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Dans un esprit de sociologie contemporaine, le jeu de mots Relations au travail, relations de travail surplombe les transformations organisationnelles, technologiques et juridiques de l’emploi qui bouleversent tant les rapports au travail que les scènes de régulation. Cet ouvrage collectif, recueillant une série de contributions issues des Xe Journées Internationales de Sociologie du Travail, examine ainsi l’articulation entre les changements dans l’organisation du travail et l’action collective au sein d’une panoplie de pratiques professionnelles. Il se structure autour de six axes d’interrogations centrés sur autant de facettes du monde du travail.
Le premier axe, sur le thème Acteurs et action collective dans le travail : quelles figures nouvelles ?, campe les principales transformations en cours qui fragilisent mais également reconfigurent l’action collective dans l’univers du travail. Elles concernent la précarisation de l’emploi qui rend plus improbable le recours à la grève par les intermittents du spectacle (Proust), l’internationalisation centrée sur le développement de la sous-traitance et la pression accrue des clients (Merlin) ainsi que la mobilisation des employeurs autour de la disqualification des pratiques syndicales (Giraud). Ces sources de vulnérabilité, même si elles ne concourent pas à façonner de véritables nouvelles figures, commandent l’ajustement de la représentation collective par l’entremise d’un élargissement de ses actions (par exemple, le renchérissement de la santé au travail présenté par Friedmann) et de la multiplicité de ses formes de coordination (Demazière).
Le deuxième thème, intitulé Conflits, négociations et règles de droit, rend compte des effets du renforcement de la régulation individualisée des relations de travail sur les conflits, la négociation et les règles de droit (Saglio). Les auteurs de cet atelier témoignent de la capacité des acteurs à créer une régulation malgré la présence de règles astreignantes. À cet effet, l’activité d’encadrement dépeinte par Mispelblom-Beyer est le « coeur des luttes pour la cohésion sociale » (p. 80). Le cas du travail pénitentiaire, quant à lui, décrit la tension entre la rationalité sécuritaire et le rapport au travail des détenus (Guilbault). Ou encore, les pratiques locales de négociation collective ont permis le reclassement des emplois de la sidérurgie italienne durant les années 1950-1960 et une nouvelle légitimité du syndicat (Ricciardi). En somme, même si l’évolution incessante des changements rend éphémère la régulation inventée (Gaglio et Roblain), la portée du niveau individualisé n’épuise ni le conflit, ni la négociation. De même, les règles de droit rapportées aux conflits et aux négociations, plutôt qu’à la seule domination patronale, favorisent une plus grande compréhension de la dynamique et de la diversité des régulations (p. 64-67).
Les contributions du troisième axe, portant sur Les relations de travail entre résistance et détournement, toutes issues du secteur des services, débutent par la mise en évidence de l’intensification des rationalisations industrielles et de la préoccupation de la qualité de service (Buscatto). Face à cette modernisation gestionnaire, instigatrice de tensions organisationnelles et personnelles, les illustrations de subversion et de détournement des règles par les salariés sont multiples. Ainsi, les intervenants éducatifs non diplômés usent de stratégies pour valoriser leurs compétences et leur position professionnelle en s’investissant dans des parcours de formation (Bigote). Ou encore, les caissières d’un hypermarché respectent insidieusement la directive de l’employeur en intensifiant leur rythme de travail au détriment de la satisfaction du client, deux principes difficilement conciliables (Bernard). Rimbert, quant à lui, met de l’avant les tensions entre les valeurs officielles promues par une institution de retraite et la dénonciation des inégalités de traitement. Quant à la disponibilité requise dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, elle se contourne par l’obtention d’un meilleur aménagement des horaires (Testenoire). Face à l’individualisation du rapport salarial dans ces milieux de travail peu syndiqués, les formes de résistance qui en découlent sont plus individuelles que collectives.
Le quatrième atelier, sur le thème Rationalisations productives et relations au/de travail, examine les effets des politiques de rationalisation sur les collectifs et les régulations dans une diversité de milieux de travail (Alaluf). Les réformes du secteur hospitalier impliquent une redistribution des rôles et une nouvelle division du travail opératoire plus coopérative entre les chirurgiens et les anesthésistes (Faure). La spécificité des assistants sociaux se manifeste par l’exercice du pouvoir discrétionnaire et de la responsabilité morale dans la défense d’une revendication (Boujut). Quant aux vendeurs dans les agences de voyages, ils sont valorisés par une relation commerciale personnalisée qui met de l’avant de nouvelles compétences (Priou-Hasni). Finalement, l’usage des TIC accentue les effets du travail dans l’articulation des temps sociaux, que ce soit en termes d’importation du privé au travail ou de l’extension du travail au domicile (Le Douarin). Autant de situations qui présentent les facultés d’adaptation et de résistance des individus face aux rationalisations renforcées.
Le cinquième axe, intitulé Segmentation et intégration des collectifs de travail, met en évidence la variabilité du rapport au travail et l’attention sur le processus de régulation dans le métier étudié (Marry). On note ainsi l’émergence de nouvelles régulations (territoriales et nationales de branche) en matière d’accidentologie chez les coursiers, une activité à la base faiblement réglementée (Dressen, Mias et Vacher). À l’inverse, le cas des chefs d’avion témoigne d’un déficit en matière de régulations collectives, défavorisées par l’organisation du travail, en privilégiant une individuation accrue de la dynamique de métier (Osty et Le Gall). Eckert et Monchatre, quant à eux, insistent sur la perpétuation de la division sexuée du travail générée par la mixité et la polyvalence. Finalement, l’effondrement du modèle paternaliste dans une région vitivinicole d’Argentine opère une mutation des rapports sociaux passant d’une pauvreté stable (droit au logement) à l’instabilité de la pauvreté (travailleurs autonomes) (Poblete). Ces nouvelles formes d’emploi et de division du travail complexifient les relations au/de travail.
Dans le dernier atelier, portant sur Les espaces de régulation, Jobert définit ces derniers « comme les scènes au sein desquelles les acteurs déploient une action collective pour construire, transformer, contester des règles concernant les conditions de travail et d’emploi » (p. 249). Les contributions liées à ce thème révèlent la diversification des scènes de régulation en témoignant des régulations professionnelles (Delignières), territoriales (Catlla) et européennes (Béthoux, Galland). La multiplication de ces espaces émergents ou redécouverts met à l’avant-scène la mobilisation de nouveaux acteurs (institutions européennes, entreprises multinationales, acteurs locaux et régionaux, etc.) et la complexité sous-jacente de leurs dynamiques relationnelles. La conclusion générale de cet ouvrage jette un regard historique sur le travail (Omnès).
En définitive, la recherche d’une jonction entre les transformations des relations au travail et des relations de travail constitue le principal intérêt de cet ouvrage. Soumis aux rationalisations, le rapport au travail est appréhendé en termes de dynamique des métiers en redéfinition. Quant aux relations de travail, les modèles de régulation laissent place à de nouveaux acteurs en relations professionnelles mais évoluent parfois plus difficilement. La diversité des situations investiguées, la dispersion des espaces de régulation, l’ambivalence des salariés et des acteurs ainsi que la percée de nouveaux univers professionnels contribuent incontestablement à l’enrichissement de la compréhension des transformations de la société contemporaine tout en reflétant la complexité du débat. Pour y parvenir, les contributeurs agrémentent la tradition de la sociologie française du travail en recourant à d’autres disciplines liées à l’économie du travail ou à la politique et en explorant de nouveaux champs tels que la sociologie de la vente. Même s’il est difficile de dégager une cohérence d’ensemble de cette hétérogénéité du monde du travail, la plupart des auteurs de cet ouvrage appréhendent les salariés et les syndicats comme des acteurs individuels et collectifs qui disposent de marges de manoeuvre face aux contraintes et règles imposées. En dépit de ce foisonnement d’applications concrètes d’éléments fondamentaux en relations professionnelles, certaines absences sont à déplorer, notamment, à de rares exceptions près, les comparaisons internationales. Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage montre à quel point les nouvelles formes d’organisation du travail constituent un objet d’étude inépuisable pour la sociologie contemporaine.