Comptes rendus

Mozart était une femme. Histoire de la musique classique au féminin, par Aliette de Laleu, Paris, Stock, 2022, 284 pages[Notice]

  • Eugénie Tessier

« Non, Mozart n’était pas une femme » (p. 7). L’incipit stupéfie vu le titre de l’ouvrage qui, noir sur blanc, tout en majuscule et en caractères gras sur la couverture, affirme précisément le contraire. Entendons-nous bien, Aliette de Laleu ne compte pas simplement se retrancher : Maria Anna (aussi connue sous le nom Nannerl) Mozart était bel et bien une femme. Comme le rappelle l’autrice de cet ouvrage, l’Histoire a eu tendance à écarter les figures féminines de ses récits. D’emblée, les lecteur·rice·s, et peut-être surtout ceux·elles qui n’avaient pas encore lu le deuxième titre, sont invité·e·s à confronter leurs a priori au sujet du canon des oeuvres et des figures de la musique classique occidentale pour s’intéresser aux contributions et à la participation des femmes à cet étanche univers musical. L’ouvrage Mozart était une femme s’inscrit dans un corps florissant de littérature faisant valoir les contributions des femmes à la pratique musicale classique, surtout celle d’Europe de l’Ouest. En effet, ce ne sont plus les références qui manquent de ces jours pour quiconque souhaite s’intéresser aux récits des femmes à travers l’histoire de la musique classique. Or, l’intérêt de ce livre paru aux Éditions Stock n’en est pas moins négligeable vu le style bienveillant, engageant et très accessible de la prose de son autrice. L’ouvrage, principalement destiné au grand public, est en soi un outil tout à fait pédagogique, au sens où tant les lecteur·rice·s averti·e·s que ceux·elles qui s’initient à l’histoire « au féminin » sauront y trouver leur compte. Déjà, notons que l’expertise journalistique de l’autrice, qui tient à Radio France une chronique notamment dédiée à la thématique même de ce livre, s’exprime par sa grande capacité de vulgarisation. De Laleu déploie un effort remarqué d’intégrer textuellement des références à la recherche scientifique, une stratégie qui montre bien dans le contexte de cet ouvrage le potentiel formateur et transformateur de la littérature universitaire au regard des imaginaires sociohistoriques. Avec la publication de ce livre, son autrice promet « rendre justice à celles qui méritent d’être connues et reconnues » (p. 8), « n’oubli[ant] pas les chanteuses, les instrumentistes, les mécènes et pédagogues, les copistes, professeures, fondatrices d’ensemble et cheffes d’orchestre » (p. 10). Il s’agit-là d’ailleurs de l’une des forces, somme toute sous-exploitées, de cet ouvrage : la richesse du répertoire des noms qui se dévoile à travers la lecture des six chapitres judicieusement regroupés sous une structure chronologique. Le récit que construit de Laleu, principalement sous la forme de brefs portraits, traverse le temps de nos jours jusqu’à l’Antiquité, portant une attention toute particulière aux figures féminines elles-mêmes (par exemple, Élisabeth Jacquet de La Guerre, Hélène de Montgeroult, Lili Boulanger, etc.), bien que certaines communautés de pratiques (par exemple, les trobairitz ou encore le phénomène musical que fut l’Ospedale della Pietà à Venise) y soient ponctuellement considérées. Attachée à son média de prédilection, l’autrice propose une liste d’écoute (playlist) à la fin de chaque chapitre, suggestion qui accompagne fidèlement le fil de la lecture. Comme elle l’explique à la fin de l’introduction, cette stratégie permet de concrétiser les liens entre les réflexions de nature plus sociohistoriques que permet de mettre en scène un tel texte avec la pratique musicale incarnée. L’écoute des extraits proposés vise ainsi à faire prendre corps les musiques composées et interprétées par les femmes dont il est question, marquant judicieusement l’idée que ces musiques ne sont effectivement pas qu’histoire : elles existent à travers leurs mises en pratique. Il s’agit d’un constat important lorsqu’on réfléchit avec de Laleu au-delà des refus professionnels auxquels ont été confrontées les femmes, …

Parties annexes