Relations industrielles / Industrial Relations
Volume 75, numéro 4, automne 2020
Sommaire (14 articles)
Symposium
Articles
Français
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Du flexible au liquide : le travail dans l’économie de plateforme
Christophe Degryse
p. 660–683
RésuméFR :
Le modèle social historique que connaissent la plupart des pays industrialisés s’est bâti sur des fondations solides qui, à l’instar du théâtre classique, repose sur ces trois unités : unité de lieu de travail (l’atelier, la fabrique, l’usine, le bureau), unité de temps de travail (les horaires de travail hebdomadaires, les périodes de repos) et unité d’action (l’organisation collective du travail). Or, après avoir connu, vers la fin du 20e siècle, des « fissurations » dans l’unité de lieu avec le développement de la sous-traitance, des chaînes de valeur mondiales et la coordination d’entreprises subordonnées, l’économie de plateforme et les nouvelles formes d’externalisation du travail qu’elle permet contribuent, aujourd’hui, à éroder l’ensemble de ces fondements, à tout le moins dans certains segments de l’économie, ce qui a pour effet de «liquéfier» le travail et de fragiliser ce modèle social historique.
Le travail dans l’économie de plateforme échappe aux régulations de lieux, de temps et de l’organisation collective. Autrement dit, pour les travailleurs de plateforme, il n’y a pas de locaux d’entreprise, pas de collègues, pas d’horaires, pas de représentants du personnel, pas non plus de règlements en matière de santé et de sécurité, pas de prévention des accidents du travail, pas de congés payés, pas de négociation collective, pas d’assurance-maladie… Cette nouvelle forme de fragilisation et de précarisation des travailleurs donne lieu, depuis quelques années, à l’expérimentation de pratiques innovantes, parmi lesquelles la création de collectifs autonomes, l’organisation d’actions collectives, la construction de cahiers de revendications, mais aussi le répertoire d’action plus traditionnel du mouvement syndical : sensibilisation, organisation, négociation.
Certes, ces stratégies sont confrontées à des obstacles inédits tels que la difficulté à identifier le responsable de la relation de travail, l’absence de lieu de dialogue social, la confusion concernant le statut du travailleur, la difficulté à organiser ces îlots de travailleurs éparpillés en l’absence de lieux d’échange entre eux. Malgré leurs limitations, ces expérimentations sociales peuvent être vues comme l’embryon d’un modèle social adapté à l’économie de plateforme et, plus largement, à la généralisation du numérique dans l’économie.
EN :
The historical social model of most industrialized countries was built on solid foundations, which can be compared to the three classical unities of theatre: unity of the place of work (workshop, cottage industry, factory, office), unity of the time of work (weekly work schedules, rest periods), and unity of action (collective organization of work). In the late 20th century, unity of place began to “fissure” with the development of outsourcing and global value chains and the coordination of subsidiaries. Today, the platform economy and the new forms of outsourcing it makes possible are contributing to the erosion of all these foundations, at least in certain segments of the economy. This erosion is having the effect of “liquefying” work and weakening the historical social model.
Work in the platform economy escapes the controls of place, time and collective organization. In other words, for platform workers there are no company premises, no colleagues, no schedules, no staff representatives, no health and safety regulations, no prevention of accidents at work, no paid holidays, no collective bargaining and no health insurance. This new model of tenuous and precarious employment has given rise in recent years to experimentation with innovative practices, including not only creation of autonomous collectives, organization of collective actions and formulation of worker demands but also the more traditional repertoire of action of the trade union movement: outreach, organization and negotiation.
Admittedly, these strategies are confronted with novel obstacles, such as difficulty in identifying the person in charge of the employment relationship, absence of a place for social dialogue, confusion over worker status and difficulty in organizing the scattered groups of workers without places where they can meet and discuss. Despite their limitations, these social experiments can be seen as the beginnings of a social model adapted to the platform economy and, more broadly, to digitalization of the economy.
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La « fabrique réglementaire » autour de l’arrivée d’Uber
Urwana Coiquaud et Lucie Morissette
p. 684–706
RésuméFR :
L’arrivée d’Uber a provoqué une petite révolution par sa conception innovante de la prestation de transport par taxi, rendue possible grâce à une application numérique (la plateforme) permettant de jumeler conducteurs et passagers. Cette incursion aurait pu être bénéfique à l’ensemble de l’industrie, mais elle s’est effectuée, au Québec, au mépris des acteurs historiques en place et, surtout, de la réglementation en vigueur, ce qui entraîna sa fissuration, puis sa démolition. L’industrie fut alors complètement déréglementée.
Cette recherche s’appuie sur une analyse de cas longitudinale qui étudie les transformations de l’industrie du taxi au Québec, après l’arrivée d’Uber, et plus particulièrement le rôle de l’État et de la plateforme dans la construction des politiques publiques. Elle révèle l’importance et le caractère inédit du rôle de la plateforme dans l’élaboration de ces politiques, dès lors qu’elle se transforme en « entrepreneur réglementaire ».
L’analyse de ces perturbations, qui ont abouti à une déréglementation, permet d’apprécier les réponses réglementaires apportées par le gouvernement au cours de ces transformations, les processus et les critères ayant guidé l’élaboration de nouvelles règles ainsi que les acteurs initiateurs. L’examen de cette « fabrique réglementaire » (expression de Guy Rocher) et du rôle particulier de la plateforme dans ce processus a été possible grâce à une grille analytique qui permet l’étude de la construction des politiques publiques dans un souci de conjuguer innovation et bien public dans le cadre des économies numériques.
EN :
The arrival of Uber has led to a minor revolution owing to its innovative concept of taxi services. The new concept was made possible by a digital application (the platform) that can pair drivers with passengers. Uber’s arrival could have been beneficial to the entire industry, but it took place, in Quebec, with no regard for the longstanding players and, above all, for the regulations then in force, which were, thereby, weakened and, then, demolished. The industry was finally deregulated.
This research is based on a longitudinal case study of the transformation of Quebec’s taxi industry following Uber’s arrival. It looks more specifically at the role of the state and the platform in public policy-making. Our main takeaway: the Uber platform gained importance and assumed a distinctive role in development of these public policies as it became a “regulatory entrepreneur.”
Through analysis of the disruptions leading to deregulation, it is possible to assess the government’s regulatory responses during those transformations, the processes and criteria that guided the development of new rules and the leading actors. To study this “regulatory factory” (Guy Rocher) and the platform’s special role in that process, we rely on an analytical grid that brings together innovation and the public good into our understanding of public policy-making in a digital economy context.
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Organiser les inorganisés d’une multinationale de services en ligne ? Le virage numérique d’Organization United for Respect at Walmart
Mathieu Hocquelet
p. 707–729
RésuméFR :
Cet article s’intéresse à l’Organization United for Respect at Walmart, l’une des initiatives nationales les plus ambitieuses en matière d’organisation de la main-d’oeuvre aux États-Unis au cours de la dernière décennie. S’appuyant sur une enquête qualitative menée autour du travail d’organisation des employés lors d’actions et de mobilisations de OUR Walmart (OWM) de 2013 à 2018, il revient sur les transformations de la campagne d’organisation des inorganisés (organizing) du géant de la grande distribution.
À partir d’une approche diachronique des dimensions pratiques et rhétoriques d’OWM, nous verrons que l’effort d’organisation lancé par le grand syndicat des travailleurs de l’alimentation et du commerce UFCW, puis sa poursuite de manière indépendante après 2014, ont conduit OWM à opérer un virage numérique. Cet article montre, plus spécifiquement, que le lancement d’OWM dans le cadre d’une campagne syndicale visant le distributeur Walmart et son existence en tant qu’association indépendante depuis se caractérisent par deux approches de l’organisation des inorganisés.
Au terme d’une revue de littérature portant sur les enjeux de cette stratégie, sur les caractéristiques de la campagne et la méthodologie adoptée, l’article examine comment OWM est passée d’une approche de l’organisation des inorganisés par un grand syndicat des services à une campagne beaucoup plus modeste en effectifs et en ressources financières. Liant innovations numériques et participation active des salariés, le virage technologique et réticulaire entamé par OWM souligne ainsi une opportunité de rendre visibles les inégalités raciales et de genre, tout en favorisant la coconstruction d’une solidarité professionnelle à grande échelle dans une entreprise et un secteur auparavant jugés hors d’atteinte et qui aujourd’hui, se trouvent particulièrement exposés en matière de risques en santé et sécurité au travail.
EN :
This article focuses on Organization United for Respect at Walmart, one of the major labour organizing campaigns that has been mounted in the United States over the past decade. In 7 years, OUR Walmart (OWM) achieved a series of victories over the giant retailer, which for 50 years remained inflexible in the face of all forms of employee demands (referred to as “Associates”). From its emergence as an association funded by one of the major North American trade union organizations in 2011, until its continuation independently of union funding after 2014, by means of what mechanisms and practices did OWM expand, sustain, and manage to obtain from the multinational a series of minimum wage increases for more than one million employees?
The article highlights the variety of concrete practices involved in organizing employees within a multinational service company through a study of the OWM association. In particular, it underscores the evolution of the association’s increasingly successful and innovative use of digital technologies between 2013 and 2018. The effort to organize Walmart’s employees thus went from being a field campaign orchestrated by a large trade union in its early days to becoming an independent campaign with a much smaller staff and fewer financial resources.
OWM thus brought about a shift in technology and in organizational networking through digital innovations and active employee participation. This shift provided an opportunity to make racial and gender inequalities visible while promoting the co-construction of large-scale professional solidarity in companies and sectors that had previously been considered out of reach and which today, though considered essential, are particularly exposed to workplace health and safety hazards.
Anglais
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Digitalized Drones in the Steel Industry: The Social Shaping of Technology
Dean Stroud, Victoria Timperley et Martin Weinel
p. 730–750
RésuméEN :
New digital technologies are often framed as an inevitable and determining force that presents the risk of technological unemployment and the end of work (Lloyd and Payne, 2019). In manufacturing specifically, digitalization is referred to as Industry 4.0, a term that emerged in Germany as a central economic and industrial policy and has taken on a wider resonance across Europe (Pfeiffer, 2017). In this article, we explore the workplace implications of a specific Industry 4.0 innovation. We examine the insertion of drone technology—as a timely and topical example of industrial digital technological innovation—in the steel industry.
The article brings to debates on the digital workplace a discussion of the relationship between the material forces of production and the social relations within which they are embedded (Edwards and Ramirez, 2016). Drawing on interview data from two European industrial sites, we suggest that the increasing use of drones is likely to be complicated by a number of social, economic and legal factors, the effects of which are, at best, extremely difficult to predict. Introduced for their potential as labour-saving devices, drones seemingly offer a safer and more efficient way of checking for defects in remote or inaccessible areas.
However, whilst employers might imagine that digital technologies, like drones, might substitute, replace, or intensify labour, the workplace realities described by our interviewees make insertion highly contingent. We highlight several such contingencies, with examples of the ways that the steelworkers’ interests differ from those of their employers, to discuss how the insertion of digital technologies will ultimately be shaped by the power, interests, values and visions prevailing in the workplace, as well as in the wider polity and public culture.
FR :
Les nouvelles technologies numériques sont souvent présentées comme une force inévitable et déterminante qui engendre un risque de chômage technologique et de fin de travail (Lloyd et Payne, 2019). Dans le secteur manufacturier en particulier, l’avènement du numérique (digitilization en anglais) est appelée « Industrie 4.0 », un terme qui a, d’abord, émergé en Allemagne en tant que politique économique et industrielle centrale et qui a, ensuite, pris une résonance plus large à travers l’Europe (Pfeiffer, 2017). Dans cet article, nous explorons les implications sur le lieu de travail d’une innovation spécifique de l’Industrie 4.0. Nous examinons l’insertion de la technologie des drones — en tant qu’exemple actuel de l’innovation technologique numérique industrielle — dans l’industrie sidérurgique.
Se situant dans le cadre des débats sur le lieu de travail numérique, l’article introduit une discussion sur la relation entre les forces matérielles de production et les relations sociales dans lesquelles elles sont intégrées (Edwards et Ramirez, 2016). En nous appuyant sur les données d’entretiens de deux sites industriels européens, nous suggérons que l’utilisation croissante des drones sera probablement entravée par un certain nombre de facteurs sociaux, économiques et juridiques, dont les effets sont, au mieux, extrêmement difficiles à prévoir. Introduits pour leur potentiel en tant que dispositifs permettant d’économiser du travail, les drones offrent apparemment un moyen plus sûr et plus efficace de vérifier les défauts dans les zones éloignées ou inaccessibles.
Cependant, alors que les employeurs peuvent imaginer que les technologies numériques, comme les drones, sont à même de remplacer, d’éliminer ou intensifier le travail, les réalités des lieux de travail décrits par nos interviewés révèlent une insertion très contingente. Nous mettons en évidence plusieurs de ces éventualités, avec des exemples de différences entre les intérêts des métallurgistes et ceux de leurs employeurs, dans le but de discuter de la manière dont l’insertion des technologies numériques sera finalement façonnée par le pouvoir, les intérêts, les valeurs et les visions qui prévalent sur les lieux de travail, ainsi que dans le système politique et la culture publique au sens large.
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Is Industry 4.0 a Good Fit for High Performance Work Systems? Trade Unions and Workplace Change in the Southern Ontario Automotive Assembly Sector
Tod D. Rutherford et Lorenzo Frangi
p. 751–773
RésuméEN :
The automotive industry has long been a leader in the introduction of new forms of work organization and technology—including mass production and high performance work systems (HPWS). It has also been a focal point for how trade unions negotiate such systems. Recently, much attention has focused on Industry 4.0 (I 4.0)—a manufacturing system featuring advanced robotics, digitalization and artificial intelligence. However, in the automotive industry, I 4.0 is confronted with considerable technical and social challenges, and I 4.0 paradigms have been criticized for marginalizing the continuing importance of employees in shaping, if not ‘hybridizing,’ such new production processes.
Based on a study of UNIFOR union locals in Canadian automotive assembly plants, we argue that I 4.0 has to be analyzed in terms of the ways unions have influenced the almost universal adoption of HPWS in that sector. We thus investigate the ways unions have impacted HPWS and its implications for their roles in workplace integration of I 4.0. As such, we first argue that, while overlapping, HPWS and I 4.0 represent different managerial strategies. Second, we develop an exploratory analytical framework for use in examining union roles in negotiating HPWS and technology adoption.
Based on this framework, we then analyze 18 interviews we conducted in 2017-2018 with plant managers and key UNIFOR representatives at five southern Ontario assembly plants. The interviews illustrate not only commonalities in adoption of HPWS, but also differing ways in which the union influences the ‘hybridization’ of HPWS. Union practices differ significantly from one plant to another as a function of three variables: 1- firm-plant competitive positions; 2- the union’s overall monopoly face; and 3- internal union local solidarity and narratives around HPWS. Keeping these commonalities and differences in mind, we then consider the challenges that unions are likely to confront as they begin negotiating I 4.0.
FR :
L’industrie automobile est, depuis longtemps, un chef de file dans l’introduction de nouvelles formes d’organisation du travail et de technologie, y compris la production de masse et les modèles de gestion à haute performance (MGHP, High Perfomance Work Systems-HPWS en anglais). Il a également été un point focal quant à la manière dont les syndicats négocient de tels systèmes. Récemment, une grande attention s’est portée sur l’Industrie 4.0 (I 4.0), un système de fabrication doté de la robotique avancée, du numérique et de l’intelligence artificielle. Cependant, dans l’industrie automobile, l’I 4.0 est confronté à des défis techniques et sociaux considérables. De plus, les paradigmes I 4.0 ont été critiqués pour avoir marginalisé l’importance continue des employés dans la conception, sinon ‘l’hybridation’, de ces nouveaux processus de production.
En nous fondant sur une étude des sections locales des syndicats d’UNIFOR dans les usines d’assemblage de véhicules automobiles au Canada, nous soutenons que l’I 4.0 doit être analysé en fonction de la manière dont les syndicats ont influencé l’adoption presque universelle des MGHP dans ce secteur. Nous examinons donc les effets des syndicats sur les MGHP et les implications de leur rôle dans l’intégration de l’I 4.0 sur le lieu de travail. En tant que tels, nous soutenons d’abord que, bien qu’ils se chevauchent, les MGHP et l’I 4.0 représentent des stratégies managériales différentes. Deuxièmement, nous développons un cadre d’analyse exploratoire à utiliser afin d’examiner les rôles des syndicats dans la négociation des MGHP et l’adoption de la technologie numérique.
Grâce à ce cadre d’analyse, nous analysons ensuite 18 entrevues que nous avons menées en 2017-2018 avec des directeurs d’usine et des représentants-clés d’UNIFOR dans cinq usines d’assemblage du sud de l’Ontario. Les entretiens illustrent, non seulement les points communs dans l’adoption des MGHP, mais aussi les différentes manières dont le syndicat influence ‘l’hybridation’ des MGHP. Les pratiques syndicales diffèrent significativement d’une usine à l’autre en fonction de trois variables: 1- la position concurrentielle entreprise-usine; 2- le visage global du monopole syndical; et 3- la solidarité et les récits internes du syndicat local autour de MGHP. En gardant à l’esprit ces points communs et ces différences, nous examinons, ensuite, les défis auxquels les syndicats sont susceptibles de faire face lorsqu’ils entament les négociations I 4.0.
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Neo-Taylorism in the Digital Age: Workplace Transformations in French and German Retail Warehouses
Jérôme Gautié, Karen Jaehrling et Coralie Perez
p. 774–795
RésuméEN :
The paper analyzes how digitalization in conjunction with changes to the economic environment are affecting the nature of low-skilled jobs in the logistics sector; in particular, job content and the working and employment conditions attached to those jobs. On the basis of expert interviews and company case studies in French and German retail warehouses, the authors investigate whether the adaptation of these jobs corresponds to the more general ‘neo-Taylorist’ transformation of workplaces discussed in the literature and seek to identify those factors that are helping to stabilize or modify this trend.
Drawing on the comparative labour relations literature, which distinguishes between different types of workers’ power resources (institutional, associational and structural), the study examines how and to what extent employees and their representatives renegotiate or influence techno-organizational choices. By focusing on firms headquartered in France and Germany, we can shed some light on whether the institutional power of organized labour may enable them to foster trajectories other than the kind of ‘digital Taylorism’ we see in liberal market economies.
The findings point, however, to a general convergence on digitally enhanced ‘Neo-Taylorism,’ which is characterized by deskilling and intensification of performance control. The limited cross-country variation can largely be explained by the very similar effects across countries of ‘lean’ supply-chain transformation and the trend toward outsourcing and offshoring, which negatively affect workers’ structural power. Moreover, associational resources are negatively affected by the deskilling trend. Meanwhile, the findings provide some evidence of a beneficial impact from the institutional power of worker representatives in both countries: in particular, the rights to veto and co-determine performance management systems. These rights have not altogether helped prevent the shift toward neo-Taylorism but have contributed to somewhat less intense forms of neo-Taylorism.
FR :
L’article analyse comment l’avènement du numérique, associé à l’évolution de l’environnement économique, affectent la nature des emplois peu qualifiés dans le secteur de la logistique des magasins de détail, en particulier le contenu et les conditions de travail et d’emploi qui leur sont liés. À partir d’entretiens d’experts et d’études de cas d’entreprises dans des entrepôts logistiques français et allemands, les auteurs examinent si l’évolution de ces emplois reflète la transformation ‘néo-tayloriste’ des établissements discutée dans la littérature, et cherchent à identifier les facteurs susceptibles d’infléchir ou de confirmer cette tendance.
S’appuyant sur la littérature comparative en relations de travail qui distingue les différents types de ressources de pouvoir des travailleurs (institutionnelles, associatives et structurelles), les auteurs examinent comment les choix technologico-organisationnels sont négociés ou influencés par les salariés et leurs représentants. L’accent mis sur les entreprises ayant leur siège en France et en Allemagne permet de déterminer si le pouvoir institutionnel du mouvement syndical peut permettre de faire émerger d’autres trajectoires que la forme de ‘taylorisme digital’ constaté dans les économies de marché libérales.
Les résultats indiquent une tendance largement convergente vers un « néo-taylorisme» numériquement ‘amélioré’, caractérisé par des processus de déqualification et une intensification du contrôle des performances. Le peu de différences observées entre les pays s’explique, en grande partie, par l’effet très similaire de la transformation de la chaîne logistique à flux tendus, ainsi que la tendance à l’externalisation et à la délocalisation, qui minent le pouvoir structurel des travailleurs dans tous les pays. De plus, les ressources associatives sont affectées négativement par la tendance à la déqualification. Cependant, les résultats mettent en évidence un certain effet bénéfique du pouvoir institutionnel des représentants des travailleurs dans les deux pays qui a contribué à éviter l’émergence des pires formes de néo-taylorisme, notamment en termes de contrôle de performance.
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‘Smart’ Industrial Relations in the Making? Insights from Analysis of Union Responses to Digitalization in Italy
Stefano Gasparri et Arianna Tassinari
p. 796–817
RésuméEN :
How do unions respond to the emerging threats and opportunities posed by digitalization in the sphere of employment relations? What factors account for the focus and varying effectiveness of their responses? This paper seeks to address these questions in the case of Italy—a theoretically interesting case that combines significant digitalization-related challenges, historically strong industrial relations institutions under increasing pressure, and diverse union confederations.
From the available evidence, we find that Italian union strategies and demands so far have been primarily focused on interventions at the macro and meso levels, with a view to extending traditional forms of protection—especially sectoral collective bargaining agreements—to deal with the disruptive effects of digitalization. This focus has been coupled with some limited innovation in union agendas and discursive repertoires focused on the micro level of intervention, as well as a shift in union preferences toward inclusion of platform workers and self-employed workers in their constituencies. Whilst highlighting the importance of agential factors, we nonetheless find that the focus and effectiveness of union interventions are crucially shaped by prior institutional legacies and distributions of power resources, as well as by the ideological orientation and strategic capabilities of individual unions themselves.
Overall, Italian unions have to date tended to privilege gradual response strategies based on extension and adaptation of existing and established institutions. It remains to be seen whether such adaptive approaches will be sufficient to effectively govern the digital transformation of work or whether more radical institutional experimentation will become necessary. Either way, in order to build smart industrial relations in Italy, unions will have an active role to play.
FR :
Comment les syndicats réagissent-ils aux menaces et aux opportunités émergentes que pose le numérique dans le domaine des relations de travail ? Quels facteurs expliquent l’orientation et l’efficacité variable de leurs réponses ? Cet article cherche à répondre à ces questions à partir du cas de l’Italie — un cas intéressant au niveau théorique, car il combine d’importants défis liés au numérique, des institutions de relations de travail historiquement fortes sous pression croissante et diverses confédérations syndicales.
D’après les données disponibles, nous constatons que les stratégies et les revendications des syndicats italiens ont, jusqu’à présent, été principalement axées sur les interventions aux niveaux macro et méso, plaidant en faveur d’une extension des formes traditionnelles de protection — en particulier des accords de négociation collectifs sectoriels — en vue de contrer les effets perturbateurs du numérique. Cela a été associé à quelques innovations modérées dans l’agenda des syndicats et des répertoires discursifs axés sur le niveau d’intervention micro, tout comme un changement des préférences des syndicats vers l’inclusion dans leurs rangs des travailleurs des plateformes digitales et des travailleurs indépendants. Tout en soulignant l’importance des facteurs structuraux, nous constatons, néanmoins, que la focalisation et l’efficacité des interventions des syndicats sont influencées de manière déterminante par les héritages institutionnels et la répartition des ressources de pouvoir, ainsi que par l’orientation idéologique et les capacités stratégiques des syndicats locaux eux-mêmes.
Dans l’ensemble, les syndicats italiens ont, jusqu’à ce jour, eu tendance à privilégier des stratégies de réponse graduelle fondées sur l’extension et l’adaptation des institutions existantes et établies. Toutefois, il reste à voir si de telles approches suffiront pour gérer efficacement la transformation numérique du travail ou si une expérimentation institutionnelle plus radicale deviendra nécessaire. Quoi qu’il en soit, si l’on souhaite nouer de meilleures (smart en anglais) relations de travail en Italie, les syndicats auront un rôle actif à y jouer.
A Contrario
Recensions / Book Reviews
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Whistleblowing. Toward a New Theory, Par Kate Kenny (2019) Cambridge: Harvard University Press, 296 pages. ISBN: 978-06749-75798.
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Petit traité de management pour les habitants d’Essos, de Westeros et d’ailleurs, Par Marine Agogué et Cyrille Sardais (2019) Montréal : Éditions JFD, 218 pages. ISBN : 978-28979-90374.
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Labor and the Class Idea in the United States and Canada, By Barry Eidlin (2018) Cambridge: Cambridge University Press, 362 pages. ISBN: 978-11075-14416.