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La littérature a déjà maintes fois souligné les enjeux liés à l’insertion socioprofessionnelle des personnes issues de l’immigration. L’ouvrage collectif paru sous la direction de Altay Manço et Leïla Scheurette, respectivement directeur et chargée de recherche et formation à l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM), est la dernière parution d’une trilogie qui a débuté en 2017. Il traite justement de la question de l’inclusion en emploi en proposant un état des lieux original des actions entreprises dans la Région wallonne afin de favoriser l’insertion des personnes immigrantes et les actions visant le rapprochement entre les travailleurs et les entreprises.
Le livre, dont l’objectif principal est d’identifier les pratiques les plus concluantes en matière d’intégration, est structuré en trois parties. La première partie porte sur les dispositifs en Wallonie tandis que la deuxième se concentre sur les perspectives wallonnes en matière d’insertion. La troisième partie, Coopérer avec les entreprises, montre la nécessité de collaborer avec les entreprises pour favoriser l’insertion des immigrants sur le marché du travail.
Les dispositifs d’insertion socioprofessionnelle en Wallonie
La Wallonie a mis en place plusieurs dispositifs afin de permettre aux personnes d’origine étrangère de s’insérer sur le marché du travail. Parmi ceux-ci, on peut citer l’initiative primo-arrivants du Forem, les contrats « article 60 » des Centres publics d’action sociale (CPAS), le cours de français du réseau Lire et Écrire offert simultanément à un emploi, l’enseignement de promotion sociale, la contribution des entreprises de formation par le travail à la trajectoire socioprofessionnelle des migrants, l’orientation socioprofessionnelle des immigrés par les Centres régionaux d’intégration (CRI), la plateforme « Diversité » et les aides à la création d’entreprises. La question qui se pose est de savoir pourquoi, malgré tant de dispositifs, le public issu de l’immigrant reste le plus touché par le chômage. Par ailleurs, l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE) estime que la Belgique compte parmi les « les plus mauvais élèves » des pays occidentaux en ce qui concerne le taux d’emploi des personnes immigrantes.
À l’issue de l’examen de ces dispositifs, les auteurs notent qu’ils font preuve d’une faiblesse tant au niveau de la cohérence interne que de leur pertinence en regard des besoins du marché et des chercheurs d’emploi. Toute une série de freins à l’insertion des immigrants sont relevés, notamment le manque de reconnaissance ou d’adaptation des compétences, la linéarité et la longueur des dispositifs de formation ainsi que la sempiternelle question de discrimination. Cependant, pour les auteurs, les effets des mesures de ces dispositifs sont rarement objectivés. Et lorsqu’ils le sont, ils s’en tiennent à confirmer le fait que les personnes d’origine étrangère s’intéressent plus aux formations de base (comparativement aux autres publics), que leur taux d’insertion est plus faible et enfin que les emplois qu’ils occupent sont plus précaires.
Perspectives wallonnes en matière d’insertion socioprofessionnelle
La première partie du livre indique que des initiatives de qualité existent en Wallonie afin d’assurer l’insertion socioprofessionnelle des personnes immigrantes. Mais pourquoi ces initiatives ne sont-elles pas reconduites? À travers les analyses de plusieurs auteurs, l’ouvrage met en évidence quelques raisons et hypothèses susceptibles de justifier « l’échec » de ces dispositifs. L’apport de leurs travaux est de permettre une analyse critique de ces initiatives et stratégies, telles que le passage par le bénévolat pour espérer une insertion socioprofessionnelle, l’accumulation de contrats atypiques ou encore le mentorat comme moyen pour l’insertion socioprofessionnelle des jeunes. Ces travaux soulignent aussi les besoins de formation des formateurs impliqués dans l’insertion. On y questionne également les barrières à l’insertion en emploi, notamment chez les femmes immigrées.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, d’autres contributions poursuivent l’analyse critique des initiatives et dispositifs walons en matière d’insertion socioprofessionnelle et viennent enfoncer le clou, notamment en prenant l’exemple de l’apprentissage de la langue. En effet, à travers une recherche exploratoire, l’ouvrage montre que l’apprentissage de la langue ne permet pas forcément à elle seule une réelle intégration puisqu’elle peut être freinée par d’autres facteurs, notamment institutionnels, socioculturels ou encore familiaux.
Coopérer avec les entreprises
La troisième et dernière partie de l’ouvrage met en exergue la nécessité d’établir un espace de travail où les acteurs ne travailleraient plus en silo, et où la collaboration et le partage d’information primeraient. En outre, l’analyse que fait Altay Manço des entreprises en Wallonie montre combien plusieurs parmi elles sont réticentes à aborder la question de la gestion de la diversité par crainte de la voir associer à une pratique discriminante. Cette réticence peut être inquiétante dans la mesure où elle laisse supposer que les entreprises considèrent oeuvrer dans une société homogène. Surtout, moins les entreprises sont à l’aise d’utiliser les outils de la gestion de la diversité, moins l’insertion socioprofessionnelle des personnes issues de l’étranger s’en retrouve favorisée.
Conclusion
Fruit d’un projet mené de concert avec les Centres régionaux d’intégration de Wallonie, cet ouvrage collectif a le mérite de rassembler une littérature scientifique qui met en lumière les disparités en Belgique, notamment en Wallonie et à Bruxelles, en matière d’emploi des immigrants. En présentant les divers dispositifs mis en place dans la Région wallonne, il permet de constater l’importance des ressources investies et des efforts déployés dans les actions visant l’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes. Cependant, le faible taux d’emploi des personnes immigrantes en Wallonie invite à questionner l’efficacité de ces dispositifs et à identifier les freins à l’insertion socioprofessionnelle de ces personnes. La Région wallonne ne manque pas par ailleurs d’initiatives innovantes et probantes qui gagneraient à être davantage soutenues. Plusieurs recommandations sont formulées en ce sens dans la conclusion de l’ouvrage en vue de soutenir la mise en place de politiques inclusives : 1- offrir un accompagnement individuel efficace, 2- assurer une meilleure collaboration entre les parties prenantes, 3- rapprocher les employeurs des travailleurs étrangers et 4- encourager l’entrepreneuriat des personnes immigrantes en offrant des dispositifs appropriés. Si la pertinence de ces recommandations ne fait pas de doute, encore faut-il qu’elles soient entendues et mises en oeuvre.
La force du livre réside dans la visibilité qu’il donne aux initiatives en matière d’insertion en Wallonie ainsi qu’aux recommandations formulées pour assurer leur pérennité et leur efficacité. En prime, son contenu est accessible autant aux acteurs du monde académique qu’à ceux issus du terrain et ouvre plusieurs pistes de réflexion en vue d’une véritable inclusion des personnes immigrantes. Toutefois, considérant que la Belgique comporte trois régions et que l’ouvrage présente le bilan des politiques en Wallonie tout en abordant la situation à Bruxelles, il aurait été intéressant qu’il brosse rapidement l’état de la situation dans la Région flamande. Cet ajout aurait permis au lecteur d’apprécier encore mieux le caractère préoccupant de l’insertion socioprofessionnelle des personnes immigrantes en Wallonie.