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Cet ouvrage collectif est l’aboutissement de réflexions pluridisciplinaires sur les emplois non qualifiés ou peu qualifiés. Comme le souligne Samir Amine, proposer une réflexion sur les emplois non qualifiés (ENQ) et les travailleurs non qualifiés (TNQ) revêt un caractère urgent compte tenu des transformations qui ont cours de nos jours. Les différentes crises économiques et le développement des nouvelles technologies ont engendré, dans les pays développés, d’importantes transformations, notamment une flexibilisation du travail et de ses normes, ce qui n’est pas sans conséquence sur les TNQ. L’objectif de l’ouvrage est d’effectuer une analyse critique de ces transformations économiques et structurelles qui ont une grande influence sur les ENQ. Ainsi, sous la forme de six chapitres, l’ouvrage réunit les contributions de chercheurs qui abordent cette question de manière pluridisciplinaire.
Dans le premier chapitre, Amine et Rioual introduisent et définissent le travail non qualifié. Pour faire face aux crises économiques et à la mondialisation, les gouvernements occidentaux ont adopté de « nouvelles formes de gestion de la main-d’oeuvre » (p. 5), plus flexibles, mais, aussi, plus précaires telles que les contrats à durée déterminée, l’intérim et les emplois à temps partiel, des emplois dans lesquels on retrouve une majorité de TNQ. Les auteurs montrent les déterminants et les évolutions des TNQ, retraçant ainsi leur histoire et leurs caractéristiques (majoritairement des femmes et des employés du secteur tertiaire). De nos jours, de plus en plus de travailleurs qualifiés postulent à des ENQ de manière transitoire, excluant d’une part, les TNQ du marché du travail et complexifiant d’autre part, la notion de qualification. D’ailleurs, cette notion ne fait pas l’objet d’un consensus dans la littérature sociologique et économique. Une frontière se creuse entre un emploi non qualifié (correspondant au poste décrit) et un travail non qualifié (pouvant être occupé par des personnes qualifiées). Plusieurs raisons sont mobilisées pour expliquer cet écart. Parmi elles, citons l’arrivée des femmes sur le marché du travail et la tertiarisation de l’économie. Les auteurs insistent sur les maux dont souffrent les TNQ : précarisation des contrats de travail, insécurité d’emploi, hausse du chômage, baisse de la qualité de l’emploi. En somme, les TNQ sont exposés à des conditions de travail difficiles et à un manque de latitude décisionnelle important, ce qui peut avoir des conséquences multiples, tant en terme financier que sur leur santé physique et mentale.
Dans le deuxième chapitre, Amine et Scrimger montrent les transformations et les évolutions de l’ENQ au Canada de 2000 à 2012, puis, ils comparent deux contextes provinciaux, soit le Québec et l’Ontario. Tout d’abord, de 2000 à 2012, la part des ENQ a diminué considérablement. Toutefois, si la part de TNQ dans les secteurs liés à l’industrie, à la transformation et à la fabrication baisse, en revanche, les TNQ se retrouvent majoritairement dans le secteur des ventes et des services (principalement des emplois temporaires, précaires et à temps partiel). Durant la décennie observée, « un Canadien sur cinq occupe un emploi à temps partiel » (p. 41). Or, le temps partiel est considéré, de nos jours, comme une forme de précarité. À ce sujet, les auteurs montrent qu’environ 64% des emplois occasionnels sont occupés par des femmes, et ce, indépendamment de leur volonté (p. 41). Si le travail non qualifié touche davantage les femmes, il concerne également les jeunes : en effet, 40% des TNQ ont moins de 34 ans. Pour ce qui est de la comparaison Québec-Ontario, de manière générale, le marché ontarien compte plus de TNQ, d’emplois temporaires et à temps partiel que le marché québécois, lequel disposait, jusqu’à ce jour, de meilleures politiques publiques en matière d’emploi.
Dans le troisième chapitre, Cousineau et Merizzi nous éclairent sur les inégalités de revenus des ménages québécois en fonction de la distribution des revenus moyens au Canada (p. 49), notamment ceux du premier et deuxième quintile (majoritairement composés de TNQ). L’originalité de cette étude s’avère la compilation de plusieurs bases de données couvrant l’évolution des inégalités salariales sur la période de 1981 à 2011. Au cours de cette période, l’évolution de la part des revenus des ménages composés de TNQ a connu différentes phases de récession et de progression, dont la plus importante est celle se situant de 1989 à 1998, période où les inégalités se sont largement creusées (p. 52-55). La part de revenu des quintiles supérieurs a augmenté, tandis que celle des quintiles inférieurs a diminué. Il s’avère, qu’à court terme, le salaire minimum, la participation des femmes sur le marché du travail et le syndicalisme réduisent les inégalités de revenus, alors que la mondialisation, les changements technologiques, la conjoncture de crise économique et le vieillissement de la population contribuent à les augmenter. De plus, avec le temps, les ajustements des entreprises au salaire minimum peuvent nuire aux TNQ : baisse de l’emploi, baisse des heures de travail ou, encore, fermeture des entreprises qui n’ont pu s’ajuster aux demandes du marché et des politiques publiques. Les auteurs appellent donc à la prudence quant aux « effets négatifs à long terme » du salaire minimum (p. 79).
Dans le quatrième chapitre, Gadrey et al. abordent la question des transformations de la non-qualification dans un contexte français. Si, depuis les années 1990, on constate une augmentation du nombre de TNQ, on observe également une transformation de leurs conditions, influencées par la tertiarisation du marché du travail. Aujourd’hui, en France, la majorité des TNQ sont des femmes employées dans le domaine de services. De plus, les TNQ sont exposés à des conditions de travail spécifiques tels les horaires de travail atypiques (temps partiel, journées entrecoupées, etc.), initialement établies pour s’ajuster à la demande du secteur. Les chercheuses pointent les mauvaises conditions de travail et l’hyper disponibilité, auxquelles font face les travailleurs, et ce, particulièrement dans le domaine des services comme l’hôtellerie-restauration. De plus, la faible présence syndicale dans le secteur tertiaire empêche la reconnaissance de la qualification. Pourtant, la reconnaissance des compétences permettrait une meilleure prise en considération de ces travailleurs et, peut-être, de meilleures rémunérations (p. 104-105).
Dans le cinquième chapitre, Amine propose une analyse théorique sur les effets des politiques publiques sur les TNQ grâce à un modèle d’appariement. Ainsi, il confirme, par le biais d’une approche économétrique, les points suivants : 1- les conséquences négatives des technologies sur les TNQ ; 2- l’effet du salaire minimum sur la hausse du taux de chômage ; et, enfin, 3- les conséquences de l’augmentation du chômage sur le degré de qualifications demandées dans les ENQ. Ces facteurs contribuent à exclure les TNQ du marché de l’emploi.
Dans le sixième chapitre, Yerochewski et al. s’interrogent sur les liens entre la non-qualification et la pauvreté. Cette étude est particulièrement éclairante et rafraichissante puisqu’elle traite les TNQ à travers une analyse sociologique des rapports de classe. L’analyse proposée est à l’intersection de différents facteurs (rapports sociaux de classe, de sexe, de race, division sociale du travail) qui interviennent dans les processus de déqualification du travail. Si les transformations abordées précédemment ont eu de telles conséquences, c’est également parce qu’elles concernent des TNQ issus de populations vulnérables (femmes, immigrants, minorités visibles), mais, aussi, parce qu’elles nécessitent des aptitudes supplémentaires et une grande capacité d’adaptation. Ceci confirme leur postulat selon lequel le maintien de la « non-qualification » permet de nouveaux arrangements institutionnels qui réorganisent la production des biens et des services, en rendant invisible le travail précaire et sous-payé de populations vulnérables. D’ailleurs, l’affaiblissement du pouvoir de négociation des TNQ, dû à leur faible taux de syndicalisation, ne permet pas de contester ces conditions. De plus, la forte concurrence sur un marché du travail en tension exacerbe ces transformations et ces dégradations qui touchent davantage les populations les plus vulnérables.
La contribution de cet ouvrage à la compréhension du travail non qualifié s’avère majeure. D’abord, l’ouvrage dirigé par Amine est riche à cause de son approche pluridisciplinaire, tant par le profil des chercheurs-es qui y contribuent que par la diversité de leurs approches. Ensuite, les auteurs traitent d’un sujet stimulant et passionnant qui nécessite particulièrement d’être abordé aujourd’hui, à cause de la dégradation des conditions de travail qui se continue. Enfin, cet ouvrage offre une approche innovante, en termes de rapports de classe et d’analyse des effets des politiques publiques sur les ENQ et les TNQ.
Mais, malgré cette évaluation largement positive, quelques lacunes sont à signaler. Certains passages auraient mérité une écriture plus limpide, tandis que certains chapitres auraient pu être allégés. Par exemple, le premier chapitre pose les balises des ENQ et des TNQ, or, celles-ci sont répétées à différents passages dans les autres chapitres, ce qui peut donner l’impression d’un ouvrage morcelé dont les chapitres ne s’imbriquent pas bien les uns aux autres. De plus, dans ce même chapitre, un résumé de ce que les auteurs conçoivent comme TNQ aurait été souhaitable. Également, dans ce texte, les auteurs rapportent une succession de théories sociologiques et économiques sur la notion de qualification, cela sans jamais se prononcer. Ce manque de prises de position de la part des auteurs laisse une impression « d’inachèvement ». Comme les auteurs recourent à un langage très spécialisé, on regrette, également, qu’il n’y ait pas de glossaire pour les lecteurs non spécialisés. Finalement, mis à part son chapitre six, l’ouvrage apparait davantage s’adresser à un public expert.