Corps de l’article

1. Introduction

L’expérience de télétravail à temps complet vécue pendant la crise pandémique s’est révélée positive pour plusieurs. Mehdi et Morissette (2021) soutiennent que 39 % des nouveaux télétravailleurs préféreraient travailler la plupart (24 %) ou la totalité (15 %) des heures de travail à domicile une fois la pandémie terminée. Le télétravail s’est avéré positif quant à l’efficacité du travail, à l’autonomie et à l’équilibre travail/vie personnelle (Ipsen et al., 2021). Parallèlement, certains souhaitent bénéficier des avantages de la présence sur les lieux du travail (Appel-Meulenbroek et al., 2022), comme les communications informelles, le partage de connaissances ou la collaboration. Les associations socioéconomiques et patronales se sont aussi montrées plus frileuses à l’égard du maintien du télétravail complet, évoquant entre autres le fait que la vitalité des centres-villes soit indissociable de la présence des travailleurs (Chambre de commerce du Montréal métropolitain, 2022) ou la crainte de l’affaiblissement de la cohésion culturelle (Salamin et al., 2023). L’après-pandémie pave ainsi la voie à la généralisation du travail hybride, un mode de travail alliant travail à domicile et travail dans les locaux de l’employeur, utilisant les technologies de l’information et des communications (TIC) pour connecter les deux lieux (Halford, 2005).

La fonction publique québécoise s’est engagée dans cette voie en déployant sa Politique-cadre en matière de télétravail (Secrétariat du Conseil du trésor, 2021), élaborée à la suite d’un projet pilote impliquant 1000 employés en 2018, dont les modalités stipulent que le télétravail s’exerce pour une période maximale de trois jours, une présence de deux jours par semaine étant favorisée dans les locaux de l’employeur. Cette politique a été déployée en février 2020, dans le cadre d’un retour progressif sur les lieux de travail permis par les autorités sanitaires. Avant 2018, le télétravail était marginal, voire absent, dans la fonction publique québécoise.

Les avantages et les limites du télétravail dans la fonction publique ont été largement étudiés avant (e.g., Caillier, 2013 ; De Vries et al., 2019 ; Taskin et Edwards, 2007) et pendant la pandémie (e.g., Boulet et Parent-Lamarche, 2022 ; Dandalt, 2021 ; Doberstein et Charbonneau, 2022). Depuis, de plus en plus d’études se penchent sur les enjeux et sur les conséquences du travail hybride dans la fonction publique dans un contexte postpandémique (Champagne et al., 2023 ; Perego et Belardinelli, 2024). Elles demeurent toutefois discrètes quant à la réponse du personnel au travail hybride. Prenant assise sur la théorie du signal et sur le modèle d’acceptation de la technologie, cet article souhaite répondre à la question suivante : quelle est la réponse du personnel à l’égard de l’expérience de travail hybride dans la fonction publique québécoise ? À partir de données quantitatives et qualitatives collectées en octobre 2022 (n = 3 904), cette étude cible dans un premier temps l’examen de l’effet de la perception d’utilité et d’agréabilité d’une journée de travail en présence sur la satisfaction à l’égard du travail hybride. Puis, elle examine l’effet de la satisfaction à l’égard du travail hybride sur l’adéquation personne/organisation. Elle se penche également sur l’effet de l’adéquation personne/organisation sur l’engagement organisationnel et sur la satisfaction au travail, deux attitudes clés en gestion des ressources humaines (GRH). Le rôle médiateur de l’adéquation personne/organisation dans la relation entre la satisfaction à l’égard du travail hybride et les attitudes (l’engagement organisationnel et la satisfaction au travail) est aussi sous la loupe. Enfin, pour expliquer et comprendre la satisfaction à l’égard de l’expérience de travail hybride, elle vise à dégager les perceptions des répondants à partir de données qualitatives. Le modèle de recherche est illustré à la figure 1.

Figure 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

Note. Le trait pointillé indique un effet indirect.

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2. Télétravail et travail hybride : l’avant et l’après-COVID-19

La pandémie a ouvert la voie à la généralisation d’une nouvelle ère de gestion des lieux de travail, qui implique la réalisation des tâches en partie sur les lieux de l’employeur et en partie à distance. Avant la pandémie, le télétravail en alternance était déjà une forme de télétravail répandue. Si le travail hybride n’est pas un nouveau modèle d’organisation du travail, son ampleur actuelle est nouvelle. La façon dont le travail hybride a été déployé à la suite d’une longue période de télétravail imposé demeure également une situation inédite. Dans cette foulée, différentes modalités d’application du travail hybride ont vu le jour, allant de la pleine liberté de choisir son lieu de travail à des modèles plus encadrés, où des journées de travail en présence sont imposées sur une base hebdomadaire ou mensuelle. Les connaissances quant à la satisfaction du personnel à l’égard du travail hybride et de l’encadrement du lieu de travail demeurent très modestes. Appel-Meulenbroek et al. (2022) indiquent que deux classes d’employés se dessinent, l’une qui préfère travailler plus souvent de la maison et l’autre qui souhaite travailler davantage sur les lieux de l’employeur. Divers facteurs, comme la disponibilité des bureaux, la présence de collègues sur les lieux de l’employeur, le type d’emploi, les technologies, l’ajustement au télétravail et le genre influencent cette préférence (e.g., Appel-Meulenbroek et al., 2022 ; Biron et al., 2023 ; Lu et Zuhang, 2023).

L’encadrement managérial de la fréquence et de l’intensité du télétravail est souvent au coeur des enjeux, la conciliation des attentes des employeurs et des besoins des employés se révélant l’un des défis de l’hybridité. Considérant que plusieurs employés semblent peu enclins à un retour sur les lieux de travail (Barrero et al., 2021), le déploiement du modèle hybride peut soulever certaines craintes. Comme elles sont considérées comme un événement perturbateur après deux ans de télétravail à temps complet, les journées de travail en présence sur les lieux de l’employeur peuvent susciter une résistance.

Le déploiement de ce nouveau mode de travail réfère à un processus de transformation continu (Alfes et al., 2022). Selon le modèle d’acceptation de la technologie (Davis, 1989), l’acception d’une transformation repose sur la perception de son utilité, qui influence l’attitude envers le changement, puis l’intention d’y adhérer. Venkatesh (2000) intègre à ce modèle la perception d’agréabilité ou de plaisir à embrasser une transformation pour expliquer son adoption. L’utilité perçue est définie comme le degré selon lequel une personne considère que la transformation d’un système est bénéfique pour sa performance (Davis, 1989). L’agréabilité perçue réfère à la mesure selon laquelle une personne considère qu’une transformation est agréable et améliore son expérience de travail (Venkatesh, 2000). Comme le travail hybride repose sur la combinaison du travail en présence et à distance, pour favoriser une expérience positive de travail hybride dans un contexte où plusieurs sont réticents à retourner au bureau, une journée de travail en présence sur les lieux de l’employeur devrait être utile et avantageuse (Appel-Meulenbroek et al., 2022), de même qu’agréable et plaisante (Loo et Wang 2018 ; Nguyen, 2021). Ces constats mènent à formuler ces hypothèses :

  • H1a. L’agréabilité perçue d’une journée de travail en présence, sur les lieux de travail de l’employeur, influence positivement la satisfaction envers l’expérience de travail hybride.

    H1b. L’utilité perçue d’une journée de travail en présence, sur les lieux de travail de l’employeur, influence positivement la satisfaction envers l’expérience de travail hybride.

3. La réponse envers le travail hybride à l’aune de la théorie du signal et de l’adéquation personne/organisation

Le travail hybride pose la question de la capacité des organisations à demeurer en adéquation avec leur personnel sur le plan des valeurs, des besoins et des attentes. L’adéquation personne/organisation se définit comme la compatibilité entre l’individu et l’organisation qui se manifeste lorsque : a) au moins une entité comble le besoin de l’autre entité ; b) ces entités partagent les mêmes caractéristiques essentielles ; ou c) il y a présence simultanée des deux conditions (Kristof, 1996). Cette définition évoque deux formes d’adéquation, supplémentaire et besoins/satisfaction. La première apparaît lorsque l’individu possède des valeurs similaires à celles de son organisation. La seconde se manifeste lorsque l’organisation satisfait les besoins et les attentes de l’individu en matière de ressources financières, physiques et psychologiques, d’occasions liées au travail et de relations (Kristof, 1996).

L’évaluation par l’employé de l’adéquation avec l’organisation repose sur la comparaison des valeurs individuelles et organisationnelles (forme supplémentaire) et sur la capacité organisationnelle à répondre aux attentes et aux besoins individuels (forme besoin/satisfaction). Cette évaluation prend assise sur des fragments informatifs transmis par l’organisation, notamment à travers ses politiques et pratiques de gestion et sur l’expérience de travail vécue. La théorie du signal (Spence, 1973) permet de comprendre comment le personnel interprète et répond à l’application d’une politique de GRH comme la politique-cadre en matière de télétravail. L’information détenue par le personnel n’étant que partielle (Connelly et al., 2011), la théorie du signal stipule que des signaux sont utilisés pour interpréter l’expérience et tirer des conclusions sur les intentions, les valeurs et les actions de l’employeur. Dès lors, ces signaux servent d’assise à l’évaluation de l’adéquation avec l’organisation (Cañibano et Avgoustaki, 2022 ; Lovelace et Rosen, 1996).

La satisfaction des employés à l’égard du travail hybride est ainsi susceptible de façonner leur évaluation de l’organisation (Cañibano, 2019). Si un individu perçoit que les modalités de travail hybride sont en adéquation avec ses valeurs, la satisfaction à l’égard de cette forme de travail influencera positivement l’adéquation supplémentaire. Dans un même ordre d’idées, si les signaux transmis par la politique en matière de télétravail répondent à ses besoins et à ses attentes, la satisfaction envers l’expérience de télétravail influencera positivement l’adéquation besoin/satisfaction. Ces constats permettent de formuler les hypothèses suivantes :

  • H2a. La satisfaction à l’égard de l’expérience de travail hybride influence positivement l’adéquation supplémentaire.

    H2b. La satisfaction à l’égard de l’expérience de travail hybride influence positivement l’adéquation besoin/satisfaction.

La satisfaction au travail et l’engagement organisationnel sont deux attitudes centrales en GRH. La satisfaction au travail désigne l’évaluation qu’un individu porte sur son travail (Weiss, 2002). L’engagement organisationnel se définit comme la force émotionnelle de l’identification et de l’implication d’un employé dans l’organisation. Il s’agit d’un sentiment d’appartenance et d’identification qui accroît l’implication dans les activités de l’organisation, la volonté de poursuivre les objectifs de l’organisation et le désir d’y rester (Mowday et al., 1979). L’effet positif de l’adéquation personne/organisation sur l’engagement organisationnel et sur la satisfaction au travail a été démontré à maintes reprises (e.g., Kristof-Brown et al., 2005). À la fois la similarité entre les valeurs organisationnelles et individuelles et la capacité de l’organisation de répondre aux attentes et aux besoins du personnel engendrent un effet positif sur ses deux attitudes. Ainsi, les hypothèses suivantes sont formulées :

  • H3a. L’adéquation supplémentaire influence positivement l’engagement organisationnel.

    H3b. L’adéquation supplémentaire influence positivement la satisfaction au travail.

    H3c. L’adéquation besoin/satisfaction influence positivement l’engagement organisationnel.

    H3d. L’adéquation besoin/satisfaction influence positivement la satisfaction au travail.

Le signal transmis par les modalités de travail hybride est susceptible d’influencer la réponse attitudinale du personnel à l’égard de la satisfaction tirée de cette expérience (Cañibano et Avgoustaki, 2022), mais également de sa satisfaction au travail et de son engagement envers l’organisation. Ce processus pourrait s’exercer à travers l’adéquation personne/organisation (Lovelace et Rosen, 1996). Dès lors que l’individu interprète positivement l’expérience de travail hybride, la perception d’adéquation sera accrue. Le signal transmis permettra d’apprécier le degré d’adéquation, et conséquemment, de favoriser la satisfaction et l’engagement. Ces postulats amènent à formuler les hypothèses suivantes :

  • H4a. L’adéquation supplémentaire joue un rôle médiateur dans la relation entre la satisfaction envers l’expérience de travail hybride et l’engagement organisationnel

    H4b. L’adéquation supplémentaire joue un rôle médiateur dans la relation entre la satisfaction envers l’expérience de travail hybride et la satisfaction au travail

    H4a. L’adéquation besoins/satisfaction joue un rôle médiateur dans la relation entre la satisfaction envers l’expérience de travail hybride et l’engagement organisationnel

    H5b. L’adéquation besoins/satisfaction joue un rôle médiateur dans la relation entre la satisfaction envers l’expérience de travail hybride et la satisfaction au travail.

4. Méthodologie

4.1 Collecte des données

Cette étude se penche sur le personnel professionnel, qui représente 41,8 % de l’effectif total de la fonction publique. Un partenariat de recherche a été conclu entre la chercheuse et un syndicat de la fonction publique québécoise. La chercheuse a elle-même sollicité le syndicat afin de conclure ce partenariat et d’accéder au terrain de recherche. Les données ont été recueillies entre le 3 et le 16 octobre 2022. Les participants ont été invités à répondre à un questionnaire en ligne par l’entremise d’un courriel acheminé par leur syndicat. Ce sont 20 892 personnes qui ont été sollicitées, représentant 106 ministères et organismes publics et parapublics répartis sur tout le territoire québécois. Sur les 4 406 questionnaires recueillis, 3 904 ont été considérés comme complets et valides. Le taux de réponse se situe à 21,09 %. Les données qualitatives sont constituées de 2 680 commentaires formulés à l’égard de l’expérience de travail hybride.

L’âge moyen des répondants est de 45,88 ans (É.T. = 8,6). Ils sont à l’emploi de leur organisation depuis une période allant de 1 mois à 37,2 ans, avec une ancienneté organisationnelle moyenne de 10,7 ans (É.T. = 8,4). Ils occupent le même poste depuis 5,7 ans en moyenne (É.T. = 5,6). Un peu plus de la moitié sont en télétravail trois jours par semaine (51,7 %), alors que 16,8 % le sont quatre jours par semaine, 16,6 % deux jours, 5,7 % un jour et 2,2 % d’entre eux se déplacent quotidiennement sur les lieux de l’employeur. Le genre auquel s’identifient les répondants est majoritairement féminin (60,9 %). Un peu plus de la moitié sont en couple avec enfant(s) (55,2 %). La majorité détient un baccalauréat (41,9 %) ou un diplôme de 2e cycle universitaire (28,1 %). Les caractéristiques démographiques des répondants ainsi que les organismes et ministères pour lesquels ils travaillent sont représentatifs de l’ensemble de la fonction publique québécoise (Secrétariat du Conseil du Trésor, 2022).

4.2 Mesure

La satisfaction envers l’expérience de travail hybride a été évaluée à partir d’une question unique : « Dans quelle mesure êtes-vous satisfait·e de votre expérience de télétravail hybride, actuellement ? ». Les mesures à item unique se comparent favorablement aux mesures à items multiples d’un point de vue psychométrique (Dolbier et al., 2005). La réponse était donnée sur une échelle allant de (1) Pas du tout satisfait·e à (5) Très satisfait·e.

L’agréabilité et l’utilité perçue d’une journée de travail en présentiel ont été évaluées à partir d’une échelle inspirée de Davis (1989). L’échelle originale a été conçue pour mesurer la perception d’utilité et de facilité d’utilisation des technologies pour expliquer les attitudes et l’intention d’utilisation dans un contexte de transformation organisationnelle. Cette échelle a maintes fois été réutilisée et adaptée à divers contextes par la suite, notamment pour expliquer l’adhésion au télétravail (Silva-C et al., 2019). Deux échelles à trois items évaluent ces variables à partir d’une échelle allant de (1) Pas du tout en accord à (5) Tout à fait en accord. Ces items, de même que ceux des autres échelles de mesure sollicitées dans l’étude, sont présentés au tableau 1.

L’adéquation personne/organisation a été conceptualisée et mesurée de façon directe, sous ses formes supplémentaires et besoins/satisfaction, à partir des échelles de Cable et DeRue (2002). Les deux formes ont été évaluées à partir de trois items, mesurés sur une échelle allant de (1) Pas du tout en accord à (5) Tout à fait en accord.

La satisfaction au travail a été mesurée à partir de l’échelle de Brayfield-Rothe (1951). Elle évalue la satisfaction au travail en cinq items sur une échelle en cinq points allant de (1) Pas du tout en accord à (5) Tout à fait en accord.

L’engagement organisationnel a été conceptualisé et mesuré sous sa forme affective à partir d’une version révisée de l’échelle de Meyer et al. (1993), validée en français par Vandenberghe et al. (2004). L’échelle contient six items mesurés sur une échelle de Likert en cinq points allant de (1) Pas du tout en accord à (5) Tout à fait en accord. Deux items ont été retirés pour améliorer la cohérence interne de la mesure (contribution factorielle inférieure à 0,50).

Suivant les résultats antérieurs (p. ex. Golden et al., 2008), l’âge, l’ancienneté dans l’organisation, l’ancienneté dans le poste et le nombre de jours hebdomadaire en télétravail ont été contrôlés.

4.3 Traitement et analyse des données

Les données quantitatives ont été analysées à l’aide de Mplus. Des analyses préliminaires visant à valider la qualité de la mesure ont d’abord été effectuées, puis les hypothèses de recherches ont été vérifiées à partir d’analyses par équations structurelles. L’analyse des données qualitatives a été facilitée par le recours à NVivo. Elle a été effectuée par codage, qui consiste à traiter, à transformer par découpage et étiquetage (au moyen de thèmes) des segments significatifs ou unités de sens (Miles et Huberman, 2003). La thématisation a été réalisée de manière séquencée (Paillé et Mucchielli, 2016), c’est-à-dire qu’un échantillon du corpus de données a d’abord été analysé de manière à créer une liste de thèmes, qui ont ensuite été attribués à l’ensemble des données selon une logique hypothético-déductive. Dans une première étape, les données ont été segmentées en codes thématiques principaux, suivant les connaissances théoriques de départs. Puis, au fur et à mesure, de nouveaux codes ont émergé et ont été ajoutés aux codes existants. L’analyse thématique a permis de dégager une arborescence en trois thèmes principaux : 1) la faible valeur ajoutée des journées de travail en présence, 2) le manque de flexibilité et 3) les avantages du télétravail. Ces thèmes ont par la suite été découpés en sous-thèmes analysés en s’appuyant sur des éléments de comptage, par le dénombrement de la fréquence d’occurrences de certaines expressions (Royer et al., 2019).

5. Résultats

5.1 Analyses préliminaires

Une analyse factorielle confirmatoire (AFC) a été effectuée afin d’évaluer l’ajustement du modèle de mesure (Anderson et Gerbing, 1988). Les indices obtenus indiquent un bon ajustement du modèle (CFI = 95,9 ; TLI = 95,0 ; RMSEA = 0,062 ; 90 % IC [0,060 ; 0,064]). Des analyses ont par la suite été réalisées pour s’assurer de la validité convergente et discriminante des construits. Le tableau 1 présente la contribution factorielle des items (λ), la variance moyenne extraite (Average variance extracted [AVE]), la fiabilité composite (C.R.) et l’alpha de Cronbach (α) de chaque construit.

Tableau 1

Cohérence interne et validité de convergence des construits

Cohérence interne et validité de convergence des construits

Notes. λ = contributions factorielles ; AVE = variance moyenne extraite (average variance extracted) ; C.R. = fiabilité composite (composite reliability) ; α = alpha de Cronbach.

1 Le lieu de travail ou le lieu habituel de travail réfère aux locaux de l’employeur et au travail en présentiel. Cette information était fournie au répondant dans le questionnaire.

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Les alphas de Cronbach sont supérieurs au seuil suggéré (> 0,70) (Hair et al., 2019), confirmant la cohérence interne des construits. La fiabilité composite (C.R.) varie entre 0,800 et 0,927, rencontrant le niveau acceptable (Fornell et Larcker, 1981). L’AVE reflète la portion de variance des indicateurs prise en compte par les concepts latents et constitue une estimation plus conservatrice de la validité d’un modèle de mesure (Fornell et Larcker, 1981). La plupart des construits atteignent le niveau de 0,5 recommandé, à l’exception de la satisfaction au travail. Considérant la valeur acceptable des autres indices (C.R. et α), il est conservé. Les contributions factorielles sont statistiquement significatives (p < 0,01) et supérieures au seuil de 0,50 (Hair et al., 2019), à l’exception des deux items de l’indice de l’engagement organisationnel affectif (« Je ne me sens pas émotionnellement attaché à mon organisation » [λ = 0,339] et « J’ai vraiment l’impression que les problèmes de mon organisation sont aussi les miens » [λ = 0,401]), qui ont été supprimés. La validité discriminante a été évaluée en comparant la racine carrée de l’AVE (√[ρVC]) de chaque construit avec ses corrélations intervariables (Fornell et Larker, 1981). Les résultats, présentés au tableau 1, montrent que la racine carrée de l’AVE de chaque construit dépasse les corrélations qu’il partage avec les autres construits, confirmant la validité discriminante de la mesure.

Diverses méthodes statistiques ont été empruntées pour vérifier la présence de variance commune (Podsakoff et al., 2003). Le test du facteur unique d’Harman a d’abord été effectué. S’il y a présence du biais de méthode commune, un seul facteur émergera d’une analyse factorielle exploratoire ou ce facteur expliquera plus de 50 % des résultats. Ces deux conditions ne se sont pas avérées, alors que le premier facteur explique 39,08 % de la variance et que quatre facteurs ont été extraits. Ensuite, l’approche par facteur unique de méthode commune a été utilisée. Celle-ci propose, à partir d’une AFC, l’inclusion d’un facteur commun dans le modèle de mesure. Pour conclure que le biais de variance commune n’a pas d’influence sur les résultats, les indices d’ajustement du modèle avec un facteur commun ne devraient pas être meilleurs que ceux du modèle de mesure initial. Cette condition est respectée (χ² = 6572,843 ; DL = 183 ; CFI = 89,1 ; TLI = 87,5 ; RMSEA = 0,098 ; 90 % IC [0,096 ; 0,100]).

Des analyses descriptives ont par la suite été effectuées. Les moyennes, écarts-types et corrélations sont présentés au tableau 2.

Tableau 2

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

Notes. M = Moyenne, É.T. = écart-type. Les racines carrées de l’AVE (√[ρVC]) sont en gras sur la diagonale.

*p < 0,05 ; **p < 0,001

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5.2 Vérification des hypothèses de recherche

Des analyses par équations structurelles ont été effectuées pour vérifier les hypothèses de recherche. Les hypothèses de médiation ont été vérifiées à partir de la technique de rééchantillonnage (bootstrap) (MacKinnon et al., 2004) sous Mplus. Suivant les recommandations (Preacher et Hayes, 2008), un intervalle de confiance à 95 % corrigé pour le biais a été construit pour obtenir la taille de chaque effet, en utilisant les estimations de 5000 répétitions aléatoires. L’effet indirect est rejeté lorsque l’intervalle de confiance (IC) à 95 % inclut le zéro.

Figure 2

Résultats standardisés

Résultats standardisés

Notes. χ² = 4577,657 ; DL = 266 ; CFI = 92,9 ; TLI = 91,4 ; RMSEA = 0,067, 90 % IC [0,065 ; 0,068]. L’âge, l’ancienneté dans l’organisation, l’ancienneté dans le poste et le nombre de jours en télétravail ont été contrôlés. L’âge a un effet sur l’engagement organisationnel (β = 0,002, p < 0,05), l’ancienneté organisationnelle a un effet sur la satisfaction envers le travail hybride (β = 0,005, p < 0,05), l’adéquation personne/organisation besoins/satisfaction (β = -0,006, p < 0,01) et sur la satisfaction au travail (β = 0,010, p < 0,001). L’ancienneté dans le poste a un effet sur la satisfaction envers le travail hybride (β = 0,008, p < 0,05) et sur l’adéquation personne/organisation supplémentaire (β = -0,016, p < 0,001). Le nombre de jours en télétravail a un effet sur la satisfaction au travail (β = -0,039, p < 0,01) et sur l’engagement organisationnel (β = -0,031, p < 0,05).

**p < 0,001

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Les résultats standardisés sont présentés à la figure 2. Les hypothèses H1a et H1b quant à l’effet positif de l’agréabilité et de l’utilité perçues d’une journée de travail en présence sont confirmées (β = 0,407, SE = 0,047 ; p < 0,001 ; β = 0,138, SE = 0,048, p < 0,001). Les hypothèses H2a et H2b sont elles aussi confirmées : la satisfaction envers l’expérience de travail hybride influence positivement l’adéquation supplémentaire (β = 0,229, SE = 0,018 ; p < 0,001) et besoins/satisfaction (β = 0,284, SE = 0,017 ; p < 0,001). L’adéquation supplémentaire exerce un effet positif sur l’engagement organisationnel (β = 0,445, SE = 0,020 ; p < 0,001) ainsi que sur la satisfaction au travail (β = 0,190, SE = 0,024 ; p < 0,001). L’adéquation besoin/satisfaction influence positivement l’engagement organisationnel affectif (β = 0,375, SE = 0,021 ; p < 0,001) et la satisfaction au travail (β = 0,437, SE = 0,038 ; p < 0,001), confirmant les hypothèses H3a, H3c, H3c et H3d.

L’adéquation supplémentaire joue un rôle médiateur dans la relation entre la satisfaction envers l’expérience de télétravail et l’engagement organisationnel (β = 0,102, IC 95 % [0,084 et 0,119]) et la satisfaction au travail (β = 0,044, IC 95 % [0,030 et 0,056]). L’adéquation besoin/satisfaction joue un rôle médiateur dans la relation entre la satisfaction envers l’expérience de télétravail et l’engagement organisationnel (β = 0,107, IC 95 % [0,090 et 0,124]) et la satisfaction au travail (β = 0,124, IC 95 % [0,095 et 0,148]). Les effets directs de la satisfaction envers l’expérience de travail hybride sur l’engagement organisationnel et la satisfaction au travail sont non significatifs. Les hypothèses de médiations (H5a, H5b, H6a, H6b) sont ainsi confirmées.

5.3 Les perceptions à l’égard du travail hybride

L’analyse des données qualitatives permet de mieux comprendre la satisfaction à l’égard du travail hybride. Celle-ci est fortement nourrie par la faible valeur ajoutée d’une journée de travail en présence sur les lieux de l’employeur. L’absence de contacts sociaux (96 occurrences) constitue un enjeu qui décourage le personnel à se rendre sur les lieux de l’employeur. Les jours de travail en présence sont souvent similaires à ceux à distance, notamment en raison de l’utilisation de la vidéoconférence et des interactions qui demeurent virtuelles (105 occurrences) et de la rareté du travail d’équipe ou collaboratif (29 occurrences).

« Si la présence au bureau doit briser mon isolement, l’objectif n’est pas atteint. Je ne vois presque pas de gens au bureau ».

« Mes journées sont en majorité faites de rencontres TEAMS donc ma présence au bureau n’est pas nécessaire. Certaines journées en présentiel, je suis seule au bureau donc les interactions avec mes collègues se font par TEAMS ».

Les données témoignent également d’une insatisfaction quant au manque de flexibilité et à l’obligation de réaliser deux jours hebdomadaires de travail en présence. Les répondants déplorent l’autonomie restreinte (24 occurrences), la rigidité (6 occurrences), le contrôle (4 occurrences) et la régulation du lieu de travail qui a cours sans égard à la nature des tâches (16 occurrences). Les journées de travail en présence engendrent une augmentation de la charge de travail (8 occurrences) et de la fatigue (10 occurrences) et une diminution de la productivité (125 occurrences).

« Imposer deux jours au bureau mur à mur, sans égard aux fonctions et tâches des différents corps d’emploi, est contre-productif. Cette obligation rigide ne respecte pas l’autonomie professionnelle et augmente la charge de travail. Le personnel devrait lui-même organiser son travail en fonction de la nature de ses tâches, de sa charge de travail et des éléments qui contribuent à son niveau optimal de performance ».

Enfin, les avantages des jours de travail en télétravail ressortent largement. Les économies financières (33 occurrences), l’amélioration de la qualité de vie (23 occurrences), la diminution du stress (39 occurrences), la diminution du temps de transport (93 occurrences) et de l’empreinte écologique (12 occurrences) et une meilleure conciliation des temps sociaux (56 occurrences) sont soulevées.

« Le télétravail […] c’est l’équilibre parfait entre le travail, le respect de l’environnement, la réduction du trafic, baisse des dépenses personnelles, plus de temps pour bien manger et faire du sport. Je suis beaucoup plus heureux en télétravail. »

6. Discussion

Cette étude visait à examiner la réponse attitudinale et perceptuelle du personnel à l’égard du travail hybride. Les résultats quantitatifs font écho aux résultats qualitatifs : la réponse du personnel à l’égard de l’expérience de travail hybride est mitigée.

6.1 La satisfaction à l’égard du travail hybride comme signal de l’(in)compatibilité

Nos résultats font état d’une relation positive et significative entre la satisfaction à l’égard du travail hybride et les deux formes d’adéquation individu/organisation, contribuant aux connaissances théoriques sur l’adéquation individu/organisation. Si les conséquences de la similarité et de la complémentarité entre une personne et son organisation sont largement documentées, les facteurs explicatifs de l’adéquation le sont dans une moindre mesure. Les assises théoriques de l’adéquation personne/organisation reposent sur l’idée que si les deux entités — l’organisation et l’individu — sont similaires et/ou complémentaires, des conséquences positives en résulteront. Les résultats confirment cette prémisse, alors que les deux formes d’adéquation influencent positivement l’engagement organisationnel et la satisfaction au travail, et ce, dans un nouveau contexte, soit celui du travail hybride. L’apport se situe principalement dans la mise en lumière de la satisfaction à l’égard du travail hybride comme un signal permettant l’évaluation de la compatibilité entre la personne et son organisation. Dès lors que la façon dont est encadré le travail hybride n’est pas en accord avec les valeurs individuelles (p. ex., la protection de l’environnement, la famille ou l’autonomie), l’insatisfaction engendre un effet négatif sur l’adéquation, et par conséquent sur l’engagement organisationnel et sur la satisfaction au travail. Ces résultats font d’ailleurs écho à ceux de Cañibano et Avgoustaki (2022) : le télétravail – et son encadrement – sert de signal et le contexte dans lequel ce signal est émis influence la perception des employés. Similairement, les résultats qualitatifs permettent de comprendre que le travail hybride, dans l’état, ne permet pas de répondre aux attentes et aux besoins du personnel (p. ex., en matière de flexibilité, de relations sociales significatives ou de respect de l’environnement). Ces constats permettent d’ajouter à la compréhension des liens entre la satisfaction à l’égard du travail hybride et l’adéquation personne/organisation.

6.2 Une expérience mitigée teintée par les irritants du présentiel

Les modalités d’encadrement du travail hybride contribuent à l’insatisfaction des répondants. Les attentes du personnel appellent à davantage de flexibilité (Smite et al., 2023). Les résultats qualitatifs indiquent que l’imposition de deux jours de travail hebdomadaires en présence est interprétée comme une non-flexibilité, ce qui influence la perception d’utilité et d’agréabilité des jours de travail en présence, de même que la satisfaction envers le travail hybride. Toutefois, la politique n’est pas nécessairement appliquée de façon uniforme, car une certaine proportion d’employés est en télétravail quatre ou cinq jours par semaine. Les données qualitatives indiquent également que l’absence de valeur ajoutée des jours de travail en présence est au coeur de l’insatisfaction à l’égard de l’expérience de travail hybride. La régulation de la spatialité du travail ne tient pas compte des préférences personnelles en matière d’autonomie professionnelle ou des exigences de la tâche, qui varient d’une personne à l’autre (Greene et Myerson, 2011). Dès lors, cette pratique est interprétée par le personnel comme une incapacité ou une absence de volonté de l’employeur à répondre aux besoins en matière de gestion des activités professionnelles et du lieu de travail. S’ajoute le souhait d’un accroissement des interactions sociales et du travail collaboratif lors des jours de travail en présence. Le déplacement sur le lieu de travail ne représente pas, pour l’heure, un catalyseur des relations inter- et intraéquipes, ce qui nuit à la satisfaction envers le travail hybride.

6.3 Dimensions managériales

Les organisations devront encadrer le travail hybride de façon que les limites et les bénéfices qui y sont associés soient pris en compte, et ce, à la fois sur les plans individuel, social et organisationnel. La latitude sur le plan de la gestion spatiotemporelle du temps de travail est un enjeu à considérer pour favoriser l’adéquation entre l’individu et son organisation. Parallèlement, l’employeur doit aussi garder en tête son droit de gestion, ainsi que les intérêts de l’organisation à court et à long terme. Une évaluation des effets du travail hybride sur la performance individuelle et organisationnelle devra être réalisée. Cette évaluation pourra donner des arguments à l’employeur dans l’exercice de son droit de gestion en vue de favoriser un encadrement du travail hybride qui soit viable à long terme, aussi bien pour l’employeur que pour l’employé. Par ailleurs, l’application de la politique ne semble pas uniforme : certaines personnes sont en télétravail quatre ou cinq jours alors que la politique prévoit trois jours maximum de télétravail. Les modalités d’application et la latitude laissée aux gestionnaires mériteraient une clarification, par souci d’équité.

6.4 Limites de l’étude et conclusion

En dépit de son apport, cette étude accuse certaines limites. La proportion de variance expliquée des deux dimensions de l’adéquation personne/organisation par la satisfaction à l’égard du travail hybride est faible, entre autres. Ce résultat ouvre la porte à l’investigation d’autres déterminants de l’adéquation dans un contexte de travail hybride. Il pourrait être pertinent de se pencher sur l’utilisation des technologies ou encore sur la qualité de la relation avec le supérieur pour expliquer le degré d’adéquation avec l’organisation. Par ailleurs, les corps de métiers des répondants n’ont pas été sondés. Il aurait été bénéfique de savoir si certains métiers sont sous- ou surreprésentés dans l’échantillon, afin de confronter nos résultats à ceux du secteur privé qui seraient concernés par des métiers similaires. Aussi, nos résultats ne prennent en compte qu’une perspective, soit celle des employés syndiqués. La perspective des gestionnaires contribuerait à nuancer certains résultats. En outre, gardons en tête que les résultats sont susceptibles d’être teintés par une vision courtermiste des répondants, pouvant leur faire perdre de vue les avantages du travail en présentiel, notamment sur leur bien-être physique et psychologique à moyen et à long terme. Cette étude a été réalisée dans un espace-temps bien précis, soit six mois après le déploiement de la politique de télétravail. Elle ouvre la porte à des études futures considérant l’évolution des pratiques en matière de gestion du travail hybride dans la fonction publique et dans l’entreprise privée, mais également en matière de changement des perceptions du personnel quant aux avantages à long terme des jours de travail en présence.