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Volume 5, numéro 2, 2018 Création musicale et sonore dans les blockbusters de Remote Control Sous la direction de Chloé Huvet
Sommaire (10 articles)
Articles
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Remote Control: Collaborative Scoring and the Question of Authorship
Nicholas Kmet
p. 1–14
RésuméEN :
Perhaps the most interesting – and controversial – aspect of Hans Zimmer’s Remote Control Productions is the collaborative workflow that many of the film scores that pass through the Santa Monica studio are produced under. While Zimmer and business partner Steven Kofsky have taken great pains in interviews to emphasize the independence of composers working at the Santa Monica studio – Kofsky has said that “these composers are independent, have their own businesses, and secure their own movies” – the reality is one of frequent collaboration. The website for the studio’s parent company – a joint venture between Zimmer, Kofsky, and Lorne Balfe – advertises that “clients have access to over a dozen composers and music editors;” composer collaboration is clearly a prime selling point of Zimmer’s business.
An important side-effect of this process is that it has often become difficult – if not impossible – for scholars and enthusiasts to determine the authorship of individual cues within scores. It is not uncommon for as many as five composers – including some of the more prominent names at the studio – to be credited as providing additional music or filling other roles in the music department. This article examines the collaborative process practiced at Zimmer’s Remote Control Productions, and how it challenges traditional notions of authorship in relation to the Hollywood film score.
FR :
L’aspect le plus intéressant et le plus controversé des Remote Control Productions de Hans Zimmer est peut-être le processus créateur collaboratif grâce auquel sont produites la plupart des partitions du studio de Santa Monica. Alors que Zimmer et son associé, Steven Kofsky, se sont démenés en entretien pour mettre l’accent sur l’indépendance des compositeurs oeuvrant au studio de Santa Monica – Kofsky a déclaré que « ces compositeurs sont indépendants, ont leur propre entreprise et décrochent leurs propres films » –, la réalité dépeint une collaboration fréquente. Le site web de la maison mère du studio – une société commune à Zimmer, Kofsky et Lorne Balfe – annonce que « les clients ont accès à plus d’une douzaine de compositeurs et de monteurs musique », la collaboration entre compositeurs est clairement un argument de vente majeur pour la compagnie de Zimmer.
Une contrepartie importante de ce processus est qu’il est souvent devenu difficile, voire impossible, pour les chercheurs et les passionnés de musique de déterminer la paternité des cues individuels au sein des partitions. Il n’est pas rare qu’un groupe comprenant jusqu’à cinq compositeurs – où figurent certains des noms les plus importants du studio – soit crédité comme compositeurs de musiques supplémentaires ou remplissant d’autres rôles dans le département musique. Cet article examine le processus de collaboration mis en oeuvre au studio Remote Control Productions de Zimmer et étudie comment il remet en cause les notions traditionnelles d’auctorialité et de paternité en lien avec les partitions de musiques de film hollywoodiennes.
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Essai de caractérisation de l’évolution des musiques super-héroïques de Batman (1989) à The Dark Knight Rises (2012)
Jérôme Rossi
p. 15–47
RésuméFR :
Vingt-trois années séparent les musiques des films Batman (Tim Burton, 1989) et The Dark Knight Rises (Christopher Nolan, 2012) avec les compositions respectives de Danny Elfman et Hans Zimmer. Si les compositeurs restent tous deux fidèles à une conception signalétique des thèmes, Zimmer propose toutefois un nombre plus élevé de matériaux thématiques, avec la présence d’un « ostinato identifiant » pour chacun des trois personnages principaux, en plus de leurs thèmes propres.
Élaborée par une véritable équipe, la « narration sonore » constitue également un enjeu majeur de l’esthétique de Nolan et Zimmer avec l’élaboration, sur l’ensemble du film, d’un continuum bruit/musique, dont ce que nous avons appelé l’« effects underscoring » constitue l’une des stratégies les plus novatrices parmi celles proposées. L’« effects underscoring » est une technique compositionnelle par laquelle la musique se voit destinée à former un écrin émotionnel non plus aux voix, mais aux bruits lors de séquences où ce sont eux qui, par leur propriétés intrinsèques (organisation rythmique, caractéristiques timbrales), concentrent la signification dramaturgique d’un passage. Le travail minutieux sur les bruits, qui s’ajoute à une meilleure définition de ceux-ci grâce à la technologie numérique, « libère » la musique dans son rapport à l’image ; nous en observons les effets concrets en comparant les synchronismes et le maniement des ostinatos (longueur, pédales harmoniques, rythme harmonique) dans des scènes d’action empruntées aux deux films. Tandis que le travail d’Elfman se caractérise par une écriture vive et prompte à souligner tant les actions des personnages que les changements de plans, Zimmer se détache des évènements visuels en privilégiant une plus grande continuité musicale qui repose en partie sur ce nous avons appelé le stem scoring, soit une composition musicale conçue en plusieurs strates que le compositeur ou le mixeur peut à loisir déclencher ou taire en fonction de l’image.
EN :
Twenty-three years separate the music from Batman (Tim Burton, 1989) and The Dark Knight Rises (Christopher Nolan, 2012) with the respective compositions of Danny Elfman and Hans Zimmer. If both composers remain faithful to a signifying design of the themes, Zimmer proposes a higher number of thematic materials, with the presence of an “identifying ostinato” for each of the three main characters, in addition to their own themes.
Developed by a real team, “sound narration” is also a major characteristic of Nolan and Zimmer’s aesthetics with the elaboration, throughout the film, of a continuum of sound effects and music, in which what we’ve called “effects underscoring” constitutes one of the most innovative strategies. “Effects underscoring” is a compositional technique by which music is intended to create an emotional setting no longer to the voices, but to the noises, during sequences where sounds concentrate the dramaturgical meaning of a section through their intrinsic properties (rhythmic organization, timbral characteristics) The meticulous work on noises, adding to a better definition of sound effects thanks to digital technology, really “frees” music in its relationship to the image; we observe the concrete effects of this by comparing the synchronisms and the handling of the ostinatos (length, harmonic pedals, harmonic rhythm) in action scenes from the two films. While Elfman’s work is characterized by a vivid and detailed writing which emphasizes both the characters’ actions and the editing, Zimmer distances himselfs from visual events by privileging a greater musical continuity which mostly depends on what we have called “stem scoring”, a multi-layered musical composition that the composer or mixer can trigger or remove, depending on the image.
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Musique et immersion spectatorielle dans les scènes de poursuite des films d’action du cinéma hollywoodien contemporain
Hubert Bolduc-Cloutier
p. 48–78
RésuméFR :
En tant qu’un des principaux types de scène des films d’action, la poursuite constitue un point culminant de la narrativité filmique au sein duquel la réponse sensorielle du spectateur atteint son paroxysme. Afin de considérer quels sont les agents musicosonores de l’immersion spectatorielle dans les scènes de poursuite du cinéma hollywoodien contemporain et la structure rhétorique de ce type de scène, cet article propose une approche au carrefour des recherches sur l’immersion spectatorielle au cinéma (Barker), l’immersion dans les musiques de jeux vidéo (Grimshaw, Calleja), de même que la création musicale dans le cadre de l’Electronic Dance Music (Butler). Les caractéristiques musicales récurrentes et prégnantes sont ici soulignées pour tracer le portrait de l’esthétique sonore des scènes de poursuite réalisées par les compositeurs affiliés à Remote Control.
EN :
As one of the main action movies type of scenes, the chase is a peak where cinema-goers sensorial response reaches a climax. In order to consider sonic and musical stimulators of immersion in contemporary Hollywood cinema chasing scenes and to evaluate the rhetoric of this type of scenes, this article proposes an approach at the crossroads of research in spectatorial immersion in cinema (Barker), immersion in video games music (Grimshaw, Calleja), as well as musical creation in Electronic Dance Music (Butler). Recurring and significant musical characteristics are highlighted to chart the sound aesthetic profile of chasing scenes conceived by composers affiliated with Remote Control.
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La Ligne rouge de Hans Zimmer. Matrice d’un « nouvel Hollywood » électro-minimaliste et contemplatif
Cécile Carayol
p. 79–102
RésuméFR :
À travers une étude comparative de plusieurs films au contexte narratif contemplatif comme La Ligne Rouge (Terrence Malick, 1998), partition-matrice qui a marqué une nette évolution dans l’esthétique zimmerienne, Hannibal (Ridley Scott, 2001), Da Vinci Code (de Ron Howard, 2006) « synthèse la plus raffinée des influences du minimalisme » (Berthomieu 2013, p. 698), jusqu’à des partitions que Hans Zimmer a composées pour Christopher Nolan comme Inception (2010) et Interstellar (2014), cet article montre de quelle manière Zimmer parvient pleinement à imposer un nouveau courant musical à Hollywood en intégrant une écriture épurée imprégnée notamment par le minimalisme d’Arvo Pärt à des boucles élaborées par des synthétiseurs ou des sons électroniques : si les hommages ciblés à des oeuvres d’Arvo Pärt sont propices à souligner le tourment intérieur ou le recueillement sombre, Zimmer reprend également des principes plus généraux de cette forme de minimalisme – souvent une oscillation immuable et répétée à l’infini autour d’un accord parfait mineur – presque systématiquement mêlés à cette énergie créative de timbres hybrides, afin de créer une autre temporalité apportant une forme d’inéluctable à l’image tout en maintenant empathie et synchronisme discret comme soutiens à l’action (La Ligne rouge, Batman Begins, Da Vinci Code, Inception). La quinte – seule, en ostinato ou répétée sur un motif – quintessence du tintinnabuli zimmerien (au-delà de l’accord parfait pärtien), souligne l’instant suspendu (La Ligne rouge, Hannibal, Interstellar), tandis qu’une forme de radicalisation de ce minimalisme qui va parfois jusqu’à la négation de toute mélodie, remplacée par une note unique, devenue texture abstraite, ou par un cluster diatonique en blend mode (Da Vinci Code, Interstellar), évoque le désespoir, la mort, ou le néant. Loin d’être un « monde » qui « se réduit alors au vide d’un présent sans rêve » (Berthomieu 2004, p. 75), l’écriture électro-minimaliste et contemplative de Zimmer, marquée par une cohérence narrative forte, est connectée au programme esthétique des films auxquels elle se destine.
EN :
Through a comparative study of several films with a contemplative narrative context such as Thin Red Line (Terrence Malick, 1998), a score-matrix that marked a clear evolution in Zimmerian aesthetics, Hannibal (Ridley Scott, 2001), The Da Vinci Code (Ron Howard, 2006) “the most sophisticated synthesis of the influences of minimalism” (Berthomieu 2013, p. 698), to scores that Hans Zimmer composed for Christopher Nolan as Inception (2010) and Interstellar (2014), this article shows how Zimmer manages to impose a new musical trend in Hollywood by integrating a pared-down writing impregnated notably by the minimalism of Arvo Pärt to loops developed by synthesizers or electronic sounds: if tributes to works of Arvo Pärt are appropriate to highligh inner torment or dark meditation, Zimmer also takes up more general principles of this form of minimalism – often an immutable and infinitely repeated oscillation around a minor perfect chord – almost systematically mixed with this creative energy of hybrid timbres, to create another temporality bringing a form of ineluctable to the image while maintaining empathy and discreet synchronism as supports for the action (The Thin Red Line, Batman Begins, The Da Vinci Code, Inception). The fifth – alone, in ostinato or repeated on a motif –, which is the quintessence of the Zimmerian tintinnabuli (beyond the perfect Pärtian agreement), emphasizes the suspended moment (The Thin Red Line, Hannibal, Interstellar), while a form of radicalization of this minimalism which sometimes goes as far as the negation of any melody, replaced by a single note, becoming abstract texture, or by a diatonic cluster in blend mode (The Da Vinci Code, Interstellar), evokes despair, death, or nothingness. Far from being a “world” which “is reduced to the emptiness of a present without a dream” (Berthomieu 2004, p. 75), Zimmer’s electro-minimalist and contemplative writing, marked by a strong narrative coherence, is connected to the aesthetic program of the films for which it is intended.
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Interstellar de Hans Zimmer : plongée musicale au coeur des drames humains, par-delà l’infiniment grand. Pour une autre approche de l’esthétique zimmerienne
Chloé Huvet
p. 103–124
RésuméFR :
Le modèle souvent relayé dans la littérature dominante sur Hans Zimmer, mettant en valeur la masculinité et le caractère épique de la musique de Zimmer, le son massif et puissant de ses partitions, et l’omniprésence d’une pulsation rythmique marquée tend à délaisser tout un pan de l’approche zimmerienne de la composition cinématographique et s’avère peu adéquat pour analyser les partitions les plus récentes du compositeur qui ne correspondent pas à ce schème. C’est le cas, en particulier, d’Interstellar, dont la bande-son excède largement ce cadre général prédéfini.
Nous montrerons comment le traitement de la musique place l’humain au coeur du film, et de quelles manières Zimmer fait des liens entre Cooper et sa fille Murph le point de mire de sa partition. En filigrane, notre étude propose, à partir de l’exemple de ce film, une autre approche de l’esthétique du compositeur, qui se veut complémentaire au modèle dominant en invitant à repenser la filmographie de Zimmer – y compris son versant épique – sous un angle riche et ouvert.
EN :
The model often relayed in the mainstream literature about Hans Zimmer, highlighting the masculinity and epic character of Zimmer’s music, the massive and powerful sound of his scores, and the omnipresence of a marked rhythmic pulsation tends to neglect an important part of Zimmer’s approach to film scoring, and proves to be inadequate for analyzing the composer’s most recent scores that do not correspond to this schema. This is the case, in particular, of Interstellar, which soundtrack largely exceeds this predefined general framework.
I show how the treatment of the music places the human at the heart of the film, and in what ways Zimmer focuses his score on the relationship between Cooper and his daughter Murph. From the example of this film, my study also offers another approach of the composer’s aesthetics, which is complementary to the dominant model, inviting to rethink Zimmer’s filmography – including its epic side – under a rich and open angle.
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La partition sonore et musicale de Dunkerque (C. Nolan, 2017). Une expérience sensorielle inédite
Emmanuelle Bobée
p. 125–148
RésuméFR :
Supervisée conjointement par Richard King et Hans Zimmer, la partition sonore et musicale de Dunkerque sous-tend l’élaboration d’un récit complexe, articulé autour de trois unités spatiotemporelles distinctes : une semaine sur la jetée, une journée en mer, une heure dans les airs. Les événements qui se déroulent au sein de chaque espace narratif obéissent à leur propre chronologie ; cependant, au fil de la narration, des croisements s’opèrent entre les personnages et des correspondances de situations s’établissent. L’action se décline au présent – un présent ubiquitaire, sans cesse renouvelé –, dans une temporalité dilatée par la charge émotionnelle et sensorielle véhiculée par la bande-son.
Nous montrerons que la conception sonore et musicale de Dunkerque répond à une volonté manifeste de conjuguer réalisme historique et spectacle immersif, dans une approche résolument novatrice et expérimentale. Outre le fait que la puissance sonore semble croître indéfiniment au gré des péripéties rencontrées par le jeune soldat anglais, la force et l’originalité de cette composition hybride résident dans la complémentarité et l’imbrication d’éléments constitutifs a priori disparates, tels que le chromatisme, la pulsation donnée par le tic-tac d’une montre, le sinistre gémissement des bateaux engloutis par la mer, ou encore les premières mesures de la variation « Nimrod » d’Edward Elgar.
EN :
Supervised jointly by Richard King and Hans Zimmer, the sound and musical score of Dunkirk underlies the elaboration of a complex narrative, articulated around three distinct spatiotemporal units: one week on the mole, one day at sea, one hour in the air. The events that occur within each narrative space follow their own chronology; however, throughout the narration, crossings take place between the characters, and correspondences of situations are established. The action comes in the present – a ubiquitous present, constantly renewed – in a temporality dilated by the emotional and sensory load conveyed by the soundtrack.
We will show that Dunkirk’s sound and musical design responds to a clear desire to combine historical realism and immersive spectacle, in a resolutely innovative and experimental approach. Besides the fact that the sound power seems to grow indefinitely according to the events met by the young English soldier, the strength and originality of this hybrid composition lie in the complementarity and the interweaving of a priori disparate components, such as the chromaticism, the pulsation given by the ticking of a watch, the sinister groan of boats swallowed by the sea, or the first measures of Edward Elgar’s “Nimrod” variation.
Note de terrain
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Variations… sur Yves Margat (humour estetico)(« Anthologie du phem » / Musicographes, 2)
Federico Lazzaro
p. 149–179
RésuméFR :
Les 126 « Variations… sans thème » publiées par Yves Margat dans Le Guide du concert entre 1934 et 1939 sont une source précieuse pour l’étude du discours sur la musique en France dans cette période de crise économique, culturelle et politique. Les billets humoristiques de Margat ironisent à la fois sur la place de la musique dans la société parisienne et sur la crise du langage et de l’écoute musicaux. Margat construit sa crédibilité de faiseur d’opinion par son professorat (ses cours d’harmonie sont amplement publicisés par la revue qui publie sa rubrique hebdomadaire) et, réciproquement, promeut son enseignement comme solution aux maux qu’il dénonce, ce qui donne à ses billets un statut digne d’être problématisé.
EN :
The 126 « Variations… sans thème » (Variations… without theme) which Yves Margat wrote for Le Guide du concert between 1934 and 1939 provide a particularly interesting insight into the discourse about music in France during the economical, cultural and political crisis of that period. Margat’s humorous column is ironical about the place of music within the Parisian society as well as about the crisis of musical language and listening. Margat builds his reliability as an opinion-maker by his activity as a teacher (his harmony courses are widely publicized in the journal publishing his column) and, conversely, he promotes his courses as the solution to the ills he speaks out against. This calls into question the status of Margat’s columns.