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Ce numéro a pour objectif de mettre en scène la diversité des objets de recherche et des approches scientifiques favorisée par l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (oicrm). Il est évident que ce numéro ne peut à lui seul représenter l’ensemble de cette diversité. Cependant, il témoigne de manière éloquente de l’ouverture de la recherche en musique qui se manifeste depuis plusieurs années à l’oicrm. Il est aussi évident que cette diversité n’est pas le seul fait de l’oicrm et la recherche en musique en général se distingue aujourd’hui par cette diversité, mais il me semble important de souligner que les chercheur·euse·s de l’oicrm ont une part active au Québec et au-delà des frontières de la province dans cette expansion de l’univers de la recherche en musique.
Ce numéro est aussi l’occasion d’illustrer la mission du centre de recherche qui concentre ses efforts autour des sciences humaines. Et si la technologie est convoquée dans de nombreux projets, comme dans les études d’Ons Barnat et de Jonathan Goldman, elle est présente pour ce qu’elle apporte comme moyen afin de réfléchir à d’autres enjeux – par exemple, les changements opérés par l’usage de la stéréophonie dans l’écoute musicale ou encore l’évolution du style d’un groupe comme les Beatles.
La diversité disciplinaire transparaît très clairement à travers le numéro. L’article d’Ons Barnat consacré à l’enregistrement audionumérique comme processus d’internationalisation et de mise en marché des musiques afrocolombiennes au xxie siècle propose une approche fondamentalement ancrée en ethnomusicologique, même si le terrain n’est autre que le studio d’enregistrement urbain, puisqu’il enquête sur les labels discographiques indépendants dans la ville de Bogota.
Dans l’article de Charlene Ryan, Hélène Boucher and Gina Ryan, c’est sur les bases de la pédagogie musicale que les autrices explorent la relation professeur·e·s/élèves et la manière dont ces derniers abordent le phénomène de l’anxiété dans la préparation au récital. C’est d’ailleurs dans cette sphère disciplinaire que ce numéro accueille une contribution libre de Sarah Chardonnens Lehmann, consacrée à une analyse des stratégies que les professeur·e·s d’instrument mettent en place pour développer des compétences autorégulatives chez les élèves.
L’analyse musicale, champ d’études proprement musicologique, est au coeur du texte de Sylveline Bourion qui se consacre à la forme rondo dans l’oeuvre pianistique de Mozart. Étude systématique, elle offre une nouvelle perspective sur la trompeuse simplicité de certaines musiques et donne ainsi autant aux musicologues qu’aux interprètes de nouvelles clés de compréhension du répertoire. La musicologie est représentée fort différemment dans l’article de Jonathan Goldman qui étudie la « dimension musicale » des premiers spectacles son et lumière organisés en France à partir des années 1950 et dont les dispositifs stéréophoniques ont modifié l’écoute musicale du grand public. L’histoire des événements, des techniques et des genres mène à une analyse des transformations des aptitudes d’écoutes et d’une nouvelle relation qui naît entre musique et espace.
L’étude de Danilo C. Dantas aborde la musique par un chemin qui nous semble devenu essentiel lorsque l’on pense à la recherche en musique, soit celui des sciences de la gestion. En s’interrogeant sur la manière dont on peut analyser comment les musicien·ne·s construisent leur image de marque, l’auteur ouvre la porte à une autre façon de concevoir les mécanismes à l’oeuvre dans la constitution de la carrière musicale que celle que propose, par exemple, la sociomusicologie à travers les études sur les métiers de la musique.
On ne peut penser à un numéro sur la diversité de la recherche en musique à l’oicrm sans qu’il y ait une réflexion en lien avec la recherche-création. C’est ainsi que nous publions dans la section « Notes de terrain » une étude du compositeur et musicologue Jean-Pascal Chaigne consacré à son oeuvre Echo, créée dans le cadre du projet de recherche « Perspectives actuelles de la musique polychorale ». Si la recherche-création mène à des oeuvres musicales dont l’origine est une démarche systématique et qui, par conséquent, pose une problématique et propose une méthode, voire une théorie pour la résoudre, il n’est pas exclu que le travail de recherche-création mène aussi à une réflexion qui adopte un mode de diffusion réservé aux sciences humaines (entre autres) comme l’écriture. La Revue musicale oicrm (rmo) sert de véhicule à cette pratique. On peut penser que le fait que la revue soit numérique lui permettra dans les années à venir de diffuser sous d’autres formats les résultats des projets de recherche-création qui lui seront soumis.
Pour compléter la section « Notes de terrain », nous publions un nouvel épisode de l’anthologie réalisée sous l’égide du projet « Histoire de l’esthétique musicale en France, 1900-1950 ». Dans ce cadre, Federico Lazzaro présente une enquête du Guide du concert sur « La musique et le sport » menée en 1924 à l’occasion des Jeux olympiques de Paris.
Les comptes rendus publiés dans ce numéro mettent aussi en lumière cette diversité qui irrigue la recherche en musique de manière très large. Laurent Bellemare nous fait part de sa lecture de Gamelan Girls. Gender, Childhood, and Politics in Balinese Music Ensembles (2019) de Sonja Lynn Downing, un ouvrage qui aborde un sujet à la fois original et que je pourrais qualifier d’incontournable aujourd’hui, puisqu’il s’agit de la place des femmes dans le monde musical, ici balinais. Achille Davy-Rigaux, membre du Comité de rédaction de la revue, a très aimablement accepté de réaliser un compte rendu des Rencontres nationales sur les recherches en musique qui se sont tenues à Paris en octobre 2020. On y découvre l’état de la réflexion dans plusieurs institutions d’enseignement supérieur de la musique en France, dont le Conservatoire national supérieur de musique et de danse (cnsmd), à propos de la formation des musicien·ne·s en contexte de recherche-création. Katia-Sofia Hakim rend compte, quant à elle, d’un ouvrage sur le Théâtre musical (xxe et xxie siècles) (2019) dirigé par Muriel Plan, Nathalie Vincent-Arnaud, Ludivic Florin et Frédéric Sounac. Il s’agit d’une publication qui fait suite aux travaux entrepris par les éditeur·rice·s dans le cadre d’un programme de recherche consacré aux relations entre le théâtre et la musique. Pour conclure cette section, Sophie Renaudin présente un livre de Philippe Gonin consacré aux Beatles et à leur travail créateur en studio intitulé The Beatles 1969. De l’autre côté de la rue… (2019).
Ce dernier titre conclut ce numéro et me permet de franchir le seuil de la rmo pour « l’autre côté de la rue… ».
Note du rédacteur en chef
Ce numéro est en effet le dernier qui paraîtra sous ma direction. Au mois de septembre 2021, j’aurai le plaisir de remettre à Marie-Hélène Benoit-Otis, professeure à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, la direction de la revue. Ce numéro est donc pour moi l’aboutissement personnel d’un travail assidu pour offrir aux chercheur·euse·s de l’oicrm, mais aussi de l’ensemble de la communauté francophone de recherche en musique, un espace d’expression ouvert et d’une solide tenue scientifique. Au bout de neuf années, il me semble que la rmo a désormais pignon sur rue. Cette réussite n’est pas de mon seul fait. Je dois remercier d’abord et avant tout Solenn Hellégouarch qui coordonne la revue depuis 2015. Solenn fait un travail admirable autant d’un point de vue scientifique qu’éditorial. Sans elle, la revue ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Il y a aussi Chloé Huvet qui a tenu le fort, alors que Solenn était en congé de maternité en 2018. Je dois aussi remercier toutes les personnes (plus d’une centaine !) qui ont accepté d’évaluer les articles qui leur ont été soumis au fil du temps. Nos évaluateur·rice·s font un travail absolument essentiel et c’est grâce à la qualité de leurs lectures que la réputation de la rmo n’est plus à faire. Un grand merci aux membres du comité de rédaction qui s’emploient depuis quelque temps déjà à étendre les perspectives de la revue. Et puis, merci aux auteur·rice·s qui nous ont confié leurs travaux. Ils sont évidemment au coeur du projet de cette revue électronique dont je suis particulièrement fier.
Parties annexes
Note biographique
Michel Duchesneau a été, entre autres, directeur général de la Société de musique contemporaine du Québec (1997-2002) et membre de plusieurs conseils d’administration d’organismes du milieu musical québécois. Il est actuellement professeur titulaire à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, responsable du Diplôme d’études supérieures spécialisées en médiation de la musique et directeur de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (oicrm). Il est l’auteur et co-éditeur de nombreux travaux sur la musique française de la première moitié du xxe siècle dont L’avant-garde musicale en France et ses sociétés de 1871 à 1939 (Mardaga, 1997), les collectifs Musique et modernité en France (pum, 2006), Musique, art et religion dans l’entre- deux-guerres (Symétrie, 2009), Charles Koechlin, compositeur et humaniste (Vrin, 2010), Écrits de compositeurs (Vrin, 2013).