Comptes rendus

La violence en musique, dirigé par Muriel Joubert et Denis Le Touzé, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2022, 457 pages[Notice]

  • Cécile Auzolle

L’introduction est constituée de deux volets. L’« Avant-propos » (p. 5-33) de la musicologue Muriel Joubert circonscrit fermement le champ d’investigation en s’appuyant sur des considérations philosophiques et anthropologiques (Georg Friedrich Wilhelm Hegel, Friedrich Nietzsche, Georges Sorel, Hannah Arendt, Franz Fanon, Walter Benjamin, René Girard, Yves Michaud, Gaston Bachelard) afin de définir la violence comme « mise en contact et résistance » (p. 6) dont les manifestations relèvent de « l’imprévisibilité » (p. 7). L’autrice en précise différentes formes, cernées en fonction de leur contexte d’origine, aussi bien dans le monde humain que dans l’univers végétal et animal, soumis à un principe d’obéissance à l’autorité, donc de refus des codes et des lois. Elle déroule ensuite un riche spectre d’acceptions de la violence en arts (cinéma, peinture, sculpture, installations, performances, happenings, danse, principalement aux xxe et xxie siècles) et en musique, de Claudio Monteverdi aux musiques rock et saturationnistes qui adviennent dans des contextes d’énergie et de tension conduisant à la dissonance puis à la distorsion des sons, des voix et des corps, sans oublier la violence du silence comme « concentration d’énergie prête à exploser » (p. 22). Logiquement, Joubert en vient à considérer la violence formelle faisant exploser les codes langagiers de la musique, mais aussi des arts visuels. Le cheminement de l’ouvrage est ensuite détaillé, posant des « enjeux esthétiques et humains » (p. 27), la définition d’une écologie sonore de la violence comme l’examen de la dimension cathartique du besoin d’expression des artistes. Dans un second temps, le brillant préambule « Tue » de Lambert Dousson (p. 35-54) creuse la perspective en jouant sur l’homonymie et l’ambiguïté sémantique du présent du verbe tuer à la troisième personne du singulier et du participe passé féminin du verbe taire, afin d’éclairer les rapports entre violence et musique. Il les traque aussi bien dans leurs interactions avec le monde visible qu’au cinéma, dans les installations, les productions audiovisuelles et dans les jeux vidéo, « source de jouissance » (p. 36) malgré le malaise qu’ils peuvent engendrer. La violence sonore, « métonymie de la “modernité” » (p. 44), documente l’état conflictuel du monde contemporain et son inscription dans la société du spectacle. Le philosophe souligne le hiatus potentiel entre violence de et dans la musique (p. 47) pour souligner que l’expression de la violence en musique véhiculerait ce que « les philosophes appellent communément le mal » (p. 52). La première partie « Ancrages rituels et primitifs » lie geste compositionnel et expression de la violence à travers deux contributions musicologiques, « Du mythe à la musique saturée. Composer, avec quelle violence ? » (p. 57-84), par Joseph Delaplace, et « Le “style scythe” de Prokofiev. Expression de violence ou style violent ? » (p. 85-112), par Anetta Floirat, ouvrant sur un interlude méthodologique : « Musique et violence. Questions d’épistémologie » (p. 107-112), par Luis Velasco-Pufleau. Au-delà de sa référence initiale à La Haine de la musique de Pascal Quignard (1996), Delaplace adosse sa réflexion à résonance psychanalytique à la lecture de Sigmund Freud et de Girard : la musique tresse désir et plaisir avec la nécessité de résister, structurelle des sociétés humaines, et de la transcender en la sublimant. Elle ancre aussi l’Humain dans le monde, après le « point sourd » (p. 65) inaugurant l’entrée du nouveau-né dans le monde du langage, défini par Jean-Michel Vivès en écho au « point aveugle » de Freud. Du bruit comme contrepouvoir de l’ordre tonal aux déflagrations, distorsions et saturations, il contextualise ainsi l’album Pet Sounds de Brian Wilson pour les Beach boys (1966-1967), l’ars subtilior …

Parties annexes