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La relation d’emploi « traditionnelle » du 20e siècle est caractérisée par une durée indéterminée, un travail à temps complet, des horaires de travail stables, un employeur et un lieu de travail uniques (Gallagher et McLean Parks, 2001). En France, au sein de l’Union Européenne[1], en Amérique du Nord, plus de 70 % des salariés bénéficient de ce type de relation d’emploi (Attal-Toubert et Derosier, 2005). Les recherches consacrées à l’étude des relations d’emploi et des comportements organisationnels renvoient donc de façon implicite au modèle de cette relation d’emploi « standard » (Connely et Gallagher, 2004). Pourtant, une part croissante de la main-d’oeuvre des organisations est composée de salariés dits atypiques ou contingents (Polivka et Nardone, 1989) : les salariés employés à temps partiel, les salariés embauchés pour une durée déterminée, les intérimaires ou encore les travailleurs indépendants… Le recours à ces formes d’emploi est motivé par la recherche de flexibilité. En jouant sur le travail, les entreprises cherchent à s’adapter et à évoluer afin de faire face à l’incertitude qui les environne, à pouvoir réagir dans l’urgence, à satisfaire la demande qui s’adresse à elles ou à maîtriser leurs coûts. Mais certains risques ne peuvent être ignorés comme ceux de perte de productivité, de diminution de la qualité et de remise en cause des conditions de coopération entre les personnes (Everaere, 1999). Pour ces raisons, la question des salariés contingents tend à occuper une part importante dans le management des ressources humaines et rend leurs attitudes et comportements un sujet d’étude particulièrement intéressant (Camerman, Cropanzano et Vandenberghe, 2007). Un nombre croissant de recherches est consacré aux conséquences attitudinales et comportementales d’une relation d’emploi « alternative » à la dominante. Cependant, leurs résultats sont souvent contradictoires et si les attitudes et comportements des salariés semblent différents entre les statuts d’emploi, il est difficile de dire si les salariés contingents s’inscrivent dans des comportements plus bénéfiques pour l’organisation, ou moins, que leurs collègues permanents.

Selon Conway et Brinner (2002), la limite principale de la majorité de ces recherches réside dans l’absence d’un cadre théorique sous-jacent à l’étude des comportements des salariés contingents. Les recherches sont concentrées sur le lien direct entre le statut d’emploi et ses conséquences et les différences observées sont analysées par la mobilisation de cadres théoriques ex post. Selon eux, la compréhension des attitudes et comportements des salariés contingents nécessite la mobilisation d’un cadre théorique ex ante susceptible d’apporter des explications aux résultats empiriques.

La théorie de la justice organisationnelle peut être un cadre pertinent pour étudier les attitudes et comportements des salariés contingents. Les perceptions de justice permettent aux salariés d’évaluer la qualité des relations qui les lient à leur employeur. Ce sont de puissants déterminants de leurs comportements ; ceux que l’organisation recherche comme l’implication, les comportements extra rôles, la performance mais aussi ceux qui lui nuisent comme le roulement du personnel (turnover), le vol ou le sabotage (Colquitt et al. 2001 ; Ambrose, Seabright et Schminke, 2002). Toutefois, ces recherches – à de rares exceptions près (Camerman, Cropanzano et Vandenberghe, 2007 ; De Gilder, 2003 ; Ang et Slaughter, 2001) – ont été réalisées sur des salariés embauchés pour une durée indéterminée et à temps complet. La question de la validité de ces relations dans le cas de salariés contingents est donc posée.

Dans cette étude, nous nous concentrons sur l’implication organisationnelle des salariés embauchés directement par l’entreprise pour une durée déterminée (en France, les salariés embauchés en contrat à durée déterminée ou CDD). En dépit de la part significative de ces salariés au sein de la population active, ils sont relativement ignorés des chercheurs (Connely et Gallagher, 2004). En raison des limites des études réalisées auprès de groupes hétérogènes de salariés contingents (Feldman, 1990 ; Gallagher et McLean Parks, 2001 ; Connely et Gallagher, 2004), il semble pertinent de se focaliser sur une forme particulière d’emploi contingent. Ensuite, bien que les études consacrées aux salariés contingents soient majoritairement dédiées à leur implication organisationnelle, très peu concernent les salariés embauchés pour une durée déterminée (Connely et Gallagher, 2004). Enfin, aucune recherche, à notre connaissance, ne s’est intéressée aux effets des jugements de justice des salariés en CDD sur leur implication. L’objet de cette étude est donc de déterminer dans quelle mesure les perceptions de justice prédisent l’implication organisationnelle des salariés embauchés pour une durée déterminée et si les relations établies sont similaires entre les statuts d’emploi. Après avoir défini la notion d’emploi contingent et précisé la catégorie de salariés étudiée, nous présenterons le cadre conceptuel sur lequel cette recherche est appuyée. L’étude empirique réalisée et ses résultats seront présentés puis discutés. Nous évoquerons enfin leurs implications et leurs limites.

L’implication organisationnelle des salariés contingents

Selon Polivka et Nardone (1989), est contingent tout emploi pour lequel la personne ne bénéficie pas d’un contrat de travail de long terme explicite ou implicite et dont le volume horaire peut varier de façon aléatoire.

En France, la proportion de salariés qui occupent ce type d’emploi a plus que doublé depuis les 20 dernières années et concerne 28 % des salariés dont 16 % à temps partiel (Dares, 2007). Au niveau européen, 17 % des salariés sont à temps partiel et près de 13 % de la main-d’oeuvre occupe un emploi à durée déterminée. Au Canada, environ 20 % de la population active travaille à temps partiel et 13 % occupe un emploi temporaire en 2005[2]. Aux États-Unis, les emplois « non standards », hors temps partiel, représentent près de 15 % de la population active (Lepak, Takeushi et Snell, 2003). Leur part croissante au sein de la main-d’oeuvre des entreprises rend donc importante une réflexion relative à leurs attitudes et comportements. Les chercheurs s’y consacrent depuis les années 1970, période à laquelle les premières études consacrées aux salariés à temps partiel ont été menées (Gannon et Nothern, 1971 ; Logan, O’Reilly et Roberts, 1973). Il faut attendre les années 1990 pour que des études s’intéressent aux autres formes d’emploi contingent. Depuis, un flot croissant de recherches leur est dédié (Connely et Gallagher, 2004).

En raison du pouvoir prédictif de l’implication organisationnelle sur nombre de comportements que l’entreprise cherchent à développer ou à éviter (Mathieu et Zajac, 1990), de nombreuses études y sont consacrées et analysent dans quelle mesure l’implication dépend du statut d’emploi. Toutefois, leurs résultats sont souvent contradictoires. Par exemple, certaines montrent que le statut d’emploi n’affecte pas l’implication des salariés contingents (Pearce, 1993 ; McDonald et Makin, 2000 ; Feather et Rauter, 2004). D’autres attestent en revanche que les salariés contingents sont plus impliqués que leurs collègues permanents (Benson, 1998). Enfin, certaines recherches témoignent qu’ils le sont moins (Van Dyne et Ang, 1998 ; De Gilder, 2003).

Le manque de cohérence de ces résultats peut être en partie attribué à l’hétérogénéité des formes d’emploi étudiées alors que la notion d’emploi contingent cache des situations très diverses et difficilement comparables (Feldman, 2006). En effet, certaines d’entre elles sont consacrées aux intérimaires (McClurg, 1999), d’autres aux salariés en contrats courts embauchés directement par l’entreprise (McDonald et Makin, 2000), d’autres aux travailleurs indépendants (Ang et Slaughter, 2001), où n’indiquent pas de façon explicite la composition de leur échantillon (Van Dyne et Ang, 1998). Afin de pallier cette limite, cette recherche est donc consacrée à une seule catégorie de salariés contingents : les salariés embauchés directement par l’entreprise pour une durée déterminée.

Comme le regrettent Connely et Gallagher (2004), peu de recherches leur sont consacrées et là encore, leurs résultats semblent incohérents. Par exemple, McDonald et Makin (2000) mettent en évidence que les salariés en contrat court sont plus impliqués que leurs collègues permanents. En revanche, Hartman et Bambacas (2000) montrent que les salariés en contrats courts sont moins impliqués que leurs collègues permanents. Enfin, De Cuyper et De Witte (2006) ne trouvent aucune différence.

Certains cadres théoriques ont été mobilisés pour expliquer les différences observées entre salariés contingents et permanents (théorie de l’adéquation emploi-personne, théorie de l’inclusion partielle, théorie des schémas de référence). Comme le notent Conway et Brinner (2002), ils peinent à convaincre en raison de leur faiblesse conceptuelle et de l’absence de leur validation empirique. Selon ces chercheurs, la théorie du contrat psychologique serait un cadre pertinent d’analyse des comportements des salariés contingents. Les récentes recherches consacrées aux salariés à temps partiel et aux salariés en contrat court mobilisent ce concept (Conway et Brinner, 2002 ; Saba, Blouin et Lemire, 2006 ; De Cuyper et De Witte, 2006) et apportent des résultats empiriques susceptibles d’aider à comprendre les effets d’une relation d’emploi « contingente ». Ainsi, il semble que les attentes des salariés à l’égard de leur employeur varient selon le statut d’emploi (De Cuyper et De Witte, 2006) et que la mesure dans laquelle ces attentes sont satisfaites ou non (i.e. la mesure dans laquelle le contrat est violé) détermine leur réaction à l’égard de leur entreprise (Conway et Brinner, 2002). Pourtant, il semble difficile de dégager un consensus. Par exemple, plusieurs études mettent en évidence que le contrat psychologique des salariés contingents est de nature transactionnelle alors que celui des salariés permanents est à la fois de nature transactionnelle et relationnelle (De Cuyper et De Witte, 2006 ; Coyle-Shapiro et Kessler, 2002). Mais si Coyle-Shapiro et Kessler (2002) montrent que les salariés en contrat court sont moins impliqués que leurs collègues permanents, aucune différence n’est relevée par De Cuyper et De Witte (2006). Ainsi, il semble difficile de conclure quant aux effets de la nature du contrat psychologique sur l’implication et d’affirmer qu’un contrat psychologique « étroit » conduit les salariés à moins s’impliquer en réponse au sous-investissement dont ils font l’objet dans l’organisation. En outre, une étude de Chambel et Castanheira (2006) montre que le contrat psychologique des salariés en contrat court ne serait pas différent de celui des salariés permanents. Concernant les effets de la violation du contrat psychologique, là encore les résultats empiriques sont peu concluants. Il semble que se sont principalement les salariés permanents qui perçoivent une violation de leur contrat psychologique en raison d’attentes plus grandes à l’égard de leur employeur, de fait plus facilement insatisfaites. En effet, comme le montrent les résultats empiriques de De Cuyper et De Witte (2006), l’insécurité de la relation d’emploi contribue à la violation d’un contrat psychologique de nature relationnelle et non transactionnelle. Les salariés en contrat court auraient donc moins tendance à percevoir une violation de leur contrat psychologique.

La théorie de la justice organisationnelle est encore peu mobilisée dans les recherches consacrées aux salariés contingents mais semble être un cadre utile à la description de l’implication des salariés contingents. En effet, les perceptions de justice contribuent à la formation de relations d’échange social dans l’organisation (Camerman, Cropanzano et Vandenberghe, 2007) qui incitent les salariés à s’impliquer, à être plus performants ou à s’engager dans des comportements extra-rôle. Or, comme l’ont montré Chambel et Castanheira (2006), les salariés en contrat court ne s’inscrivent pas seulement dans une relation économique caractérisée exclusivement par des gratifications monétaires. Ainsi, les salariés en contrat court seraient attentifs à la justice du traitement organisationnel dont ils font l’objet et ceci influencerait en partie leur implication.

Implication organisationnelle des salariés contingents : l’apport de la théorie de la justice organisationnelle

La justice organisationnelle

Historiquement, l’étude de la justice renvoie à la justice distributive issue des travaux de Adams (1963 ; 1965) basés principalement sur ceux de Homans (1958). La justice distributive fait référence aux perceptions et aux réactions de chacun à l’encontre des rétributions reçues confrontées aux contributions réalisées, à partir d’une comparaison avec autrui. De la rétribution, l’intérêt des chercheurs s’est déplacé ensuite vers le mécanisme ou les procédures, qui y conduisent (Thibaut et Walker, 1978 ; Leventhal, 1980). La justice d’une allocation, n’est plus seulement liée à l’allocation elle-même, mais aussi aux procédures qui y ont menées : la justice procédurale. Récemment, les chercheurs (Bies et Moag, 1986) ont proposé une troisième composante de la justice organisationnelle : la justice interactionnelle basée sur le respect, la dignité, les explications et l’honnêteté dont fait preuve le décideur.

La justice organisationnelle s’articulerait donc autour de trois dimensions mais ceci fait débat. Greenberg (1993) propose en effet une structure alternative de la justice organisationnelle qui conduit à envisager quatre dimensions. Il considère que la justice interactionnelle doit être séparée en deux : la justice informationnelle et la justice interpersonnelle. La justice informationnelle renvoie aux explications et informations relatives aux procédures et rétributions, fournies par le décideur. La justice interpersonnelle est liée à la mesure dans laquelle les salariés sont traités avec respect et dignité par les décideurs chargés de la mise en oeuvre des procédures et des rétributions. Compte tenu de la validation empirique dont bénéficie l’approche à quatre dimensions de la justice organisationnelle (justice distributive, procédurale, informationnelle et interpersonnelle) dans le cas de salariés permanents (Colquitt, 2001) comme dans celui des salariés contingents (Camerman, Cropanzano et Vandenberghe, 2007), nous la retiendrons dans le cadre de cette recherche.

L’impact des perceptions de justice sur l’implication organisationnelle

L’implication organisationnelle est traditionnellement envisagée comme la force relative de l’attachement et de l’engagement dans une organisation spécifique. Elle peut être caractérisée par au moins trois facteurs : une croyance forte et une acceptation des buts et valeurs de l’entreprise, la volonté de faire des efforts pour le bénéfice de celle-ci et un désir significatif d’en rester membre (Mowday, Steers et Porter, 1979). L’implication organisationnelle traduit un attachement à l’organisation lié à un engagement instrumental basé sur des récompenses spécifiques (implication calculée), à un engagement basé sur un désir d’affiliation (implication affective) et à un engagement induit par la cohérence entre les valeurs organisationnelles et individuelles (implication normative) (O’Reilly et Chatman, 1986). L’implication affective est considérée comme la dimension la plus influente sur les comportements adoptés par les salariés dans l’organisation (Mathieu et Zajac, 1990). En outre, c’est aussi cette dimension qui serait la plus sensible aux perceptions de justice des salariés (Colquitt et al., 2001 ; Konovsky et Cropanzano, 1991 ; Brockner, Tyler et Cooper-Schneider, 1992 ; Cohen-Charash et Spector, 2001).

Une explication de ce pouvoir prédictif est donnée par la théorie de l’échange social. Formulée par Blau (1964), cette théorie considère l’entreprise comme un noeud de transactions économiques ou sociales, générant des obligations réciproques (Cropanzano et Mitchell, 2005). L’objet des transactions économiques est tangible et spécifié, par exemple un salaire en échange du travail réalisé. Ces transactions contribuent à la formation de relations d’échange économique, c’est-à-dire de relations de court terme dont le contenu est négocié par les parties et explicite. L’objet des transactions sociales est symbolique, comme les marques de respect ou l’intégration dans un groupe. Ces transactions conduisent à des relations d’échange social, c’est à dire à des relations de long terme caractérisées par un attachement émotionnel ou de la loyauté (Camerman, Cropanzano et Vandenberghe, 2007).

Dans le cadre de la théorie de l’échange social, les dimensions de la justice jouent des rôles bien spécifiques. Ainsi, les perceptions de justice distributive témoignent de la qualité des relations d’échange économique et prédisent par exemple la satisfaction du salarié à l’égard de sa rémunération. Les perceptions de justice procédurale orientent quant à elles les attitudes et comportements à l’égard de l’organisation, comme l’implication. Enfin, les perceptions de justice interactionnelle influencent les attitudes et comportements des salariés à l’égard de leur supérieur (Cropanzano, Prehar et Chen, 2002). Pour autant, les méta analyses de Colquitt et al. (2001) et de Cohen-Charash et Spector (2001) mettent en évidence que les dimensions distributive, procédurale et interactionnelle influencent l’implication des salariés. Même si le pouvoir explicatif de la justice sur l’implication est variable selon les dimensions, il semble que les perceptions de justice procédurale n’en sont pas les seuls déterminants car les perceptions de justice distributive et interactionnelle témoignent aussi de la qualité de la relation d’échange tissée entre le salarié et son organisation (Lavelle, Rupp et Brockner, 2007).

Un effet du statut d’emploi ?

Les développements ci-dessus poussent à conclure que les perceptions de justice ont des effets significatifs sur l’implication des salariés. Pour autant, ces effets ont majoritairement été établis dans le cas de salariés dont la relation d’emploi est traditionnelle. À notre connaissance une seule étude a testé cette relation dans le cas de salariés contingents (Camerman, Cropanzano et Vandenberghe, 2007). Ses résultats mettent en évidence que les perceptions de justice procédurale et informationnelle prédisent l’implication des intérimaires envers l’entreprise utilisatrice mais que la justice interpersonnelle n’a pas d’impact. Nous devons toutefois noter que leurs perceptions de justice interactionnelle sont celles formées au contact de l’équipe de l’entreprise de travail temporaire et non au contact du supérieur de l’intérimaire dans l’entreprise utilisatrice. Le cas des salariés embauchés pour une durée déterminée est sensiblement différent. En effet, leur supérieur hiérarchique est membre de l’organisation. Son comportement à leur égard peut être à l’origine de leur implication. Il est donc difficile d’augurer du pouvoir explicatif des jugements de justice organisationnelle dans leur cas.

La théorie de la justice heuristique (Lind, 2001 ; Van den Bos, Lind et Wilke, 2001) semble susceptible d’y aider. Elle permet de comprendre comment les salariés forment leurs jugements de justice. Selon cette théorie, les salariés utilisent leurs jugements de justice afin de faire face au dilemme social fondamental (Lind, 2001), c’est-à-dire évaluer la mesure dans laquelle ils sont intégrés dans le groupe et déterminer les attitudes et comportements adaptés. Van den Bos, Lind et Wilke (2001) avancent que ce sont principalement les aspects procéduraux et interactionnels du traitement organisationnel qui sont à l’origine des jugements de justice. Plus facilement observables que ses aspects distributifs, ils sont utilisés par les salariés comme une heuristique. Nous pensons que cette tendance sera d’autant plus forte chez les salariés contingents et qu’ils feront surtout référence à la façon dont ils sont traités par leurs supérieurs, donc aux aspects interactionnels de leur traitement.

Pourtant, d’après la théorie de l’inclusion partielle (Miller et Terborg, 1979), il est possible d’adopter un point de vue différent. En effet, les salariés contingents, étant présents pour une durée déterminée dans l’entreprise, peuvent accorder moins d’importance aux procédures en vigueur et ne pas donner le même poids aux informations données à leur sujet par leur supérieur. Dans ce cas, les perceptions de justice procédurale et informationnelle des salariés contingents peuvent jouer un rôle moins fort sur leur implication comparativement aux salariés permanents.

En définitive, en l’absence d’études empiriques relatives à l’effet modérateur du statut d’emploi sur la relation entre les perceptions de justice et l’implication, la littérature ne nous permet pas d’envisager si être un salarié contingent accroît ou diminue les effets des perceptions de justice sur l’implication. Nous pouvons seulement avancer que le statut d’emploi des salariés est susceptible d’influencer l’intensité de cette relation. Nous supposons donc que le statut d’emploi modère la relation entre les perceptions de justice et l’implication organisationnelle.

Hypothèse : Les effets des perceptions de justice organisationnelle sur l’implication organisationnelle des salariés sont modérés par le statut d’emploi.

Étude emprique

Données et contexte organisationnel

Les données ont été recueillies auprès de salariés contingents et permanents de sept cliniques françaises qui totalisent 1500 employés dont environ 200 sont embauchés en contrat à durée déterminée. La proportion de salariés en CDD est donc de 13 % ce qui est cohérent avec les moyennes nationales dans ce secteur d’activité[3]. L’échantillon est composé de 71 salariés embauchés sous contrat à durée déterminée (CDD) et de 183 sous contrat à durée indéterminée (CDI) occupant les fonctions d’infirmiers et d’aide-soignants. Ces personnes sont au contact des patients, exercent une activité de soignants, travaillent ensemble et ont un environnement de travail semblable. Environ 1000 questionnaires ont été administrés. Le tableau 1 fournit quelques caractéristiques des deux échantillons.

Notre échantillon appartient à un secteur d’activité marqué aujourd’hui par une pénurie de main-d’oeuvre. Alors que dans les autres secteurs d’activité, il est souvent difficile de trouver un emploi, les infirmières et les infirmiers et, dans une moindre mesure, les aide-soignantes et les aide-soignants n’ont aucune peine à en trouver. Ces personnes s’inscrivent souvent dans ce type de relation d’emploi volontairement (près de 52 % des aides-soignantes et plus de 88 % des infirmières dans notre échantillon) car c’est un moyen de préserver leur indépendance et leur autonomie à l’égard de leur employeur. Cette main-d’oeuvre confronte les entreprises à un problème de rétention de salariés aux compétences qui font défaut sur le marché du travail. L’implication organisationnelle et précisément sa dimension affective tend à réduire les intentions de départ et le roulement du personnel (Mayer et Shoorman, 1992 ; O’Reilly et Chatman, 1986 ; Mathieu et Zajac, 1990). Identifier dans quelle mesure les perceptions de justice des salariés contingents déterminent leur implication, et les nuances éventuelles de cette relation selon que les salariés sont contingents ou permanents, présente donc un intérêt dans ce secteur d’activité.

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon (n = 254)

 

Code

 

Salariés en CDI

Salariés en CDD

Sexe

1

Masculin

13,7 %

17,6 %

 

2

Féminin

86,3 %

82,4 %

Âge

1

Moins de 30 ans

33,3 %

42,3 %

 

2

De 30 à 35 ans

18,6 %

32,4 %

 

3

De 36 à 45 ans

22,4 %

11,3 %

 

4

De 46 à 55 ans

21,3 %

11,3 %

 

5

Plus de 55 ans

4,4 %

2,8 %

Ancienneté

1

Moins de 3 mois

5,5 %

22,5 %

 

2

Entre 3 mois et moins d’un an

9,8 %

35,2 %

 

3

Entre 1 an et 5 ans

38,8 %

28,2 %

 

4

Plus de 5 ans

45,9 %

14,1 %

Fonction

3

Aide-soignant(e)

32,2 %

52,1 %

 

4

Infirmier(e)

67,8 %

47,9 %

-> Voir la liste des tableaux

Échelles de mesure

Toutes les échelles sont de type Likert. Les répondants devaient indiquer leur niveau d’accord sur une échelle en cinq points (1 : « pas du tout d’accord » à 5 : « tout à fait d’accord »).

Les perceptions de justice ont été mesurées par les échelles[4] développées par Colquitt (2001), dont Greenberg (2001) souligne les qualités et validées dans le cas de salariés contingents par Camerman, Cropanzano et Vandenberghe (2007). La mesure de la justice organisationnelle retenue suite à une analyse factorielle en composantes principales (ACP) (tableau 2), est composée de quatre échelles mesurant chacune une des dimensions de la justice. Les items ont été retenus en fonction de leur contribution factorielle aux axes identifiés (supérieure à 0,5). L’échelle de la justice distributive est composée de quatre items, aucun item n’ayant été supprimé. L’échelle de mesure de la justice procédurale est composée de trois items contre les sept que compte l’échelle originale. L’échelle de mesure de la justice informationnelle est composée de quatre items (cinq items dans la forme initiale). L’échelle de mesure de la justice interpersonnelle est composée de quatre items comme dans la version d’origine. Le coefficient alpha pour l’échelle de mesure de la justice distributive est de 0,93 pour les salariés permanents et de 0,96 pour les salariés en CDD. Pour l’échelle de la justice procédurale les valeurs d’alpha sont respectivement 0,80 et 0,70. Ces valeurs sont de 0,91 et 0,90 pour l’échelle de la justice informationnelle et de 0,87 et 0,88 pour l’échelle de la justice interpersonnelle. Les chercheurs s’interrogent quand à la distinction entre les dimensions informationnelles et interpersonnelles de la justice organisationnelle (Bies, 2001 ; Greenberg, 1993 ; Bobocel et Holmvall, 2001). L’analyse en composantes principales réalisée établit que celle-ci est bien articulée autour des quatre dimensions proposées par la littérature (Greenberg, 1993).

Tableau 2

Structure factorielle de la justice organisationnelle

 

Items

Composantes

 

 

1

2

3

4

JP1

Ces procédures vous permettent d’exprimer vos opinions et sentiments par rapport à ce que vous obtenez ?

 

 

 

0,829

JP2

Ces procédures vous permettent d’avoir de l’influence sur ce que vous obtenez ?

 

 

 

0,886

JP6

Ces procédures vous permettent de demander de réexaminer ce que vous obtenez ?

 

 

 

0,630

JINT1

Vous traite-t-il (elle) poliment ?

 

 

0,886

 

JINT2

Vous traite-t-il (elle) avec dignité ?

 

 

0,852

 

JINT3

Vous traite-t-il (elle) avec respect ?

 

 

0,839

 

JINT4

Évite-t-il (elle) de vous faire des remarques ou des commentaires déplacés ?

 

 

0,702

 

JINF1

Explique-t-il (elle) de façon complète les procédures utilisées pour déterminer ce que vous obtenez ?

 

0,837

 

 

JINF2

Vous donne-t-il (elle) des explications pertinentes sur les procédures servant à déterminer ce que obtenez ?

 

0,856

 

 

JINF3

Vous communique-t-il (elle) des informations détaillées dans des délais raisonnables ?

 

0,788

 

 

JINF4

Semble-t-il (elle) adapter sa communication aux besoins spécifiques de chacun?

 

0,811

 

 

JD1

Ce que vous obtenez reflète les efforts que vous investissez dans votre travail ?

0,872

 

 

 

JD2

Ce que vous obtenez correspond au travail que vous fournissez ?

0,895

 

 

 

JD3

Ce que vous obtenez reflète votre contribution à l’organisation ?

0,917

 

 

 

JD4

Ce que vous obtenez est justifié au regard de votre performance ?

0,888

 

 

 

Valeur propre

 

3,41

3,12

3,09

2,13

Part de la variance expliquée (%)

 

22,74

20,81

20,60

14,24

KMO

 

0,865

 

 

 

Méthode d’extraction : ACP. Méthode de rotation : rotation Varimax avec normalisation de Kaiser, la rotation a convergé en 6 itérations.

-> Voir la liste des tableaux

Afin de mesurer l’implication affective nous avons utilisé l’échelle proposée par Allen et Meyer (1990) sous sa forme réduite à six items dans la version française utilisée par Fabre (1997). L’échelle de l’implication affective après ACP est composée de trois items (exemple d’item : « Je ne ressens pas un fort sentiment d’appartenance envers cette organisation »), avec un coefficient alpha de 0,70 obtenu sur l’échantillon de salariés contingents et de 0,75 sur l’échantillon de salariés permanents.

Les variables âge, sexe, fonction, ancienneté dans l’entreprise et mesure dans laquelle le contrat de travail est choisi ou subi ont été utilisées comme variables de contrôle en raison de leurs effets potentiels sur les perceptions de justice et l’implication organisationnelle et en raison des préconisations de Feldman (1990) en matière de comparaisons entre salariés permanents et contingents.

Résultats

Le tableau 3 présente les corrélations bivariées entre les différentes variables de la recherche. Les différentes dimensions de la justice organisationnelle sont corrélées entre elles, particulièrement les dimensions informationnelle et interpersonnelle. Toutefois, ces niveaux de corrélation sont acceptables car similaires à ceux obtenus dans d’autres études (Camerman, Cropanzano et Vandenberghe, 2007 ; Roch et Shanok, 2006). En outre, l’ACP réalisée témoigne de la distinction entre les deux dimensions.

Tableau 3

Corrélations bivariées pour les salariés en CDI et les salariés en CDD

 

Moyenne

Écart-type

1

2

3

4

5

6

7

8

9

1. Sexe

1,86

0,34

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2. Âge

2,32

1,24

,121

 

 

 

 

 

 

 

 

3. Anc

2,99

0,97

,010

,428**

 

 

 

 

 

 

 

4. Fon

1,37

0,48

,020

,131*

,120

 

 

 

 

 

 

5. Statut

1,27

0,44

,013

‑,162**

‑,421**

,184*

 

 

 

 

 

6. JD

2,81

1,02

‑,090

‑,050

‑,050

,014

,054

 

 

 

 

7. JP

2,48

0,76

‑,46

,040

,121

,082

,009

,394**

 

 

 

8. JINF

3,19

0,93

,049

‑,019

‑,123

,040

,149*

,324**

,397**

 

 

9. IINT

3,84

0,72

,069

‑,112

‑,094

‑,131*

,001

,288**

,298**

,603**

 

10. IA

3,21

0,78

‑,088

,078

,124*

,059

‑,102

,266**

,267**

,225**

,245**

**

p < 0,01

*

p < 0,05

Anc = ancienneté ; Fon = fonction ; Statut = CDD ou CDI ; JD = justice distributive ; JP = justice procédurale ; JINF = justice informationnelle ; JINT = justice interpersonnelle

-> Voir la liste des tableaux

Afin de pouvoir tester notre hypothèse nous avons procédé à des régressions multiples hiérarchiques (Aiken et West, 1991). Au pas 1 nous avons introduit les variables de contrôle. Au pas 2, les effets principaux – le statut d’emploi et la justice distributive, procédurale, informationnelle et interpersonnelle – ont été ajoutés. Au pas 3, nous avons introduit l’interaction entre le statut d’emploi et les perceptions de justice. La variance liée à l’effet d’interaction a pu être observée. Nous avons pu envisager dans quelle mesure le statut d’emploi modère la relation entre les perceptions de justice et l’implication (tableau 4).

Pour évaluer la signification de l’interaction, nous avons pris en compte la variation du coefficient de régression (ΔR2). Afin de réduire la multicolinéarité due à l’utilisation d’effets d’interaction, les variables indépendantes ont été centrées autour de la moyenne. Nos résultats montrent que les jugements de justice distributive (ß = ,261 ; p < 0,001), procédurale (ß = ,253 ; p < 0,001), informationnelle (ß = ,250 ; p < 0,001) et interpersonnelle (ß = ,276 ; p < 0,001) influencent de façon positive et significative l’implication affective de l’ensemble des salariés. Les analyses de régression mettent en évidence que l’âge, l’ancienneté, la fonction ou encore le fait que le statut d’emploi soit choisi ou subi, sont sans effet sur l’implication. Ceci reste le cas après l’introduction des perceptions de justice, du statut d’emploi et de l’effet d’interaction. Les analyses des effets d’interaction montrent que le statut d’emploi modère seulement la relation entre perceptions de justice informationnelle et implication affective (ß = –,336 ; p < 0,1).

Nous reconnaissons que l’interaction entre le statut d’emploi et les perceptions de justice informationnelle a un effet modeste (ΔR= 0,011). Toutefois, les effets d’interactions sont souvent difficiles à détecter et comme le note Evans (1985), un effet qui explique seulement 1 % de la variance doit être considéré comme important. Afin de l’interpréter, nous avons construit les courbes qui décrivent le lien entre la justice informationnelle et l’implication affective pour les salariés permanents (en CDI) et ceux en contrat court (en CDD) (figure 1). Comme la théorie de l’inclusion partielle (Miller et Terborg, 1979) nous invitait à le penser, il apparaît que le statut d’emploi contingent diminue l’intensité de la relation.

Discussion

L’objectif de cette étude était d’ajouter à la compréhension des effets de la relation d’emploi – permanente ou contingente – sur l’implication organisationnelle des salariés en utilisant la justice organisationnelle comme cadre théorique. Notre hypothèse était basée sur l’idée que le statut d’emploi contingent peut modérer les effets de la justice organisationnelle sur l’implication. Nos résultats empiriques apportent un soutien mitigé à cette hypothèse. Il apparaît en effet que seuls les effets des perceptions de justice informationnelle sur l’implication sont modérés par le statut d’emploi. En outre, contrairement à la théorie de la justice heuristique (Van den Bos, Lind et Wilke, 2001) mais comme la théorie de l’inclusion partielle (Miller et Terborg, 1979) nous invitait à le penser, la relation entre les perceptions de justice et l’implication affective est moins forte dans le cas des salariés en contrat court. Ces résultats appellent des commentaires.

Tableau 4

Analyse de régression multiple hiérarchique prédisant l’implication affective

 

Justice distributive

Justice procédurale

Justice informationnelle

Justice interpersonnelle

Variables de contrôle

Step 1

Step 2

Step 3

Step 1

Step 2

Step 3

Step 1

Step 2

Step 3

Step 1

Step 2

Step 3

Sexe

‑,122†*

‑,095

‑,099

‑,129*

‑,114†

‑,115†

‑,098

‑,106†

‑,116†

‑,100

‑,120†

‑,119†

Âge

,032

,037

,042

,040

,043

,047

,036

,028

,034

,040

,062

,066

Ancienneté

,0110

,076

,071

,090

,012

,017

,100

,083

,070

,106

,084

,084

Fonction

,059

,071

,077

,053

,061

,062

,061

,075

,070

,059

,107

,105

Choix contrat

‑,088

‑,052

‑,049

‑,077

‑,066

‑,060

‑,084

‑,058

‑,051

‑,080

‑,049

‑,047

R2 ajusté

,17

 

 

,013

 

 

,011

 

 

,013

 

 

F

1,874

 

 

1,653

 

 

1,538

 

 

1,631

 

 

Δ R2

,037

 

 

,034

 

 

,031

 

 

,032

 

 

Δ F

1,874

 

 

1,653

 

 

1,538

 

 

1,631

 

 

Effets principaux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Contrat

 

‑,098

‑,097

 

‑,106

‑,102

 

‑,119†

‑,102

 

‑,077

‑,076

JO

 

,261***

,422*

 

,253***

,524**

 

,250***

,566**

 

,276***

,387*

R2 ajusté

 

,083

 

 

,075

 

 

,070

 

 

,084

 

F

 

4,171***

 

 

3,788**

 

 

3,696**

 

 

4,250

 

Δ R2

 

,071

 

 

,068

 

 

,066

 

 

,077

 

Δ F

 

9,581***

 

 

8,850***

 

 

8,845***

 

 

10,484***

 

Effets d’interaction

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Contrat XJO

 

 

‑,172

 

 

‑,287

 

 

‑,336†

 

 

‑,118

R2 ajusté

 

 

,082

 

 

0,080

 

 

,078

 

 

,081

F

 

 

3,753***

 

 

3,609**

 

 

3,629**

 

 

3,761***

Δ R2

 

 

,003

 

 

,009

 

 

,011

 

 

,002

Δ F

 

 

,848

 

 

2,220

 

 

2,948†

 

 

,411

Contrat : codage 1, CDI et 2, CDD. JO : justice organisationnelle, les effets de chaque dimension sont étudiés séparément. Les coefficients Béta reportés sont standardisés.

*

p < 0,05,

**

p < 0,01,

***

p < 0,001

p < 0,1

-> Voir la liste des tableaux

Figure 1

Effet modérateur du statut d’emploi sur la relation entre perception de justice informationnelle et implication affective

Effet modérateur du statut d’emploi sur la relation entre perception de justice informationnelle et implication affective

-> Voir la liste des figures

Tout d’abord, très peu d’études sont consacrées aux salariés embauchés pour une durée déterminée et rares sont celles qui ont utilisé de façon explicite le cadre théorique de la justice organisationnelle pour étudier leur implication. De fait, nous avons apporté des éléments de réponse à une lacune soulevée par Connely et Gallagher (2004). Suite à ce constat, nos résultats peuvent donner lieu à deux types d’interprétations.

Premièrement, les effets des perceptions de justice distributive, procédurale et interpersonnelle sur l’implication ne sont pas fonction du statut d’emploi. Ainsi, le pouvoir prédictif de ces perceptions de justice est de même ampleur que l’on soit ou non inscrit dans une relation d’emploi traditionnelle. Comme Gallagher et McLean Parks (2001) le notent, il semble donc que les salariés contingents s’engagent à la fois dans des relations d’échange économique et social. Les traiter de façon juste est donc important. Ceci leur indique la mesure dans laquelle ils sont valorisés et intégrés et témoigne de la qualité de leur échange social avec leur employeur. Il semble que le cadre théorique de la justice organisationnelle soit utile à l’analyse de la relation d’emploi contingente qui ne devrait pas être réduite à une relation de type économique.

Deuxièmement, notre étude semble montrer que le statut d’emploi modère les effets des perceptions de justice informationnelle sur l’implication affective. Ce résultat nous conduit à réexaminer les enseignements de la théorie de la justice heuristique. Tout d’abord, il ne semble pas que les perceptions de justice formées au contact du supérieur hiérarchique soient les principaux éléments pris en compte par les salariés contingents afin de résoudre le dilemme social (Lind, 2001). Contrairement à ce que laissait envisager la théorie de la justice heuristique, les aspects interactionnels du traitement organisationnel, bien que plus facilement observables par les salariés, ne sont pas plus importants dans le cas des salariés contingents. Plusieurs explications semblent envisageables.

D’abord, comme nous l’avions évoqué, il semble qu’en raison d’une inclusion partielle dans l’organisation (Miller et Terborg, 1979), les salariés contingents accordent moins d’importance aux informations et explications apportées par leur supérieur à l’égard des procédures en oeuvre dans l’organisation. En effet, leur temps de présence est plus court dans l’entreprise et ils participent éventuellement à de multiples relations sociales. Ceci peut jouer sur la place qu’ils accordent à leur emploi actuel. Ensuite, la conception d’un marché du travail dual avec au centre, les salariés permanents, « coeurs » de l’organisation et à la périphérie les salariés contingents, nous pousse à envisager que les informations recueillies auprès du supérieur ne sont pas forcément pertinentes pour les salariés contingents. De fait, ces salariés ne font en général pas l’objet d’une gestion spécifique : les mêmes tâches que les permanents leur sont assignées et ils ne bénéficient pas de formation particulière (Lautsch, 2002). Il semble que ceci soit effectivement le cas dans les établissements auprès desquels notre enquête a été réalisée. En effet, les informations que nous avons pu obtenir lors d’entretiens avec les responsables des services RH ont mis en évidence un management homogène des salariés, quel que soit la nature de leur contrat de travail.

Enfin, nos résultats empiriques ne montrent pas que les perceptions de justice distributive influencent moins l’implication que les dimensions procédurale et interactionnelle du traitement organisationnel, comme le laisser supposer la théorie de la justice heuristique. Selon nous ceci peut s’expliquer par une ancienneté relativement importante des salariés permanents (environ trois ans) et contingents (environ un an) de notre échantillon. Étant depuis relativement longtemps dans l’organisation, ils ont pu accéder à des éléments susceptibles de les aider à former leur jugement de justice. Ils ont aussi pu collecter des informations relatives aux aspects distributifs de leur traitement. De fait, les jugements de justice distributive, procédurale et interactionnelle, influencent leur implication à l’égard de l’organisation. Nous ne pouvons cependant pas rejeter les propositions de la théorie de la justice heuristique en raison de l’ancienneté moyenne élevée de notre échantillon.

Les enseignements pratiques de cette étude sont les suivants. Ils mettent en évidence que les salariés contingents ont tendance à s’impliquer affectivement envers leur organisation. Ce résultat est d’autant plus intéressant que notre étude a été réalisée dans le secteur de la santé marquée par une pénurie de personnels soignants et pour lequel la problématique de leur rétention est primordiale. Preuve en sont la réalisation d’une enquête d’envergure européenne sur la question de l’abandon de l’emploi et de la profession[5] et la multitude de recherches empiriques consacrées à la question du roulement des personnels soignants (Hayes et al., 2006, pour une revue de la littérature). Étant donné les effets de l’implication affective sur la réduction de l’intention de quitter et le roulement de la main-d’oeuvre (Mathieu et Zajac, 1989), notre étude présente donc un intérêt. Nos résultats mettent aussi en évidence le pouvoir prédictif des perceptions de justice sur l’implication des personnels soignants et un effet modérateur du statut d’emploi sur la relation entre les perceptions de justice informationnelle et l’implication. Nous pouvons dessiner certaines orientations pratiques.

Il semble d’abord important de souligner que les salariés contingents attendent vraisemblablement autant de choses de leur employeur que leurs collègues permanents mais qu’ils pourraient être sensibles à un management différencié. L’effet de modération identifié nous conduit à avancer l’idée d’un management différencié des salariés contingents afin d’améliorer le pouvoir prédictif des perceptions de justice informationnelle sur l’implication des salariés en contrat court. Ceci semble d’autant plus important que Trombetta et Rogers (1988), dans une étude réalisée auprès d’infirmiers, ont mis en évidence que les informations données aux salariés et précisément leur caractère adéquat était un facteur déterminant de leur implication. Il semble particulièrement important de veiller à l’adaptation des informations données aux salariés lorsqu’ils sont en contrat court. Afin de préserver l’implication de ces salariés, les organisations et le management ont intérêt à leur fournir des explications claires quant à ce que l’on attend d’eux, quant à la durée de leur contrat et aux possibilités de renouvellement de celui-ci (Connely et Gallagher, 2006). Les organisations qui recourent de façon récurrente à des salariés contingents devraient accompagner cette pratique d’un management des RH adapté afin de tirer tous les bénéfices de cette flexibilité quantitative de la main-d’oeuvre. L’encadrement chargé d’intégrer des salariés en contrats courts au sein d’une équipe de travail joue en ce sens un rôle déterminant. Il peut être nécessaire de les y sensibiliser.

Conclusion

L’interprétation de nos résultats est limitée par certains aspects. L’opérationnalisation du statut d’emploi est limitée au contrat de travail détenu par le salarié et au fait que le salarié l’ai choisi ou non, or la situation d’emploi ne se résume souvent pas à ceci (Feldman, 1990). Le fait de désirer conserver ce type de relation d’emploi ou au contraire d’avoir une relation permanente à l’entreprise ou encore le type de tâches exécutées sont susceptibles d’influencer le vécu de l’emploi contingent et donc les attitudes et comportements des intéressés. Le contexte de la santé est particulier. Même s’il accentue l’enjeu de l’implication des salariés contingents, nos résultats sont contextuels et ne peuvent être transposés à d’autres secteurs d’activité qu’avec précaution. Notre échantillon est composé en grande majorité de femmes et nous pouvons nous demander si les relations entre perceptions de justice et implication auraient été semblables sur un échantillon plus masculin. Notre enquête a été réalisée au sein de sept établissements de santé. Même si la moitié d’entre eux appartiennent au même groupe et se caractérisent par un management comparable, tel n’est pas le cas des autres établissements. Nous sommes donc sensible aux biais que notre échantillon peut présenter et considérons avec prudence les commentaires que nous avons tirés de nos résultats. La forme d’implication retenue concerne seulement la cible organisationnelle alors que les salariés sont susceptibles de s’impliquer envers leur travail ou leur carrière. D’autre part, nous n’avons retenu que sa dimension affective. Nous devons aussi soulever les limites méthodologiques d’un design de recherche non longitudinal. Il ne nous permet pas de tester la mesure dans laquelle l’évolution de la relation d’emploi influence les perceptions de justice et l’implication. S’ajoutent enfin les biais de variance commune car les variables dépendantes et indépendantes ont été recueillies par le même questionnaire.