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Largement connu depuis la publication du Rapport Brundtland, en 1987, le concept de développement durable est maintenant retenu et promu par la communauté des États comme le nouveau modèle de développement, lequel n’est plus seulement économique, mais capable de réconcilier équitablement et dans la durée le développement social et économique dans le respect de l’environnement. Depuis, le concept de développement durable et le nouveau projet de société proposé ont fait couler beaucoup d’encre et soulevé une grande variété de débats théoriques, politiques, économiques, sociologiques, écologiques, etc.
Corinne Gendron est bien connue pour ses travaux sondant le concept de développement durable et ses interfaces avec les acteurs économiques. Dans son ouvrage consacré à la modernisation écologique de l’économie dans une perspective de développement durable, elle nous offre une analyse originale et un apport notable au domaine de la socio-économie de l’environnement. La thèse présentée s’appuie sur un cadre théorique et analytique novateur développé pour comprendre le rôle des acteurs économiques dans la dynamique sociale de la modernisation écologique des institutions et esquisser, en marge des propositions des économistes de l’environnement, les avenues que dessine cette dynamique (p. 4-5).
L’ouvrage est divisé en deux parties : la première est consacrée au cadre théorique alors que la seconde présente les résultats d’une enquête réalisée auprès de hauts dirigeants d’entreprises.
Dans la première partie, l’auteure présente les principaux courants de l’économie de l’environnement ayant émergé dans le temps, au rythme de l’augmentation des préoccupations devant le caractère limité des ressources naturelles et de la capacité d’épuration des milieux récepteurs. Le premier chapitre passe en revue l’école des droits de propriété, l’approche néoclassique ou des effets externes et ses composantes, le courant de l’économie écologique, les débats sur la croissance économique et le rôle de la technologie. La présentation fait état des principales critiques dont sont l’objet les différentes écoles et, tout particulièrement, l’approche néoclassique qui domine actuellement le champ de l’économie de l’environnement. Parmi les différentes approches économiques présentées, l’auteure retient le potentiel du courant institutionnaliste parce que la question environnementale n’y est plus seulement analysée dans sa matérialité mais aussi à travers la dynamique sociale et politique de la crise environnementale, ce qui est « indispensable à la théorisation d’une véritable économie de l’environnement » (p. 49).
Suit une présentation de la théorie de la régulation qui se pose, selon l’auteure, en « critique sévère et radicale du programme néoclassique, qui postule le caractère autorégulateur des économies de marché » et propose des théories alternatives respectueuses de l’enchevêtrement des phénomènes économiques et sociaux et donc plus à même d’appréhender la dynamique des transformations induites par la crise environnementale (p. 72). Jusqu’à maintenant, la théorie de la régulation ne s’était guère préoccupée des questions environnementales, à l’exception des travaux d’Alain Lipietz. L’ouvrage de Corinne Gendron s’inscrit donc dans la suite de ces rares travaux. Elle s’attache surtout à présenter l’articulation proposée par Lipietz entre la théorie de la régulation et la problématique environnementale ainsi que les travaux récents d’écologisation de la théorie de la régulation de Becker et Raza. Afin de compléter son cadre théorique, l’auteure introduit une lecture régulationniste de la problématique environnementale dont l’« objectif est de mettre au jour la transformation ou l’émergence de nouveaux rapports sociaux induits par la problématique environnementale et d’envisager le type de compromis institutionnel susceptible de se former » (p. 93). Dans la continuité des travaux des régulationnistes québécois, Bélanger et Lévesque, et de ceux d’Alain Touraine, qui préface son ouvrage, Corinne Gendron propose de contribuer au déploiement de la théorie de la régulation en insistant plus particulièrement sur le rôle de la classe dirigeante, représentée par l’élite économique, dans la transformation des institutions et de la société. Le dernier chapitre théorique est consacré à l’articulation inédite des travaux de l’action collective et des nouveaux mouvements sociaux avec la théorie de la régulation qui permettra, dans la seconde partie de l’ouvrage, d’étudier le rôle des acteurs économiques dans la transformation des institutions collectives induites par la crise environnementale et le nouveau paradigme du développement durable.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Corinne Gendron analyse les représentations de l’élite économique afin de préciser la part qu’elle occupe dans la construction conflictuelle de la société et de déterminer la configuration générale du nouveau paradigme sociétal en émergence, sur lequel se fonderait la société postindustrielle. En suivant les cadres régulationnistes et tourainiens, la seconde partie ouvre de nouvelles pistes originales et présente des résultats intéressants pour comprendre les dynamiques s’affrontant sur le terrain des valeurs neuves de l’environnement et du développement durable et appréhender le compromis susceptible d’émerger entre les acteurs. La notion de « compromis » tourainienne suggère que l’acteur dominant impose des préférences conformes à ses intérêts mais également acceptées, reconnues et donc légitimées par les autres acteurs sociaux (p. 154-155).
Les résultats de l’analyse des représentations montrent que l’élite économique admet l’existence du problème de dégradation de l’environnement sans toutefois s’approprier pour autant les thèses écologistes ; elle s’en distingue plutôt au registre des causes aux problèmes affligeant l’environnement. De plus, l’analyse de l’auteure décèle des points de rupture avec le paradigme industriel fordiste caractéristique des trente Glorieuses au profit d’un nouveau modèle empruntant à celui du développement durable. L’auteure précise que l’expression « développement durable » revêt toutefois des sens différents parmi les dirigeants interrogés mais que des différences se retrouvent également dans la communauté scientifique, chez les écologistes et dans les autres segments de la population. En définitive, ces divergences d’interprétation n’en témoignent pas moins que le développement durable est maintenant reconnu par l’élite économique comme modèle de développement et que les conflits se situent essentiellement au niveau de son interprétation (p. 232).
En conclusion, l’auteure dresse un portrait du paradigme sociétal hégémonique envisageable suivant les résultats de son analyse des représentations des dirigeants d’entreprise. En voici quelques traits : l’avenue de la dématérialisation de l’économie, et notamment de la consommation, paraît s’imposer bien qu’elle ne sera vraisemblablement pas portée par les pouvoirs publics ; le contexte de la mondialisation commanderait que la régulation soit davantage élaborée et appliquée au niveau international ; selon les acteurs économiques, la déréglementation serait nécessaire à la compétitivité des entreprises nationales et le rôle de l’État serait davantage tourné vers le soutien aux entreprises se risquant sur la scène internationale (p. 238-241).
Parmi les nombreux ouvrages consacrés au développement durable, nul doute que le livre de Corinne Gendron retiendra l’attention et occupera une place de choix compte tenu de la qualité de la démonstration, de la recherche, et de la richesse de la réflexion sur cet ample et mouvant phénomène qu’est le développement durable. Bien que ce dernier chantier soit encore inachevé, l’ouvrage apporte des réponses tout à fait intéressantes quant à l’émergence de ce nouveau modèle de développement et d’un compromis de la part des acteurs économiques s’inscrivant résolument dans cette nouvelle perspective. Les résultats de recherche et les réponses proposées par Gendron alimentent à leur tour la réflexion et soulèvent de nouvelles questions qui intéresseront un large lectorat et les chercheurs s’intéressant au développement durable ainsi qu’aux transformations économiques, organisationnelles et institutionnelles induites par la crise environnementale. Enfin, la clarté, la rigueur et l’originalité de la démarche de l’auteure et l’érudition dont elle fait preuve en font un ouvrage à recommander aux étudiants qui s’intéressent au développement durable, à ses enjeux et défis.