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Sous la direction de Daniel Mercure et Mircea Vultur, cet ouvrage collectif offre un panorama des enjeux et des défis du monde du travail contemporain, en faisant l’examen de 10 concepts classiques de la sociologie du travail, développés dans des chapitres autonomes. Autant les nouvelles logiques du capitalisme, forgées à travers la mondialisation et l’essor des technologies numériques, que les changements culturels des dernières décennies — pensons, notamment, à l’affirmation des subjectivités et la course à l’épanouissement personnel — ont mené à une véritable métamorphose du monde du travail. L’importance de cette métamorphose nécessite l’examen plus approfondi des notions usuelles de la sociologie du travail, qui, comme le soulignent Mercure et Vultur, ont « largement été forgées durant la période des Trente Glorieuses et, de surcroît, à l’intérieur de cadres nationaux et culturels précis » (p. 2). Les différents auteurs qui participent à cet ouvrage collectif y proposent donc, lorsque cela s’impose, un recadrage conceptuel, voire, parfois, l’adoption de notions alternatives (par exemple, vulnérabilité contre précarité, « informalisation » contre informalité) plus enclines à traduire les réalités contemporaines du travail. Sauf exception, chacun des chapitres s’articule autour de trois axes principaux : les auteurs s’appliquent d’abord à tracer la genèse du concept traité, puis à en souligner les principales dimensions, pour enfin, en évaluer, dans une perspective critique, la portée en vue d’une analyse sociologique actuelle.
Les fondements théoriques
Formant un premier bloc, les trois premiers chapitres examinent trois notions fondatrices de l’analyse sociologique. Dans le premier chapitre, Claude Didry se penche sur le concept de salariat. Si ce concept a historiquement constitué l’un des piliers de la construction de l’identité collective des travailleurs, il est aujourd’hui soumis à une rude épreuve avec la montée de la mondialisation et de l’économie des plateformes numériques. L’actuelle division de la production entre des pays du Nord, donneurs d’ordre aux pays du Sud au travers de chaines de sous-traitance, transforme le monde du travail au moment où, comme le souligne Didry, « l’employeur perd de sa netteté » (p. 23). Dans le deuxième chapitre, Micea Vultur discute la notion de précarité. D’entrée de jeu, il juge ce concept limité, car, selon lui, il renverrait trop rapidement à une compréhension déterministe de la division du travail, en plus de se perdre dans la tradition critique, associant d’emblée travail atypique et précarité. Il y propose plutôt l’utilisation du concept de ‘vulnérabilité’, qui, au contraire de la précarité, permettrait d’éviter une analyse en termes de relations verticales de domination de classe, pour y préférer une compréhension dynamique des parcours professionnels. Enfin, Maria Eugenia Longo et Mariana Busso dédient leur chapitre à la notion ‘d’informalité’. Initialement construite pour étudier les économies des pays du Sud, son utilisation lors de l’analyse des dynamiques des pays du Nord est aujourd’hui bien ancrée dans les travaux académiques. Soulignant que les frontières entre les secteurs formel et informel en viennent progressivement à se brouiller, elles y plaident la nécessité d’une analyse dynamique et souple. En ce sens, pour marquer le continuum entre le secteur formel et informel, elles y proposent le terme d’« informalisation ».
L’exercice de l’activité du travail
Le deuxième bloc porte sur l’exercice de l’activité de travail. Michel Lallemant s’applique, d’abord, à relever le caractère structurel des conflits de travail dans l’organisation actuelle du travail, trop souvent réduits à une forme de pathologie sociale. D’autre part, il montre de quelle manière l’organisation postfordiste actuelle — notamment à travers la mondialisation, la flexibilité et l’économie numérique — contraint le renouvellement du répertoire d’actions collectives; les moyens du syndicalisme classique étant désormais bien souvent incapables de créer un rapport de force. Au chapitre suivant, Jean-Pierre Durand se penche sur la notion de ‘contrôle’ en revenant sur l’évolution des différents modes d’organisation du travail, du fordisme au lean management (reposant sur la logique du ‘flux tendu’). Pour lui, ce dernier mode constitue toujours le modèle dominant d’organisation et de contrôle du travail, à la différence que la mobilisation des individus ne s’effectue plus seulement à travers la mobilisation physique des travailleurs, mais davantage à travers l’orientation des subjectivités. Dans le dernier chapitre de ce second bloc, Sylvie Monchartre examine les notions de qualification et de compétence dans la foulée des transformations récentes du monde de l’emploi. Elle cherche à montrer que le modèle de la qualification relevant de l’organisation fordiste n’a cessé de glisser ces dernières décennies vers une ‘logique de la compétence’. Si, dans le premier modèle, la valorisation reposait sur le poste de travail et les tâches qui y sont associées, la ‘logique de la compétence’ tend, quant à elle, à individualiser la gestion et l’évaluation des employés, en plus de miser sur l’injonction à la responsabilisation de ces derniers.
Le rapport au travail
Le troisième bloc porte sur le rapport au travail. D’abord, Daniel Mercure y revisite cette notion, qu’il développe selon trois dimensions, à savoir l’éthos du travail (le travail dans le rapport aux valeurs des individus), les champs d’identification (l’identité du travailleur), et les modes d’implication au travail (l’engagement du travailleur). Au chapitre suivant, Didier Demazière examine la notion de parcours professionnel, constatant d’entrée de jeu la précarisation du travail par l’effritement de la relation salariale, relation dans laquelle la sécurité des parcours s’était construite. Trois approches sont explorées, à savoir l’approche statutaire (la situation à travers le temps, comme succession de positions); l’approche compréhensive (la construction d’expériences); et, enfin, l’approche institutionnelle (comme indice pour la compréhension et la comparaison des parcours). Au chapitre 9, Éric Verdier et Mircea Vultur examinent la notion d’insertion professionnelle, qui serait marquée par deux « ruptures historiques » avec la période des Trente Glorieuses, où l’insertion n’était pas un problème, en raison de la conjoncture favorable à l’emploi. La première serait relative à l’inadéquation entre la formation académique et l’intégration en emploi, alors que la seconde renverrait à une coupure temporelle entre la fin des études et l’entrée en emploi. Verdier et Vultur y proposent une compréhension actualisée et dynamique, où la stabilité des positions et de la sécurité s’acquiert de plus en plus sur une longue période. Enfin, le dernier chapitre, rédigé par Paul Bouffartigue, est consacré aux concepts de temps et de temporalité. Pour lui, si la notion de ‘travail’ renvoyait précédemment à la dépense de temps (abstrait) pour la production, son lien avec la temporalité est de moins en moins clair dans l’actuel mode de production. En effet, ce dernier impose une course à la flexibilité, mobilisant ainsi la subjectivité des individus et brouillant les frontières entre travail et non-travail.
Contributions et limites
L’intérêt de cet ouvrage réside dans la qualité et la pertinence des propos des auteurs qui y participent et sur une distribution judicieuse des concepts selon les expertises de chacun et de chacune. Il offre une entrée de pointe sur les derniers développements de la recherche, sans négliger la présentation des conditions d’émergence des notions étudiées. Il faut d’abord souligner l’aspect didactique de l’organisation de ce livre, qui en quelques dizaines de pages parvient à bien mettre en évidence les principaux enjeux contemporains qui animent la sociologie du travail. Cela permet d’initier rapidement le lecteur aux concepts centraux de ce champ d’études depuis ses origines théoriques, de manière à bien contextualiser épistémologiquement les différents débats actuels. Cela dit, si le caractère pratique et concret de cet ouvrage constitue l’une de ses principales forces, il s’avère également l’une de ses principales limites. Le traitement condensé des analyses, quoique nécessaire à la réalisation d’un tel projet, nous apparait limiter la production d’une lecture plurielle et exhaustive des concepts étudiés. À cet égard, une lecture qui prendrait en considération le rapport différencié au monde de l’emploi, structuré également selon des logiques de genre, de classe et d’ethnicité, aurait enrichi cet ouvrage. L’adoption d’une démarche de cet ordre, d’inspiration intersectionnelle, permettrait de rendre compte de cette dimension de plus en plus structurante des marchés de l’emploi et qui gagne, à juste titre, sans cesse de l’espace dans l’analyse sociologique récente.