Résumés
Résumé
Cette contribution étudie la complexité des usages de Facebook – WhatsApp – Google Drive, dans le cadre de dispositifs pédagogiques universitaires d’aide à la réussite, et leur évolution sous l’influence de la crise sanitaire de la COVID-19. Plus précisément, nous explorons la complexité et les évolutions de ces trois outils, dans le cadre d’une ingénierie pédagogique – de type junior-entreprise – centrée sur la réussite des étudiants, et confrontée à une crise sanitaire impliquant un confinement national et un passage des enseignements de l’hybride au tout distanciel.
Mots-clés :
- Complexité,
- usages formels/informels,
- dispositifs d’aide à la réussite universitaire,
- junior-entreprise,
- Facebook – WhatsApp – Google Drive,
- hybridation,
- tout distanciel,
- COVID-19
Abstract
This contribution studies the complexity of the uses of Facebook, WhatsApp and Google Drive within the framework of university pedagogical devices for success support and their evolution under the influence of the COVID-19 health crisis. More precisely, we explore the complexity and the evolution of these three tools within the framework of a junior enterprise based on pedagogical engineering, oriented to students’ success, and confronted with a health crisis involving a national lockdown and a transformation of education, ranging from hybrid teaching to online classes.
Keywords:
- Complexity,
- formal/informal uses,
- teaching aids and support systems,
- junior enterprise,
- Facebook - WhapsApp - Google Drive,
- hybridization,
- online class,
- COVID-19
Corps de l’article
Introduction
L’université subit aujourd’hui de profondes mutations et complexifications des relations (Coulibaly, 2019; Hermann-Schlichter et Coulibaly, 2017), notamment liées à la nécessité de socialiser, de professionnaliser, d’employabiliser (Béchard et Bédard, 2009) et de favoriser la réussite d’étudiants toujours plus hétérogènes. Et ce, grâce à des pédagogies innovantes qui intègrent le numérique et les technologies de l’information et de la communication (Albero, 2011). Cette démultiplication des dispositifs numériques à l’université génère, de facto, un fort développement et une complexification des usages formels et informels des réseaux sociaux numériques (RSN) et des instruments de travail collaboratif qui les actualisent. La crise sanitaire mondiale de COVID-19 a renforcé cette démultiplication des dispositifs numériques. En effet, dans ce nouveau contexte, les enseignants ont eu à garantir une continuité pédagogique à l’aide d’outillages numériques, une occasion inédite d’approfondir la réflexion sur la complexité des usages des RSN et des technologies numériques dans l’apprentissage universitaire.
Cette contribution présente tout d’abord l’environnement universitaire français contemporain et les défis contextuels pour les enseignants. Elle se centre ensuite sur des dispositifs pédagogiques d’aide à la réussite qui cristallisent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, la plupart de ces défis. Elle propose enfin l’étude d’un dispositif particulier, une junior-entreprise universitaire, déployé pendant l’année universitaire 2019-2020 – au moment de la transition des enseignements de l’hybride au tout distanciel imposée par la crise de la COVID-19 – et examinant à ce titre le rôle des plateformes numériques Facebook – WhatsApp – Google Drive, dans ce contexte singulier.
1. Contextualisation
Les enseignants universitaires français sont aujourd’hui confrontés à de multiples injonctions. Dans la présente section, nous introduisons deux d’entre elles. Dans un premier temps, nous examinons l’innovation pédagogique et la numérisation des enseignements, impliquant l’adaptation – agile – des pratiques pédagogiques et l’exploration des rôles que peuvent jouer les plateformes numériques dans les dispositifs d’apprentissage (1.1). Dans un deuxième temps, nous traitons de l’aide à la réussite, de la socialisation, de la professionnalisation et de l’employabilisation d’étudiants toujours plus hétérogènes (1.2). Ces deux temps nous conduisent à souligner que les dispositifs d’aide à la réussite, alors qu’ils cristallisent particulièrement bien ces injonctions contemporaines (innovation, numérisation, aide à la réussite) sont encore (trop) peu étudiés dans leur globalité, et encore moins dans le contexte de crise sanitaire de la COVID-19 (1.3).
1.1 Numérisation intensive de la pédagogie universitaire
Nombre d’auteurs contemporains soulignent combien l’impératif de numérisation qui pèse aujourd’hui sur l’enseignement universitaire requiert des enseignants l’appropriation et le déploiement de nombreux savoirs, ressources et compétences, de littératies pédagogiques et de techniques souvent nouvelles et inusitées (Dubrac et Djebara, 2015; Duguet et Morlaix, 2018; Massou et Lavielle-Gutnik, 2017).
Qu’il s’agisse de campus numériques, d’enseignement à distance, de cours en ligne ouverts à tous, de classes de pédagogie ouverte..., cet impératif sous-tend un recours à l’hybridation, impliquant d’enrichir le présentiel par la convocation d’outils numériques, mais aussi d’articuler ce présentiel enrichi au distanciel et d’intégrer, à chaque étape, des technologies numériques, en soutien du processus d’enseignement-apprentissage (Charlier et al., 2006; Fleck et Hachet, 2016; Paquienséguy et Perez-Fragoso, 2011). L’acte pédagogique est ainsi soumis à une incitation à l’innovation et à la transformation dans l’ingénierie des dispositifs (Bertrand, 2014; Choplin et al., 2007). L’ensemble de ces nouvelles consignes conduisent les enseignants à reconsidérer et à réaménager leurs pratiques, à travers le prisme du numérique (Endrizzi, 2012; Papi, 2016).
1.2 Montée en puissance des dispositifs d’aide à la réussite
Outre les injonctions à l’innovation et à la numérisation des pratiques, les enseignants sont confrontés à des nouveautés sociologiques qui requièrent une adaptation agile à des publics étudiants toujours plus hétérogènes, du point de vue de leur milieu social, de leur parcours scolaire, de leur rythme d’adaptation (Coulon, 1997), de leurs difficultés méthodologiques ou même des aléas personnels qui émaillent leur vie.
Pour répondre à cette disparité croissante, particulièrement sensible en licence 1 (où les effectifs explosent), nombre de directives ministérielles introduisent des dispositifs d’accompagnement pédagogique passant le plus souvent par des pratiques pédagogiques innovantes et numérisées, pour favoriser l’adhésion des étudiants à leur cursus (Bruno et al., 2015), leur intégration et leur réussite universitaire et professionnelle (Perret et Berthaud, 2015).
1.3 Dispositifs d’aide à la réussite universitaire, plateformes numériques et crise sanitaire : un champ d’études peu exploré
S’ils cristallisent particulièrement bien les défis contemporains des enseignants universitaires (numérisation des apprentissages et réussite des étudiants), les dispositifs d’aide à la réussite et le rôle que peuvent jouer les plateformes numériques dans l’ingénierie de leur mise en oeuvre sont encore peu étudiés par la littérature scientifique (Bruno et al., 2015; Perret et Berthaud, 2015). Et cela, encore moins en contexte de confinement national, dont la relative récence n’autorise pas encore beaucoup de recul critique.
Ce constat nous conduit à nous interroger sur le recours aux plateformes numériques dans le cadre d’un dispositif d’aide à la réussite, dont l’ingénierie a été complexifiée par les mesures gouvernementales prises en mars 2020, en réponse à la crise de la COVID-19 (confinement, fermeture des universités, nécessité d’assurer une continuité pédagogique, redéfinition en urgence des enseignements, passage au tout distanciel). À travers une étude de cas, nous choisissons d’examiner la mobilisation de trois plateformes numériques, au sein d’un dispositif d’aide à la réussite ancré dans une mise en situation de junior-entreprise universitaire, déployé en contexte de crise sanitaire.
2. Méthodologie, terrain, approche, appareillage pour le recueil et l’analyse de données
Cette section présente le dispositif de remédiation, de type junior-entreprise universitaire, qui a été conduit pour le Département d’information-communication de l’Université Paul-Valéry Montpellier, sur l’année universitaire 2019-2020 (2.1). Nous exposons ensuite l’approche qualitative et ethnographique choisie pour mener nos collectes et investigations (2.2). Enfin, nous détaillons l’appareillage méthodologique de recueil (2.3) et d’analyse (2.4) de données, construit pour étudier le rôle que peuvent jouer les plateformes numériques dans le déploiement de ce type de dispositif, notamment lorsque ce dispositif est confronté à une crise sanitaire généralisée.
2.1 Terrain retenu pour l’étude
Notre travail s’appuie sur l’étude d’un dispositif de remédiation, mis en oeuvre pour notre université sous l’impulsion de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants; Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2021), centrée sur l’amélioration de l’expression (écrite, orale, scolaire et professionnelle), la réussite des étudiants en première année, leur adhésion au cursus entrepris, leur intégration, leur socialisation, leur professionnalisation et leur employabilité. Les universités (en général) et notre établissement (en particulier) – présidence, direction des études, composante, département – se préoccupent particulièrement de ce dispositif, à la fois crucial (compte tenu du fort taux de décrochage, dans les universités, en licence 1) et complexe (dispositif « hors maquettes » auquel les étudiants souscrivent sur la base du volontariat et sans gratification).
Plus personnellement, nous sommes fortement impliquées dans ce dispositif : d’une part, en tant que maître de conférences, référente des étudiants en licence 1 en information-communication et responsable du dispositif de remédiation (Stéphanie Marty); d’autre part, en tant qu’ingénieure en pédagogies innovantes, recrutée pour sa mise en oeuvre et sa coordination (Katia Vasquez).
La présente étude s’adosse ainsi à notre pratique du dispositif étudié et s’inscrit dans une logique de recherche-action, permise à la fois par notre immersion active dans le terrain d’étude et par la dualité de notre regard réflexif de conceptrices-réalisatrices et de chercheuses. Ce positionnement multiple de chercheuses – immergées et en action – nous permet en effet d’être actrices du déroulement du dispositif, en tant que conceptrices et animatrices de la formation, observatrices participantes de ce qui s’y construit et, dans le même temps, chercheuses qui adoptent une distanciation critique, pour l’analyser. Nous expérimentons ainsi, tout au long de notre étude, un paradoxe commun à ceux qui s’engagent dans la recherche-action : celui de l’observateur (Mouchon, 1985), paradoxe dont nous nous efforçons d’estimer – et de limiter - les effets durant toute l’étude.
C’est donc en tant que chercheuses immergées que nous avons conçu, mené, suivi et évalué, en 2019-2020, le dispositif de remédiation du Département d’information-communication de notre université, pour la troisième année consécutive, en l’ancrant dans une conduite de projet agile, baptisée « Projet Up ». Dans ce projet, les étudiants, constitués en junior-entreprise, ont pour mission de satisfaire à des commandes formulées par différents acteurs de leur université (enseignants, étudiants d’autres années que la licence 1, personnels administratifs, associations…). Concrètement, ils ont à promouvoir les initiatives (pédagogiques, administratives, scientifiques, festives, pratiques...) de leur département, composante et université, en concevant et en réalisant différents supports multimédias, qui seront ensuite diffusés sur les réseaux sociaux institutionnels de la composante, voire de l’Université.
Nous intégrons, dans ce scénario pédagogique, trois plateformes numériques : une page Facebook, un groupe WhatsApp, et un espace Google Drive.
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En ce qui concerne la plateforme Facebook, l’objectif pédagogique et les usages que nous en prescrivons reposent sur la constitution d’une page-vitrine de la junior-entreprise, lui permettant de promouvoir les projets retenus
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En ce qui concerne le groupe WhatsApp, l’objectif pédagogique et les usages que nous en prescrivons sont centrés sur la sensibilisation des participants à l’organisation pratique d’une conduite de projet collective (calendrier, répartition des tâches, partage d’informations…)
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Enfin, en ce qui concerne l’espace Google Drive, celui-ci répond à un objectif pédagogique d’initiation de la junior-entreprise aux pratiques hybrides et au travail collaboratif à distance, en synchrone ou en asynchrone.
Concernant les modalités de travail, le Projet Up s’est déroulé, de septembre 2019 à mars 2020, en hybride (chaque semaine, alternance de séances présentielles enrichies et de séances distancielles). Puis, à compter du 17 mars 2020, en réponse au confinement, il s’est poursuivi en tout distanciel. Il a ainsi combiné deux formes de numérisation des apprentissages (hybridation puis tout distanciel), en contexte standard et en contexte de crise…, constituant en ce sens un terrain fécond pour la présente étude, consacrée à l’analyse de la numérisation des enseignements et aux rôles que peuvent jouer les plateformes numériques dans les dispositifs d’aide à la réussite universitaire.
2.2 Approche qualitative ethnographique
Afin de conduire une recherche-action susceptible d’étudier le dispositif et d’éclairer les usages des plateformes numériques, en contexte standard et en contexte de crise sanitaire, nous avons choisi d’entrer par le paradigme de la complexité (Morin, 1990), de la compréhension (Charmillot et Dayer, 2007) et des méthodes phénoménologiques des usages des techniques de communication (Mucchielli, 1992).
Nous avons mobilisé une approche qualitative (Gohier, 2004; Paillé et Mucchielli, 2005) fondée sur une démarche ethnographique (Barthélemy et al., 2014; Beaud et Weber, 1997; Garfinkel, 1967; Trudel, 1994). Nous avons ainsi adopté une posture intellectuelle (Coulon, 1993) – particulièrement adaptée à une étude de cas – postulant que l’accomplissement d’une situation est endogène, que le sens provient de la situation elle-même, qu’il est toujours « en train de se faire » (Quéré, 1997), coconstruit par les acteurs et les objets qui y participent et le font émerger comme réalité objective, ordonnée, intelligible et familière. En référence à cette posture, nous nous sommes appliquées à recueillir des données au plus près des pratiques de terrain, en contexte avéré, soit un recueil « en situation ».
2.3 Appareillage méthodologique pour le recueil de données
En cohérence avec les objectifs (compréhension du dispositif et de sa complexité), mais également avec l’approche (complexe, compréhensive, phénoménologique) et la démarche (qualitative, ethnographique) choisis pour conduire notre recherche-action, nous privilégions des techniques de recueil permettant une investigation fondée sur des données expérientielles. En effet, notre appareillage repose sur des observations ethnographiques, réalisées in vivo, dans le terrain même. Nous recueillons systématiquement, chaque semaine (de septembre 2019 à mai 2020), en présentiel et en distanciel, dans un dossier numérique, tous les matériaux, hétérogènes, permettant d’explorer et d’examiner les enjeux que peut porter le recours aux plateformes numériques dans notre dispositif.
Les matériaux consignés (figure 1) forment ainsi progressivement un journal de bord (Green et Cluley, 2014; Mallinger, 2013; Ortlipp, 2008; Zundel et al., 2016). Cet outil d’investigation phénoménologique constitue tout à la fois la mémoire vive du chercheur immergé, un historique de la recherche, une abondante source de références et une copieuse base de données, indispensables à la compréhension du phénomène étudié. Il permet de fournir une description riche et continue des situations, de conserver le caractère spontané des données et de tisser des relations entre les données collectées et la théorisation qui peut en émerger (Baribeau, 2005; Emerson et al., 2011; Peretz, 2004; Werner, 1999).
Le journal de bord ancre résolument notre recherche-action dans une approche ethnographique d’une étude de cas, centrée sur des matériaux empiriques, et en appui sur l’expérience, en situation, des enseignants et des étudiants impliqués dans le dispositif étudié.
2.4 Appareillage méthodologique pour le recueil de données
Pour analyser les matériaux recueillis, nous choisissons l’analyse thématique de contenu, dans la mesure où « toute parole orale, écrite, spontanée, suscitée, peut être soumise à l’analyse de contenu » (Bardin, 2013) et qui permet de repérer, dans un corpus hétérogène de situations relevées, des thèmes généraux récurrents (Paillé, 1996a, b, c, d). En pratique, nous procédons par une opération de découpage du matériau en unités, puis par la classification de ces unités en catégories, suivant des regroupements analogiques. Et ce, en trois phases indissociables : 1. la retranscription systématique dans notre cas, déjà effectuée par l’actualisation régulière du journal de bord; 2. le codage, qui met en évidence (par l’application de codes de couleurs, formant un cartouche) les similarités et les différences, les formes communes et les divergences qui émergent du corpus; 3. la catégorisation, qui permet d’ériger les thématiques majeures émergeant de la coloration, en catégories définies, classifiées et dénommées.
Enfin, dans une démarche empirico-inductive, nous confrontons les résultats de cette analyse à l’épaisseur des travaux théoriques relatifs à notre objet de recherche, pour les analyser, les éclairer, les enrichir.
Nous instaurons ainsi un fructueux dialogue entre chercheur et praticien (Lameul et Loisy, 2014), nous permettant de mettre en lumière la complexité des usages de Facebook, GoogleDrive et WhatsApp dans une junior-entreprise passant de l’hybride au tout distanciel, en situation de crise sanitaire généralisée.
3. Résultats
L’analyse des données recueillies pour notre étude révèle la complexité des usages émergeant dans le cadre d’une ingénierie pédagogique multiplateformes, telle que celle mobilisée dans le cadre du Projet Up. En effet, cette analyse met au jour des usages complexes et évolutifs indissociables des relations qui se tissent entre les acteurs du projet et du contexte englobant qui, de standard et hybride, a muté en tout distanciel en raison d’un confinement national. Dans la présente section, nous explorons la complexité de ces usages, en contexte standard (modalité hybride) puis en contexte de COVID-19 (tout distanciel).
3.1 Usages complexes en contexte standard (modalité hybride)
De septembre 2019 à mars 2020, la junior- entreprise fonctionne en mode hybride (séances hebdomadaires en présentiel enrichi et en distanciel) grâce aux trois plateformes numériques évoquées supra. Cette configuration donne vie à des usages complexes, que nous présentons dans les sections qui suivent.
3.1.1 Appareillage multiplateformes, polymorphe, multifonctionnel, multiobjectifs
Une première source de complexité tient au fait d’articuler la mobilisation de trois plateformes dont la nature (un RSN, une application de messagerie instantanée, un outil de travail collaboratif en ligne), le fonctionnement (fonctionnalités essentielles) et la destination (quel outil pour quelle utilisation?) diffèrent considérablement. Cet appareillage multiplateformes, polymorphe, multifonctionnel et multiobjectifs pousse les étudiants à développer : leur agilité intellectuelle et pratique; des compétences numériques diversifiées; une maîtrise des outils numériques proposés, requérant un certain degré de technicité. Aussi, cet appareillage protéiforme conduit les étudiants à développer des littératies numériques (Duplàa, 2011), constituant un bagage indispensable pour réussir leur parcours universitaire, assurer leur intégration socioprofessionnelle et construire leur citoyenneté numérique (Genevois, 2013; Greffet et Wojcik, 2014).
3.1.2 Usages synchrones
Une deuxième source de complexité tient au fait que les étudiants sont conduits à développer des usages polychrones des trois plateformes retenues. Ceux-ci consolident par là leur capacité à réaliser, en synchronie, plusieurs actions intellectuelles et techniques. Ils renforcent ainsi simultanément des compétences en multitâches (Salvucci et Taatgen, 2010) et en transmédia (Millette, 2013), compétences cruciales pour leur employabilité dans les métiers de la communication.
3.1.3 Usages situés
Une troisième source de complexité tient au fait que les usages des plateformes sont contextualisés et situés, soit ajustés, de manière agile, en réponse aux imprévus, obstacles et/ou difficultés rencontrés par la junior-entreprise. Les usages des plateformes évoluent ainsi selon les aléas du contexte, et notamment selon les besoins émergeant (de manière imprévue) dans le cadre de la conduite de projet, selon les compétences et les propositions des participants, ou encore selon les contraintes techniques rencontrées. Ainsi, les étudiants développent la capacité à opérer des transformations, des intégrations ou des substitutions nécessaires à l’ajustement (et à l’adéquation) de leurs usages aux aléas des situations rencontrées.
3.1.4 Usages autonomes bousculant les usages prescrits
Une quatrième source de complexité réside dans les dynamiques d’appropriation des étudiants, dynamiques qui se développent à mesure que les étudiants mobilisent les plateformes retenues, s’y familiarisent et apprennent à les maîtriser. Sur ce point, notre pédagogie active, inspirée de l’apprentissage par la pratique (learning by doing) (Dewey, 1938/1968) pousse les étudiants à s’approprier les plateformes pour dépasser les usages initialement prescrits (2.1), pour innover et ainsi renforcer leur autonomie et leur confiance en soi. Notre ingénierie pédagogique les conduit à s’emparer des plateformes et à produire des usages concrets, inventés, formels et informels, complexes et évolutifs, allant au-delà des usages prescrits en début d’action (2.1); des usages prenant souvent la forme de bricolages (Perrenoud, 1983), de détournements ou de contournements.
Pour illustration :
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Alors que nous avions initialement dévolu la plateforme Facebook à une page-vitrine de la junior-entreprise (2.1), principalement ouverte aux acteurs promus (enseignants, membres du personnel administratif, etc.), les participants ont créé (et administré) une deuxième page, privée et off. Ils en ont fait un lieu d’expression (échanges, commentaires, suggestions, votes...), de partage (contenus textuels/graphiques/musicaux...) et de créativité (détournement de l’image-bannière Facebook en une mosaïque de photos représentant tous les membres de la junior-entreprise) ouvert à un spectre d’acteurs bien plus large que celui visé par la page-vitrine initialement créée.
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Alors que nous avions originellement investi le groupe WhatsApp comme un outil d’organisation pratique de conduite de projet collective (2.1), les participants se sont progressivement emparés de la plateforme et l’ont mobilisée pour y formuler des idées, des réactions et des commentaires souvent personnels et personnalisés (en lien ou non avec le Projet Up).
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Alors que nous avions conçu et mis en place une arborescence de l’espace de travail Google Drive, les participants ont créé de nouveaux dossiers, de nouveaux espaces, et ont ainsi fait preuve d’initiative quant à l’architecture des plateformes mobilisées dans le cadre du projet.
Notre dispositif a ainsi permis aux étudiants de dépasser les usages des plateformes, initialement prescrits, pour en explorer le potentiel de façon plus autonome, responsable et assurée.
3.1.5 Usages entrelacés aux relations
Une dernière source de complexité tient au fait que les usages que nous venons de détailler sont consubstantiels aux relations reliant les membres du projet. En effet, notre conduite de projet a stimulé, de facto, la création d’un système de relations particulièrement dense et complexe : relations professionnelles et amicales (entre les membres de la junior-entreprise), management participatif horizontal (avec l’enseignante et les tuteurs), réseautage institutionnel (avec les enseignants, les personnels administratifs qu’ils promeuvent), parrainage (avec leurs aînés, étudiants des niveaux supérieurs dont ils font la promotion)... Ces relations ont généré un spectre de communications dense, complexe, influant sur les usages des plateformes. En effet, une spirale – vertueuse et ascensionnelle – s’est créée : des relations se sont tissées entre les acteurs, se sont multipliées et ont intensifié les usages des plateformes, dans une dynamique circulaire positive.
En conclusion de cette partie, les participants au Projet Up ont déployé, de septembre 2019 à mars 2020, des usages complexes de plateformes numériques : des usages polymorphes, synchrones et situés, dépassant les usages initialement prescrits et s’entrelaçant, dans une dynamique d’interaction et de circularité ascensionnelles, aux systèmes d’échanges – denses, complexes et évolutifs, eux aussi – reliant les acteurs du projet. La figure 2 présente, sous forme d’infographie, ces différents constats.
Les usages présentés dans la figure 2 ont toutefois été amenés à évoluer, en raison du confinement national et du passage à l’enseignement en tout distanciel, liés à la crise sanitaire.
3.2 Usages complexes en contexte de COVID-19 (tout distanciel)
À compter du 17 mars 2020, avec la fermeture des universités, nous avons dû souscrire à un réajustement situé de l’ingénierie initiale et basculer le dispositif en tout distanciel. À ce stade, les usages ont révélé d’autres formes de complexité.
3.2.1 Usages toujours plus inventifs, aboutis et autonomes
Lors du passage au tout distanciel, les étudiants ont proposé de nouveaux usages, dépassant non seulement les usages prescrits initialement, mais également les usages expérimentés durant la phase standard (hybride). En effet, lors du passage au tout distanciel, les étudiants ont redoublé d’inventivité et d’ingéniosité, et ce, sur les trois plateformes mobilisées dans le cadre du projet :
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Ils ont investi les deux pages Facebook créées durant la phase hybride, non plus seulement pour la promotion des initiatives émergeant dans leur département, mais également pour la promotion de deux projets (de leur propre initiative) solidaires et optimistes, vecteurs d’espoir en contexte de confinement.
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En ce qui concerne WhatsApp, les étudiants ont exploité de nouvelles fonctionnalités de l’application, et notamment la possibilité d’activer des dynamiques transmédias (Millette, 2013) en partageant, dans les discussions, des liens cliquables vers de nouvelles plateformes (Instagram pour les sondages/votes, Cisco Webex pour les visioconférences, nuages informatiques pour les partages de documents) et vers de nouveaux contenus enrichis, de tout type et de tout format (images, sons, vidéos, GIF...).
De même, les étudiants ont créé de nouveaux groupes WhatsApp afin de piloter les deux projets culturels et solidaires lancés de leur propre initiative, groupes auxquels ils ont invité les enseignantes, inversant ainsi la hiérarchie pédagogique traditionnelle descendante et offrant de nouveaux prolongements au management participatif et horizontal que nous nous efforcions de construire depuis le début du projet.
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En ce qui concerne Google Drive, les étudiants ont dépassé et prolongé les usages déjà acquis (partage/organisation/stockage de documents, travail collaboratif à distance synchrone/asynchrone, co-conception de documents en ligne) en reliant Google Drive à Google Meet (service Google de visioconférence gratuit).
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Enfin, au-delà de ces usages (de plus en plus inventifs et aboutis) des plateformes prescrites et déjà mobilisées durant la phase hybride, les étudiants ont exploité l’autonomisation favorisée par notre ingénierie en proposant – plus radicalement – des usages de nouvelles plateformes. Ils ont notamment créé un groupe Discord et un compte Instagram, enrichissant et étoffant les dimensions multiplateformes, transmédia, et multitâches de notre projet. La création d’un compte Instagram s’est avérée d’autant plus significative et probante qu’il s’agissait du compte Instagram officiel et institutionnel de leur composante, approuvé et validé par sa gestionnaire de communauté.
3.2.2 Usages tournés vers l’informel et le phatique
Lors du passage au tout distanciel, nous avons pu constater, outre des usages inventifs, aboutis et autonomes, une intensification des usages tournés vers l’informel et le phatique (Jakobson, 1960). En effet, les étudiants ont alors mobilisé les plateformes numériques pour partager des informations, transmettre des astuces et des repères liés à la situation sanitaire (et les bouleversements universitaires afférents), s’enquérir du devenir du Projet Up, mais aussi – et surtout – garder un lien interpersonnel et intergroupal, prendre des nouvelles les uns des autres, se soutenir et proposer des moments de détente exorbitants du cadre du projet (à l’image des apéritifs virtuels, ou « skypéros » proposés par la junior-entreprise lorsque la société française dans son ensemble a dû se soumettre au confinement généralisé). Nous avons ainsi pu constater que les plateformes numériques ont été mobilisées de plus en plus fréquemment (et de plus en plus en dehors des créneaux officiels des séances) et de plus en plus souvent pour des messages personnels et personnalisés, centrés sur le maintien d’un lien interpersonnel.
Ces différents constats rappellent combien le recours aux plateformes numériques peut, dans un enseignement universitaire dispensé en temps de crise :
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créer une véritable « présence à distance » (Jézégou, 2010);
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jouer un rôle phatique (Jakobson, 1960) en permettant le maintien (voire le renforcement) d’un lien et d’échanges (informels, notamment) devenus capitaux en contexte de confinement;
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préserver, de manière « agile » et « résiliente » l’efficience d’une action pédagogique confrontée à une totale interdiction de présentiel.
En conclusion de cette partie, les participants au Projet Up ont déployé, à partir de mars 2020 (lors du passage au tout distanciel), des usages complexes de plateformes numériques, de plus en plus inventifs, aboutis, autonomes et tournés vers l’informel et le phatique. L’infographie de la figure 3 livre (en prenant appui sur des relevés d’observations et des extraits de verbatims) ces différents constats.
Il nous semble toutefois opportun, à ce stade, de souligner que les usages pointés dans la figure 3 sont indissociables du contexte dans lequel ils ont émergé.
3.2.3 Usages indissociables du contexte englobant
Les usages de plateformes que nous avons pointés (en contexte de tout distanciel) nous semblent inévitablement consubstantiels au contexte dans lequel ils se sont manifestés.
D’une part, ces usages sont indissociables du contexte sociétal dans lequel ils ont vu le jour : un contexte de crise sanitaire généralisée et de confinement national, impliquant un bouleversement de la vie (et du travail) universitaire(s) et une rupture des contacts présentiels. Ce contexte a pu générer, chez les étudiants, un sentiment d’égarement et de déficit informationnel… qui peut expliquer, au moins en partie, la multiplication des échanges sur les plateformes numériques. En outre, ce contexte de crise a pu engendrer, chez les étudiants, un sentiment d’isolement, de désocialisation et de déficit relationnel... pouvant expliquer l’intensification des échanges – à coloration informelle et phatique – que nous avons relevés.
D’autre part, les usages que nous avons établis en contexte de COVID19 (usages inventifs, aboutis et autonomes, tournés vers l’informel et le phatique) restent selon nous inséparables du contexte temporel dans lequel ils se sont développés. En effet, ces derniers ont vu le jour durant le mois de mars, soit six mois après le début du Projet Up.
À cette date (mars 2020), les étudiants ne se trouvent pas dans le même contexte relationnel qu’au début du projet; ils se connaissent bien mieux, sont bien plus familiers qu’au premier semestre. Cette plus grande proximité constitue un tremplin pouvant permettre de trouver l’audace nécessaire à l’expression de nouvelles propositions, de nouvelles initiatives et de nouveaux usages. En effet, la plus grande connivence entre les membres de la junior-entreprise constitue un facteur de prise de confiance en soi (Raucent et al., 2010) et d’assurance, susceptible de leur donner l’audace – voire l’outrecuidance – permettant de s’affranchir de certaines craintes. ÀA commencer par la crainte (plus répandue en début de projet) de proposer des idées inventives et autonomes, et de tisser des échanges informels et phatiques. La temporalité peut ainsi expliquer, au moins pour une part, la dynamique plus inventive, autonome, informelle et phatique des usages que nous avons relevés à partir du mois de mars.
Dans la même perspective, en mars 2020, les étudiants ne se trouvent plus dans le même contexte technique qu’en début de projet. En effet, à cette date, ces derniers ont eu six mois pour se familiariser avec les plateformes retenues pour le Projet Up. Ils n’ont donc pas la même maîtrise de ces plateformes qu’en début d’action. Le travail sur plateformes réalisé de septembre à mars les a acculturés, leur a apporté des compétences et des littératies numériques (Hoechsmann et Dewaard, 2015) leur permettant de devenir proactifs et de proposer, au mois de mars, des usages a fortiori plus autonomes, inventifs et aboutis qu’au début de la conduite de projet. La temporalité peut donc, là encore, expliquer, au moins en partie, l’évolution d’usages que nous avons observée.
Dans la figure 4, nous complétons la figure 3 en matérialisant le poids que peuvent avoir les contextes sociétal (confinement, tout distanciel) et temporel (deuxième semestre, plus grande proximité des membres de la junior-entreprise, meilleure maîtrise des plateformes grâce au travail d’acculturation effectué de septembre 2019 à mars 2020) dans les usages que nous avons pointés en contexte de COVID-19.
Nous souhaitons, à ce stade, prolonger la réflexion en pointant les enjeux, plus larges et transversaux, portés par ces différents constats. En effet, les éléments émergeant de notre étude mettent en lumière combien l’acculturation aux plateformes numériques peut constituer, dans un enseignement universitaire, un socle pédagogique complet, viable en hybride ou en distanciel, aussi bien en contexte standard qu’en contexte de crise sanitaire.
En effet, dans notre ingénierie :
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Le travail sur plateformes a permis, durant la phase standard, de faire émerger des usages denses et complexes, polymorphes, synchrones, situés, s’émancipant des usages initialement prescrits et s’entrelaçant aux relations reliant les membres de la junior-entreprise.
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Lors du passage au tout distanciel, l’acculturation aux plateformes (travaillé durant la phase standard) a constitué un acquis permettant de :
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maintenir une « présence à distance » (Jézégou, 2010) et un sentiment virtuel d’être-ensemble, malgré l’interdiction des rencontres physiques;
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poursuivre les séances, les activités et le travail formel;
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perpétuer (voire intensifier) les échanges entre les acteurs du projet, alors même que le confinement national les mettait à rude épreuve;
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garantir l’« agilité » (Collignon et Schöpfel, 2016; Messager, 2013) et la « résilience » (Cyrulnik, 2018; Vogus et Sutcliffe, 2007) du Projet Up;
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pérenniser le dispositif de remédiation du Département d’information-communication de l’Université Paul-Valéry.
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Conclusion générale
Dans la présente contribution, nous examinons la façon dont les dispositifs d’aide à la réussite universitaire convoquant des usages multiformes des RSN peuvent être porteurs d’enseignements, particulièrement lorsqu’ils sont contraints à passer de l’hybridation au tout distanciel par une crise sanitaire généralisée (1). Dans une logique empirico-inductive, nous optons pour l’étude d’un cas spécifique : une junior-entreprise mise en oeuvre en 2019-2020, pour le Département de l’information-communication de l’Université Paul-Valéry (Montpellier, France). Par une approche compréhensive, qualitative et ethnographique (2), nous mettons en lumière la complexité des usages de Facebook, WhatsApp et Google Drive, dans le cadre d’une junior-entreprise ancrée dans une ingénierie pédagogique de conduite de projet (3).
En contexte standard (3.1), cette configuration hybride de notre dispositif (combinant les plateformes Facebook, WhatsApp et Google Drive) génère des usages complexes, polymorphes (3.1.1), synchrones (3.1.2), situés (3.1.3), et dépassant les prescriptions d’usages formulées initialement (3.1.4). Ces usages, complexes, des trois plateformes suscitées, s’entrelacent à un large spectre de relations et d’échanges, complexes et évolutifs, formels et informels, professionnels et amicaux, ancrés tout à la fois dans des dynamiques de collaboration, de parrainage, de réseautage et de management participatif. Ainsi, en contexte standard, le recours aux plateformes numériques donne naissance à des usages et à des échanges complexes et évolutifs, s’enrichissant et s’alimentant mutuellement (3.1.5).
En contexte de confinement et de passage au tout distanciel (3.2), de nouveaux usages voient le jour. Des usages plus inventifs, aboutis et autonomes, marqués notamment par de nouvelles activités (promotion, sur Facebook, de projets propres à la junior-entreprise), de nouveaux espaces virtuels (création, par les membres de la junior-entreprise, de nouveaux groupes WhatsApp, pour le pilotage de leurs propres projets), de nouvelles propositions transmédiatiques (utilisation du groupe WhatsApp comme plateforme-tremplin vers les autres plateformes, intégration et entrelacement des plateformes Discord et Instagram aux plateformes déjà mobilisées dans le cadre du projet, articulation de Google Drive et de Google Meet...) (3.2.1). En parallèle de ces nouveaux usages, inventifs, aboutis et autonomes, nous observons, en contexte de confinement, des usages des plateformes de plus en plus tournés vers l’informel et le phatique (3.2.2) : messages personnels et personnalisés, transmissions d’astuces et de repères liés à la situation sanitaire, prise de nouvelles, soutien, propositions de moments de détente exorbitants du cadre du projet (apéritifs virtuels)...
Toutefois, nous ne négligeons pas pour autant le fait que l’émergence de ces usages – complexes, inventifs, aboutis, autonomes, tournés vers l’informel et le phatique – soit inséparable du contexte dans lequel ils se font jour (3.2.3). En effet, le contexte – singulier et inédit – de crise sanitaire, de confinement et de rupture des contacts physiques représente, à lui seul, une possible source d’évolution des usages et des échanges... et peut expliquer, au moins en partie, le fait que les usages des plateformes numériques se soient intensifiés, complexifiés et actualisés vers des échanges à coloration informelle et phatique (particulièrement cruciaux en contexte de confinement).
En outre, nous n’oublions pas le fait que les usages que nous avons relevés durant le confinement sont consubstantiels au contexte temporel dans lequel ils se sont manifestés. En effet, ces derniers ont émergé à partir du mois de mars, soit six mois après le début de l’action. À cette date, les étudiants ont, d’une part, une plus grande proximité entre eux, ce qui peut expliquer, au moins en partie, la montée en puissance des échanges informels que nous avons constatée. Ils ont, d’autre part, une plus grande maîtrise des plateformes mobilisées dans le cadre du projet, dans la mesure où ils s’y sont acculturés depuis plusieurs mois : ils possèdent donc, à ce stade, un plus large spectre de compétences et de littératies, leur permettant de faire montre d’usages a fortiori plus inventifs, aboutis et autonomes qu’en contexte standard. Ces différents éléments rappellent que les usages que nous avons relevés doivent être appréhendés à la lueur du contexte temporel dans lequel ils se sont manifestés.
Cette vigilance critique à l’égard du poids du contexte est une constante dans notre démarche : dans cette perspective, d’ailleurs, nous n’omettons pas le fait que les constats que nous livrons restent relatifs au dispositif étudié (dispositif d’aide à la réussite, ancré dans une conduite de projet hybride), aux choix méthodologiques – a fortiori limitatifs et contextuels – que nous avons effectués pour l’étudier (approche compréhensive, qualitative, ethnographique) et à l’implication des acteurs concernés par le projet (instances, encadrants et étudiants). Plus largement, notre contribution introduit un certain nombre d’apports, sur les plans théorique, méthodologique et pratique.
Sur le plan théorique, notre contribution laisse entrevoir différentes notions (littératies, agilité, résilience) et divers points d’entrée conceptuels (complexité, compréhension, sociologie des usages) qui peuvent constituer un socle éclairant dans la lecture des usages multiformes des RSN pour enseigner et apprendre. Notre propos éclaire en outre les jeux et enjeux interactionnels qui se nouent entre usages et relations, et révèle la nécessité d’appréhender les usages et les relations dans une dynamique interdépendante, dans laquelle les usages des plateformes font évoluer les relations et réciproquement. Notre contribution est en cela ancrée dans une perspective constructiviste, dans laquelle l’usage et la relation exercent l’un sur l’autre une dépendance et une influence réciproques, créant ainsi une dynamique circulaire d’interactions.
Sur le plan méthodologique, la présente étude souligne l’intérêt de l’étude de cas et la richesse de la recherche-action, qui requiert à la fois l’implication, l’immersion de l’acteur-chercheur (à la fois partie prenante et analyste de la situation observée) et la relativisation imposée par le paradoxe de l’observateur (Mouchon, 1985). Notre contribution rappelle en outre la pertinence de l’approche qualitative et ethnographique, ancrée dans le recueil et l’analyse de données expérientielles, prélevées in situ. Enfin, notre travail souligne l’intérêt de réserver, dans la conception et la mise en oeuvre d’études sur les usages de plateformes, une place première aux contextes, afin de saisir ces usages non pas en hors-sol, mais dans une dynamique éthologique, incarnée et située. Sur ce point, notre contribution révèle à plusieurs reprises l’importance que nous attachons au contexte. Nos résultats sont entièrement présentés et structurés à travers le distinguo contexte standard/contexte de crise, afin de souligner les évolutions de notre dispositif pédagogique selon ces deux contextes. Parmi ces résultats, nous pointons, entre le contexte standard et le contexte de crise, une évolution des usages et des échanges (sophistication des usages, intensification des échanges off/informels...) et nous mettons en lumière le rôle que peuvent jouer, dans ces constats, le contexte englobant (crise sanitaire, confinement), le contexte temporel (avancement dans l’année, plus grande proximité des étudiants, meilleure maîtrise des plateformes) et le contexte de l’étude.
Sur le plan pratique, les pistes proposées dans cette contribution livrent des enseignements fertiles, projectifs et transférables pour l’enseignement et l’apprentissage. Elles éclairent la fécondité du recours aux plateformes numériques dans l’enseignement en général, et plus spécifiquement dans le cadre de dispositifs d’aide à la réussite universitaire confrontés à une situation de crise sanitaire aussi généralisée qu’inédite. En effet, nos résultats montrent que le recours aux plateformes numériques peut faire émerger, en contexte standard, des usages denses, complexes, polymorphes, synchrones situés, émancipés. Ils montrent par ailleurs qu’en contexte de confinement, le recours aux plateformes peut permettre de maintenir les activités et les échanges (deux éléments aussi cruciaux qu’éprouvés en contexte de confinement) et ainsi de garantir l’agilité, la résilience et la pérennisation d’un dispositif pédagogique confronté au passage des enseignements en tout distanciel. Enfin, nos résultats révèlent l’habileté et l’agilité contemporaines des enseignants et des étudiants, qui coopèrent pour donner vie à des collaborations pédagogiques novatrices complexes et à des actions convergentes, contingentes et adaptées aux transformations de notre société (numérisation, crise sanitaire).
Parties annexes
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