Résumés
Mots-clés :
- critique musicale,
- France,
- presse française,
- Troisième Reich,
- Richard Wagner
Keywords:
- France,
- French press,
- music criticism,
- Third Reich,
- Richard Wagner
La réception de Wagner en France a connu des moments de tension dans le sillage de conflits avec l’Allemagne, comme la guerre franco-prussienne et la Première Guerre mondiale. En dehors de ces périodes chargées politiquement, les oeuvres du compositeur sont devenues des incontournables des programmes français, notamment durant la première décennie du xxe siècle et dans les années 1920. Dans son ouvrage Claiming Wagner for France, Rachel Orzech (lecturer et research fellow au Melbourne Conservatorium of Music) démontre qu’au moment où les rapports entre la France et l’Allemagne se recomplexifient – de l’accession au pouvoir du parti nazi en 1933 à la fin de l’Occupation de la France en 1944 –, les critiques et musicographes français ne réagissent pas en rejetant Wagner tel que cela a été le cas, pour plusieurs, pendant la Première Guerre mondiale. Au contraire, dès 1933, les critiques musicaux tendent à s’opposer à l’appropriation du compositeur par le régime nazi en accentuant son universalité ; certains le positionnent même comme emblème des rapprochements franco-allemands. Paradoxalement, ce faisant, ils intériorisent et servent de relais à la stratégie de séduction culturelle nazie. L’argument de l’universalité de Wagner, notamment, qui a d’abord été utilisé par la presse française pour « résister » aux nazis, se transforme jusqu’à servir la rhétorique collaborationniste durant l’Occupation. Un des principaux apports de cet ouvrage est en effet de montrer que les thèmes de la collaboration ne sont pas en rupture avec ceux des années 1930, contrairement à ce que les travaux portant spécifiquement sur l’Occupation laissent souvent entendre, mais en sont plutôt l’extension. L’autrice propose un parcours en cinq chapitres suivant une organisation globalement chronologique. Le chapitre 1 (« A Universal Art. The Cinquantenaire, 1933 », p. 29-63) se concentre sur l’année 1933 qui est non seulement celle de l’arrivée au pouvoir des nazis, mais aussi celle du 50e anniversaire du décès de Wagner, qui a été largement célébré en France – Orzech parle d’une nouvelle vague de wagnérisme –, entraînant un regain de commentaires sur le compositeur dans la presse (p. 29-33). Les musicographes réagissent fortement à l’usage de Wagner par le iiie Reich qui a lui aussi célébré le Cinquantenaire du compositeur. Aucun critique français ne rejette Wagner à ce moment. Si de rares articles le décrivent comme essentiellement allemand, la vaste majorité en parle comme d’un compositeur « classique », universel et donc (en partie) de tradition française puisque l’universalisme fait partie intégrante de l’identité française (p. 33-38 ; l’introduction, p. 19-22, développe sur ce concept d’universalisme). Une des stratégies des critiques est d’insister sur les artistes et écrivains français qui ont fait partie des premiers admirateurs de Wagner, et de présenter les épreuves que Wagner a vécues en France comme ayant contribué à son développement et l’ayant donc en définitive rendu plus fort (p. 38-42). Orzech relève que l’antisémitisme de Wagner n’est que rarement directement commenté dans la presse parisienne des années 1930, contrairement à la question de sa paternité – se référant à l’hypothèse que Wagner ait peut-être des origines juives –, une façon d’ébranler son appropriation par le Reich (p. 43-48). Il ne s’agit pas pour les critiques de refuser à Wagner toute identité allemande (Wagner pouvant être universel tout en conservant un ancrage national), mais de contester, d’une part, la définition nazie de ce qui constitue l’identité allemande, et, d’autre part, l’exploitation du compositeur à des fins de « propagande pangermaniste » (p. 56). Au chapitre 2 (« Ambassador of Peace. Rapprochement and Wagner, 1933-9 », p. 64-96), Orzech s’intéresse à la place de Wagner dans la diplomatie culturelle franco-allemande …
Parties annexes
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