, sont ainsi au centre de cette étude. Leurs démarches de création musicale ont en commun d’intégrer des éléments de leurs cultures d’origine tout en les transformant de manière critique, marquant ainsi une distance par rapport aux normes établies. Le livre de Fariji s’appuie sur la théorie critique, notamment à travers les écrits de Theodor Adorno et Walter Benjamin, pour examiner le rapport entre musique et société, modernité et histoire, ainsi que l’importance de l’analyse musicale dans la compréhension des phénomènes musicaux plus largement. L’ouvrage articule ainsi une approche anthropologique avec une approche musicologique pour mieux comprendre les démarches de création de ces compositeurs arabes contemporains. Dans la première partie (p. 22-96), l’auteur donne une explication plus générale de la modernité de la musique traditionnelle et de l’interculturalité en abordant la fragilité de la tradition, notamment avec l’avènement des premiers enregistrements musicaux et du disque dans la vie musicale du monde arabe, ce qui a eu une influence sur les formes traditionnelles. L’enregistrement est en effet un exemple typique d’événement culturel inévitable dans la société et qui affecte l’évolution de la tradition orale, particulièrement à travers une modification de perspective quant aux performances vivantes, une dimension essentielle de la relation musicale traditionnelle entre le musicien et l’auditoire. Le premier chapitre, intitulé « La tradition musicale flétrie » (p. 25-50), présente ainsi le phénomène de l’enregistrement en tant qu’élément le plus destructeur de la tradition, hors de la création naturelle des musiciens arabes, qu’ils soient partisans des traditions ou activistes de la modernité. En fait, le disque pourrait apparaître en tant que technique musicale « émancipée » (p. 25), au sens où l’introduction du disque a changé le paysage musical, produisant de nouvelles possibilités créatives et de diffusion, et modifiant les traditions musicales existantes. Or, plus d’un siècle après l’introduction de l’enregistrement musical dans le monde arabe, la tradition musicale orale est profondément bouleversée. Les formes musicales influencées par l’enregistrement ont non seulement été intégrées à la culture, mais elles dominent également le paysage musical. Selon Fariji, cette généralisation de l’objectivation de la musique traditionnelle orale par l’industrie du disque entraîne un désenchantement de la forme musicale, altérant son potentiel expressif. Dans la foulée, l’ouvrage explore également le contexte socioculturel de l’époque, mettant en avant l’explosion démographique du Caire au tournant du XXe siècle et les changements profonds dans la société égyptienne, notamment sous l’influence de la modernisation et du capitalisme mondial. Par ailleurs, l’auteur examine aussi ce désenchantement de la forme …

Parties annexes