Comptes rendus

Musicologies francophones et circulation des savoirs en contextes multiculturels, dirigé par Achille Davy-Rigaux, Catherine Deutsch, Hamdi Makhlouf et Anas Ghrab, Tunis, Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes, 2022, 296 pages[Notice]

  • Caroline Marcoux-Gendron

Paru à l’occasion de la 5e Rencontre Épistémuse au palais Ennejma Ezzahra à Sidi Bou Saïd (Tunisie) les 12 et 13 mai 2022, et regroupant 13 des 19 interventions d’un séminaire en ligne qui s’est tenu entre le 7 mai 2021 et le 4 février 2022, l’ouvrage collectif Musicologies francophones et circulation des savoirs en contextes multiculturels constitue ainsi un jalon parmi une série d’échanges orchestrés par le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes (cmam) et l’Institut de recherche en musicologie (IReMus). Ces occasions de partage et de réflexion s’inscrivent plus largement au sein des activités du réseau international Épistémuse, créé en 2017 avec des partenaires institutionnels de France, du Québec, du Liban, de la Tunisie et de la Belgique, suivant le constat qu’il restait beaucoup à faire en matière d’« étude de la place et de la perception des musicologies francophones dans le contexte international » (p. 13). La 5e Rencontre et l’ouvrage collectif qui l’a préparée mettent l’accent sur l’évolution des pratiques musicologiques autour des musiques dites non occidentales et interrogent tout particulièrement les musicologies francophones dans des pays multilingues du Maghreb et du Moyen-Orient. L’ouvrage collectif comporte cinq sections thématiques comme autant de tables rondes qui ont eu cours à Sidi Bou Saïd en mai 2022, et auxquelles ont participé les auteur·rice·s des différents chapitres de même que quelques intervenant·e·s du séminaire en ligne qui ne signent toutefois pas de contribution écrite. Ce compte rendu se concentrera principalement sur l’ouvrage, avec néanmoins quelques mentions de la 5e Rencontre Épistémuse à laquelle j’ai assisté. Le propos se structurera autour de notions transversales à plusieurs contributions dans l’ouvrage, à savoir : l’altérité musicale, les traductions, les collaborations et circulations, avant de revenir sur l’idée maîtresse d’Épistémuse, les musicologies francophones. Si la notion d’altérité discutée dans l’ouvrage semble de prime abord renvoyer surtout aux musiques qui se situent hors de l’Europe, le collectif offre dans les faits un intéressant jeu de perspectives à ce sujet. Certes, plusieurs chapitres rendent compte d’une altérité musicale relative à ce qui n’appartient pas à l’« Occident », montrant que la manière d’en traiter a changé au fil des époques : alors que le xviie siècle en France faisait place à un discours somme toute curieux et non axiologique envers les musiques « non occidentales », le xviiie siècle a vu apparaître un ethnocentrisme, voire un racialisme dans la manière d’aborder ces mêmes musiques (Psychoyou, p. 43-65). Puis, au xixe et lors de la première moitié du xxe siècle, l’exemple de la littérature de voyage en Tunisie (Ben Abderrazak, p. 151-172) contient souvent des descriptions parsemées de préjugés, de jugements de valeur et de stéréotypes envers les « manifestations et spectacles locaux des autochtones » (ibid., p. 152). Une source comme l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire (1913-1931) présente pour sa part, malgré la volonté de son directeur Albert Lavignac « d’écarter de “fausse[s] conception[s] occidentale[s]” » (Asimov, p. 112), des contributions à la perspective résolument étique et au ton embrouillé de colonialité lorsqu’il s’agit de musiques dites extra-européennes (ibid., p. 101-127). Ajoutons qu’il prévaut pendant longtemps une association entre les musiques éloignées de l’Europe et celles du passé, des Anciens, par opposition à ce qui se fait en « Occident » et incarne la Modernité grâce à l’usage de la polyphonie (Psychoyou, p. 59). Un déni d’historicité marque aussi certains regards posés sur les « musiques indigènes » au-delà de l’Europe, ce qui s’affirme encore dans les entreprises encyclopédiques du xxe siècle (Asimov, p. 107). C’est …

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