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Cet ouvrage propose une étude détaillée d’un Fonds de travailleurs québécois, le Fondaction, créé en 1995 à l’initiative d’une centrale syndicale, la Confédération des syndicats nationaux (CSN). L’examen de ce cas particulier est justifié par sa pérennité (au Canada, plusieurs Fonds de travailleurs sont disparus ou devenus non rentables) et par son caractère distinctif du Fonds de solidarité fondé 12 ans plus tôt par l’autre grande centrale syndicale québécoise, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). Fondaction est présenté comme une innovation institutionnelle, d’où l’originalité du propos. Ses objectifs sont d’encourager l’épargne-retraite (grâce au crédit d’impôt octroyé par les gouvernements), ainsi que le maintien et la création d’emplois puisque 60% des fonds recueillis sont investis dans des entreprises québécoises (capital de risque). Fondaction se différencie, toutefois, par ses objectifs spécifiques: favoriser la participation des travailleurs au contrôle de leur travail, promouvoir le développement durable (DD) et la finance socialement responsable (FSR) et solidaire.
Selon l’auteur: 1- les Fonds de travailleurs au Québec sont des particularités institutionnelles difficiles à imiter; et 2- Fondaction s’inscrit dans le modèle québécois de seconde, voire de troisième génération, puisqu’il contribue à un cadre de développement socioéconomique axé sur le DD et la FSR. Ces propositions sont explorées dans les deux parties du livre. La première, rédigée par Benoît Lévesque, retrace l’évolution de Fondaction en quatre chapitres, soit l’origine, le démarrage (1995-2000); la croissance et l’institutionnalisation (2000-2010); et une seconde période de croissance et de maturité (2011-2016). Nous ne reprendrons, ici, que les constats qui nous semblent particulièrement marquants de cette évolution.
La genèse de Fondaction s’inscrit dans l’héritage et la nouveauté institutionnelle. L’idée d’un tel Fonds trouve son origine dans la tradition d’intervention économique de la CSN et son ancrage dans le mouvement coopératif. Elle développe ainsi un projet de Fonds qui porte les valeurs de la centrale : la participation des employés et le DD. Celles-ci guideront Fondaction qui cherchera à inscrire son action dans le déploiement d’une économie créative, durable et solidaire.
Dans l’écosystème de la finance, Fondaction cherche à s’imposer en animant ses différents leviers d’action. Il veille à arrimer ses investissements avec ses objectifs de DD et de FSR par des politiques d’investissement responsable, en investissant dans l’économie sociale et solidaire et dans les secteurs axés sur l’environnement. Il soigne son processus de sélection et de suivi des entreprises, et développe un référentiel d’analyse multicritères pour mieux apprécier son impact sociétal et celui des entreprises dans lesquelles il investit. D’ailleurs, lors d’exercices de planification stratégique, Fondaction affirme son leadership en DD et dans la FSR en s’appuyant, notamment, sur une rhétorique du capital à finalité sociale : « donner du sens à l’argent ». L’engagement de Fondaction dans un exercice de triple reddition de comptes (économique, social, environnemental) inspiré par la GRI (Global Reporting Initiative) lui permet de cristalliser sa participation dans la FSR. Sa mise en oeuvre exige une consultation des diverses parties prenantes de l’organisation et offre un « potentiel de transformation selon les trajectoires misant sur la durée avec des alliances conséquentes pour s’inscrire dans une transition vers un autre modèle de développement » (p. 137). Fondaction s’appuie ainsi sur un réseau élargi (local, international, issu du mouvement syndical, coopératif et de recherche) qui offre des espaces de collaboration favorisant l’apprentissage et l’innovation institutionnelle en DD. Fondaction soutient son activité par une structure organisationnelle innovante qui prend les traits d’une configuration adhocratique (team-based) et missionnaire (Mintzberg, 2004). Légère et modulaire, elle favorise le partage d’une mission commune, l’autonomie, l’autogestion, le travail en équipe et la participation des employés. Plusieurs politiques ont, aussi, été adoptées pour renforcer la saine gouvernance du CA et l’indépendance de ses membres.
Que peut-on conclure de l’activité de Fondaction? En 2016, il affiche un actif net de 1,49 milliard de dollars. Son rendement affiché est de -2.9% en moyenne annuellement entre 2000 et 2010 (mais de 4.03% sur 10 ans, en tenant compte du crédit d’impôt,p. 102). Entre 2011 et 2016, les rendements sont positifs et stables, soit 2.8% en moyenne annuellement (p. 156). Mais limiter l’analyse à ces résultats ne donne pas à voir l’ensemble des impacts de Fondaction. C’est sur cette dimension « immatérielle » qu’insiste la deuxième partie du livre.
Celle-ci comprend deux chapitres rédigés par des collaborateurs qui offrent un regard analytique sur l’institution. Le chapitre 5 (Turcotte et coll.) insiste sur le rôle d’entrepreneur institutionnel de Fondaction en regard du DD par son travail de transformation institutionnelle. Les auteurs démontrent que ce processus s’appuie sur les trois piliers de Scott (2008). Au plan coercitif, Fondaction appelle l’État à produire des règles de DD et exige des entreprises dans lesquelles il investit à respecter des conventions sociales et environnementales mon-dialement reconnues. Au plan normatif, il développe et fait la promotion de normes de DD. Sur le plan cognitif, il oeuvre à théoriser ses idées pour agir « sur les savoirs, croyances et typification liées aux arrangements institutionnels » (p. 321). Comme entrepreneur institutionnel, il cherche ainsi à imprégner sa marque distinctive dans un univers marqué par le conservatisme. Le capital doit être aussi social, stimuler l’économie, respecter l’environnement et, ainsi, participer à un cercle vertueux du développement.
Gilles L. Bourque propose au chapitre 6 un bilan de Fondaction. Il soutient qu’il a contribué à l’identité économique (Porter, 1998; Salais et Storper, 1993) et conclut que « ses 20 ans d’action dans la finance, l’économie sociale et solidaire et les technologies propres permettent de qualifier son apport à l’identité économique du Québec de substantiel » (p. 356). Il participe à diversifier les intérêts dans l’industrie de la finance autour de la FSR en proposant des outils qui en font la promotion. En investissant dans l’économie sociale et solidaire, il favorise la démocratisation de la vie économique. Par son insertion dans le créneau des technologies propres, il contribue à la soutenabilité de l’économie. Fondaction ouvre, ainsi, des espaces de coopération où interagissent différentes logiques d’action issues du monde syndical, coopératif, financier et environnemental pour imaginer de nouvelles conventions.
Benoît Lévesque, en conclusion de l’ou- vrage, confirme ses propositions initiales. Le succès de Fondaction est soutenu par sa singularité, le soutien de la CSN et des objectifs spécifiques qui se traduisent dans son action. Fondaction participe aussi au modèle québécois de 2e génération caractérisé par un soutien de l’État aux initiatives de la société civile dans le développement économique. Mais il va bien au-delà. Animé par le DD, il travaille à opérer une transition sociale et écologique dans l’entreprise, mais aussi dans l’écosystème financier et l’économie.
Cet ouvrage propose un regard inédit et abondamment documenté sur l’évolution d’une institution. Il offre une mine d’informations dont il est impossible de rendre compte dans cette synthèse. Le livre s’avère donc être un outil précieux pour tous ceux qui s’intéressent de près à Fondaction. Il peut aussi interpeller les chercheurs qui étudient la FSR et les initiatives syndicales dans le domaine de la finance. Il constitue un point de départ pour pousser la réflexion sur le rôle, les forces et les limites des Fonds de travailleurs. Cet ouvrage peut aussi interpeller ceux qui s’intéressent à l’économie sociale, ainsi qu’aux innovations et expérimentations institutionnelles. Il donne à voir un tel processus à travers les enjeux auxquels Fondaction est confronté et comment il puise dans ses ressources institutionnelles pour y répondre.
Il offre une réflexion riche qui pourrait, cependant, être davantage théorisée et conceptualisée sur plusieurs axes. Par exemple, comment un entrepreneur institutionnel déploie-t-il ses ressources pour transformer les institutions existantes dans le domaine de la finance frappées d’inertie et animées par une logique dominante (le rendement)? En ce sens, l’ouvrage s’appuie moins sur un cadrage théorique pour guider le lecteur afin de mieux servir son objectif de retracer l’histoire de l’institution selon une perspective « diachronique et descriptive » (p. 11). L’auteur le reconnaît, précisant d’emblée que les deux derniers chapitres ont une portée plus analytique. Ainsi, les 290 premières pages s’adressent davantage aux lecteurs ci-haut mentionnés. Pour un regard plus synthétique, il faut se référer aux deux derniers chapitres qui proposent une réflexion analytique intéressante.
Le livre soulève, également, des questions dont l’examen critique contribuerait à approfondir la discussion. Par exemple, tout en reconnaissant la contribution réelle de Fondaction, force est de reconnaître que son actif net en fait un petit joueur dans l’univers de la finance, limitant par le fait même son influence. Benoît Lévesque relève de même des enjeux préoccupants pour la croissance de Fondaction, notamment les ponctions croissantes dans le Fonds en raison du nombre d’actionnaires prenant leur retraite. Aussi, les souscriptions du milieu syndical stagnent, voire diminuent; les militants et officiers de la CSN étant plus ou moins engagés dans la promotion de Fondaction (p. 170). L’exploration de ces zones de fragilité et d’incertitudes nous apparaît essentielle pour poursuivre l’étude de l’évolution de cette institution. Reste que cet ouvrage démontre bien la singularité de Fondaction qui cherche à faire une différence dans le monde de la finance et à construire une société plus durable.