Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistances à l’ère de l’intelligence artificielle, (Les Éditions Écosociété, 2023, 489 p.)[Notice]

  • Mircea Vultur

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  • Mircea Vultur
    Professeur titulaire, Institut national de la recherche scientifique

Compte rendu pour la revue Relations Industrielles/Industrial Relations, (numéro à paraître sur le thème des plateformes numériques).

Les livre de Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau prend comme prétexte le développement fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) sous sa forme algorithmique pour s’atteler à un examen plus large de la reconfiguration du capitalisme contemporain dont le fonctionnement oriente, selon eux, les évolutions technologiques en cours. Les auteurs puissent chez Karl Marx la logique de leur analyse qui est structurée autour des deux principes d’unité de la pensée marxiste, à savoir une théorie critique du capitalisme «algorithmique» arrimée à un plaidoyer pour la rédemption dans une société post-capitaliste où une nouvelle planification économique soutenue par les avancées en IA pourrait voir le jour. Dès les premières pages, on s’aperçoit que le livre est d’envergure autant sur le plan de son ambition théorique que sur celui de la quantité considérable d’informations qu’il contient. Les auteurs prennent soin de bien définir leurs concepts opérationnels. Le «capital algorithmique», concept central du livre, apparaît tout au long des analyses sous trois formes : d’abord, il est matériel, obtenu par divers mécanismes d’exploitation du travail mais aussi par l’extraction et la valorisation des données diverses; ensuite, le capital algorithmique est vu comme un rapport social qui organise les relations des individus entre eux; enfin, il institue de nouvelles formes de pouvoir qui donnent un avantage considérable aux entreprises productrices de technologie. Le capital algorithmique marque, selon les auteurs, l’entrée dans un nouveau stade du capitalisme. Structuré en vingt thèses qui constituent autant de chapitres, le livre aborde un large éventail de phénomènes propres à ce nouveau stade du capitalisme, allant de l’émergence de l’IA et l'essor des GAFAM à l'extraction de métaux rares, l’accélération du temps et la colonisation de la sphère domestique par les technologies algorithmiques, en passant par les transformations de l’emploi du temps des individus hyperconnectés et l’effritement de la vie démocratique. L’ouvrage examine également les tensions entre les États-Unis et la Chine relativement à la suprématie technologique, la crise climatique, la pénurie de semi-conducteurs, les nouvelles formes de subjectivité et l’aliénation algorithmique. À travers ces divers thèmes, les auteurs procèdent à une critique des approches techno-optimistes de l’IA (sans toutefois tomber dans l’alarmisme), en dressant un portrait assez sombre du développement technologique actuel. Ainsi, il appert que les réseaux sociaux, outils de manipulation des masses, offrent un champ illimité à des forme d’individualisme et d’ignorance. Les données recueillies par les grandes entreprises technologiques pourraient en savoir plus que nous sur nous-mêmes et sont susceptibles d’être utilisées pour nous influencer à notre insu et de ce fait, d’instrumentaliser nos comportements. Le capital algorithmique exploite notre travail mais aussi l’«expérience humaine dans son ensemble» et institue de nouvelles formes de contrôle et surveillance. Le monde numérique colonise l’économie et nos sociétés dans leur ensemble et nous avons besoin d’un coffre d’outils intellectuel et théorique pour comprendre ces phénomènes émergents. Le style de l’argumentation des auteurs est clair et l’intuition qui motivent leurs analyses est originale, cependant certaines de leurs thèses et affirmations sont des spéculations contestables. Par exemple, les auteurs font de la montée du capital algorithmique un instrument de l’«impérialisme postcolonial américain» dont le fer de lance sont les entreprises de Silicon Valley. L’antiaméricanisme du discours est fort et les pages du livre sur ce sujet rendent la lecture parfois exaspérante de même que celles où les auteurs mobilisent les références à Trotski ou Lénine (qu’ils nomment «célèbre dirigeant révolutionnaire»). Les pistes d’action que les auteurs proposent pour sortir du «capitalisme algorithmique» s’organisent autour d’une réappropriation collective des infrastructures technologiques (pour le Québec, les auteurs proposent une nationalisation des compagnies Vidéotron et Bell) et de la planification de l'économie par …