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Derrière ce titre « jeu de mots » bien pensé se révèle un ouvrage fort intéressant sur l’organisation du travail, vue sous l’angle de la coopération, dans l’industrie du bâtiment (construction) en France. Le titre nous renvoie aussi à une analyse convaincante qui rappelle que l’étude du travail d’un point de vue sociologique n’est jamais achevée. Comme il se doit, expliquons brièvement la structure de l’ouvrage avant de le commenter davantage. On y retrouve quatre chapitres. Le premier est une analyse de la notion de coopération dans le travail telle que comprise et véhiculée de diverses manières dans les études sociologiques du travail. Le deuxième chapitre porte sur la description de l’organisation du travail dans l’industrie du bâtiment, notamment dans une perspective historique qui revient sur la période plus taylorienne de l’industrie et sur la période dite de redécouverte de la coopération que l’auteure situe aux années 70 et suivantes. Le troisième chapitre propose une lecture fine (au sens micro mais aussi quant à ses qualités) de l’activité de travail sur un chantier à partir des observations réalisées par la chercheure. Enfin, le quatrième et dernier chapitre porte sur l’activité d’encadrement et de gestion des hommes de chantier (supervision du travail), encore là à partir du travail d’observation de la chercheure. Une conclusion générale vient synthétiser les parcours multiples de l’ouvrage dont nous allons faire état maintenant.
L’intérêt de cet ouvrage est triple et celui-ci devrait convaincre, au moins dans une de ses facettes (sinon la totalité), les chercheurs qui s’intéressent à l’analyse du travail de s’y arrêter. D’abord, l’auteure nous propose une analyse très intéressante du traitement de la notion de coopération dans le travail par divers chercheurs, tel que mentionné plus haut. Des travaux précurseurs et limitatifs de cette notion (chez Marx), en passant par des considérations plus sociales relatives à l’activité de travail et à la coopération ouvrière (chez Friedmann et Touraine par exemple), l’auteure achève ce parcours dans le courant de la régulation sociale (qu’elle illustre surtout par les travaux de de Terssac). Elle en dégage une synthèse générale qui la conduit à l’idée de l’importance d’avoir une approche d’ouverture analytique et méthodologique à l’égard de l’objet qu’est le travail (et la coopération) notamment sous l’angle de la pluridisciplinarité en sciences sociales, approche qualifiée d’ergologique. Nous soulignons ici qu’une telle conclusion n’apparaît pas des plus surprenantes (ni novatrices sinon dans les termes) eu égard à la tradition des relations industrielles (comme champ d’étude) qui malheureusement est complètement absente dans l’analyse proposée. Le débat, et c’est là une limite du moins du point de vue du chercheur en relations industrielles mais aussi probablement du chercheur non français, demeure ici essentiellement interne à la sociologie française du travail.
Le deuxième intérêt de l’ouvrage est de nous introduire concrètement dans le milieu de la construction (du bâtiment) comme terrain privilégié par l’auteure pour y analyser le concept de coopération. Pourquoi cet intérêt ? D’abord probablement parce qu’à la différence de beaucoup d’autres secteurs, celui-ci n’est pas le lieu habituel de l’analyse du travail en sciences sociales. On y apprendra donc beaucoup sur les périodes tantôt plus tayloriennes et tantôt plus coopératives de la conception du travail mais aussi sur la réalité quotidienne de l’exécution des activités, du travail de planification, de l’encadrement, le tout sous l’angle des rapports sociaux qui transcendent, voire dominent, une activité de travail qui en apparence est essentiellement technique, découpée, divisée en métiers indépendants, et vue souvent comme étant figée dans le temps depuis des années. Or, comme le souligne un des acteurs de l’industrie interviewés par la chercheure : « Dans ce métier on ne peut travailler qu’en équipe. C’est un axiome. Le Bâtiment c’est l’équipe » (p. 77). Et c’est là que s’appuie avec force selon nous le concept soutenu par l’auteure, soit « l’organisation du travail à prescription floue ». Essentiellement, celui-ci vise à décrire une réalité du travail qui demande beaucoup de minutie dans la planification ex ante des activités de construction sans pouvoir en même temps être exécutées intégralement telles que planifiées, qui exige une coordination complexe de travaux réalisés par une multitude de métiers cloisonnés sur le plan professionnel, qui suppose une nécessaire anticipation de ce qui suivra le travail du moment, le tout mettant ainsi en relief l’importance des rapports entre tous les intervenants (qu’ils soient gestionnaires, superviseurs ou ouvriers). Ces rapports sont faits de communication, d’échange d’informations techniques, de discussion sur l’organisation du travail, et ils visent à pallier à l’impossibilité de tout prévoir en termes de déroulement des activités dans cette industrie. Des problèmes techniques surviennent sans cesse dans cet univers de production complexe (non ‘standardisable’ dans sa globalité par rapport à la production manufacturière de plusieurs biens) mais les solutions résident d’abord dans la qualité des rapports sociaux qu’entretiennent entre eux les divers intervenants. De là s’exprime l’incontournable lien entre les individus et le collectif dans cette industrie.
Le troisième intérêt de l’ouvrage réside dans ses aspects méthodologiques. La transparence de la démarche utilisée par la chercheure (faite d’observation, d’entrevues et de restitution – validation) et l’utilisation appropriée des citations en appui rappelle, d’une part, l’intérêt et la pertinence de la recherche dite qualitative en sciences sociales notamment pour saisir une réalité des plus complexes comme celle de l’analyse du travail et, d’autre part, indique bien les exigences méthodologiques d’une telle démarche. À cet égard, l’auteure ne nous laisse pas sous l’impression de forcer un cadre analytique sur une réalité qui pourrait échapper au lecteur. La démonstration est convaincante même si on peut parfois s’interroger sur certaines absences lors de la description des rapports de travail entre les divers intervenants. Pour notre part, il apparaît que les notions de conflictualité ou de tension dans ces rapports décrits par la chercheure sont trop peu explorées bien qu’elles soient une composante effective de la réalité du travail (dans ce secteur comme ailleurs) et bien qu’elles soient reliées conceptuellement à la notion de coopération.