Depuis l’éclatement du modèle fordiste en de multiples modèles qui sont autant de tentatives d’exploration de nouvelles modalités de production, nous assistons à l’émergence de formes d’emplois et de travail atypiques. L’éclatement du modèle fordiste résulte d’un changement du mode de production qui tend à se subordonner aux besoins du marché. Cela exige un mode de production souple rendu possible grâce, notamment, à l’apport des technologies d’information et d’automation et une organisation du travail plus flexible. Or, la flexibilisation de l’organisation du travail se traduit, entre autres, par une précarisation accrue d’une proportion importante d’employés. L’ouvrage collectif de Fournier, Bourassa et Béji porte sur la précarité et vise : 1) à revoir la définition théorique de la précarité du travail, 2) à explorer ses conséquences sur la vie hors travail, et 3) à aborder la question du rôle des services d’intervention et d’intégration en emploi. Dans son chapitre, Paugam analyse les transformations du rapport au travail à la lumière de trois tendances touchant l’univers du travail en France : 1) l’autonomie grandissante des employés touchant toutes les catégories professionnelles, 2) la qualification accrue des employés, et 3) l’accroissement des contraintes du travail. Si l’employé est davantage autonome et qualifié pour effectuer le travail, les contraintes liées à son travail, que l’employé tend à intérioriser, se sont accrues. Cet accroissement traduit une subordination du travail aux aléas du marché et l’établissement d’objectifs par des collègues et des supérieurs qui laissent à l’employé le choix des moyens de les atteindre. Fournier, Bourassa et Béji portent leur réflexion sur les définitions des concepts d’emploi atypique et de précarité en les appuyant sur des analyses empiriques. Trois approches permettent d’aborder le concept d’emploi atypique : 1) l’approche juridique, qui range dans cette catégorie toutes les formes d’emploi qui s’éloigne du contrat à durée indéterminée (temps plein ou partiel), 2) l’approche économique, qui insiste sur la segmentation du marché du travail en un segment stable et un segment instable, et 3) l’approche sociale, qui lie l’atypie à la précarité du travail. Les auteurs distinguent la précarité et l’atypie. Selon eux, la précarité se saisit à travers l’instabilité de la relation et du temps de travail, l’incertitude liée au revenu et l’absence de protection syndicale. Tandis que l’atypie peut constituer une stratégie positive d’intégration du marché du travail, comme elle peut être le résultat d’un processus menant à la marginalité des travailleurs. Pour une part importante des travailleurs, l’emploi atypique se confond avec la précarité. La précarité occasionne une pauvreté accrue des travailleurs et compromet leur parcours professionnel, tout en ayant un impact négatif sur leur vie familiale, sociale et personnelle. L’étude de Le Blanc et al. sur les travailleurs de sous-traitance dans une usine en France montre que l’emploi de ces derniers est dévalorisé par rapport aux emplois permanents et que les employés de sous-traitance sont exclus d’un rapport positif au travail. Le travail tend alors à être séparé des autres sphères de socialisation et à occuper une place moins importante dans la vie des employés sous-traités. Du côté des travailleurs à temps partiel, le rapport au travail est plus contrasté, et la précarité peut être perçue de façon positive ou négative selon les aspirations des travailleurs. En dépit de l’incertitude engendrée par les formes diverses de la précarité, l’employé demeure un acteur en ce sens que « c’est à lui qu’il revient, en dernier ressort, de reproduire ou d’inventer […] un certain rapport à son activité de travail, de réguler les sources et les conséquences de cette précarité de situation dans [entre] les différents domaines de sa socialisation et d’anticiper les changements à venir …
La précarité du travail : une réalité aux multiples visages sous la direction de Geneviève Fournier, Bruno Bourassa et Kamel Béji, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2003, 248 p., ISBN 2-7637-7960-3.[Notice]
…plus d’informations
Éric Forgues
Université de Moncton