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Ce numéro réunit un ensemble d’articles tirés d’un colloque tenu à l’Université Lumière Lyon 2 en novembre 2018, avec le soutien de l’Institut universitaire de France (iuf). Il constitue également un contrepoint au Dictionnaire d’écrits de compositeurs en cours d’élaboration, qui rassemble actuellement plus de 60 chercheurs dans le cadre du programme Dictéco. Regroupant des types de textes très variés – allant des essais théoriques aux mémoires autobiographiques, et des préfaces de partitions aux notes de programmes –, ces écrits de compositeurs ont déjà donné lieu à d’importants travaux (Duchesneau, Dufour et Benoit-Otis 2013). Cette contribution entend pour sa part comprendre en quoi la parole et les propos des compositeurs se trouvent reconfigurés par l’avènement de l’espace médiatique depuis l’heure industrielle. Nos collègues littéraires ont déjà montré comment les journaux avaient pu, grâce à la mécanisation de leurs conditions de fabrication, abaisser leur prix d’achat, multiplier le nombre de leurs lecteurs, passer ainsi du statut de simple feuille d’opinion à celui de puissants médias ayant le pouvoir de façonner et de diffuser l’information, mais aussi de porter loin la voix de leurs rédacteurs dans une temporalité accélérée (Kalifa et al. 2011). Qu’en est-il de la parole des compositeurs au sein de ces nouveaux supports d’expression ?

L’originalité de cet ensemble d’articles tient à ce qu’il interroge la relation entre leurs écrits et les espaces médiatiques dans une temporalité large, depuis l’émergence de la « civilisation du journal » (Kalifa et al. 2011) jusqu’à l’ère numérique. Par cette expression d’« espaces médiatiques », nous renvoyons à la nouvelle topologie des lieux d’expression publique investis par les compositeurs à partir du xixe siècle. Sans délaisser les espaces traditionnels (la partition, à la faveur des discours préfaciels, ou encore l’ouvrage imprimé), ceux-ci prennent désormais la parole dans les programmes de concerts, dans les revues musicales et dans les grands quotidiens ; au-delà de la presse, la radio a ensuite constitué un nouvel espace idéal à investir, et si les compositeurs ont été moins bavards à la télévision – média de masse favorisant davantage l’expression des cultures populaires –, l’avènement d’Internet a permis de réinscrire la textualité au coeur de la culture audiovisuelle et de réintroduire la parole des compositeurs dans l’espace numérique, y compris aujourd’hui sur les réseaux sociaux, dans l’instantanéité d’une culture de flux.

Les articles ici réunis montrent de quelle manière les propos de compositeurs s’inscrivent dans ces espaces médiatiques, selon quelles stratégies et à quelles fins. À travers ces différentes études, on constate que leurs apparitions médiatiques peuvent tout d’abord reconduire les fonctions traditionnelles des écrits de compositeurs, en ayant pour finalité la production d’un savoir (théorique, esthétique, pédagogique, etc.) ou l’élaboration de jugements (critiques). Mais loin des anciennes préfaces et à la différence des simples essais publiés, les journaux constituent un espace polyphonique introduisant un incessant dialogue, direct ou indirect, entre les compositeurs et leurs contemporains ; depuis le forum de discussion permanent suscité par les articles de Wagner en son temps jusqu’aux échanges instantanés des compositeurs sur les réseaux sociaux, en passant par la nature intrinsèquement dialogique des enquêtes de presse ou des entretiens radiophoniques, les espaces médiatiques ne cessent de se constituer pour les compositeurs en lieux d’intenses débats, de polémiques parfois violentes, mais aussi de sociabilité voire de solidarité, dans le cas de certaines revues spécialisées.

Mais les espaces médiatiques font naître aussi de nouvelles fonctions pour les écrits de compositeurs, dans la mesure où ils favorisent des dynamiques d’autopromotion. Berlioz est l’un des premiers à l’avoir compris, lui qui estimait la presse « plus précieuse que la lance d’Achille ». Les espaces médiatiques modernes confèrent en effet aux écrits de compositeurs une extraordinaire visibilité qui leur permet d’attirer l’attention, de préparer l’écoute de leurs oeuvres, voire de contrôler le destin de ces dernières. Ils leur assurent également un pouvoir de démultiplication et d’ubiquité grâce auquel – de façon encore plus cruciale avant l’avènement de la musique enregistrée – ils peuvent compenser leur éventuelle absence physique par une forme de présence médiatique ; la viralité de ce système médiatique, qui n’a pas attendu l’ère d’Internet, permet enfin aux écrits de compositeurs d’être repris d’un journal à l’autre, d’être traduits d’un pays à l’autre, de glisser d’un média à un autre. Source de revenus précieuse, la presse a donc été, pour des générations de compositeurs à partir de Berlioz, tout à la fois un gagne-pain, une arène esthétique et une vitrine communicationnelle.

Pourtant ces espaces médiatiques se révèlent profondément ambivalents, dans la mesure où ils peuvent aussi favoriser les malentendus, devenir de vastes défouloirs et se retourner contre les compositeurs. Certains choisissent de se tenir à l’écart et le silence relatif peut devenir stratégie médiatique ; d’autres sont partagés entre attrait et répulsion à l’égard de toute prise de parole, ce que révèlent aussi les réponses aux enquêtes journalistiques. Pour les compositeurs, il s’agit alors toujours de résoudre ces tensions, qui résultent, au coeur de la « civilisation du journal », de sentiments ambivalents (ces espaces médiatiques sont-ils pour eux une opportunité ou une fatalité ?), ou qui sont avivées, à l’heure du néocapitalisme, par l’opposition ressentie entre le régime vocationnel et le régime entrepreneurial de leur carrière. Les sites Internet de compositeurs et la participation de ces derniers aux réseaux sociaux montrent en tout cas qu’ils sont aujourd’hui plus que jamais tenus de maîtriser les codes de la communication médiatique.

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Le dossier thématique de ce numéro est complété par un compte rendu du colloque international Musique et sorties de guerres (xixe-xxie siècles) par Mathilde Legault, Gabrielle Prud’homme et Alexandre Villemaire. Organisé à l’automne 2018 à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, l’événement réunissait une trentaine de chercheurs autour de la question des restructurations du monde musical à la suite d’une guerre.