Corps de l’article

S’inscrire dans les réseaux médiatiques, y affirmer sa singularité – de critique, ou de compositeur : impossible, à l’ère du journal, de s’y soustraire. A contrario, tout silence – temporaire ou prolongé – intrigue, tant l’on conçoit mal que l’artiste ne puisse, ou ne veuille, s’exprimer au sujet de son art. De prolifiques critiques furent tentés d’élaborer de véritables stratégies en la matière : fatigué par les échanges animés qu’il nourrit pourtant lui-même dans divers journaux français, Hector Berlioz (1861) n’hésite pas à fustiger l’« infernale chaîne du feuilleton[1] », quand Robert Schumann, après près de dix années au Neue Zeitschrift für Musik, se retire de l’espace médiatique. Quelques décennies plus tard, Maurice Ravel semble plus durablement confronté à ce silence : celui qui déclarait en 1928, dans son Esquisse autobiographique, « ne jamais [avoir] éprouvé le besoin de formuler, soit pour autrui soit pour [lui] – même, les principes de [s]on esthétique » (cité dans Orenstein 1989, p. 47) s’est tenu à une prudente distance de l’espace médiatique, craignant notamment que ses propos soient modifiés.

La question de la presse, principal espace médiatique au début du xxe siècle, est contre toute attente au coeur de la réception de l’oeuvre de Franz Schreker. Le compositeur ne se risque que rarement à écrire dans la presse[2] ; pourtant, elle seule semble rendre compte, aujourd’hui, de l’important succès que rencontrèrent les oeuvres – principalement des opéras – d’un des compositeurs les plus joués de l’entre-deux guerres. Fournissant des indications précieuses quant à la réception de ces représentations, la presse rend également compte des vives critiques qu’elles suscitent immanquablement. L’analyse de ces discours s’avère alors cruciale en ce qu’elle permet formuler un certain nombre d’hypothèses expliquant l’oubli dans lequel Schreker et son oeuvre ont sombré. Une question, récurrente, surgit dès lors que l’on s’intéresse à la réception médiatique du compositeur : pourquoi s’est-il si peu exprimé publiquement ? Quel sens donner à l’absence de réponse aux critiques souvent acerbes qui paraissent dans la presse et attaquent indistinctement ses opéras ou sa personne ?

Pourquoi écrire ?

État des lieux

Analyser la relation ambivalente que nourrit Schreker avec la presse ne peut faire l’économie d’un passage en revue des différentes productions du compositeur en la matière. Nous avons choisi de nous concentrer sur la période 1918-1921, période pendant laquelle il connaît ses plus grands succès : Der ferne Klang (Le son lointain, composé entre 1903 et 1910), Die Gezeichneten (Les stigmatisés, 1911-1918) et Der Schatzgräber (Le chercheur de trésors, 1915-1918), trois opéras qui constituent autant de jalons dans la construction de sa carrière. Les stigmatisés rencontre un immense succès dès sa création, comme en témoignent ses reprises à Munich, Nuremberg, Breslau et Dresde pour la saison 1918-1919, rapidement suivies par Vienne, Kiel, Cologne, Berlin et Stuttgart. Le nom de Schreker est abondamment présent dans la presse des années 1910-1920, tant dans les journaux spécialisés – l’on songe au Zeitschrift für Musik, à la jeune revue Melos, créée en 1920, aux Musikblätter des Anbruch pour les audiences nationales, ou aux quotidiens locaux, à l’instar du journal Die Neue Freie Presse – reflétant l’engouement suscité par ses opéras.

Omniprésent dans l’espace médiatique, Schreker n’y prend cependant que très rarement directement part : seuls cinq articles sont écrits et publiés entre 1918 et 1921[3] et paraissent au premier abord quelque peu décevant. Rien ne semble en effet relier entre elles ces prises de positions, qui convoquent des sujets extrêmement divers : rapport à la création esthétique avec « Meine Musikdramatische Idee[4] » [« Mon idée musicale dramatique »] (1919) et « Betrachtungen[5] » [« Réflexions »] (1921a) ; retour réflexif sur ses sources d’inspiration avec « Über die Entestehung meiner Opernbücher[6] » [« À propos de la genèse de mes livrets d’opéra »] (1920b) ; vagues réflexions sur le statut du directeur de conservatoire avec « Musikhochschule » [« Au sujet du conservatoire [de Berlin] »] (1920a), ou encore autoportrait lapidaire avec « Meine Charakterbild » [« Portrait de mon personnage »] (1921b). Hétérogènes dans les sujets qu’ils traitent, ces articles semblent bien souvent répondre à une commande faite au compositeur, ou s’inspirent très largement de lettres préexistantes, adressées à son ami Paul Bekker (voir Hailey 1994) ; l’inscription du compositeur dans l’espace médiatique paraît loin d’être spontanée. Elle évacue, de façon surprenante, toute intertextualité ; Schreker ne conçoit pas ses articles comme une réponse aux critiques que connaissent ses oeuvres, mais comme la possibilité d’évoquer à grands traits les sujets qui l’importent – ou qui sont censés l’importer.

L’absence de références à l’univers bruissant des journaux n’est pas la seule à étonner ; la fonction auctoriale[7], sur le plan discursif, paraît également complètement désinvestie par Schreker, qui ne se prononce jamais sur la nature de ses oeuvres, leurs propriétés ou leurs valeurs ; aucune mention, également, d’hypothétiques prescriptions en matière d’interprétation. Il ne s’aventure pas non plus dans le domaine analytique ; aucune analyse d’oeuvre, même partielle.

Les fondements d’une esthétique

Pourquoi Schreker se prête-t-il donc – certes, rarement – à l’exercice ? Si le compositeur ne semble pas animé de la volonté de rendre précisément compte de sa démarche compositionnelle, certains de ses articles lui permettent, malgré un certain degré de généralité, d’affirmer les grands principes de sa personnalité musicale.

Les deux courts essais « Meine Musikdramatische Idee » (1919) et « Über die Entstehung meiner Opernbücher » (1920b), publiés à quelques mois d’écart et reprenant tous deux les discussions que Schreker échange avec son ami Bekker, s’avèrent fondamentaux pour comprendre les quelques éléments donnés par Schreker dans la presse.

Le premier entend poser un certain nombre de jalons permettant de saisir la singularité de ses oeuvres. Schreker justifie une démarche compositionnelle fondée sur l’intrication de la musique et du drame : ce dernier s’impose à lui, lui indique les grandes lignes de l’oeuvre et peut expliquer l’apparente absence de principe formel cohérent ou rigoureux (« mon idée musicale dramatique ? Je n’en ai pas vraiment. J’écris sans but[8] » ; Schreker 1919, p. 6). C’est précisément alors l’article « Über die Entstehung meiner Opernbücher » qui permet de donner un contenu aux principes énoncés par Schreker ; pour expliciter l’idéal de fusion du mot et du son qui fait l’objet de « Meine Musikdramatische Idee », il revient ici sur cinq de ses opéras : Der ferne Klang, Das Spielwerk und die Prinzessin (« La princesse et la boîte à musique », 1908-1911), Die Gezeichneten, Der Schatzgräber et Irrelohe (« Les flammes démentes » 1919-1922), relatant pour chacun d’entre eux des souvenirs, véritables stimulus poétiques extérieurs.

Schreker opte ici également pour des formulations extrêmement vagues, n’allant pas davantage dans l’explicitation de la naissance de l’oeuvre et se contentant de motivations psychologiques assez banales : « Le son lointain est né de mes doutes. En moi – j’étais encore un jeune homme, cela mûrissait[9] » ; ou encore : « j’ai moi-même écrit Le son lointain, à partir de ma propre expérience[10] » (ibid., p. 547-548). Schreker, pourtant, en avait proposé une toute autre lecture quelques années plus tôt, alors passionnément épris de Grete Jonasz, jeune pianiste résidant dans le même immeuble que lui[11] (Perroux 2001, p. 27).

Les lignes consacrées à Das Spielwerk und die Prinzessin permettent de saisir quant à elles ce qui fonde la spécificité d’une démarche compositionnelle restée abstraite dans l’article « Meine Musikdramatische Idee » (Schreker 1919). Recourant à des descriptions minutieuses, le récit se sert de l’hypotypose pour proposer une progression fondée sur la condensation de trois épisodes : la scène d’un vieux violoniste jouant pour la foule réunie pour lui dans son village natal, que Schreker a lue dans un journal, rencontre le souvenir d’une soirée d’été dans les vignobles de Grinzings, à la périphérie de Vienne, où il croit reconnaître le violoniste. Le traumatisme d’une manifestation violente quelques temps plus tard achève de donner naissance à l’opéra.

Un fil relie cette succession d’épisodes ; Schreker émaille son texte d’expressions mettant en scène l’acte même de composer (« J’ai terminé le travail un autre soir[12] », « Et moi, écrivant fébrilement[13] », Schreker 1919, p. 548). Schreker, ce faisant, contribue à forger l’image d’un compositeur tout entier consacré à son art : l’inspiration surgit des évènements de sa vie et intrique fondamentalement idée dramatique et composition musicale. Le portrait que le compositeur dessine de lui-même, dans ces deux articles, demeure singulièrement empreint de romantisme : loin de toute théorisation, Schreker affirme la force créatrice d’une sensibilité s’appropriant des éléments biographiques, prosaïques, pour les traduire immédiatement, presque involontairement, en inspiration musicale.

Schreker pédagogue

La composition et l’enseignement occupent assurément une place importante dans la vie de Schreker : professeur de composition au conservatoire de Vienne dès 1912, il est nommé directeur de la Hochschule de Berlin en mars 1920. L’article attaché à cette activité, « Musikhochschule » (Schrecker 1920a) énonce un certain nombre de principes pédagogiques, mais demeure extrêmement général (attirer les plus grands musiciens doués d’une véritable appétence pour l’enseignement, favoriser l’épanouissement de ses étudiants, valoriser la singularité de ces derniers ainsi que les échanges avec d’autres établissements), à l’instar des articles consacrés aux principes compositionnels.

On est rapidement en droit de s’interroger : pourquoi Schreker, compositeur, chef d’orchestre, professeur et directeur de la Hochschule de Berlin, n’a-t-il pas davantage écrit ? Il semble assez peu probable que l’auteur de Die Gezeichneten ait manqué d’occasions pour partager son expérience… tout comme paraît peu plausible le refus, par les différents journaux, des écrits qu’il aurait écrits : Schreker bénéficie sans conteste de l’amitié des journaux Melos (créé en 1920) et des Musikblätter des Anbruch (créées en 1919), ayant ouvertement pris parti pour la musique « moderne » à laquelle semble initialement appartenir celle de Schreker.

De ce corpus singulier et devant l’absence de certitudes expliquant le retrait de Schreker, émergent alors plusieurs hypothèses constituant autant de fils nous permettant de tenter de saisir plus nettement les intentions du compositeur. Deux d’entre elles nous semblent particulièrement prégnantes : celle d’un désintérêt et d’une méfiance de la part de Schreker pour l’activité de critique et celle, complémentaire, d’une incapacité à revenir dans un texte écrit sur ses pratiques en tant que compositeur.

Quelle est l’image de Schreker créée par la presse ?

La décadence comme esthétique

Avant de tenter de cerner plus précisément les raisons de l’éloignement médiatique de Schreker, il convient de se pencher sur productions discursives le prenant précisément pour objet. D’emblée, le lecteur est confronté au biographisme[14] irriguant ces articles, encore caractéristique des discours tenus sur l’art et qui postule une transitivité pouvant être totale entre les qualités personnelles de l’artiste et celles de son oeuvre. Stephan Downes (2010) souligne ainsi à quel point peu d’ouvrages musicologiques s’attachent à déplier les différentes formes d’une décadence spécifiquement musicale, malgré un paradigme omniprésent dans le répertoire du début xxe siècle. Cet angle mort, dans le cas Schreker, s’accompagne d’un certain paradoxe : si les paradigmes de la décadence (« Dekadenz ») et de la dégénérescence (« Entartung »)[15] sont omniprésents dans la critique, ils sont rarement convoqués sous ces noms dans la presse de l’époque.

Le lecteur qui souhaiterait ainsi consulter ces textes afin d’en dégager les principaux griefs motivant la décadence ou la dégénérescence musicales supposées de Schreker serait par ailleurs vite déçu, tant ces essais ne recourent pas – ou très peu – à l’analyse de la partition ou du livret[16]. Ne se référant pas précisément à l’oeuvre en tant qu’objet, imprégnés d’une culture de la critique journalistique, ces discours restent en surface de l’oeuvre, investissant au contraire des schèmes discursifs n’étant a priori pas circonscrits au domaine musical, mais participant d’une culture commune. L’analyse de ce type de discours met ainsi en évidence une certaine intersectionnalité des paradigmes ou des idéologies irriguant ces textes : idéologies genrées, sexistes, antisémites[17] ou plus généralement racistes s’emparent d’un vocable commun pour discriminer un même objet. Omniprésente dans la critique de l’époque, la décadence n’est paradoxalement jamais définie, ce qui semble, comme le souligne Richard Gilman (1979) être un de ses traits constitutifs : son « existence est purement négative » ; il s’agit « d’un mot choisi pour remplir un espace » (cité dans Downes 2010, p. 30). Il est néanmoins possible d’esquisser une typologie de ses présentations principales – au nombre de six – dans les discours consacrés à Schreker :

  1. La peur d’une inintelligibilité du texte : les critiques déplorent le manque de cohérence de l’oeuvre. En témoignent les propos de Julius Korngold, l’une des personnalités musicales les plus férocement opposées à Schreker, qui condamne le caractère informe d’une langue ne se tenant plus d’elle-même tant au niveau de la macrostructure que de la microstructure[18] : il considère que la forme, inintelligible, est fondée sur l’oubli de l’harmonie ; celle-ci est « décousue[19] » (Korngold 1920, p. 4).

  2. L’autonomisation d’éléments normalement hiérarchisés : la décadence fonde également l’obscurité du langage auquel elle recourt sur la dé-hiérarchisation des différents paramètres de l’oeuvre, dont l’un prédomine exagérément. Albert Noelte, critique musical et compositeur demande ainsi au sujet de Die Gezeichneten : « la concentration de l’expression musicale et dramatique sur le son (au sens primitif du mot) dispense-t-elle d’une expression linéaire et mélodique conductrice[20] ? » (Noelte 1919, p. 1).

  3. Une artificialité condamnée : Korngold, d’abord séduit par les trouvailles de Schreker (« tout ce qui est simplement coloré est magistral ») condamne rapidement son usage du timbre, véritable maquillage des sons qui déguise l’inanité des moyens employés et qui le conduit à « se contenter du matériel de base le plus pauvre, largement utilisé[21] » (Korngold 1920, p. 4).

  4. Une fascination dangereuse : nombreuses sont les critiques s’alarmant d’une fascination délétère exercée sur l’auditeur. Paul Zschorlich s’inquiète ainsi de leur vulnérabilité : la musique de Schreker aurait « quelque chose de stupéfiant, de berçant, [devant lequel on est] sans résistance[22] » (Zschorlich 1929, p. 1).

  5. L’exacerbation d’une sensualité jouissant d’elle-même : des traductions musicales de la décadence, celle d’une sensualité débridée est peut-être la plus fréquemment rencontrée. Karl Holl (1918) lors de la création de l’oeuvre use à cet effet de métaphores lyriques : « des mélodies de grande ampleur dont les lignes courbées et audacieuses, souvent mêlées dans un enchevêtrement bouclé, donnent une vie florissante à la couleur orchestrale[23] » (cité dans Bujara 2015, p. 153) , quand Noelte déplore le fait que « l’oreille boi[ve] goulûment de cette abondante source de couleur, s’enivre – elle finit par devenir sursaturée, s’émousse et cela, malheureusement même avant l’acte final dramatiquement bouleversé, où la fantaisie sonore de Schreker célèbre de véritables orgies[24] » (Noelte 1919, p. 1).

  6. L’effémination du masculin : enfin, le topos d’une stigmatisation fondée sur le genre afin de discréditer ses rivaux est particulièrement illustré dans la presse musicale, notamment par Bruno Schrader, qui déclare en pensant à Schreker et à ses contemporains : « Tous des efféminés, doux, semblables à des mollusques[25] ! » (Schrader 1922, p. 218). Un critique anonyme du Darmstädter Tageblatt qualifie Schreker de « nature douce et féminine[26] » à la suite d’une représentation de Die Gezeichneten, considérant que l’impressionnisme de Schreker est « arrêté avec une atmosphère féminine, sensuelle de l’avant-guerre[27] » (Anonyme 1926, p. 1115).

Un antisémitisme patent

Schreker, bien sûr, n’est pas le seul compositeur à se confronter à la violence potentielle des espaces médiatiques et la virulence de ses critiques. À ces polémiques esthétiques, se greffent néanmoins des considérations politiques d’une grande agressivité, comme en témoigne un épisode survenu par numéros interposés dans le Zeitschrift für Musik : Bruno Schrader, compositeur et critique conservateur publie le 1er février 1921 un article ouvertement antisémite. Il oppose au « bon Allemand » (« l’Allemand Michel ») l’élément étranger, donc pathogène, que représente Schreker  :

L’invasion sémitique post-tchécoslovaque, qui prospère si bien sous le ministère rouge, continuera-t-elle, ou l’Allemand Michel se réveillera-t-il enfin ? Le grand héros de la journée, Schreker, est connu pour avoir un nom complètement différent de ce qu’il prétend être : un seul « numéro » du Tell de Rossini, si rudement blasphémé, est plus ingénieux, plus précieux, et plus immortel qu’une douzaine d’opéras comme ses Stigmatisés. Ceux qui font l’éloge de tels excréments sont stigmatisés pour toujours[28]

Schrader 1921a, p. 65

Devant une telle violence, la rédaction du Zeitschrift für Musik se sent obligée de publier un bref entrefilet dans l’édition du 5 mars 1921 :

Message de l’éditeur.
Diverses communications, suscitées par la section Musikbriefe de Berlin, publiée dans le 3e numéro du journal, nous ont incités à consulter Schreker, et notre collègue. M. Bruno Schrader nous a alors dit : « Je n’ai rien à retirer de mes écrits, ni de mes imprimés ». Il ne se déclare ni partial, ni antisémite, ni engagé politiquement, si ce n’est que la constellation politique interfère directement dans les domaines artistiques[29]

Anonyme 1921, p. 120

S’ensuit un dernier épisode dans l’édition du 2 mars 1921, Bruno Schrader n’entendant pas ne pas avoir le dernier mot. Rivalisant de mauvaise foi, il convoque les mêmes arguments antisémites :

Correction. Le compositeur Franz Schreker, à Berlin, citant l’article 11 de la loi sur la presse, annonce que ses parents s’appelaient Schreker et qu’il était baptisé catholique. Il était d’abord hongrois, puis autrichien et est maintenant un ressortissant prussien. Mais cela va bien au-delà de la portée de la correction, qui est décrite avec précision au paragraphe 3 du paragraphe ci- dessus. Le fait que Schreker soit un nom de scène pour Tscharras – l’écriture originale en langue hongroise ou slave ne m’est pas familière – est étayé par trois professeurs de musique célèbres et très respectés, dont l’un travaille dans la Hochschule même Schreker. C’est donc que cela doit être vrai ! Peut-être une erreur ? Mais tant de bruit pour une omelette, de surcroît dans la ville cosmopolite de Berlin[30] ?

Schrader 1921b, p. 166

L’épisode est particulièrement éclairant en ce qu’il met conjointement en lumière les attaques antisémites auxquelles Schreker était coutumier et l’absence d’intervention directe de ce dernier : sa défense est assurée par l’entrefilet correctif du comité de rédaction du Neue Zeitschrift für Musik. Là encore, il faut se résoudre à ces questions sans réponses : Schreker a-t-il tenté de se défendre lui-même et de publier un texte conséquent dans une revue alors ouvertement conservatrice (Alfred Heuss critique et fervent contempteur de la « musique moderne » en est le rédacteur en chef) ? Préfère-t-il se tenir à l’écart des vaines polémiques, espérant que sa relative absence dans la presse, en laissant la machine médiatique tourner à vide, finisse par lasser ses opposants ?

Désintérêt et méfiance de Schreker pour le champ de bataille médiatique

En l’absence de prises de positions claires de Schreker, ou de réponse aux critiques esthétiques et polémiques qui lui sont faites, sa correspondance avec son ami Paul Bekker s’est révélée un outil précieux pour tenter de cerner le rapport qu’il entretenait avec la presse.

La critique : une activité méprisée

Si les articles de Schreker publiés entre 1918 et 1921 semblent témoigner d’une indifférence envers les critiques qui lui sont faites – quelles qu’elles soient –, les lettres qu’il envoie à Bekker montrent qu’il a une excellente mémoire en la matière. Elles font état d’une polarisation extrême entre deux critiques : Bekker lui-même, dont la compréhension de Schreker semble la plus totale, et Julius Korngold, père du compositeur homonyme et critique autrichien de renom. Si ce dernier a contribué à la reconnaissance de Mahler, il est sans appel pour Schreker, dont il dénigre fréquemment les oeuvres dans Die Neue Freie Presse, journal viennois dont il est un des rédacteurs musicaux principaux partir de 1902. Les lettres de Schreker témoignent d’une rapide crispation sur la figure de Julius Korngold : il est l’un des seuls critiques nommément évoqués dans une correspondance s’étalant sur plusieurs années (voir Hailey 1994).

Confronté, dans les journaux, à la violence de l’espace médiatique, Schreker se tient, jusqu’à « Mein Charakterbild » à une distance prudente. Il fustige néanmoins le 18 mars 1913 « la misère, la méchanceté, la stupidité et l’envie illimitées » de M. Korngold, qui « ne peut [lui] pardonner le succès du Son lointain »[31] (ibid., p. 33). Même lorsque le succès semble unanime, à l’instar de la création du Ferne Klang, le nom du critique dissone dans l’allégresse générale : Schreker rapporte ainsi dans une lettre à Bekker, le 9 juillet 1918 (ibid., p. 55) que « pour la première à l’Akademietheater de Vienne, le succès est retentissant, avec des sifflements soutenus (presse enthousiaste jusqu’à M. K[orngold] même, mais assez perplexe)[32] ».

Si les attaques de Korngold sont loin de laisser Schreker indifférent, elles s’étendent rapidement, de façon indifférenciée, à l’ensemble des critiques. Dès 1913, Vienne tout entière lui semble hostile, ce dont témoigne une lettre du 18 mars : « Quand je compare votre brillant article au bredouillement désemparé des différents “critiques” ici, j’ai honte de devoir vivre dans cette ville[33] » (Hailey 1994, p. 33). Schreker déclare à Bekker, plus loin : « Un critique, pardonnez-moi de vous appliquer aussi pour une fois ce mot discrédité, qui exerce son métier en personne sérieuse et sensible, ne peut offenser sérieusement un auteur qui n’est pas un charlatan, même s’il le nie[34] » (ibid., p. 37).

Le mépris pour Korngold comprend en réalité une misanthropie plus générale, qui, si elle stigmatise une figure en particulier, est loin de se circonscrire au critique et ne tient pas le reste du public en très haute estime ; dans une lettre du 29 mai 1918 le public est qualifié de « foule stupide[35] » (ibid., p. 33). Le jugement du 9 juillet 1918 est également sans appel : « Soit ces gens ne veulent pas entendre soit ils ne l’écoutent pas soit je suis fou. Mais voyez-vous : nous vivons dans une période si hypocrite […][36] » (ibid., p. 55).

L’incapacité à revenir sur sa pratique de compositeur

Contrairement à Arnold Schoenberg, collègue et ami de longue date, dont le Traité d’harmonie paraît dès 1911, Schreker ne publie aucun essai théorique : les discussions en matière de composition semblent circonscrites aux salles dans lesquelles il enseigne. Comment analyser, dès lors, ce silence ? Faut-il considérer que le compositeur n’a pas eu l’opportunité d’éditer de manuscrit ? Qu’il lui était techniquement impossible de formuler son enseignement sous forme d’essai théorique ? Ou enfin, que l’exercice ne l’intéressait tout simplement pas ? Là encore, il nous faut user de sentiers détournés pour étayer ces hypothèses ; les témoignages de quelques-uns de ses élèves insistent fréquemment sur l’absence de dogmatisme du professeur, dont la pédagogie semble principalement fondée sur leur accompagnement vers l’autonomie. Ainsi en est-il d’Alois Hába, qui considère en 1971 que l’enseignement de Schreker possédait « l’ambition de trouver un chemin partant d’une conception traditionnelle et scolaire pour aller vers une indépendance artistique avec une harmonie et un contrepoint fortement altérés » (Perroux 2001, p. 56)… ou de Ernst Krenek, qui affirme que son ancien professeur « avait tout sauf une nature d’érudit, de sorte que son jugement reposait totalement sur l’instinct plutôt que sur l’analyse critique » (ibid., p. 57). Schreker semble peiner, ce faisant, à s’approprier le « lien devenu essentiel entre le musicien et l’écrit – support symbolique, s’il en est, de la pensée et de l’intellectualité » (Duchesneau, Dufour et Benoit-Otis 2013, p. 8), nourrissant involontairement les discours remettant en question sa légitimité en tant que compositeur et pédagogue.

Apparemment incapable de revenir sur son enseignement, Schreker ne change pas de stratégie au sujet de ses propres oeuvres : il ne publie pas davantage d’article explicitant la singularité de sa production musicale. Ce mutisme repose néanmoins sur certaine incapacité revendiquée : il se dénie toute réflexivité en la matière. Schreker s’inscrit ainsi dans le mythe romantique d’une activité compositionnelle intime, fondée sur une intériorité créatrice ne supportant pas d’être médiatisée : l’oeuvre constitue alors ce « point fixe », cette « origine sans communication avec l’extérieur », au fondement du « fantasme de l’oeuvre en soi, dans sa double acception d’oeuvre autarcique et d’oeuvre au fond de la conscience créatrice » (Maingueneau 2004, p. 34).

Les propos de Schreker, dans une lettre adressée à Bekker le 9 juillet 1918 sont à cet égard éloquents : « Je suis moi-même toujours dans le plus grand embarras quand on me demande quelque chose comme un “programme” d’analyse ; cela ne donne généralement rien de très spirituel[37] » (Hailey 1994, p. 54). Il ajoute, dans la même lettre :

Je suis d’une nature combative dans mes oeuvres et, si besoin est, en tant que musicien ou metteur en scène ou même – en tant que directeur musical. Mais une chose ne m’est pas donnée : celle de « s’enfoncer » dans ses propres oeuvres. Expliquer m’est déjà pénible, écrire une torture. […] J’ai travaillé sur la préface du « Spielwerk » plus longtemps que sur l’ensemble du livret[38]

ibid.

Cette certitude de ne pas être compris du public peut susciter les stratégies les plus fantasques : Schreker évoque le 18 juin 1918 l’article « Mon idée musicale dramatique » qui lui a été demandé par le théâtre de Francfort : « Bien sûr, je ne voulais pas être impoli, et je me suis donné bien du mal, à contrecoeur, pour mettre en forme quelque chose qui, étant superficiel et creux, ne peut donner aucune image de ce que je voudrais vraiment[39] » (ibid., p. 47).

Les idées esthétiques défendues par l’article, pour importantes qu’elles soient dans l’esthétique du compositeur, ne demeurent pas moins formulées de manière très générale, comme nous l’avons vu précédemment. Impossible, semble-t-il, de déterminer si les trois questions structurant le texte, brillant ainsi par leur didactisme (« [quelle est mon] idée musicale et dramatique ? », « qu’est-ce que je cherche ? » et « qu’est-ce que je cherche en fin de compte dans mon travail ? »[40], Schreker 1919, p. 6-7) ont été imposées à Schreker… ou si ce dernier n’avait d’autre ambition, en soulignant leur relative inanité, que de signifier le refus, ou l’impossibilité d’aller plus avant dans la théorisation de son esthétique.

Une théorisation au second degré ?

Schreker n’écrit pas, ou peu, au sujet de son oeuvre ; pourtant, son importante correspondance avec Bekker en est parsemée de références : précisions concernant le sens de certains passages, dans la partition ou le livret, remarques quant aux interprètes choisis pour monter les différents opéras, réflexions amères ou rassurées concernant les critiques parues dans la presse… Sckreker trouve en Bekker un ami et son plus grand défenseur. Le critique occupe alors une place singulière, qui n’est pas sans faire penser à celle de Walter Nouvel envers Igor Stravinski, le premier transcrivant les propos du second dans un geste de « corédaction ». À mi-chemin entre la mythographie et la théorisation de l’esthétique schrekérienne, Schreker semble, avec Bekker, adopter « un dédoublement, une posture que l’on peut qualifier d’écriture sans écriture, ou d’écriture au second degré » (Dufour 2013, p. 22). L’un des critiques les plus influents du xxe siècle multiplie en effet les essais qui lui sont consacrés[41] : parmi ceux-ci, le fondamental ouvrage Studie zur Kritik der modernen Oper (1918). Tout juste contemporain de l’article « Meine musikdramatische Idee », il établit clairement une filiation entre Schreker et Wagner, installant par là-même le cadre de l’herméneutique schrekérienne, ce que rappelle Carl Dahlhaus dans son article consacré à la dramaturgie du Ferne Klang :

Paul Bekker went further than anyone else as an apologist for Schreker. He praised him as the only modernist composer who, in a similar way to Wagner, though without being stylistically dependent on him, conceived dramas “out of the spirit of music,” instead of providing music for literary texts, dramatizing ideas or supplying musical illustration for a piece of cheap theatrical sensationalism

Dahlhaus [1978]1987, p. 193

La déconstruction d’une figure construite par les médias : un moment schrekerien carnavalesque

Écrire peu fréquemment des textes caractérisés par l’absence de propos réellement saillants : Schreker semble s’être tenu à cette ligne de conduite jusqu’à la publication du détonnant autoportrait qu’il publie en 1921 dans les Musikblätter des Anbruch. Alain Perroux (2001, p. 96) dans la monographie qu’il lui consacre, y voit une réponse directe aux médisances proférées dans les journaux, qui vont croissant, et dont Schreker semble également prendre progressivement conscience ; le 1er avril 1921, Schreker rompt avec la stratégie médiatique employée jusque-là en choisissant un journal dont les affinités esthétiques étaient identiques aux siennes (voir Schreker 1921b, p. 128) : paraissant entre 1919 et 1937, le journal viennois publié par Universal-Edition s’attachait à donner aux défenseurs de la « musique moderne » un réel espace médiatique pour exprimer leurs idées. Theodor W. Adorno, Béla Bartók, Alban Berg, Paul Bekker, Arnold Schoenberg ou encore Hans Heinz Stuckenschmidt écrivent régulièrement au sujet de questions contemporaines[42] : outre les numéros consacrés à certains compositeurs (Mahler, Busoni, Bartok, Schoenberg, Schreker…), le journal s’intéresse également à quelques sujets polémiques : la question du jazz (Stefan 1925), celle du « problème de la Nouvelle Musique » (Stefan 1926) ou encore celle de la politisation de l’univers musical (Stefan 1931).

Portrait de mon personnage

Je suis impressionniste, expressionniste, internationaliste, futuriste, vériste musical ; juif et ayant fait son chemin grâce au pouvoir du judaïsme, chrétien et « fabriqué » par une clique catholique placée sous le patronage d’une princesse viennoise archi-catholique. Je suis artiste du son, esprit chimérique du son, magicien du son, esthète du son, et n’ai pas le moindre vernis de mélodie (excepté quelques figures, pour ainsi dire, de style, qu’on appelle depuis peu des « petites mélodies »). Je suis un mélodiste du sang le plus pur, mais – bien qu’étant un musicien pur-sang – je suis pourtant un harmoniste anémique et pervers ! Je suis (malheureusement) érotomane et agis de façon nuisible sur le public allemand (l’érotisme est selon les apparences mon invention la plus authentiquement personnelle, malgré Les noces de Figaro, Don Giovanni, Carmen, Tannhäuser, Tristan, La Walkyrie, Salomé, Elektra, Le chevalier à la rose et autres). Mais je suis aussi idéaliste (Dieu merci !) et symboliste, je me situe à l’aile la plus radicale des modernes (Schoenberg, Debussy), je ne suis pourtant pas tout à fait à gauche, je suis inoffensif dans ma musique, j’utilise des triples accords, même encore l’accord de septième diminuée totalement « trivial », je m’appuie sur Verdi, Puccini, Halévy et Meyerbeer ; je suis absolument singulier et spécule sur les instincts des masses, je suis un compositeur dramatique pour le cinéma ; je suis un homme « tirant ses forces de la nostalgie et de la morbidité »  ; j’écris de manière exclusivement homophone, ma musique est pure et propre, subtile, alambiquée, une mer pleine de sons agréables, un amoncellement terrible de cacophonies ; je suis, contrairement à d’autres, un héros de la réclame de la plus mauvaise espèce, « plein de vin doux », « un document grandiose du déclin de notre culture », un fou, une tête calculatrice, un chef d’orchestre misérable mais aussi une personnalité de la direction d’orchestre, je suis un technicien brillant, je suis capable de ne pas diriger une fois mes oeuvres (et je les dirige constamment) ; je suis en tout cas un « phénomène », je suis en outre un mauvais poète mais un bon musicien […], ma musique jaillit de ma poésie, ma poésie de ma musique, je suis aux antipodes de Pfitzner, le seul successeur de Wagner, un concurrent de Strauss et de Puccini, je flatte le public, j’écris seulement pour fâcher tout le monde et ai eu récemment l’idée d’émigrer vraiment au Pérou. Ce que – pour l’amour du ciel – je ne suis pas ? Je n’ai pas (encore) déraillé, je n’ai pas la folie des grandeurs, je ne suis pas aigri, je ne suis pas un ascète, un gâcheur ou un dilettante et je n’ai jamais encore écrit de critique[43].

Auparavant caractérisé par un effacement extrême, Schreker atteint en 1921 un point de non-retour qui signe une explosion cynique et sarcastique de tous les cadres référentiels lui ayant été apposés. Reprenant méthodiquement toutes les expressions dont il a été qualifié au moyen d’anaphores à l’efficacité redoutable, il ridiculise ses adversaires sans avoir à opposer de réelle réponse : discréditant tout jugement, il ne répond pas à ses contempteurs pour autant, et ne donne aucun élément infirmant, ou confirmant ces expressions ; l’ironie suffit à suspendre tout jugement. Schreker impose ainsi un cadre rhétorique confortable dans lequel ni locuteur, ni locutaire n’ont de réelle épaisseur : usant du discours indirect libre, il ne singularise aucun critique en particulier, mais les discrédite tous. Cette réfutation systématique des arguments d’autrui entretenue par cette stratégie rhétorique lui permet ainsi de n’avoir à opposer aucun contre-argument. S’il prend paradoxalement la forme d’une définition identitaire très forte, son manifeste en sape en réalité tous les fondements, tant le compositeur affirme l’impossible substantification de son oeuvre et de sa personne.

Lassé – pour ne pas dire irrité – par la profusion de discours lui assignant une identité qu’il refuse, Schreker est ici particulièrement habile ; si, comme le considère Paul Valéry, « écrire c’est entrer en scène – il ne faut pas que l’auteur proclame qu’il n’est pas comédien. On n’y échappe pas » (Valéry 1931, p. 1218), Schreker refuse de prendre part à cet espace médiatique profondément étranger à sa nature. Ne stigmatisant aucun critique en particulier, ne réfutant aucun des termes qui lui a été apposé, il se contente, au moyen d’antiphrases, d’en souligner les cohabitations absurdes : esthétique idiosyncratique du son, caractère sulfureux de sa musique ou de ses livrets, concurrence des catégories esthétiques, compétences et singularité du compositeur et du chef d’orchestre – rien n’est épargné. Le seul texte signant une réelle présence de son autorité renvoie, ici encore, à une chaise vide : plus encore que les articles commandés par autrui, ou peu investis par Schreker, « Meine Charakterbild » témoigne de la lassitude éprouvée face à l’absurde coexistence des critiques les plus diverses, et de son refus de se positionner esthétiquement. Il est, enfin, l’occasion de revenir sur son silence en matière critique : Schreker y consacre les derniers mots de son article, ayant pleinement conscience de déroger à ce que l’on attend de lui ; que penser, dès lors, de son énigmatique « encore » [« noch »] : s’agit-il d’une ultime provocation, le compositeur n’ayant aucune intention de se prêter à l’exercice ?

Bref épisode burlesque où le compositeur s’approprie sarcastiquement les différents masques supposés être les siens, l’article ne constitue finalement qu’une forme de variation autour de son silence médiatique, et en entérine l’absolue nécessité.

Conclusion 

S’inscrire dans les réseaux médiatiques de son temps : Schreker semble n’y avoir consenti qu’avec mauvaise grâce. Principalement issus de commandes (« Meine Musikdramatische Idee »), demandés par les circonstances (« Musikhochschule ») ou issus de lettres échangées avec Bekker, les articles publiés dans les années les plus intenses de sa carrière se résument à quelques principes esthétiques et pédagogiques, sans que Schreker ne prenne directement exemple sur ses propres oeuvres. La réflexivité induite par l’exercice, rendant inconfortable la théorisation de son esthétique, semble également pouvoir expliquer l’absence d’essai consistant en la matière. L’absence de réaction aux critiques parues dans la presse, quant à elle, paraît fondée sur le peu d’estime que Schreker portait à cette activité.

L’espace médiatique créé par les journaux bruissant de voix multiples, paradoxalement, constitue un huis clos pour Schreker. Outre la violence journalistique réelle à laquelle est confrontée Schreker dès ses plus grands succès, se dessine une autre violence, symbolique et ontologique : celle d’une insupportable définition identitaire, dont les contours, une fois esquissés, ne peuvent subir aucune modification. Répondre aux critiques, accepter d’entrer dans cette relation identitaire : autant d’actions résolument opposées à une démarche compositionnelle, singulièrement romantique, ne supportant pas d’être médiatisée.