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Cet ouvrage collectif, dirigé par F. Bernard Malo, J. D.Thwaites et Y. Hallée, se veut une critique des conceptions normatives et prescriptives de la gestion des ressources humaines (GRH). Le point de départ est qu’au sein de toute organisation, on retrouve toujours un ordre social qui est sujet à négociation et qu’il incombe à la GRH comme fonction de contribuer à cette négociation (Léonard, 2015). Dès les premières lignes, le lecteur est plongé dans un questionnement sur l’avenir de la fonction ressources humaines (RH), fonction décrite comme étant « altérée ». En exposant les raisons de cette altération dans l’avant-propos, l’objectif est d’apporter des pistes de solutions afin que la fonction réponde à sa préoccupation initiale qui est la justice sociale tout en adoptant une approche plurielle et critique de la GRH. Pour ce faire, l’ouvrage remet en question des « présupposés » du domaine de la GRH, tels que la primauté de l’économie sur le social et des actionnaires et des clients sur les travailleurs, tout en mettant de l’avant la pertinence humaine et sociale que devrait avoir la GRH comme fonction. Il prône une GRH « humaniste » dont l’objectif principal est « le respect de la nature profonde de l’homme et de ses divers besoins » (p. 2) et au sein de laquelle le rôle principal des professionnels RH est d’être au service de ces besoins humains, en continuelle mouvance, et non pas de ceux de l’entreprise, de ses clients et de ses actionnaires.

Sur la base de ces constats, F. Bernard Malo, J. D.Thwaites et Y. Hallée invitent chercheurs et praticiens à contester l’idéologie et la pratique dominantes de la GRH et les outillent, à cet effet, avec un livre couvrant une multitude de thèmes allant de l’évolution historique de la GRH jusqu’à ses nouvelles tendances. La diversité des thèmes proposés dans cet ouvrage permet une compréhension des différentes facettes de la GRH et la qualité des chapitres favorise une compréhension en profondeur des concepts abordés.

L’ouvrage est composé de trois grandes parties qui vont du plus général au plus particulier.

La première partie se penche sur des notions fondamentales se déclinant en sept chapitres. Dans les deux premiers chapitres, Y. Hallée et S. Luc (chapitre 1) ainsi que F. B. Malo et P-S Fournier (chapitre 2) rappellent l’évolution du champ de la GRH en Amérique du Nord. Ils soulignent également la particularité de la GRH en contexte québécois et plus spécifiquement son enseignement en tant que sous-champ des relations industrielles dans les universités québécoises. Les chapitres suivants (3, 4, 5 et 6) se penchent sur des thématiques ayant eu un grand succès en gestion depuis les années 1980 : J. D. Thwaites aborde la stratégie et la gestion stratégique (chapitre 3), S. Luc s’intéresse au leadership (chapitre 4), M. Racine évoque la culture organisationnelle (chapitre 5) et C. Gagnon et É. Gosselin font le point sur l’état des connaissances en matière d’engagement organisationnel (chapitre 6). Ces thématiques, contribuant à la compréhension de l’organisation et de son fonctionnement, ont grandement influencé la réflexion théorique et pratique sur la GRH. Les chapitres qui en traitent proposent néanmoins des pistes intéressantes pour une gestion « humaniste » des ressources humaines. M-N Berthon (chapitre 7) revient sur la notion de « management » et ses origines. Elle explique les particularités du management français tout en rappelant la vision mécaniste sur laquelle il a été fondé.

La deuxième partie de l’ouvrage analyse cinq pratiques RH et apporte des exemples concrets d’une approche « humaniste » de la GRH. R. Michaud (chapitre 8) étudie la sélection du personnel et met de l’avant l’importance de l’appariement personne-organisation pour garantir un bon rendement, des attitudes positives et de la loyauté de la part des travailleurs et, par conséquent, une gestion « humaniste » de la sélection. C. Glée-Vermande (chapitre 9) revient sur l’origine du concept de la carrière. Elle souligne l’importance de la compétence comme principale composante de l’employabilité qui définit les nouveaux parcours atypiques de carrière des travailleurs. Ainsi, une gestion « humaniste » de carrière devrait être faite dans une perspective de collaboration et d’innovation permettant à chaque individu de se construire professionnellement selon son propre rythme. Y. Hallée (chapitre 10) s’intéresse à la pratique de rémunération. Une gestion « humaniste » de la rémunération doit être au service des performances à la fois économique et sociale d’une organisation. C’est la recherche d’équilibre entre l’économique et le social qui dicte les décisions à prendre en matière de rémunération. M. Gagnon et C. Le Capitaine (chapitre 11) présentent une étude de cas portant sur les relations de travail et plus spécifiquement sur la négociation d’une entente collective en contexte non syndiqué. Avec une stratégie d’évitement syndical de la part de leur employeur, des enseignants ont réussi à former un regroupement et à négocier une entente reposant sur la confiance mutuelle. Il s’agit d’un exemple d’une gestion humaine de relations de travail fondée sur un volontarisme mutuel de la part de l’employeur et des employés. M. Bellemare, D. Prudhomme et F. Lamonde (chapitre 12) rappellent la principale composante des organisations à savoir « le travail ». Dans un contexte de changement, le travail mérite une plus grande attention de la part des différents acteurs qui, à travers leurs prises de décision, transforment le travail sans toujours être conscients des effets néfastes engendrés sur les travailleurs (p. ex., maladies professionnelles, santé physique et mentale des travailleurs). Ainsi, l’ergonomie a été mise de l’avant pour proposer une conception intéressante du travail dans la mesure où elle permet d’élaborer des espaces de travail capacitants.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage va au-delà des pratiques RH « classiques » pour introduire des nouvelles tendances et nouveaux enjeux découlant des changements culturels, démographiques, technologiques et sociétaux. J. Simard, M-A. Morency, J. Douesnard et L. Larouche (chapitre 13) se penchent sur les impacts négatifs de la mondialisation économique (concurrence, régime monétaire et rapport salarial) sur les organisations et les travailleurs (ex., culture organisationnelle basée sur la maximisation de la production, travail précaire et souffrances psychologiques). L’État-nation et le droit sont mis de l’avant comme principaux acteurs en mesure de résoudre ces nouvelles problématiques. T. Saba (chapitre 15), quant à elle, analyse la mondialisation des organisations et le rôle stratégique de la GRH dans l’implantation des stratégies de développement des entreprises multinationales. Bien que la GRH soit un vecteur important du développement des opérations internationales à l’intérieur des organisations, elle demeure peu comprise. Ainsi, le rôle de la fonction RH au sein des entreprises multinationales doit être revisité à partir des recherches récentes qui proposent des pistes prometteuses et utiles à la conception de cadres stratégiques à la GRH. F. B. Malo (chapitre 14) se penche sur la pratique de dotation dans le cadre de gestion de la diversité dans le contexte québécois. Plus précisément, il analyse la dotation du personnel trans et force est de constater que les protections légales sont en train d’évoluer et permettent une meilleure reconnaissance des droits de ces travailleurs. P. Villeneuve-Alain et Y. Hallée (chapitre 16), dans le cadre d’un exercice ambitieux, proposent un état des connaissances sur la GRH québécoise (GRH – territoriale). Après avoir exposé les caractéristiques de cette GRH (proximité géographique, institutionnelle et organisationnelle; réseau d’entreprise et implication d’acteurs à différents niveaux), les auteurs soulignent l’apport de cette GRH dans la réponse aux besoins humains qui sont différents d’un territoire à un autre. M. Bettache (chapitre 17) rappelle que les organisations n’opèrent pas en vase clos : elles comptent plusieurs parties prenantes avec des attentes et intérêts différents. Ainsi, une GRH plus « humaine » doit s’inscrire dans une logique sociétale se focalisant, entre autres, sur l’équité et la solidarité. Dans le même ordre d’idées, L. Langlois, S. Mercier et J. Centeno (chapitre 18) se penchent sur une autre dimension de la GRH « humaine », soit celle de l’éthique. Afin de refléter les préoccupations sociales et politiques de notre société, la GRH doit intégrer des analyses critiques dans toutes ses pratiques et contribuer à l’institutionnalisation et à la légitimation de l’éthique en organisation. De son côté, B. Dubrion (chapitre 19) explore le lien entre la GRH et l’économie en rappelant que les règles qui régissent les relations d’emploi (pratiques RH) sont fondamentalement déterminées par une logique économique (efficience). D’ailleurs, il conteste cette efficience économique et la réduction de l’humain à une ressource tout en proposant la mobilisation du cadre théorique institutionnaliste de Commons (1934) pour lier l’économie à la GRH. Finalement, E. Léonard et L. Taslon (chapitre 20) proposent une critique de la GRH stratégique. L’engouement pour le rôle de partenaire stratégique expose les professionnels RH à des pièges, tels que l’instrumentalisation de la fonction RH et l’adoption d’une vision universaliste basée sur la performance. Ainsi, cette GRH est loin de la poursuite de son objectif initial.

Dans un contexte caractérisé par des changements rapides et profonds, cet ouvrage, tout à fait pertinent et facile à lire, s’adresse aux professionnels RH débutants comme aux plus expérimentés. Il permet de revenir sur l’essentiel de la fonction RH. Il propose des chapitres avec des sujets variés et complémentaires.

Tel que précisé dans son introduction générale, cet ouvrage souhaite « contribuer à l’émergence d’une nouvelle GRH » (p.4). Est-ce que l’ouvrage atteint vraiment son objectif ? Après sa lecture, je dirais que cet objectif est atteint en partie.

La première partie du livre est intéressante dans la mesure où elle établit un cadre historique et géographique de la GRH permettant de pousser cette réflexion sur une « nouvelle GRH ». En revanche, certains des chapitres (leadership, engagement organisationnel, changement stratégique) auraient pu laisser la place à des thèmes tels que le management critique (histoire, évolution, approches et perspectives) qui gagnent en popularité (Alvesson & Deetz, 1999; Alvesson & Willmott, 2011).

Quant à la deuxième partie du livre, elle s’intéresse aux pratiques RH tout en adoptant une posture moins critique que celle exposée dans l’introduction générale. Ses différents chapitres se basent sur une perspective socioéconomique de la GRH garantissant toujours l’atteinte des objectifs organisationnels tout en y intégrant l’humain.

La troisième partie couvre des sujets d’actualité, notamment la GRH en contexte de diversité et la GRH éthique et socialement responsable. Hélas, elle ne fait pas mention des recherches portant sur de nouveaux concepts tels que le « triple-bottom line » (Colbert & Kurucz, 2007) et la GRH du bien commun (common good HRM) (Aust, Matthews et Muller-Camen, 2020).

Finalement, l’excellente conclusion générale, après être revenue sur les composantes d’une GRH « humaniste », telle que la conçoivent les auteurs, reconnait les limites de l’ouvrage et propose des pistes pour chercheurs, enseignants et praticiens.

En somme, cet ouvrage, loin de laisser son lecteur indifférent, réussira à stimuler sa pensée critique et à susciter en lui la volonté de contribuer à une GRH plus « humaniste » !