Comptes rendus

D’audace et de nuancesMusiques classiques au xxie siècle. Le pari de la nouveauté et de la différence, par Danick Trottier Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2023, 130 pages[Notice]

  • Claude Dauphin

Le musicologue Danick Trottier, bien connu pour ses interventions médiatiques éclairantes autour de Stravinski et pour son habileté à transgresser les frontières entre musique classique et genres populaires, a fait paraître un ouvrage dont le petit format est disputé par la matière d’un grand livre : Musiques classiques au xxie siècle. Le pari de la nouveauté et de la différence. Publié aux Éditions Universitaires de Dijon (France) à la fin de l’automne 2023, l’ouvrage atterrissait dans les librairies québécoises courant janvier 2024. Pour aborder la délicate question de l’avenir de la musique classique, de ses tentatives de rattrapage face aux avancées culturelles, l’auteur commence par interroger l’existence de la norme, de la règle qui hiérarchise et fige le répertoire des concerts à travers les grandes figures canoniques. On peut penser au Beethoven de la Neuvième symphonie, au Mozart de la Quarantième symphonie, au Schubert de l’Inachevée… Mais Danick Trottier, enjambant allègrement les catégories musicales, pointe tout autant cette manie de « canonisation » chez les fans de la chanson : « Félix Leclerc […] canon de la chanson québécoise tout autant qu’un Brassens fait partie du canon de la chanson française » (p. 22). De même, Miles Davis et Jimi Hendrix règnent comme figures tutélaires dans les sphères du jazz et du rock (p. 36). Quels enjeux derrière ces références suprêmes qui créent un ordonnancement régulateur des productions artistiques même dans la littérature où «  Shakespeare, Molière, Racine, Proust, Joyce, Kafka  » (p. 23) montent la garde ? À qui profite cette hiérarchie ? Comment se maintient-elle et de quelle manière se fissure-t-elle dans nos conceptions contemporaines de l’art ? C’est la matière du premier chapitre intitulé : « L’enjeu des choix en matière de musique programmée ». À cette réflexion première succède tout naturellement la question du « Rééquilibrage des musiques classiques » où l’auteur examine le culte des « valeurs refuges ». En effet, la célébrité d’une figure créatrice pave la voie à la fréquentation du public, garantissant des résultats financiers mirobolants. Autour de ce principe « facile » s’élabore la programmation des concerts, entrainant des retombées juteuses pour les produits secondaires comme le disque et les magazines. Pourtant, le fait de s’en tenir à cet acquis de l’économie culturelle sans souci de la nouveauté et de la diversité constitue une politique à courte vue, car les environnements changent, les goûts évoluent, les genres laissés-pour-compte flairent la bonne affaire et développent des stratégies concurrentielles qui grugent nécessairement le gâteau rituel de la musique classique. Le recul des ventes de disques classiques en est un symptôme : « Vous avez beau vouloir capitaliser sur Beethoven, vous risquez une certaine lassitude, alors qu’à l’inverse le plaisir de la découverte […] est bien réel » (p. 53). Pour rationaliser son propos, l’auteur a scruté la « méthode de la une » en couverture de trois magazines célèbres de musique classique, Diapason, Classica et Gramophone, sur une période de douze ans, soit de 2010 à 2022, et jauge l’impact de leur exposition sur les présentoirs de bibliothèques dans les institutions d’enseignement supérieur de la musique. Il en résulte un conditionnement idéologique face à « la valeur de ce qui est considéré comme incontournable » (p. 37). L’ordonnancement canonique des compositeurs se double naturellement de celui des « stars de l’interprétation […] de Toscanini à Rattle en passant par Karajan, Bernstein, Dudamel […] qui ornent les devantures des trois revues discutées » (p. 41). L’affichage des célébrités se poursuit naturellement avec les Jonas Kaufmann, Lang Lang, Roberto Alagna, Anna Netrebko, Hélène Grimaud, Natalie Dessay, Nikolaus Harnoncourt, etc. Et pour comble …

Parties annexes