Résumés
Résumé
Cet article aborde la question de l’enseignement et de l’évaluation de la compétence de référencement en ciblant trois objectifs : déterminer les cibles d’apprentissage définies par les professeurs pour développer la compétence de référencement, dégager les pratiques de rétroaction mises en place par les enseignants, cerner les pratiques d’évaluation formelle de la compétence de référencement documentaire chez les étudiants. L’analyse des données collectées auprès de 20 enseignants universitaires par le biais d’entretiens semi-structurés montre que les enseignants ne considèrent pas nécessairement la compétence de référencement comme une cible, que la rétroaction porte surtout sur le travail final et que l’évaluation formelle est très tolérante. Finalement, cet article propose des pistes de réflexion pour dépasser la question de l’esthétisme du référencement pour en arriver à un réel développement de la compétence de référencement dans nos universités.
Mots-clés :
- Compétences de référencement documentaire,
- enseignement supérieur,
- plagiat,
- évaluation,
- rétroaction
Abstract
This article addresses the issue of teaching and evaluating referencing competencies by focusing on three objectives: identifying learning goals defined by professors to develop referencing competencies, identifying feedback practices implemented by teachers, and identifying formal evaluation practices for students’ referencing competencies. The analysis of data collected from 20 university teachers through semi-structured interviews shows that teachers do not necessarily consider referencing competencies as their teaching responsibility, that feedback is mainly focused on the final version of the assignments and that formal evaluation is very tolerant. Finally, this article proposes avenues for reflection to go beyond the question of the aesthetics of referencing to achieve proper development of referencing competencies for students in our universities.
Keywords:
- Referencing competencies,
- plagiarism,
- higher education,
- evaluation,
- feedback
Corps de l’article
Introduction
L’émergence de nouvelles technologies, en particulier le Web, a transformé le rapport aux textes imprimés (Bryant, 2017). Ceci a des répercussions sur les travaux d’étudiants universitaires qui puisent sur le Web les informations dont ils ont besoin pour rédiger leurs travaux (Boubée, 2011; Piette, Pons et Giroux, 2007), comme ceux qui les ont précédés l’ont fait à la bibliothèque. Présentement, l’intégration d’informations au moment de l’écriture par le biais de la citation et la paraphrase est difficile pour les étudiants (Jamieson, 2016) et conduit parfois à du plagiat, qu’il soit volontaire ou non (Peters, Vincent, Fontaine et Fiset-Vincent, 2018). Or, depuis longtemps, au niveau universitaire, les productions écrites des étudiants représentent un outil d’évaluation communément utilisé par les professeurs pour mesurer les connaissances acquises, et ce, dans diverses disciplines. Les enjeux sont donc importants pour les étudiants si ceux-ci ne veulent pas être sanctionnés pour un manque de connaissances et de compétences.
En effet, plusieurs auteurs ont indiqué que les étudiants ont des difficultés à choisir et à intégrer correctement l’information (Agosto, 2002), en plus de ne pas savoir comment référencer les sources utilisées. Il semble que la rédaction à l’ère du Web 2.0 réclame l’acquisition de nouvelles stratégies. Peters (2015), qui s’intéresse à la question depuis plusieurs années, mentionne que les étudiants doivent avoir recours à des stratégies dites « de créacollage numérique » (SCN) lorsqu’ils rédigent un travail universitaire. Ainsi, ces stratégies qui servent à traiter cognitivement l’information facilitent la tâche aux étudiants lorsque vient le temps 1) de bien choisir des informations, en lien avec leurs compétences informationnelles, 2) d’intégrer ces informations dans leur texte grâce à leurs compétences rédactionnelles et 3) de référencer correctement les sources d’où proviennent ces informations en mobilisant leurs compétences de référencement documentaire (Peters, 2015). Lorsque le créacollage est réussi, le texte des étudiants devrait être exempt de plagiat et s’appuyer sur des auteurs.
Toutefois, selon certains chercheurs, les étudiants ont de la difficulté à intégrer, à citer et à paraphraser les informations qu’ils trouvent dans les sources accessibles en ligne (Adam, Anderson et Spronken-Smith, 2017; Shi, 2012; Zimitat, 2008). Hutchings (2014) précise que les étudiants ne savent pas référencer correctement et vivent dans la peur de plagier. Pour bien référencer, les étudiants doivent, lors de la rédaction de leur texte, utiliser la citation et la paraphrase pour rapporter les propos d’auteurs et construire une bibliographie dans laquelle toutes les sources sont documentées (Couture, 2017). Duplessis et Ballarini-Santonocito (2007) soulignent que le référencement documentaire permet aux étudiants de démontrer les connaissances qu’ils ont acquises lors de la rédaction. Vardi (2012) confirme que les étudiants attestent de leur compréhension de leur champ d’études par le référencement documentaire de leurs travaux. Ainsi, il devient primordial de former les étudiants aux compétences de référencement documentaire, c’est-à-dire de leur apprendre à faire des renvois à leurs sources par le biais de la citation et de la paraphrase et de leur enseigner la façon de construire une liste de références. De plus, il ne faut pas se limiter aux normes bibliographiques, mais également à la construction de savoirs que favorise le référencement documentaire. En effet, par le référencement, l’étudiant approfondit ses savoirs de sa discipline et de la thématique traitée. Il apprend à confronter les sources et à structurer son point de vue. Par conséquent, les compétences des étudiants pour l’utilisation efficace des sources leur permettent de s’intégrer dans la communauté universitaire (Vardi, 2012). Or, qu’en est-il de l’enseignement et de l’accompagnement des étudiants dans leur développement des stratégies de créacollage numérique?
Dans ce contexte, les auteures de cet article se sont intéressées aux pratiques d’enseignement au premier cycle de professeurs universitaires pour favoriser le développement de la compétence de référencement, et ce, sous l’angle de l’évaluation des apprentissages. Plus spécifiquement, cet article cible trois objectifs : 1) Déterminer les cibles d’apprentissage définies par les professeurs pour développer la compétence de référencement documentaire chez des étudiants de premier cycle (citation, paraphrase et construction de bibliographie); 2) Dégager les pratiques de rétroaction mises en place par les enseignants pour favoriser le développement de cette compétence; 3) Cerner les pratiques d’évaluation formelle pour évaluer le développement de la compétence de référencement documentaire chez les étudiants de premier cycle.
Cadre conceptuel
Afin de cerner les pratiques des professeurs en lien avec la compétence de référencement et de répondre aux objectifs ciblés, le cadre conceptuel se structure autour de deux concepts : la compétence de référencement documentaire et l’évaluation.
La compétence de référencement documentaire : un exercice en deux temps
Le premier temps du référencement documentaire se déroule au moment de la mise en texte par l’étudiant. Cette mise en texte intègre des idées issues de textes recensés par l’étudiant, sur lesquelles il s’appuie pour créer un travail original. Dans ce cas, l’étudiant proposera des citations et rédigera quelques paraphrases pour solidifier son argumentaire et prouver l’ampleur de sa recherche documentaire.
Selon Wang (2016), la citation directe constitue une répétition exacte du texte que l’étudiant emprunte d’un autre auteur. Elle est facilement identifiée par des marques typographiques comme les guillemets. La différence entre du copier-coller qui est plagié et une citation directe se trouve dans la légitimité que donne l’étudiant à la citation en indiquant la source de son copier-coller (Petric, 2012).
Lorsqu’un étudiant a recours à la citation indirecte, communément nommée paraphrase, il reproduit l’idée approximative de l’auteur dans ses propres mots (Barrón-Cedeño, Vila, Martí et Rosso, 2013; Bhagat et Hovy, 2013). Contrairement à la citation qui reproduit exactement la pensée de l’auteur, la paraphrase devrait laisser transparaître la compréhension et l’interprétation de l’étudiant de l’idée de départ (Bazerman, 2004; Choy et Lee, 2012) en plus de son intention d’écriture (Shi, Fazel et Kowkabi, 2018). Une bonne paraphrase doit absolument citer sa source et ne doit pas être trop semblable à l’idée originale ni dans sa structure de phrase ni dans son vocabulaire (Roig, 2001). Shi (2004) explique qu’une « vraie » paraphrase (total paraphrase) ne contient jamais plus de deux ou trois mots consécutifs de la phrase originale.
Dans le deuxième temps du référencement documentaire, l’étudiant doit créer une liste de références complètes qui permet au lecteur de repérer et d’obtenir tous les documents originaux cités dans le texte (Couture, 2017). Cet exercice en deux temps permet à l’étudiant de démontrer la profondeur et l’ampleur de la recherche d’information de même que la compréhension et le jugement critique des idées dans sa discipline (Vardi, 2012).
L’évaluation : entre la clarification des objectifs, les pratiques de rétroaction et les pratiques d’évaluation formelle
Selon Legendre (2005), l’enseignement est l’ensemble des actes de communication et de prises de décision mis en oeuvre intentionnellement dans une situation pédagogique. L’ensemble de ces actes peut s’inscrire dans plusieurs modèles pédagogiques. Pour cet article, le modèle retenu est celui de Black (2016) qui permet d’intégrer à la fois la planification de l’enseignement et l’intervention en classe et qui intègre les différentes fonctions de l’évaluation des apprentissages. Son modèle comprend cinq étapes : clarifier les objectifs, planifier les activités, interagir, réviser les apprentissages et évaluer de façon formelle. Chacune de ces étapes peut être liée à l’acte d’évaluer. La figure 1 permet d’arrimer le modèle pédagogique de Black (2016) à la planification de l’évaluation des apprentissages.
Cette figure permet d’intégrer l’ensemble des concepts en lien avec les pratiques de rétroaction et les pratiques d’évaluation des enseignants. Comme cet article prend l’angle de l’évaluation des apprentissages et que la figure arrime à la fois l’évaluation et l’enseignement, la suite du texte reprend chacune des étapes de l’évaluation.
Déterminer la cible d’apprentissage
La première étape de planification consiste à déterminer la cible d’apprentissage, à la transformer en consigne et à la transmettre aux étudiants. On entend par cible d’apprentissage la réponse donnée à la question « Que voulons-nous que les étudiants apprennent? » (Dufour, DuFour, Eaker et Many, 2006). En général, cette cible est présentée aux étudiants en début de session lors de la présentation du plan de cours et lors de la présentation des attentes pour la réalisation des travaux écrits. La cible peut donc être un savoir, un savoir-être ou un savoir-faire. Selon Stiggins (2009), n’importe quel étudiant peut atteindre la cible du moment qu’il la connaît. Il est donc nécessaire de bien clarifier les attentes. Ensuite, afin que l’étudiant puisse progresser dans sa réflexion, l’enseignant met en place des activités d’apprentissage structurées selon différentes formules pédagogiques (Chamberland, Lavoie et Marquis, 1995).
Les pratiques de rétroaction
Lors des interactions en classe, l’enseignant prend le temps d’observer ses étudiants, de les questionner, de suivre leurs apprentissages par le biais d’activités écrites, de travaux d’équipe, etc. Ces pratiques d’observation font partie de la fonction de l’évaluation dite « formative » qui consiste à donner des rétroactions à l’étudiant. La rétroaction est une information fournie par un acteur (enseignant, étudiant, etc.) sur des éléments de rendement ou de performance pendant ou après une activité (Allal et Mottier Lopez, 2007). Elle s’imbrique de manière plus ou moins formelle (Diedhiou, 2013), voire complètement informelle (Jorro et Mercier-Brunel, 2011) aux activités d’apprentissage quotidiennes (Morrissette et Legendre, 2011). Hattie et Timperly (2007) établissent quatre niveaux de rétroaction : les informations relatives à la tâche, les processus utilisés par l’élève durant une tâche, l’autorégulation et l’autoévaluation, et la personne en elle-même (exemple : bravo, continue, t’es brillant, etc.). La rétroaction serait efficace si elle mène à une régulation des apprentissages dont les objets d’apprentissage gagnent à être ciblés avec plus de précision.
Les pratiques d’évaluation formelle
Les pratiques d’évaluation formelle visent la certification des apprentissages à la fin d’une action d’enseignement. Il s’agit de la fonction de l’évaluation dite « certificative » (De Ketele, 2010). Les travaux demandés en lien avec cette fonction sont notés et intégrés à la note finale du cours à la fin de la session universitaire. À l’université, des pratiques telles que la passation d’un examen final, la remise d’un travail long à l’écrit ou la présentation en classe sur un sujet précis permettent à l’enseignant d’évaluer de façon formelle l’étudiant.
Méthodologie
Les résultats présentés dans cet article sont issus d’un projet plus large autour des stratégies de créacollage numérique (CRSH, 2016-2019) qui comprend plusieurs étapes à la recherche et qui s’inscrit dans une approche de recherche par méthodes mixtes (Creswell et Plano Clark, 2007). Les résultats présentés dans cet article proviennent de données qualitatives issues d’entretiens semi-structurés. La démarche est ainsi interprétative dans le sens que cette recherche s’intéresse « aux dynamiques selon lesquelles le monde social est expérimenté, vécu, produit, compris, interprété » (Anadon et Savoie-Zajc, 2009, p. 1). Pour saisir ces dynamiques, l’entretien semi-structuré s’inscrit dans une perspective constructiviste puisque, selon Magnusson et Marecek (2015) :
L’intervieweur considère la relation avec le participant comme un partenariat pour la production de connaissances. Cela signifie que l’intervieweur ne considère pas le participant comme un contenant d’informations à partir duquel extraire les bonnes informations. L’intervieweur et le participant sont plutôt engagés dans l’exploration des expériences et des réflexions des participants.
p. 69
Les entretiens semi-structurés comprenaient 23 questions organisées autour de six sections : données sociodémographiques, cours et travaux demandés, compétences informationnelles, compétences rédactionnelles, compétences de référencement documentaire et connaissances sur le plagiat. Le protocole de l’entretien a été créé à partir de la recension des écrits réalisée autour des différentes sections et qui rejoignent le modèle de Peters (2015) sur les stratégies de créacollage numérique. Plusieurs questions ont été élaborées et le protocole a ensuite été validé par la confirmation d’experts à savoir, sept chercheurs du projet spécialisés dans la question des stratégies de créacollage numérique et quatre professionnels de la bibliothèque. Les données analysées pour répondre aux objectifs de cet article viennent des réponses aux questions en lien avec la partie sur les cours et les travaux demandés ainsi que sur la partie des compétences de référencement.
Les participants
Les participants sont des chargés de cours et des professeurs universitaires[1] de six établissements universitaires québécois. Ce projet respecte les règles de déontologie en recherche et a obtenu l’ensemble des certifications éthiques des établissements impliqués. Ainsi, l’ensemble des chercheurs ont signé une déclaration d’honneur afin de respecter le caractère anonyme des propos des participants. L’ensemble des enseignants universitaires ont été invités à participer aux entrevues par le biais de courriels. En tout, 50 enseignants ont accepté de participer à l’entrevue semi-structurée. Nous avons retenu 20 enseignants pour l’analyse de cet article qui proviennent de deux grandes disciplines : les sciences sociales et les sciences économiques et administratives. Les enseignants issus des sciences de l’éducation et ceux issus des domaines connexes à la psychologie sont volontairement écartés du corpus de données, l’hypothèse étant qu’en sciences de l’éducation, la question de l’enseignement est objet de recherche. Le domaine de la psychologie est à la base des normes de l’APA qui permettent d’avoir un guide exhaustif sur le référencement documentaire. Il est donc probable que les enseignants issus de la psychologie focalisent déjà sur la compétence de référencement. Notons cependant qu’il ne s’agit que d’une hypothèse et que d’autres analyses seront nécessaires pour la confirmer. Le tableau 1 présente les enseignants et leur discipline d’attache.
Analyse de contenu
L’analyse qualitative de contenu se réalise selon les phases proposées par L’Écuyer (1990); elle est de type inductif délibéré. Elle est inductive, puisque certaines catégories émergentes sont induites par les données collectées; elle est aussi délibérée, car le cadre conceptuel propose déjà une certaine catégorisation préconstruite des données en définissant les différents concepts. Il s’agit d’un codage mixte (Van der Maren, 1995).
L’analyse s’est déroulée en trois étapes : le codage, l’analyse d’un cas, l’analyse transversale. Les enregistrements ont été retranscrits à l’aide d’un traitement de texte. Ensuite, les transcriptions ont été codées à l’aide du logiciel NVivo. Il s’agit de la première étape d’analyse qui vise à découper les propos des professeurs en séquences et à coder ces séquences selon les catégories préétablies. Dans le cas de cette recherche, les catégories sont celles qui sont établies dans le cadre conceptuel, à savoir la compétence de référencement, les travaux demandés, la consigne et l’évaluation des apprentissages.
Chacune de ces séquences est, dans un deuxième élan, codifiée à nouveau en sous-catégories comme, par exemple, la citation, la paraphrase, les pratiques de rétroaction... Dans ce propos de l’enseignant : « Je relis toutes les bibliographies produites par les étudiants pour vérifier la moindre virgule et le moindre guillemet. J’y tiens et ça fait partie de la note. Et ils le savent que ça fait partie des critères d’évaluation » (P20), il est possible de codifier l’extrait par la catégorie « évaluation des apprentissages » et de codifier certains passages par « évaluation pour certifier ». En tout, 61 sous-catégories ont émergé de la deuxième analyse.
Chaque enseignant est devenu un « cas » d’analyse. Un tableau par cas a été créé dans lequel les propos de l’enseignant ont été retranscrits (tableau 2). En raison de contraintes d’espace, il ne sera pas possible de présenter les 20 cas dans cet article. Cependant, nous en soumettons un en particulier qui est représentatif des différents types d’enseignants du corpus retenu pour concrétiser notre démarche. Cet enseignant demande un travail de référencement succinct. Il propose déjà des sources au préalable. Il aborde la question de la citation, des références et de l’importance de bien connaître les outils. Cependant, la responsabilité de la formation est remise aux professionnels de la bibliothèque. Finalement, cet enseignant sanctionne légèrement la question de la citation.
Cet enseignant a un intérêt pour la compétence de référencement, cependant son contenu disciplinaire ne lui permet pas de perdre trop de temps sur cette compétence avant tout transversale.
Finalement, il a été possible de faire une analyse transversale pour répondre aux objectifs de cet article. Pour ce faire, les propos des enseignants ont été regroupés en trois catégories : les cibles d’apprentissage pour la compétence de référencement, les pratiques de rétroaction mises en place et les pratiques d’évaluation formelle. De la même façon que pour l’analyse de cas, les propos ont été codifiés pour déterminer les récurrences et les différences entre les enseignants. L’analyse de chacune des trois catégories a donné lieu à une nouvelle catégorisation. Par exemple, pour la catégorie concernant les cibles d’apprentissage, il a été possible de catégoriser les propos des enseignants en trois sous-catégories : pas de cible d’apprentissage, survol des cibles d’apprentissage en début de cours, enseignement explicite. La partie des résultats présente chacun de ces tableaux et développe plus en profondeur leur contenu.
Résultats
La compétence de référencement comme cible d’apprentissage : le rôle du cours de méthodologie
L’analyse des cas met en évidence le fait que les cibles d’apprentissage définies par les professeurs pour développer la compétence de référencement chez les étudiants ne sont pas toujours présentes ou précisées aux étudiants (objectif 1). Il est possible de partager les enseignants selon trois catégories précisées au tableau 3.
À la lumière des éléments du tableau 3, il est possible de constater que huit enseignants considèrent que la compétence de référencement n’est pas une cible d’apprentissage dans leur cours, l’idée étant que c’est une compétence acquise avant l’université ou dans le cours de méthodologie de la recherche. Deux enseignants considèrent également qu’il s’agit d’une compétence secondaire. La deuxième catégorie intègre cinq enseignants qui reconnaissent l’importance du développement de la compétence de référencement, mais qui n’en font pas une cible d’enseignement. La plupart du temps, les éléments en lien avec cette compétence sont abordés par le biais de la présentation du plan de cours. L’intervention de ces enseignants consiste à référer aux professionnels de la bibliothèque et/ou à référer à un guide de présentation des travaux écrits. La troisième catégorie intègre sept enseignants qui mentionnent faire de l’enseignement explicite, que ce soit sur la citation, sur la paraphrase ou sur le référencement des sources. Par exemple, l’enseignant P20 propose un gabarit en format WORD dès le départ à ses étudiants. Il prend le temps d’expliquer chacune des parties et lorsqu’il présente celle du référencement, il en profite pour faire une démonstration de l’utilisation du cellulaire pour référencer les sources. Cet enseignant prend également le temps de présenter un paragraphe de texte qui contient des extraits plagiés. Il leur montre comment il est facile pour un professeur de trouver la source en utilisant un moteur de recherche. Cet exercice lui permet aussi d’enseigner la citation et la paraphrase.
La rétroaction : une question de correction du travail final
La suite de l’analyse a permis de dégager les pratiques de rétroaction mises en place par les enseignants pour favoriser le développement de cette compétence (objectif 2). Il est à nouveau possible de distribuer les cas en trois catégories.
Le tableau 4 permet de constater que quatre enseignants ne font aucune rétroaction, un enseignant en raison de manque de temps et les trois autres simplement parce que la compétence de référencement n’était pas une cible d’apprentissage au début. Treize enseignants proposent des rétroactions à leurs étudiants, mais en général en fin d’apprentissage, que ce soit lors des présentations en classe ou encore lors de la correction des travaux terminés. Dans les deux cas, les étudiants n’ont pas la possibilité de reprendre leurs travaux et d’intégrer les rétroactions dans le but de réguler leurs apprentissages. Finalement, trois enseignants proposent des rétroactions sur des travaux qui seront soit réalisés durant le cours, soit remis à plusieurs reprises.
Évaluer la compétence de référencement : sanctionner ou pas?
Le dernier élan d’analyse visait à cerner les pratiques d’évaluation formelle pour évaluer le développement de la compétence de référencement chez les étudiants. Le tableau 5 intègre les éléments pour chacune des trois catégories émergentes.
Les quatre enseignants de la première catégorie ne faisaient pas un enseignement explicite, par conséquent, même si P07, P17 et P41 prennent le temps de rétroagir sur les travaux finaux des étudiants, ils n’allouent pas de points dans l’évaluation finale. Ils reconnaissent que seuls les éléments enseignés devraient faire partie d’une évaluation plus formelle. La deuxième catégorie intègre sept enseignants qui sont très tolérants par rapport à la compétence de référencement. Ils acceptent que les sources soient mal citées, la paraphrase mal faite, etc. Il est intéressant de constater que P21 et P48 prennent le temps d’enseigner la citation et la paraphrase, mais que lorsqu’il est temps de l’évaluer, ils deviennent très tolérants. Par ailleurs, les autres enseignants de cette catégorie abordent la compétence de référencement uniquement durant le plan de cours et dirigent les étudiants vers les professionnels de la bibliothèque. Ce constat peut expliquer en partie pourquoi ils tolèrent certaines erreurs. Finalement, la dernière catégorie intègre sept enseignants qui sanctionnent sévèrement les erreurs de citation, de paraphrase et de la liste de références. Ce qui est surprenant dans ce tableau est le fait que P16 n’abordait pas du tout la question de la compétence de référencement comme une cible d’apprentissage, mais qu’à la fin du cours, il la sanctionne. Il en est de même pour P22 et P37 qui sanctionnent sévèrement, mais qui abordent la question de cette compétence uniquement lors de la présentation du plan de cours et, de plus, pour P22, qui réfère aux professionnels de la bibliothèque. Il y a donc un manque de cohérence entre la cible d’apprentissage, les rétroactions et l’évaluation finale.
Discussion
En guise d’ouverture à la discussion, nous vous proposons de prendre l’image de l’iceberg pour représenter l’écart entre la cible d’apprentissage souhaitée pour le développement de la compétence de référencement et la cible d’apprentissage ciblée par les enseignants. La figure 2 illustre l’écart entre les cibles souhaitées et réelles.
Cette figure reprend les deux concepts centraux de cet article. À gauche, la compétence de référencement qui est la cible d’apprentissage visée, à droite, l’évaluation des apprentissages qui permet d’atteindre cette cible. La surface de l’iceberg représente les cibles d’apprentissage déclarées par les enseignants et les modalités d’évaluation des apprentissages. La partie immergée de l’iceberg comprend les autres éléments importants des deux concepts, mais qui ne font pas partie des cibles d’apprentissage et des stratégies d’évaluation des enseignants. Trois constats se dégagent de cette figure : 1) Cibler la compétence de référencement comme un apprentissage : des attentes en surface; 2) Rétroagir autour de la compétence de référencement : comment gagner en profondeur? et 3) Évaluer formellement la compétence de référencement sans dériver.
Cibler la compétence de référencement comme un apprentissage : des attentes en surface
Les résultats mettent en évidence le fait que la compétence de référencement n’est pas une cible en soi pour la plupart des enseignants. Cela a comme effet de laisser les étudiants dans l’inconnu par rapport aux critères à respecter, mais, aussi, de perturber le processus d’évaluation des apprentissages. Sans attentes claires, il est difficile pour un enseignant de s’assurer d’un alignement cohérent entre la cible à atteindre, les activités à mettre en place, les rétroactions à apporter et l’évaluation formelle à instaurer. Les attentes restent donc en surface et peu explicites.
Ce constat nous pousse également à nous interroger sur le sens donné à la compétence de référencement par les enseignants : est-ce uniquement une question d’esthétique? Suffit-il de mettre des guillemets autour d’une citation et d’indiquer sa source dans la liste de références pour être compétent? La compétence de référencement consiste à être en mesure d’intégrer des idées de textes recensés au moyen de citations et de paraphrases pour appuyer sa réflexion. Être en mesure d’intégrer une citation ou une paraphrase, c’est faire la preuve d’une compréhension en profondeur des idées des autres auteurs et de la capacité de les faire siennes. L’idée est de démontrer la profondeur et l’ampleur de la recherche d’information, la compréhension et le jugement critique des idées dans sa discipline (Vardi, 2012). Il ne s’agit donc pas uniquement de dire aux étudiants de mettre des guillemets autour d’une citation ou de suivre un guide de présentation. L’intention est bien de les amener à repérer des sources crédibles pour appuyer leurs propos, de leur apprendre à discerner les idées d’un auteur et à poser un jugement critique sur celles-ci, de leur montrer comment, pourquoi et quand dégager une citation d’un texte pour appuyer leurs idées et de leur expliquer comment, pourquoi et quand paraphraser les idées d’un auteur. Finalement, la question des normes de présentation peut être abordée pour s’assurer de bien rendre à l’auteur ce qui lui appartient et de le faire selon les attentes de la discipline dans laquelle s’inscrit l’étudiant.
Rétroagir autour de la compétence de référencement : comment gagner en profondeur?
Hattie et Timperly (2007) soutiennent que les rétroactions doivent être qualitatives et porter sur les attributs du travail, à savoir les objets d’apprentissage ciblés au préalable. La cible d’apprentissage étant le respect des normes de rédaction, les rétroactions des enseignants portent surtout sur les guillemets et sur la liste de références. Par ailleurs, elles sont faites une fois le travail remis et la note attribuée. Cette pratique ne vise pas à s’assurer d’une régulation des apprentissages chez les étudiants et, par conséquent, n’assure pas une amélioration visible de la compétence de référencement. Les enseignants rétroagissent surtout sur la tâche à réaliser. Il s’agit du premier niveau de rétroaction (Hattie et Timperly, 2007). Si le but est d’améliorer le développement de la compétence de référencement, il faudrait s’assurer de rétroagir sur deux autres niveaux, à savoir sur le processus utilisé par l’étudiant et sur l’autorégulation et l’autoévaluation. À la lumière des résultats, les enseignants ne semblent pas posséder les outils nécessaires pour rétroagir sur ces deux dimensions. Par ailleurs, le choix des travaux demandés et du processus de création de ces travaux n’amène pas un échange itératif avec l’étudiant.
Évaluer formellement la compétence de référencement sans dériver
Plusieurs enseignants de notre corpus sanctionnent sans avoir enseigné au préalable la compétence de référencement. D’autres sont très tolérants bien qu’ils en aient enseigné certains aspects. Comment s’assurer que l’évaluation formelle, celle qui certifie, soit bien alignée sur l’enseignement? Et surtout, comment évaluer de façon formelle la compétence de référencement? L’évaluation formelle est celle qui certifie l’atteinte de la compétence au terme d’un cours (Scallon, 2004). Dans une approche par compétence, ce qui est le cas dans cet article, elle doit s’arrimer avec l’ensemble des cibles d’apprentissage et des rétroactions données durant le cours (Tardif, 2014). Il y a là un réel défi qui ne peut être relevé que si la cible d’apprentissage est bien définie au départ de l’apprentissage, sans quoi le jugement posé sur la compétence dérive vers autre chose. Cela nous amène à proposer quelques pistes de réflexion.
Quelques pistes de réflexion pour repenser le développement de la compétence de référencement dans nos programmes
Ces constats soulèvent la complexité de la tâche pour un enseignant universitaire. Les entrevues ont mis en évidence le caractère individuel et solitaire de l’enseignement de cette compétence. Chaque enseignant amorçait sa réflexion en solitaire et y allait avec son propre exemple. Certains enseignants plaçaient cette compétence au centre de leur préoccupation, d’autres décidaient de ne pas l’aborder, car un autre cours le faisait déjà. Dans les deux cas, la décision est individuelle. Plusieurs enseignants ont mentionné leur collaboration avec les professionnels de la bibliothèque. À l’heure actuelle, cette collaboration est souvent ponctuelle lors de la présentation du plan de cours. Or, la complexité de cette compétence demande une vision et une réflexion collectives dans l’idée d’une approche programme et même institutionnelle (Bélanger, Boisvert, Lemieux et Séguin, 2017). Une collaboration plus importante avec l’équipe d’enseignants d’un même programme permettrait d’arrimer les définitions de chacun par rapport à la compétence de référencement (Nicholson, 2006), de mettre sur pied une structure de développement de la compétence avec des attentes ciblées pour chaque année d’études (Bélanger et al., 2017; Bessero, Donzé, Muster, Scariati et Vallée, 2018), de développer des ateliers de régulation pour les étudiants plus en difficulté, d’ajuster les rétroactions qui porteraient sur les travaux durant le cours et de proposer un accompagnement plus serré lors de la recherche d’informations (Gullbekk, Bøyum et Byström, 2015). Le but ultime est de ne pas donner la responsabilité à une personne en particulier, mais bien de se la partager puisque la compétence de référencement est, avant tout, une compétence transversale incontournable dans l’écriture et la formation des étudiants universitaires.
Il importe également de revoir la séquence d’un travail écrit universitaire, l’idée étant que la rédaction du travail se fasse accompagner par l’enseignant avec des retours en classe tout au long du processus d’écriture, à savoir sur plusieurs cours durant la session[2]. Les séquences de partage et d’échange en classe peuvent être très courtes, à raison d’un maximum de 20 minutes. Aussi, en s’appuyant sur le fait que le développement de la compétence serait pensé en équipe programme, les rétroactions pourraient porter sur l’un ou l’autre des aspects de la compétence. En d’autres termes, dans une même session, l’étudiant qui suit cinq cours verrait dans chacun de ses cours un ou l’autre des aspects (utilisation de la citation, utilisation de la paraphrase, logiciels de référencement, réflexion sur la profondeur de la recherche, etc.). Au final, l’étudiant aura développé l’ensemble de la compétence, sans compter qu’il peut réinvestir ses apprentissages d’un cours à l’autre.
Parfois, l’enseignant fait face à des groupes d’étudiants importants (+ de 80 étudiants). Dans ce cas, il sera peut-être préférable d’opter pour des travaux d’équipe. En ce qui concerne les rétroactions, elles pourraient également être partagées avec le professionnel de la bibliothèque. D’autres outils pourraient être mis en place, comme la création de courtes vidéos explicatives, des tutoriels pour les logiciels de référencement, un wiki de partage de références pour le groupe ou des ateliers de remédiation lorsque l’enseignant le juge nécessaire. Par exemple, sur une formation de 15 cours, on pourrait proposer ces ateliers après les cours 3, 5 et 7. Le but ultime est de s’assurer que l’étudiant obtienne l’information nécessaire pour améliorer sa compétence de référencement et que l’enseignant reçoive des travaux qui respectent les normes entourant l’écriture universitaire.
Conclusion
Cet article a présenté les résultats issus d’entretiens semi-dirigés auprès de 20 enseignants universitaires. Il a été possible de dégager trois constats : la cible d’apprentissage de la compétence de référencement est avant tout axée sur la présentation esthétique des citations et des références; la rétroaction se fait surtout à la fin de l’apprentissage sur un travail terminé; l’évaluation formelle de la compétence de référencement est parfois tolérante, parfois sanctionnante. Aborder la compétence de référencement par le biais de l’évaluation des apprentissages a permis de mettre en lumière des pistes de réflexion, comme l’importance d’une collaboration entre enseignants et professionnels de la bibliothèque pour réfléchir au développement de la compétence de référencement et son évaluation; et le développement de formations pour les enseignants par rapport à la compétence de référencement et aux concepts de rétroactions et d’évaluation. Plusieurs pistes en découlent, dont la plus marquante est celle d’amorcer une collaboration étroite en équipe programme avec les professionnels de la bibliothèque pour mettre en oeuvre des stratégies de développement de la compétence de référencement.
Au terme de cet article, les auteures ont pu elles-mêmes revoir leurs propres pratiques de rétroaction et d’évaluation par rapport à la compétence de référencement. Les résultats présentés dans cet article nous concernent tous et soulèvent des questions sur la qualité de l’écriture universitaire et sur le respect des droits d’auteur. Il y a lieu de poursuivre la réflexion dans d’autres projets et de développer des partenariats pour mettre en oeuvre de nouvelles stratégies.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Pour alléger la lecture, le vocable d’enseignant sera utilisé dans la suite du texte pour désigner à la fois les chargés de cours et les professeurs.
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[2]
Au Québec, l’année universitaire est divisée en trois sessions (été, automne et hiver). Chacune de ces sessions compte 15 semaines. Dans le cadre d’un programme conduisant à un diplôme (diplôme en enseignement, diplôme d’infirmière, diplôme d’ingénierie, etc.), l’étudiant suivra en général cinq cours de 45 heures par session. Un cours de trois crédits compte 15 périodes de trois heures réparties dans la session.
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