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Introduction

Au Québec, comme dans bien d’autres régions du monde, les flux migratoires deviennent de plus en plus importants. Mais l’intégration dans les pays de destination diffère selon la situation géographique, les caractéristiques des immigrants, le contexte socioéconomique ou encore les politiques élaborées. Depuis quelques années, bon nombre de pays européens font face à de fortes vagues d’immigration illégale, conjuguées à des difficultés économiques et à l’hostilité grandissante des natifs. D’autres pays, comme les États-Unis, reçoivent davantage de demandes de réunification familiale. Des pays éloignés, notamment l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mettent, en revanche, l’accent sur une immigration qualifiée. Et ils adaptent leurs politiques au fil des ans afin de mieux en tirer profit.

Dans ce cadre, l’insertion professionnelle des immigrants qualifiés s’avère au coeur des préoccupations internationales (OCDE, 2015; Froy et Giguere, 2007), canadiennes (Boudarbat et Connolly, 2013; Zietsma, 2010; Picot, Hou et Colombe, 2007) et québécoises (Boulet et Boudarbat, 2010; Lenoir-Achdjian et coll., 2009; Cousineau et Boudarbat, 2009).

Le Canada, étant généralement moins touché par les flux migratoires massifs, a toujours privilégié une immigration basée sur le capital humain (Akbari et MacDonald, 2014; Boudarbat et Grenier, 2014), soit sur les qualifications, ainsi que sur les compétences professionnelles et linguistiques des candidats. Toutefois, les modifications régulières dans les politiques d’immigration et les grilles de sélection témoignent des difficultés que rencontre cette main-d’oeuvre qualifiée à s’insérer professionnellement au Canada et au Québec.

Afin de mieux cerner cette réalité, cet article porte sur l’insertion professionnelle des immigrants qualifiés en technologies de l’information (TI) dans la région dite de la Capitale-Nationale. On s’attendait à ce qu’ils soient mieux insérés en emploi que la population immigrée en général, dont l’insertion est jugée difficile par la littérature scientifique. Cette assertion se fondait sur le discours favorable des différents acteurs du milieu, sur le dynamisme du secteur régional des TI, la pénurie de main-d’oeuvre locale, ainsi que le faible taux de chômage régional.

Dans le cadre d’une recherche exploratoire, dont une partie des résultats est présentée ici, nous avons cependant découvert l’existence d’une catégorie particulière d’immigrants qualifiés dans le secteur des TI à Québec. Cette dernière n’est pas arrivée par l’entremise des programmes de recrutement à l’étranger menés par des organismes spécialisés en développement économique et qui font les manchettes de la presse régionale. Cette catégorie d’immigrants méconnue des acteurs du milieu semble passer sous le radar des statistiques régionales (et, surtout, des statistiques sectorielles) qui portent sur les chercheurs d’emploi issus de l’immigration et installés dans la région. Dès lors, le discours général d’une insertion professionnelle harmonieuse (Québec international, 2014a; 2014b; Emploi Québec, 2014) ne les concerne pas, il s’agirait plutôt d’un mythe. Ces candidats affichent des profils généralistes en informatique ou proviennent de domaines connexes aux TI (bio-informatique, géomatique, etc.), alors que les emplois qui se font rares dans la région se trouvent, en fait, dans des domaines plus spécialisés, tels l’analyse des bases de données ou la conception et le développement web (Racine et Hanin, 2012). Leurs difficultés d’adaptation au marché de l’emploi les amènent à user de stratégies de retour aux études et de déqualification dans le but de mieux s’insérer.

Quelles situations les mènent à prendre ces décisions ? Les stratégies retenues permettent-elles une insertion professionnelle ? Quel est leur point de vue sur le processus d’insertion ? C’est tout l’objet de cet article qui comporte cinq sections. La première fait état des recherches sur l’insertion professionnelle des immigrants qualifiés au Canada et au Québec, et, en particulier, sur une main-d’oeuvre qualifiée méconnue dans le secteur des TI à Québec. La deuxième section présente les cadres conceptuel et analytique. La troisième détaille la méthodologie de recherche. Les deux dernières sections présentent les résultats et les discutent ensuite afin de mettre en évidence les conditions particulières qu’expérimente sur le marché de l’emploi ce groupe d’immigrants qualifiés jusqu’ici peu étudié.

L’insertion professionnelle des immigrants qualifiés au Québec

Le Canada sélectionne beaucoup d’immigrants. Parmi 260 411 personnes reçues en 2014, 63,4% l’ont été dans la catégorie de l’immigration économique (Statistique Canada, 2016). Dans celle-ci, la très grande majorité des immigrants sont reçus dans la sous-catégorie « travailleurs qualifiés ». La recension des études fait état de difficultés d’insertion professionnelle que connaissent ces travailleurs qualifiés, comparativement aux Canadiens de naissance, difficultés se manifestant par des écarts dans les taux de chômage et d’emploi (Picot, Hou et Coulombe, 2007). Leur expérience étrangère n’est pas suffisamment reconnue sur le marché du travail canadien (Aydemir et Robinson, 2006) et leur taux d’activité dans des emplois de faible scolarité s’est accru (Galarneau et Morissette, 2008). Les immigrants rencontrent également des difficultés à exercer des emplois réglementés (Zietsma, 2010) et ils sont plus discriminés selon la langue maternelle, le pays d’origine ou le statut de minorité visible (Picot et Sweetman, 2005).

Au Québec plus particulièrement, au total 49 024 personnes ont été admises en 2015, dont 61,1% dans la catégorie de l’immigration économique (MIDI, 2015). Ces personnes arrivent au Québec de façon permanente grâce au programme des travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec, programme qui, à travers une grille de pointage, évalue leur employabilité. Les données recensées font également état d’obstacles à l’insertion professionnelle. En effet, les mêmes données du ministère de l’Immigration (idem) soulignent un taux de chômage de l’ordre de 10,7 % pour la main-d’oeuvre immigrante en général, comparativement à 7,6 % pour l’ensemble de la population québécoise. Cet écart est souligné depuis plusieurs années (Boulet et Boudarbat, 2010; Cousineau et Boudarbat, 2009). Toutefois, une étude récente sur l’immigration qualifiée (Benzakour et coll., 2013) vient nuancer ces résultats. Si leur taux de chômage général était de 9,2 % au moment de l’étude, les « répondants qui ont déclaré résider au Québec depuis 13 à 60 mois [avaient] un taux de chômage relativement stable [variant] de 10,1 % à 10,8 %. Ce n’est qu’après 60 mois de résidence qu’un recul notable est observé, le taux atteignant 7,9 % » (p. 33).

D’autres études font apparaître que le taux d’emploi des immigrants arrivés à l’âge adulte est inférieur à celui des Québécois de naissance (Boulet et Boudarbat, 2010), mais qu’il tend à s’améliorer au cours des années d’établissement (Benzakour et coll., 2013). Ces disparités se révèlent plus importantes pour ceux qui sont arrivés depuis cinq ans et moins. Les recherches révèlent aussi un risque de déqualification (Chicha, 2009) : les immigrants québécois sont amenés à occuper des emplois en deçà de leurs compétences étrangères, surtout durant les années suivant leur arrivée. Plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer cette situation. On parle d’insuffisances dans les compétences linguistiques, notamment en anglais (Lenoir-Achdjian et coll., 2009), ou encore de difficultés pour faire reconnaitre les titres et les diplômes étrangers (Chicha, 2009; Lenoir-Achdjian et coll., 2009). Certains immigrants rencontrent aussi des obstacles pour occuper certaines professions dont les conditions d’exercice et d’admission sont réglementées par des ordres professionnels. Ils manqueraient également d’informations sur les opportunités de carrière et les exigences du marché de l’emploi québécois (Lenoir-Achdjian et coll., 2009). Dans d’autres cas, ils feraient face à des biais informationnels (Béji et Pellerin, 2010).

L’insertion professionnelle des immigrants qualifiés dans la Capitale-Nationale du Québec est moins documentée. Les travaux existants se concentrent davantage sur les femmes immigrantes (Giroux, 2011; Guilbert, 2008; Vatz-Laaroussi et coll., 2007). Les difficultés que ces auteurs soulignent ressemblent à celles rencontrées à l’échelle provinciale. Ici également, on mentionne un manque de reconnaissance de la formation acquise dans le pays d’origine, un risque de déqualification, un manque d’informations sur le fonctionnement du marché du travail québécois, ainsi que des difficultés à créer des réseaux sociaux et professionnels (Bernier et Vatz-Laaroussi, 2013). Pourtant, ces dernières années, la région de la Capitale-Nationale a reçu le plus grand nombre d’immigrants hors métropole montréalaise (MIDI, 2015). En 2011, la population immigrante représentait 4,5 % de la population totale de cette région.

Avec un taux de chômage avoisinant les 5% depuis plus d’une décennie, les perspectives d’emploi dans la région de la Capitale-Nationale sont jugées bonnes (Emploi Québec, 2014). C’est notamment le cas dans le secteur des TI, où les entreprises sont en croissance et font face à une rareté de main-d’oeuvre locale dans certaines professions (Racine et Hanin, 2012). La main-d’oeuvre immigrante devient alors attrayante pour les employeurs et elle arrive en nombre important dans la région, notamment par le recrutement à l’international. Ce dernier est coordonné par des organismes spécialisés dans l’embauche d’immigrants qualifiés temporaires en TI. Cependant, l’insertion des immigrants dans le secteur régional des TI est peu documentée, même si les acteurs du milieu parlent d’un environnement de travail favorable. Cette information, rendue publique par l’intermédiaire des discours que peuvent tenir les acteurs d’accompagnement (agences, associations, fonctionnaires, organismes, réseaux de proches), vient conditionner la perception des immigrants sur la bonne croissance du secteur et les perspectives d’emploi.

La présente étude s’intéresse à une catégorie particulière d’immigrants qualifiés cherchant aussi à insérer le secteur des TI dans la région de la Capitale-nationale. Ceux-ci sont arrivés à la suite de démarches individuelles effectuées dans le cadre du programme des travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec. Ce sous-groupe est méconnu, ses caractéristiques sont atypiques et elles ne sont documentées ni statistiquement, ni qualitativement, d’où l’intérêt des questions soulevées par cette recherche exploratoire. Quel est leur point de vue sur l’insertion professionnelle à Québec ? Quelles situations particulières vivent-ils et quelles stratégies mettent-ils en place ? À l’issue de ces dernières, peut-on parler d’insertion professionnelle dans un secteur aussi en demande de main-d’oeuvre que celui des TI ou cela relèverait-t-il plutôt d’un mythe ?

Cadres conceptuel et analytique

Plusieurs indicateurs permettent d’examiner la question de l’insertion professionnelle. L’obtention d’un diplôme, l’accès à un emploi, le statut et le niveau de formation, la correspondance entre la formation et l’emploi en sont quelques-uns (Vincens, 1997; Trottier, 1995). Assez souvent, l’insertion professionnelle fait référence au passage allant de l’obtention d’un diplôme vers l’occupation d’un emploi correspondant au domaine d’études (Renaud et Cayn, 2006; Fournier et coll., 2000). Trottier (1995) soutiendra plutôt que l’insertion débute quand les personnes se mettent à chercher un emploi et qu’elle se termine quand elles parviennent à en occuper un qui corresponde à leur formation et à la réalisation de leur projet de vie personnel. Cette définition sous-tend une perspective objective, délimitée par le chercheur lui-même, par exemple quand les personnes se mettent à chercher du travail, et une autre subjective, en lien avec la satisfaction et les attentes de l’interviewé, qui délimiterait lui-même le début et la fin de l’insertion (Vincens, 1997). Les deux perspectives sont retenues dans le cadre de cet article. L’insertion professionnelle réfère donc ici à l’obtention d’un emploi en adéquation avec le diplôme obtenu hors Québec, mais également à la correspondance entre l’emploi occupé et le point de vue des immigrants eu égard à leurs attentes migratoires.

La qualification réfère à l’obtention de diplômes. Bégin et Renaud (2012) soutiennent que la présence d’immigrants sélectionnés dans des emplois correspondant à leurs compétences au cours des premières années suivant la migration laisse supposer qu’ils occupent un emploi qualifié. Au contraire, s’ils occupent des emplois pour lesquels leurs compétences sont sous-utilisées, ils sont déqualifiés. Si l’insertion en emploi, notamment dans le secteur des TI, est conditionnelle à la qualification, la dernière en revanche n’assure pas la première (Vultur, 2006). Il peut y avoir une inadaptation entre l’offre de compétences et les besoins du marché du travail ou ceux des employeurs (Lejeune et Bernier, 2014), entrainant ainsi une déqualification, appelée aussi surqualification (ISQ, 2013) ou, de manière plus neutre, surdiplomation (ISQ/Cloutier-Villeneuve, 2014). Plusieurs auteurs se sont intéressés à la déqualification des immigrants au Canada (Ewoudou, 2011; Galarneau et Morissette, 2008) et au Québec (Chicha, 2009). Selon cette dernière auteure, la déqualification peut être l’effet de facteurs tels la provenance du diplôme étranger, l’expérience professionnelle, le secteur d’activité, la discrimination, un surplus d’offre de compétences sur le marché du travail, etc. En outre, s’il y a lieu de croire que la situation de surqualification est vécue par une proportion importante de travailleurs québécois, il reste néanmoins que « les personnes immigrantes affichent toujours un taux de surqualification supérieur aux personnes nées au Canada » (ISQ, 2013 : 11).

Pour mesurer la surqualification, deux approches sont souvent utilisées : l’approche objective et l’approche subjective. La première consiste, par exemple, à comparer le niveau des emplois occupés à celui des diplômes, en recourant à la classification nationale des professions (CNP) (Reynaud et Cayn, 2006; Vultur, 2006). De son côté, Cloutier-Villeneuve (ISQ, 2014) précise que : « les travailleurs surdiplômés (ou surqualifiés) regroupent […] les personnes titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires partiel ou complété (niveau collégial), qui ont un emploi de niveau intermédiaire ou élémentaire, ainsi que les titulaires d’un diplôme universitaire de 1er cycle ou supérieur, qui occupent un emploi de niveau technique, intermédiaire ou élémentaire » (p. 6).

L’approche subjective, pour sa part, est basée sur le ressenti des individus (Di Paola et Moulet, 2012; Trottier,1995), c’est-à-dire, sur leurs attentes concernant l’emploi envisagé à l’arrivée. Dans le cadre de cet article, les deux approches ont également été retenues. La surqualification est mesurée à travers la correspondance entre le niveau de formation hors-Québec et celui requis pour le poste occupé à Québec, mais aussi du point de vue des immigrants eux-mêmes, en lien avec leurs attentes migratoires.

La surqualification peut être transitoire ou durable. Elle peut être due à des situations structurelles en lien avec l’employeur qui détient une information imparfaite sur le salarié (Di Paola et Moulet, 2012) ou avec le niveau de compétences requis pour un poste (Vultur, 2006). Elle peut également être le résultat d’un choix délibéré. L’examen des stratégies d’insertion des immigrants (Dioh, 2014; Bernier et Vatz-Laaroussi, 2013; Liversage, 2009; Chicha, 2009) permet de mettre en évidence qu’ils ont une capacité réflexive les amenant à opérer des ajustements en fonction des situations, des enjeux, des finalités et des ressources à leur disposition. Ces actions les amènent à élaborer des stratégies comme la déqualification professionnelle, la formation, l’acceptation d’un emploi transitoire, la mobilité, etc. Dans le cadre de cette étude, le terme « stratégie » désigne, dès lors, tous les moyens formels et informels qu’utilisent les immigrants pour trouver un emploi qui les satisfait.

Le sous-secteur des TI que tentent d’insérer les immigrants dont il est question dans cet article, est celui des activités de service, que sont l’architecture, la conception de systèmes d’information et la recherche-développement. Ce sous-secteur regroupe des professions tels consultants en informatique, analystes, programmeurs, développeurs en médias interactifs, agents de soutien aux utilisateurs, etc. (TechnoCompétences, 2015).

L’étude de leur insertion professionnelle fait alors référence à une démarche menant à l’obtention d’un premier emploi jugé satisfaisant en TI à Québec, et la surqualification à la correspondance entre le niveau de formation acquis hors-Québec et celui requis pour le poste. Les deux indicateurs combinent leurs points de vue. La démarche d’insertion et la surqualification sont donc étudiées à la fois sur les plans objectif et subjectif. À ce dernier niveau, on reconnaît aux immigrants une capacité d’interprétation qui leur permet de construire leur réalité et de donner un sens à leurs actions (LeBreton, 2004). Ils sont capables de juger de la qualité de leur insertion et d’une éventuelle surqualification, ainsi que de mettre en place des stratégies de retour aux études ou de déqualification en vue d’une meilleure insertion professionnelle. Nous utiliserons le terme de déqualification pour évoquer la stratégie des immigrants et de surqualification pour évoquer la situation professionnelle après la formation. Le Tableau 1 résume le cadre analytique.

Tableau 1

Cadre analytique

Cadre analytique

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Méthodologie

La méthodologie de recherche qualitative offre la possibilité d’expliciter le phénomène d’insertion professionnelle dans la variété et les nuances de ses manifestations, en recourant à des données tels les perceptions, points de vue et attitudes (Miles et Huberman, 2003). Elle fournit une compréhension en profondeur de la réalité étudiée. La première méthode de collecte utilisée a été l’entrevue de groupe. Ce fut un moyen privilégié pour entrer en contact avec un nombre important d’immigrants. L’entrevue de groupe a permis de générer un large éventail d’appréciations et une « vue » collective sur leur réalité professionnelle. La collecte de données s’est poursuivie par le biais d’entrevues individuelles de type semi-directif. Ces dernières ont permis aux immigrants d’exprimer leurs points de vue sur cette insertion professionnelle. L’ensemble de ces entrevues ont été menées entre 2009 et 2015.

Les annonces de recrutement s’adressaient à toute personne d’origine étrangère, spécialisée en TI et ayant l’intention de travailler dans la région de Québec. Tous les membres de cette population avaient la même probabilité d’être sélectionnés. Des annonces ont été envoyées dans tous les lieux où il était possible de les rejoindre. Après de vaines tentatives pour entrer en contact avec eux et le peu de participants trouvés, l’analyse des entrevues exploratoires avec les personnes-ressources a révélé qu’une grande proportion se trouvait dans les programmes de formation continue en TI, alors qu’ils avaient déjà acquis dans le pays d’origine une formation initiale dans le domaine. L’intérêt pour ce sous-groupe, dont les caractéristiques, les parcours et les raisons du choix de formation étaient méconnus, est né de ce constat.

Nous avons alors approché des responsables de programme et c’est ainsi que la majorité des immigrants de l’échantillon ont été rencontrés au moment où ils suivaient une formation complémentaire québécoise de niveau collégial (technique) et de type « formation continue ». Au moment de la rencontre, certains débutaient la formation, alors que d’autres la terminaient et s’apprêtaient à entrer en emploi. Dans le cadre de cet article, 20 répondants sont retenus. Ce sont ceux qui ont suivi une formation initiale en TI ou dans un domaine connexe avant d’immigrer à Québec. Les 8 exclus ont tenté une réorientation de carrière en TI, une fois installés à Québec, et à la suite de difficultés d’insertion dans leur domaine d’activités. Le Tableau 2 décrit les caractéristiques des immigrants retenus.

Les thèmes des entretiens portaient sur : 1- la situation pré-migratoire (caractéristiques, qualifications, emploi); 2- les attentes en lien avec le projet migratoire; 3- les démarches pour occuper un emploi à Québec; 4- les difficultés d’insertion rencontrées; 5- les actions stratégiques entreprises; 6- les changements qu’elles ont apportés à la situation initiale; et, enfin, 7- le projet professionnel.

Tableau 2

Portrait des répondants

Portrait des répondants

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Dans le cadre de cet article, l’analyse objective des résultats fait appel à un comptage numérique. L’analyse subjective, quant à elle, repose sur une analyse de contenu (Van Campenhoudt et Quivy, 2011). Il s’agit là de défaire la cohérence singulière de l’entrevue pour découper transversalement ce qui, d’une entrevue à l’autre, réfère aux mêmes idées, puis d’en présenter des extraits représentatifs. Les données recueillies ont été codifiées à l’aide d’un logiciel d’analyse. Elles ont été classées en catégories et sous-catégories selon une grille correspondant au schéma d’entrevue et à la lecture des verbatim. L’analyse proprement dite a reposé sur l’identification et la classification de plusieurs thèmes qui ont été évoqués de façon récurrente dans différentes entrevues. Elle a consisté à reconstruire les propos des répondants en rédigeant des textes qui regroupent les catégories et les thèmes, et en les ponctuant de citations qui représentent la généralité des données. Un retour itératif a été fait sur toutes les parties au fur et à mesure pour réajuster ou raffiner l’interprétation au besoin (Miles et Huberman, 2003). Les données présentées dans cet article concernent trois thèmes mis en perspective quant aux indicateurs choisis pour traduire l’insertion professionnelle des immigrants qualifiés en TI à Québec et qui caractérisent trois moments de leur parcours. Le premier est en lien avec les difficultés rencontrées lors de leurs tentatives d’insérer le secteur des TI avec des qualifications étrangères avant de suivre une formation québécoise. Le second évoque les stratégies de retour aux études et de déqualification. Enfin, le troisième thème décrit la situation professionnelle une fois le diplôme obtenu, ainsi que le niveau d’emploi occupé.

Résultats

Difficultés d’insertion sur le marché des TI préalables à la formation

Sur le plan objectif, aucun des vingt répondants n’a trouvé un emploi avec les qualifications étrangères en TI. Il n’y a donc pas eu d’insertion professionnelle initiale en TI grâce aux compétences étrangères.

Sur le plan subjectif, les propos des répondants mentionnent plusieurs obstacles en lien avec cette tentative d’insertion professionnelle, ce qui en a amené plusieurs à occuper des emplois de subsistance précaires. L’un d’eux soutient :

J’ai trouvé un job. Ils m’avaient dit que ce serait un poste à long terme, qu’ils développeraient l’équipe et qu’il y aurait beaucoup de travail. Mais, une fois qu’on a fini la commande qu’avait reçue l’entreprise, j’ai été libéré. C’était « plate ».

#5, Europe de l’Est

Un autre répondant décrit la même réalité en évoquant aussi des emplois instables :

J’ai tenté ma chance sur le marché de l’emploi, je tombais toujours sur de petits jobs. Tu travailles beaucoup pour peu d’argent, puis c’est un travail instable. Tu travailles trois mois, après tu t’arrêtes, tu travailles deux jours, tu ne travailles pas quatre jours.

#15, Afrique du Nord

Ces difficultés en ont amené plusieurs à occuper des emplois nécessitant un faible niveau de scolarité, malgré leur diplôme universitaire. Un autre mentionne :

J’ai trouvé un travail par l’intermédiaire de X [agence de placement]. Ils m’ont envoyé dans l’entreprise Y [vente en gros]. Il fallait faire la manutention : c’était difficile, c’était si difficile la manutention là pour 10$ [l’heure, salaire légèrement supérieur au salaire minimum de l’époque].

#2, Afrique subsaharienne

La citation suivante illustre de manière similaire la situation vécue par une répondante détentrice d’un doctorat et obligée de rechercher un emploi de qualification moindre dans le secteur privé :

Moi, le seul problème, c’était l’emploi. C’était juste pour mon emploi que ça ne s’est pas concrétisé comme je pensais que ça allait se faire. J’ai fait beaucoup de recherches, il y a beaucoup d’entreprises [dans le secteur], j’ai contacté beaucoup de personnes. J’ai rencontré des associations d’aide à l’emploi. Et parfois même, on me disait d’enlever mon doctorat de mon CV. Parce qu’on pensait que ça pouvait faire peur à l’embauche. Je spécifiais dans mes lettres de présentation que j’envoyais que j’étais ouverte à toute opportunité, même si c’était en-dessous.

#11, Europe occidentale

Quelques répondants ont subi le manque de ressources des employeurs en matière de gestion de compétences et de sélection du personnel, illustrant un déficit dans les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH). La citation suivante reflète cette situation :

J’ai trouvé un emploi dans une PME. À l’entrevue, ils [les dirigeants-propriétaires] étaient très motivés. Ils ont regardé mon master, puis mon poste de directeur. Puis, ils m’ont dit : « Notre structure est petite, mais on évolue vers ça, si vous voulez qu’on travaille ensemble, il n’y a aucun problème ». On a donc commencé à travailler, mais à la 3e semaine, ils sont venus me voir pour me dire qu’ils allaient m’arrêter. Ils m’ont dit : « On voulait un technicien réseau, un technicien de terrain et toi, on te voit plus derrière un bureau, comme un analyste ». Ils ont reconnu qu’ils avaient fait une erreur stratégique.

#20, Afrique subsaharienne

D’autres entraves à l’insertion sur le marché du travail sont liées à la maîtrise de la langue de travail :

Le français m’a causé beaucoup de problèmes. Pas des problèmes graves qui m’auraient empêché de vivre, mais parce que je ne pouvais pas communiquer facilement et que je n’étais pas capable de m’exprimer comme je voulais.

#3, Europe de l’Est

Pour d’autres répondants, l’exigence de l’anglais s’est posée, mettant un frein à l’exercice d’un premier emploi en TI. Voici ce qu’en dit l’un des participants :

Pour moi, c’était un cauchemar, contrairement à ce que je pensais. Partout où j’ai cherché du travail, on m’obligeait à connaitre l’anglais. En X [pays d’Europe où il avait d’abord immigré], je travaillais avec les Allemands, les Italiens, les Français, c’était facile. Mais quand j’arrive ici, le secteur évolue avec des anglophones. Donc, il fallait connaître obligatoirement l’anglais.

#2, Afrique subsaharienne

Enfin, quelques répondants ont perçu dans leurs premières démarches d’insertion en TI que les nomenclatures professionnelles étaient différentes au Québec, en comparaison avec le pays d’origine. C’est ce qu’explique ce répondant :

L’ingénieur dans mon pays travaille comme technicien au Québec. L’administrateur dans mon pays travaille de la même façon qu’un ingénieur québécois. Alors qu’ici, le diplôme de technicien, c’est juste pour être un technicien [toutes ces différences sont difficiles à saisir sur le marché de l’emploi québécois].

#5, Europe de l’Est

En résumé, aucun répondant n’a trouvé un premier emploi en TI à Québec correspondant à ses compétences étrangères. Les emplois décrits sont alors précaires, de courte durée ou de niveau de qualification moindre, sans lien avec les acquis étrangers. Les tentatives d’insertion professionnelle se heurtent à des constats d’inadéquation, autant sur le plan des compétences et de la maîtrise des langues officielles canadiennes, que sur le plan des exigences relatives à différents niveaux de postes. On observe aussi des lacunes dans les pratiques de GRH.

Stratégies de retour aux études et de déqualification « consentie »

On se rappellera que durant le processus de recrutement, les personnes rencontrées suivaient une formation collégiale en TI. C’est donc sans grande surprise qu’on affirme que les vingt répondants ont décidé un retour aux études au niveau collégial. Les difficultés d’insertion professionnelle qu’ils ont connues quelques années après l’installation à Québec ont justifié cette stratégie.

Sur le plan subjectif, ils espéraient, grâce à ce retour aux études, surmonter les barrières d’insertion sur le marché de l’emploi. Une répondante soutient :

[Cette formation collégiale], c’était une possibilité pour faire reconnaitre mes acquis en informatique.

#8, Amérique latine

Un autre renchérit :

Revenir aux études n’était pas dans mon plan de départ, mais j’ai côtoyé le marché du travail et j’ai eu du mal à faire reconnaître mes études et mon expérience [hors Québec]. Je ne voulais pas perdre trop de temps à chercher de l’emploi sans aboutir à l’emploi que j’aimerais occuper.

#9, Afrique du Nord

Les répondants ont stratégiquement choisi une formation de courte durée dans l’espoir d’une insertion professionnelle rapide et stable. C’est le cas des programmes de formation continue de niveau collégial. L’un d’eux soutient :

Je me suis dit qu’un bac [diplôme universitaire de 1er cycle au Québec], c’est quelque chose de bien, mais il faudra encore de bonnes années. S’il me fallait aller valider ce baccalauréat, il me faudrait trois à quatre années. Je me suis dit : je dois me chercher une formation très courte et très en demande sur le marché.

#18 Afrique subsaharienne

Ils ont aussi perçu un arrimage entre la formation offerte et les besoins des employeurs (en l’occurrence, pour les activités de gestion de réseaux). À ce sujet, une autre renchérit :

Toutes les entreprises ont maintenant besoin de travailler en réseaux. Donc maintenant la demande dans ce secteur, c’est sécurité, gestion des réseaux et serveurs. Le cours est monté en fonction des besoins des entreprises.

#4, Asie

Les répondants sont donc conscients de la déqualification qu’engendre cette formation collégiale, comparée à leur niveau universitaire atteint avant d’émigrer. En effet, il y a de fortes probabilités que le premier emploi en lien avec ce diplôme soit de niveau technique, et donc qu’ils soient surqualifiés. À ce propos, l’un d’eux dira :

Probablement, mon premier emploi sera technicien niveau 1, qui fait du support pour les autres usagers, qui reçoit des appels pour vérifier les choses. Ou alors un poste de technicien niveau 2. Je ne pourrai pas travailler comme technicien intermédiaire ou senior.

#3, Europe de l’Est

La majorité des répondants souhaitent qu’à l’issue de cette formation un premier emploi en TI s’offre à eux, tout en acceptant l’idée de la surqualification. Quelques-uns espèrent une admission sur le marché de l’emploi qui allie les acquis étrangers avec cette nouvelle qualification québécoise, faisant ainsi évoluer leur carrière :

En géomatique, j’ai toujours fait un peu d’informatique, de la programmation. Ce n’est pas nouveau pour moi. Je ne trouvais pas d’emploi dans mon domaine en arrivant. J’étais amenée à me dire : j’essaie de me perfectionner dans l’informatique pour m’ouvrir plus de chances dans les industries à Québec. Donc, je me suis renseignée un peu sur ce que faisaient les entreprises en géomatique maintenant. Ils sont beaucoup tournés vers les applications web. Je me suis alors dit : je vais faire une formation technique dans le domaine du web qui va me rajouter ces compétences-là et me permettre de pouvoir intégrer ce genre d’entreprises à Québec.

#11, Europe occidentale

Situation professionnelle une fois le diplôme québécois obtenu

Quelques répondants ont également été rencontrés au moment où ils commençaient un premier emploi en TI à Québec, à la suite de la formation québécoise, ce qui permet de documenter leur situation professionnelle a posteriori.

Sur le plan objectif, cette formation collégiale les amène sans grande surprise à une surqualification, puisque les vingt répondants sont destinés à des postes de niveau collégial, donc techniques, alors que certains étaient ingénieurs, analystes (profession de niveau universitaire) ou occupaient des postes de direction dans le pays d’origine. Émerge alors le thème de la correspondance entre les niveaux de qualification acquis et ceux exigés pour l’emploi à Québec, celui de la surqualification consentie et stratégique.

On observe aussi que la formation québécoise s’avère la porte d’entrée pour insérer le milieu des TI. Mais il s’agit pour un certain nombre d’entre eux d’emplois à durée déterminée qu’ils ont trouvés, par exemple, dans le secteur public.

Sur le plan subjectif, l’insertion professionnelle suite à la formation est toujours à risque. Un participant raconte sa situation, qu’il qualifie « d’un peu » difficile :

Le Québec est assez spécifique dans sa manière de faire. Quand je reçois mon certificat de sélection où l’agent d’immigration avait évalué mes compétences en me positionnant comme analyste, quand j’arrive ici, je n’occupe pas un poste d’analyste, je suis comme un technicien intermédiaire et, puis, je dois confronter des tâches que je n’avais plus faites depuis pas mal d’années. Tout cela est un peu difficile à accepter. Il y a des compétences que je ne mets plus en pratique parce que je ne suis pas tombé dans un environnement qui s’y prête.

#20, Afrique subsaharienne

Certains autres répondants décrivent une instabilité professionnelle. C’est le cas de ce dernier, qui désire continuer à faire carrière dans la fonction publique, cette fois-ci québécoise, en période de coupures budgétaires :

Je peux dire que travailler dans un gouvernement, ça a toujours été mon rêve, mais toujours est-il que le système d’entrée reste le même : il faut passer par le concours [je suis actuellement contractuel]. Présentement, ils sont à la recherche d’une personne, mais comme le recrutement externe est fermé [à cause des coupures budgétaires], ils cherchent à l’interne [ce qui concerne seulement les employés permanents]. Ils ont lancé des offres d’affectation, mais il n’y a personne qui a ces qualités. Donc, même si je réponds, malheureusement, ils ne peuvent pas m’engager [car je ne suis pas éligible à cause de mon statut d’emploi].

#18, Afrique subsaharienne

Les propos des quelques répondants rencontrés à la suite de la formation sont empreints d’amertume et de déception quant à leur situation de surqualification, et, plus généralement, leur processus d’insertion professionnelle, référant ainsi à des attentes migratoires. L’un d’eux affirme :

En pensant à mon avenir, c’est sûr qu’à un moment donné je rêvais du mieux. Je me disais : « Écoutes ça va aller, on aura ça, on aura le travail, on aura de l’argent et tout ». Mais quand j’essaie un peu de voir la réalité, sincèrement, j’ai un peu peur. Je suis un peu perplexe maintenant. Je ne sais pas quelle surprise me réserve le monde du travail.

#2, Afrique subsaharienne

Un autre répondant, après avoir subi une situation de rétrogradation, ajoute sur le même ton :

C’est une nouvelle exploitation à notre époque. Ce CSQ [Certification de sélection du Québec] m’a fait croire que le Canada est un pays de droit et qu’ils vont nous aider à retrouver au moins ce qu’ils ont écrit [cf. agent d’immigration]. Ce n’est pas ça. (…) On est toujours en train de courir après des éléments placés pour nous empêcher d’avancer, c’est suicidaire.

#20, Afrique subsaharienne

Discussion et conclusion

Nos résultats rappellent des constats déjà établis à l’échelle provinciale concernant la population immigrée et évoquant des difficultés d’insertion professionnelle au Canada (Ewoudou, 2011; Picot, Hou et Coulombe, 2007), au Québec (Benzakour et coll., 2013; Cousineau et Boudarbat, 2009; Chicha, 2009; Lenoir-Achdjian et coll., 2009), et, en particulier, dans la région de la Capitale-Nationale (Guilbert, 2008; Vatz-Laaroussi et coll., 2007). Ces immigrants qualifiés du secteur des TI à Québec, qui auraient dû connaître un processus plus aisé d’insertion du fait, entre autres, d’une rareté de main-d’oeuvre locale (Racine et Hanin, 2012), ne sont pas en meilleure posture. Leurs compétences étrangères n’ont pas été reconnues d’emblée sur le marché de l’emploi, les obligeant à occuper des emplois précaires, instables et déqualifiants. Ils ont alors fait le choix stratégique du retour aux études et, par la suite, de l’occupation d’un emploi pour lequel ils sont surqualifiés — choix que nous avons analysés selon des critères objectifs et subjectifs.

Les études qui mettent en évidence des données inattendues, des populations méconnues ou des discours remettant en cause l’hypothèse la plus répandue (Giroux, 2011; Boulet et Boudarbat, 2010; Cousineau et Boudarbat, 2009) ont l’intérêt de remuer des perceptions et des croyances et de faire émerger des nouveautés. C’est le cas de cette recherche exploratoire qui, en abordant l’objet d’étude à partir du cas atypique d’un sous-groupe d’immigrants qualifiés en TI à Québec, révèle un aspect méconnu de leur réalité et contribue à défaire un mythe. La première contribution de l’article permet de comprendre que, dans leur cas, ces difficultés s’expliqueraient autrement : des écueils du côté de certains employeurs pour évaluer les compétences étrangères, des exigences de maîtrise du français et de l’anglais dans l’exercice de la profession, des nomenclatures professionnelles différentes entre le pays de provenance et le pays d’accueil.

La deuxième contribution est de mettre en évidence qu’une formation complémentaire québécoise constitue une porte d’entrée présentant un intérêt certain pour insérer le secteur des TI à Québec lorsque les compétences étrangères sont difficilement reconnues par le marché. Les programmes de formation continue au niveau collégial sont de courte durée et permettent un meilleur arrimage avec les besoins des employeurs. Ils permettent l’acquisition de connaissances techniques et ils sont présentés sous leur meilleur jour par les organismes de soutien à l’emploi. Dans le cas de notre échantillon, ce sont les stratégies que les immigrants ont adoptées (Dioh, 2014; Bernier et Vatz-Laaroussi, 2013; Chicha 2009; Fournier et coll., 2000) et qui les ont menés à un premier emploi en TI dans la région. La décision de suivre une formation de niveau inférieur au plus haut diplôme obtenu est aussi stratégique (Liversage 2009), mais elle ne doit pas occulter les difficultés antérieures d’accès au marché de l’emploi qui l’ont justifié. Il y a donc lieu de souligner que, même si la formation a permis d’occuper un premier emploi en TI, elle a généralement mené à une surqualification des immigrants, tous diplômés au niveau universitaire et ayant occupé des emplois de niveau correspondant dans le pays d’origine. L’insertion professionnelle, une fois le diplôme québécois obtenu, n’est pas sans risque, particulièrement dans les emplois reliés à la fonction publique, à titre d’employé ou de consultant. Les conditions d’emploi décrites par plusieurs immigrants au cours des entrevues restent instables, amenant chez quelques répondants un sentiment d’amertume et d’inquiétude quand ils réfléchissent à leur situation professionnelle.

Les résultats obtenus permettent de conclure ainsi : s’intéresser à l’insertion des immigrants qualifiés dans le secteur des TI à Québec amène à comprendre que, contrairement à la demande générique répandue et relayée par les acteurs de développement économique, et contrairement au mythe s’y rattachant, ces immigrants considérés a priori plus favorisés, arrivent sur un terrain où la rareté de main-d’oeuvre n’est pas généralisée, mais limitée à certaines spécialités (Racine et Hanin, 2012). Cette situation explique que l’insertion ne soit pas favorable à tous, notamment pour les immigrants que nous avons rencontrés et qui ne sont pas arrivés par les voies privilégiées de recrutement à l’étranger. Cet article apporte, dès lors, une réponse plus nuancée face aux discours répandus qui laissent entendre des besoins pressants de main-d’oeuvre en TI à Québec. Il défait un mythe voulant que l’insertion soit aisée pour toutes les personnes qualifiées souhaitant travailler dans le secteur, notamment les immigrants (Québec international, 2014a; 2014b; Emploi Québec, 2014). C’est là notre troisième contribution.

Contrairement à plusieurs recherches qui se sont penchées sur la question de l’insertion des immigrants au Québec, qui proposent une analyse des politiques publiques (Béji et Pellerin, 2010) ou qui dressent un portrait socioéconomique de l’immigration (Cousineau et Boudarbat, 2009), la présente étude rejoint à maints égards les approches plus subjectives en présentant le point de vue des immigrants eux-mêmes (Giroux, 2011). Comme la littérature axée sur la région métropolitaine de Québec est plutôt rare et qu’elle porte en bonne partie sur les femmes immigrantes, notre étude apporte des connaissances supplémentaires sur l’insertion hors des grands centres.

Cette étude balise la voie à de nouvelles recherches qui pourraient répondre à certaines limites du présent article. Il serait pertinent de comparer le parcours professionnel des immigrants déjà installés dans la région avec celui des travailleurs embauchés directement à l’étranger, une distinction que notre étude exploratoire a fait émerger, mais qui est peu analysée du fait de l’absence de données. Cela permettrait de mieux orienter les efforts des acteurs socioéconomiques en vue d’une meilleure insertion. Par ailleurs, il serait pertinent de comparer le parcours des natifs québécois finissants en TI avec celui des immigrants qualifiés dans le domaine, afin d’observer ce qui relève de la généralité dans le cheminement professionnel et ce qui s’applique spécifiquement aux immigrants. Il serait alors plus facile de déterminer quelles sont les compétences nécessaires, ainsi que la meilleure manière de les mettre à profit dans un secteur en croissance. Enfin, il y a lieu de considérer que l’obtention d’un emploi ne marque pas la fin du processus d’insertion, il serait alors intéressant d’étudier l’intégration, le maintien en emploi et la mobilité des immigrants qualifiés du secteur des TI selon une démarche longitudinale.