RecensionsBook Reviews

Le travailleur forestier québécois : transformations technologiques, socioéconomiques et organisationnelles, par Camille Legendre, Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec, 2005, 397 p., ISBN 2-7605-1268-1.[Notice]

  • Claude Rioux

…plus d’informations

  • Claude Rioux
    Retraité, ex-coordonnateur de la Fédération des travailleurs et travailleuses du papier et de la forêt CSN

L’organisation du système d’exploitation de la ressource forestière est généralement étudiée par les spécialistes de la foresterie en regard de la sylviculture, de la récolte et de l’aménagement. Peu d’études, du moins au Québec, se sont intéressées aux acteurs de ce système à maints égards fort particulier, voire atypique. L’ouvrage de Camille Legendre arrive à point. La vie professionnelle de l’auteur ainsi que ses travaux de recherche universitaires ont été centrés sur l’étude et l’analyse des rapports des acteurs des opérations forestières au Québec. Cet ouvrage reprend les principales dimensions du champ d’étude que Camille Legendre a investi dès les années soixante par ses recherches au Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) sur l’organisation de l’industrie forestière ainsi que sur les caractéristiques sociales et professionnelles des travailleurs forestiers du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Jusqu’alors l’étude de cette industrie se limitait à l’aspect économique de considérations organisationnelles préoccupant au premier chef les directions des entreprises papetières ainsi que les autorités publiques responsables du patrimoine forestier du Québec. L’étude des relations professionnelles était axée sur les besoins de main-d’oeuvre et sur sa productivité. C’est ce que révèle la documentation de l’ouvrage. Par ailleurs le monde du travail de l’exploitation forestière québécoise se reflétait dans la production folklorique de la chanson, dans le film documentaire notamment le film engagé d’Arthur Lamothe, « Les bûcherons de la Manouane » (ONF, 1962), ainsi que dans la littérature, pensons au « Menaud maître draveur » de Félix-Antoine Savard. Camille Legendre par ses travaux de terrain a été un pionnier de l’étude des structures et des relations sociales propres à cette industrie. Par les entrevues qu’il a réalisées avec les principaux acteurs, notamment les travailleurs et les entrepreneurs forestiers et par l’examen des publications émanant de l’industrie et du gouvernement, l’auteur a pu établir à la fois une solide description des structures organisationnelles et un modèle explicatif des caractéristiques des relations sociales particulières à cette industrie. L’ouvrage est formé de neuf chapitres qui sont autant de fenêtres sur cet univers. Les quatre premiers portent sur les entrepreneurs forestiers. Les chapitres cinq et six référent à la main-d’oeuvre, le septième aborde la modernisation technologique de ce secteur alors que les deux derniers chapitres traitent de l’environnement social, de la syndicalisation et de l’activité de grève. Atypique dans l’industrie manufacturière, le recours systématique par les grandes compagnies papetières aux services d’entrepreneurs pour assurer l’approvisionnement de leur principal intrant, soit la matière ligneuse, fait l’objet d’une analyse approfondie mettant en lien le développement industriel du secteur des pâtes et papiers et l’émergence d’un modèle d’exploitation forestière fondé sur ce que l’auteur nomme le « marchandage », forme apparentée à un mode de production précapitaliste. À partir de l’étude de l’organisation des opérations forestières caractérisée par un processus de production à forte intensité de main-d’oeuvre, et de son évolution, de l’examen de contrats préparés par les bureaucrates des grandes entreprises à l’intention des entrepreneurs forestiers et d’entrevues avec ces derniers, l’ouvrage nous révèle un sous-système industriel captif formé d’un grand nombre de petits et de moyens entrepreneurs originaires du milieu rural. Ces entrepreneurs assumèrent les risques financiers associés à la récolte de la matière ligneuse en étant fortement dépendants des entreprises papetières et de quelques grands entrepreneurs dans le cadre d’un arrangement institutionnel inégal, « le marchandage », de plus en plus complexe au fil du temps. Pendant de longues périodes, du moins jusqu’à la mécanisation de la récolte forestière, ces entrepreneurs exerçaient un rôle essentiel d’intermédiation dans la gestion des besoins de main-d’oeuvre entre les communautés rurales et les entreprises papetières. Selon l’auteur, ce modèle a vraisemblablement freiné …