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Alors que le nombre d’emplois est en progression depuis plusieurs années au Québec et au Canada, et que le taux de chômage chez les jeunes (15-24 ans) se situe à son niveau le plus bas depuis la compilation de données comparables en 1976[1], la pénurie de main-d’oeuvre dans de nombreuses régions et secteurs d’activité retient davantage l’attention que les contraintes à l’insertion professionnelle des jeunes. On aurait pourtant tort de négliger les leçons qu’il est possible de tirer des analyses de l’effet des cycles économiques sur cette population historiquement toujours plus sensible que les autres à la conjoncture, car même si la situation est actuellement favorable dans l’ensemble, certains sous-groupes, notamment les jeunes autochtones et ceux issus de l’immigration, éprouvent toujours des difficultés. De plus, l’Histoire a bien montré que l’incertitude relative à une prochaine crise de l’emploi ne porte pas tant sur sa possibilité que sur le moment où elle surviendra.
C’est justement la tâche à laquelle s’attelle cet ouvrage qui regroupe des contributions d’économistes, de sociologues, de démographes et de statisticiens autour d’un dispositif d’enquête longitudinale d’une grande richesse visant à porter un regard étendu sur les parcours d’entrée des jeunes dans la vie active. Les « sept ans de vie professionnelle » qui font l’objet des analyses se déploient sur un fond d’importantes difficultés du marché de l’emploi marqué par un contexte de faible croissance économique et de pénurie d’embauches qui a caractérisé la France des années 2004 à 2011. Ces sept années couvrent aussi l’importante crise de 2008, causée par les prêts hypothécaires à risque élevés (subprime mortgage), qui a frappé l’ensemble de l’économie mondiale, même si son effet s’est fait sentir beaucoup moins durement et durablement ici qu’ailleurs.
Les analyses présentées dans l’ouvrage reposent sur le dispositif d’enquête « Génération » du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) qui documente, depuis 1997, les premières années de vie active de cohortes de jeunes sortants de tous les niveaux du système éducatif français. Si la plupart des textes portent sur l’échantillon de plus de 12 300 jeunes sortants de 2004 qui ont été interrogés en 2007, 2009 et 2011 dans le but de reconstituer leurs sept premières années de vie active, certains comparent cette cohorte à d’autres cohortes de la même enquête afin de mieux mettre en lumière les effets de la conjoncture économique.
Après une introduction générale qui pose le contexte et les principaux repères méthodologiques permettant de situer le dispositif d’enquête, une première partie de l’ouvrage rassemble des contributions qui tablent sur cette particularité des données dans le but d’interroger les effets de la crise. Le premier chapitre compare les diplômés de 2004, qui furent frappés par la crise quatre ans après leur sortie, à ceux de 1998 insérés dans un marché plus favorable. Il valide une lecture keynésienne d’ajustement du marché du travail français par l’emploi, plutôt que par les salaires comme le voudrait la théorie néo-classique. Il fait également ressortir le fait que la détention d’un diplôme élevé à l’amorce de la crise a constitué un facteur de protection contre la précarité qu’elle engendre chez les sortants. Le chapitre suivant, qui présente une analyse fine des modes d’obtention d’emploi (marché externe, marché organisé, réseaux de relations…) et de leur lien avec la stabilisation des trajectoires, conclut à l’existence de six segments particuliers d’insertion, associés à différentes caractéristiques individuelles (sexe, diplôme, origine sociale), différents types de mobilité (durée et séquences de chômage et d’emploi) et différents degrés d’importance accordée au diplôme lors de l’embauche.
Les deux chapitres suivants offrent une mise en perspective intéressante des indicateurs économiques usuels dans l’appréciation des parcours. Ainsi, le chapitre trois examine l’évolution du lien entre normes objectives du déclassement, tel qu’appréhendé par la concordance entre le niveau de diplôme et la classification de l’emploi occupé, et l’évaluation subjective de la satisfaction des jeunes de leur situation. L’analyse nuancée des dissonances qui en ressortent souligne le caractère normatif des mesures objectives, mais aussi une résignation de certains groupes qui tendent à relativiser et internaliser les inégalités qu’ils subissent. Pour sa part, le chapitre quatre, qui s’interroge sur la pertinence de la rémunération comme indicateur de réussite professionnelle en examinant ses décalages importants avec la satisfaction salariale des individus, montre qu’un même salaire objectif peut être apprécié différemment selon la succession des emplois occupés et les avantages qui y sont associés. Cette première partie est complétée par une analyse du travail à temps partiel contraint en début d’insertion. Celle-ci montre que les effets délétères de ce dernier sur les parcours d’emploi des jeunes femmes et des jeunes peu diplômés sont aggravés par la crise économique.
La seconde partie s’éloigne de l’analyse des effets de la crise sur l’ensemble de la cohorte pour approfondir le sort de certains sous-groupes de jeunes. Les trois premières contributions de cette partie se concentrent sur les effets d’une filière particulière de formation sur le parcours d’emploi : 1- les jeunes passés du CAP au Bac pro par l’apprentissage; 2- les détenteurs du Bac qui reviennent en formation pour un nouveau diplôme; 3- les femmes diplômées des carrières scientifiques. Ces analyses particulières sur sept ans contribuent à nuancer certains effets à court terme, entre autres l’avantage octroyé par l’apprentissage s’estompe après la quatrième année, et elles confirment la persistance d’autres effets, notamment l’avantage procuré par le second diplôme chez les bacheliers en reprise d’études et les inégalités de genre qui désavantagent les diplômées des filières scientifiques. Le chapitre suivant montre également qu’à diplôme égal, les jeunes femmes demeurent plus désavantagées que leurs pairs masculins dans l’accès à la catégorie « cadre », même si cet accès se révèle plus difficile pour l’ensemble des sortants de « Génération 2004 » que pour leurs prédécesseurs. Un dernier texte aborde un aspect intéressant de l’insertion des jeunes issus de l’immigration en comparant, non seulement l’accès à l’emploi, mais en analysant un indicateur synthétique de la « qualité » des premiers emplois des jeunes issus du Maghreb et d’Europe du Sud à ceux d’origine française. Ce dernier met en lumière un désavantage persistant du premier groupe sur les deux autres.
Au final, l’ouvrage donne à voir, de manière nuancée et très bien contextualisée, divers effets du resserrement de l’accès au marché de l’emploi sur les parcours d’insertion en emploi des jeunes. Bien que sa lecture exige une bonne familiarité avec les analyses statistiques et les concepts économiques, on note un souci de précision et d’explicitation des catégories et concepts, tel l’encadré intitulé « Qu’entend-on par ‘catégorie-cadre’? » (p. 161) qui améliore grandement sa lisibilité pour un lecteur hors hexagone. L’ouvrage fait ressortir le grand potentiel analytique des enquêtes « Génération », tributaires, non seulement de leur caractère longitudinal et de leur important échantillon, mais, aussi, de leur cohérence et comparabilité entre les cohortes, ce qui permet de mieux saisir l’influence des éléments contextuels sur les parcours d’insertion. Riche d’une diversité de points de vue et d’angles d’analyse, sa focalisation sur une même série d’enquêtes lui procure également une grande cohérence et lui permet d’éviter l’impression d’éclectisme qui se dégage souvent des ouvrages collectifs.
Parties annexes
Note
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[1]
Statistique Canada (2019) « Enquête sur la population active, avril 2019 », Le Quotidien, no 11-001-X au Catalogue de Statistique Canada.