Symposium

Régulation du travail et de l’emploi à l’ère numérique : Introduction[Notice]

  • Christian Lévesque,
  • Peter Fairbrother et
  • Nicolas Roby

…plus d’informations

  • Christian Lévesque
    Professeur en relations de travail, HEC Montréal et codirecteur du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT), Montréal, Québec. Il est également co-responsable de l’axe Industrie 4.0, travail et emploi de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA).
    christian.levesque@hec.ca

  • Peter Fairbrother
    Professeur de relations de travail internationales et directeur du Centre for People, Organisation and Work, Royal Melbourne Institute of Technology (RMIT) University, Melbourne, Australie. Il est également chercheur dans le cadre du « Projet de partenariat du CRIMT sur l’expérimentation institutionnelle et l’amélioration du travail ».
    peter.fairbrother@rmit.edu.au

  • Nicolas Roby
    Coordonnateur scientifique du CRIMT, Montréal, Québec
    nicolas.roby@umontreal.ca

Ce numéro thématique cherche à comprendre comment le numérique est venu perturber et réorganiser la régulation du travail et de l’emploi et comment il peut conduire à des formes d’expérimentation organisationnelle et institutionnelle. La phase actuelle de généralisation du numérique repose sur l’établissement d’interconnexions complexes et diversifiées entre les données, les objets et les plateformes, entraînant des perturbations multiples et une impression de changement diffus. Elle se caractérise par l’émergence de nouvelles technologies de production avancées, d’algorithmes d’apprentissage automatique, de dispositifs ubiquitaires, ainsi que d’applications et de services orientés sur les données. Il est aussi question de robotique de pointe, de systèmes de production 4.0, de l’informatique en nuage et de logiciels en tant que service (aaS), de l’Internet des objets, de systèmes évolués d’acquisition et de contrôle des données, de systèmes évolués de veille stratégique (BI), de plateformes de gestion des chaînes d’approvisionnement, de technologies de prototypage rapides et de fabrication additive (impression 3D), ainsi que de plateformes d’intermédiation. Ces bouleversements amènent à revoir la façon dont les modèles d’affaires sont conçus. Parallèlement à l’émergence de ces nouvelles technologies, de nouveaux modèles d’affaires sont en cours de développement (Briken et al., 2017; Degryse, 2016; Olleros et Zhegu, 2016), dont certains sous-tendent l’essor des « marchés de réseau » et de l’économie de plateforme. Une caractéristique importante de ces modèles est leur capacité à capter de nouvelles rentes économiques par la marchandisation de ressources auparavant sous-exploitées ou inexploitées. En convertissant notre vie quotidienne en données monnayables, les dispositifs interconnectés, les algorithmes d’apprentissage automatique et les applications en ligne amplifient le potentiel de création et d’exploitation de nouvelles sources de valeur. Dans ces nouveaux modèles, les données numérisées deviennent une ressource stratégique, et le consommateur, un producteur de matières premières numériques. Les effets perturbateurs de la phase actuelle font l’objet de nombreuses discussions et de nombreux débats dans les milieux universitaires et publics. Warhurst et Hunt (2019) énumèrent trois vecteurs par lesquels celle-ci modifie le travail et, par conséquent, les marchés du travail : les machines numériques dotées d’intelligence artificielle (IA); la numérisation des processus augmentant les possibilités de traitement, de stockage et de partage d’information; et, enfin, l’utilisation de réseaux numériques, d’algorithmes et de plateformes d’intermédiation pour coordonner les transactions économiques. Ces changements se répercutent sur les marchés et les pratiques du travail de trois manières. La première concerne les circonstances dans lesquelles l’innovation technologique, que ce soit sous la forme de l’automatisation, du travail-machine ou des systèmes d’intelligence artificielle, a le potentiel de refondre le travail en profondeur (West, 2018; Berg et al., 2018). Plus précisément, on soutient que les technologies numériques sont utilisées délibérément et de manière instrumentale pour reconfigurer le travail et les relations de travail, notamment au moyen des plateformes en ligne (Frey et Osborne, 2017). Deuxièmement, si le numérique créé des emplois dans les secteurs des services et de l’information, il entraine, dans le même temps, le déclin de l’emploi dans la production et la fourniture de biens manufacturiers (OCDE, 2019a et 2019b). Troisièmement, on constate une érosion importante des contrats de travail reposant sur une « relation d’emploi traditionnelle », ayant pour conséquence la promotion de formes d’emploi de plus en plus précaires (Standing, 2014). Quelle que soit l’expérience des formes d’emploi précaires, dans le contexte actuel, ces évolutions sont source d’insécurité et de risques importants pour la santé des travailleurs (voir Lewchuk, 2017). Ces effets sont majeurs, entraînant non seulement des conséquences sur le travail et les tâches à accomplir, mais également sur le type d’emplois et le lieu où ils s’exercent. Bien qu’à ce jour, ces évolutions ne semblent pas …

Parties annexes