Cet ouvrage collectif rassemble les contributions produites à l’occasion d’un séminaire pluridisciplinaire tenu par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) en France. L’objectif de ce séminaire était de « réfléchir la compétence » sous trois regards différents et complémentaires, soit ceux de la sociologie, du droit et de l’économie. Ce livre n’aborde pas la compétence comme un objet sans précédent, radicalement nouveau. Au contraire, il tend plutôt à banaliser ce concept en se demandant comment la compétence peut être considérée comme un objet ordinaire de la sociologie, du droit, de l’économie. Après une introduction générale, le contenu est divisé en trois parties distinctes regroupant, par discipline, les textes produits pour le séminaire du Céreq. La première partie portant sur les approches sociologiques de la compétence se lit avec intérêt. Outre l’introduction, cinq textes sont présentés. Ils enrichissent notre réflexion en tentant de répondre à diverses questions dont celle-ci : la gestion par les compétences représente-t-elle l’apparition d’un nouveau régime de travail échappant aux conflits traditionnels ou, au contraire, n’est-elle « rien d’autre qu’un changement de vocabulaire insidieux, une manière de donner un sens apparemment positif à la perte des garanties et des statuts gagnés autrefois par les travailleurs ? » (p. 25). Bien que tous les textes de l’ouvrage soient teintés par l’origine française du Centre d’études regroupant les auteurs, les textes liés à la sociologie le sont encore plus à mon avis. En effet, la plupart du contenu a pour trame de fond le débat social qui sévit en France autour des qualifications et des compétences. Les compétences sont vues comme une liste de qualifications que doit posséder un travailleur pour occuper un poste donné. Elles sont définies par secteur d’activités. Alors que certains diront que cet état de fait limite la réflexion du lecteur « non français », d’autres apprécieront sans doute la possibilité d’établir un comparatif. Les textes questionnent aussi l’émergence de la gestion des compétences sous une perspective sociologique. Par exemple dans l’industrie du verre, le passage à la gestion des compétences semble être la résultante d’un conflit social autour d’une revendication salariale. « La gestion par les compétences ne représente ni une mutation ponctuelle, ni une option logique. Elle s’inscrit dans une série de mouvements qui contribuent à déstabiliser les relations collectivement construites sous le règne de la qualification, sans pour autant résoudre les problèmes qu’elle prétend surmonter » (p. 52). La deuxième partie sur les approches juridiques de la compétence a constitué pour moi un plus grand défi de lecture étant donné mon manque de connaissances dans ce domaine. Cela en valait la peine. Les quatre textes présentés dans cette section pourront engendrer une réflexion fort utile tant pour le scientifique que le praticien. Bien qu’encore une fois, le contenu s’articule autour du passage en France d’une logique traditionnelle de gestion des qualifications et des emplois à une logique reposant sur les compétences, deux grandes questions que je qualifierais d’universelles traversent tous les textes. La première porte sur les incidences de cette nouvelle logique des compétences sur l’administration du rapport d’emploi et son encadrement légal. La seconde a trait aux effets en retour d’une pratique gestionnaire sur la production normative. On s’interroge entre autres ici sur l’articulation entre classification, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et formation continue ; sur la progression des salariés dans le cadre des dispositifs de gestion des compétences ; sur la perméabilité du droit du travail à la notion de compétence ; et sur l’évaluation objective des compétences pour assurer leur transférabilité dans un autre emploi. La dernière partie du livre porte sur les …
Réfléchir la compétence : approches sociologiques, juridiques, économiques d’une pratique gestionnaire sous la direction de Arnaud Dupray, Christophe Guitton et Sylvie Monchatre, Toulouse : Octares Éditions, 2003, 272 p., ISBN 2-906769-97-5.[Notice]
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Lucie Morin
Université du Québec à Montréal