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Ce livre propose une application de l’Analyse Transactionnelle (AT) au domaine de la négociation. Même si l’auteur s’intéresse davantage à la négociation en général et, plus particulièrement au domaine des transactions commerciales, les concepts et principes présentés ainsi que la démarche suggérée dans ce volume (car il s’agit d’un ouvrage éminemment pratique) sont tout à fait pertinents à la compréhension des négociations en relations du travail.
Soulignons au départ que le volume se situe dans la même ligne de pensée que le classique Comment réussir une négociation (Fisher et Ury, Seuil, 1982) qui porte sur la négociation raisonnée ou encore Franchir le mur des conflits (Weiss, PUL, 2000) qui traite de la négociation basée sur les intérêts. Sa particularité provient du fait qu’il utilise les outils de l’Analyse Transactionnelle pour faire la démonstration des moyens à prendre pour réussir une négociation gagnant-gagnant.
La première partie traite de la personnalité du négociateur. On y trouve sept chapitres qui expliquent comment les concepts clés de l’AT peuvent contribuer à comprendre le comportement d’individus en situation de négociation. Ces concepts sont les suivants. « Les positions de vie » sont déterminées par le degré d’estime positive ou négative qu’un individu a pour lui-même et pour les autres. En associant ces deux dimensions et leurs pôles négatif et positif respectifs, on obtient quatre positions de vie distinctes possibles : (+ –), (– +), (– –) et (+ +). Il y a trois niveaux de position de vie : le niveau comportemental, le niveau psychologique et le niveau existentiel.
« Les trois États du moi » constituent le concept fondateur de l’AT. Il s’agit de l’État Parent, l’État Adulte et de l’État Enfant. On parle de « Symbiose » lorsqu’il y a conjugaison du Parent d’une personne avec l’Enfant d’une autre personne avec exclusion partielle ou totale de l’Adulte. Delivré affirme que « négocier, c’est sortir de la symbiose en mettant les deux parties en mode Adultes aux commandes » (p. 39).
« L’autonomie et la maturité du négociateur » sont représentées sous la forme d’un escalier comportant cinq niveaux : la dépendance, la contre-dépendance, l’indépendance, l’interdépendance et finalement, la maturité.
« La structuration interne du psychisme » concerne le poids respectif du Parent, de l’Adulte et de l’Enfant qui détermine six types de personnalité : le Persévérant, le Rêveur, le Promoteur, le Travaillomane, le Rebelle et l’Empathique. Chaque personnalité a des besoins particuliers, une porte d’entrée psychologique particulière et un canal de communication préféré. Les portes d’entrée sont : la pensée, l’opinion, le sentiment, l’action, la réaction et l’action dirigée alors que les quatre canaux sont le nourricier, l’informatif, le directif et l’émotif. Chaque type de personnalité a également une séquence de stress qui lui est propre. Lors d’une négociation, il importe donc d’utiliser un processus de communication adapté à la personnalité de ses interlocuteurs en employant la bonne porte d’entrée, le canal de communication auquel il répond et en satisfaisant ses besoins psychologiques.
Enfin, il y a les trois « identités » du négociateur : personnelle, culturelle et institutionnelle. Cette dernière est particulièrement importante en relations du travail puisque les personnes ne négocient pas pour elles-mêmes mais en fonction d’un mandat qu’elles ont reçu de leurs commettants et qui détermine leur degré de « souveraineté » dans la négociation.
La deuxième partie s’intéresse aux « Fondements de la négociation ». Elle ne comporte que deux chapitres mais ce sont les plus pertinents au domaine de la négociation en relations du travail. Le chapitre 8, « La logique de la négociation », présente les trois composantes de toute négociation, à savoir : les besoins, les ressources et les intentions relationnelles. Les besoins sont présentés à l’aide de la hiérarchie des besoins de Maslow, alors que les ressources proviennent des attributs personnels du négociateur et de l’institution pour laquelle cette personne négocie. Quant aux intentions relationnelles, elles réfèrent essentiellement à la volonté de parvenir à un accord qui est fortement influencée par le niveau de confiance ou de méfiance existant entre les négociateurs.
L’identification de ces trois composantes permet à l’auteur de nous proposer une définition de la négociation avec laquelle nous ne pouvons qu’être en total accord : « un processus de gestion des désaccords en vue d’une satisfaction contractuelle des besoins ». Le processus réfère à une démarche comprenant des étapes. La gestion des désaccords, pour sa part, fait allusion au fait qu’au départ les deux parties ne sont pas d’accord sur la façon de satisfaire mutuellement leurs besoins. Et enfin, il doit y avoir une volonté de satisfaction contractuelle, c’est-à-dire une intention de conclure un accord.
L’utilité de cette approche par besoins-ressources-intentions permet d’identifier un ordre croissant dans la réussite d’une négociation. Cet ordre est le suivant : 1– J’ai ce que je veux avec l’accord de mon partenaire. 2– Je n’ai pas exactement ce que je voulais au départ, mais je suis globalement satisfait. La relation avec mon partenaire est sauvegardée ou améliorée. 3– Je n’ai pas ce que je veux, mais la relation avec mon partenaire est sauvegardée. 4– Je n’ai pas ce que je veux. La négociation a laissé des blessures relationnelles (p. 100).
Le chapitre 9, intitulé « Pouvoir “sur” et pouvoir “pour” », permet d’établir la même distinction que Weiss (Franchir le mur des conflits) établit entre la négociation traditionnelle basée sur les positions et la négociation basée sur les intérêts. Pour Delivré, la conception classique du pouvoir est celle d’une relation de domination, un pouvoir « sur » l’autre. Celui qui engage un « pouvoir sur » part du principe qu’il ne peut obtenir ce qu’il désire en le négociant dans un esprit de libre arbitre des deux parties. Sa crainte d’un refus est si forte (position de vie « – + ») qu’il veut contrôler les choses en position de vie « + – ». Mais, il y a d’autres façons de voir les choses. Pour cela, il faut changer de croyance et partir de l’idée qu’une bonne relation se fonde sur l’hypothèse d’un intérêt réciproque à faire les choses les uns pour les autres, c’est à dire en adoptant la position « + + » que Delivré appelle le « pouvoir pour ». L’auteur présente un tableau fort simple mais très explicite dans lequel il compare les deux conceptions du pouvoir et il explique par la suite les implications du point de vue du déroulement concret d’une négociation selon chacune des conceptions.
La troisième partie concerne « Le déroulement concret de la négociation ». Celui-ci est examiné selon une séquence chronologique, c’est-à-dire que chacun des chapitres subséquents examine une phase du processus de négociation, à savoir : comment se préparer, comment entamer la négociation, comment la conduire, comment la conclure, comment l’évaluer une fois qu’elle est terminée et enfin, que faire en cas d’échec. Soulignons encore une fois la convergence de vue entre ce volume et celui de Weiss lorsqu’il s’agit de présenter les demandes respectives des parties sous formes d’intérêts plutôt que sous formes de positions.
Les quatrième et cinquième parties s’intitulent, « Les tribulations du négociateur » et « La négociation au quotidien ». On y retrouve sept chapitres qui intéresseront surtout les personnes plus familières avec l’Analyse Transactionnelle. On examine les sujets suivants : les escarmouches relationnelles ; les jeux de pouvoir ; les manipulations ; les jeux psychologiques ; les blocages ; les petites négociations ; et, dans un dernier chapitre intitulé « Pour ne pas désespérer face à la violence », l’auteur rappelle que, pour devenir un excellent négociateur, ce n’est pas tout de posséder des compétences mais qu’il faut aussi pouvoir accepter de se transformer intérieurement.
Le volume comporte également quelques annexes, dont un « Vade-mecum du négociateur » qui identifie sous forme de questions les éléments essentiels auxquels les négociateurs doivent porter attention autant avant la négociation que pendant celle-ci. On y retrouve aussi une liste des principaux besoins que les négociateurs cherchent à satisfaire ainsi que les ressources individuelles et institutionnelles qui peuvent être mises à leur disposition. Enfin, un glossaire nous permet de mieux nous y retrouver dans la terminologie plutôt hermétique de l’AT.
Quant à la bibliographie, elle est présentée sous trois volets distincts. Il y a d’abord ce que Delivré appelle « la bibliothèque de base du négociateur » qui réfère à différents volumes, peu connus de ce côté-ci de l’Atlantique du moins pour ce recenseur, si ce n’est celui de Fisher et Ury mentionné plus haut. On retrouve ensuite des « ouvrages de référence sur les approches présentées dans ce livre » et qui portent principalement sur l’AT et sur la communication organisationnelle, quoiqu’il est aussi fait mention du volume, L’Acteur et le système de Crozier et Friedberg (Paris, Seuil, 1977). Delivré souligne qu’à sa connaissance, il n’existe pas d’ouvrage comparant les concepts de « pouvoir pour » et « pouvoir sur ». Nous pourrions lui suggérer de consulter celui de Weiss mentionné plus haut. Enfin, la bibliographie comporte une liste d’autres ouvrages généraux sur l’AT et la négociation. On n’y retrouve cependant aucun titre portant sur la négociation en relations du travail.
Nous recommandons donc la lecture de ce volume à toutes les personnes qui s’intéressent au fonctionnement du processus de négociation et, plus particulièrement, à celles qui portent intérêt aux nouvelles approches de négociation, telle la négociation basée sur les intérêts.