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Nos temps modernes par Daniel Cohen, Paris : Flammarion, 2000, 161 p., ISBN 2-08-067886-8.[Notice]

  • Fernand Morin

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  • Fernand Morin
    Université Laval

Dans un style simple et dynamique, Daniel Cohen analyse les « temps modernes » du travail en les considérant à la fois sous les aspects économiques, sociologiques, techniques et financiers. D’une façon générale, l’auteur remet en cause certains a priori, jugements et « bien entendu » plus ou moins fatalistes ou dramatiques que l’on partage trop facilement en maints milieux. Il s’agit de ces prêt à penser servant d’anathèmes tels que : « La mondialisation, un fléau inéluctable… ! », « La fin prochaine du travail et la venue d’une société vouée au chômage », « Les techniques de l’information et de la communication (TIC) libératrices de l’homme jusqu’alors asservi », etc. Si les techniques nouvelles permettent la production de l’objet par l’objet, elles ne sauraient chasser le salarié du monde du travail et faire une société de chômeurs. Bien au contraire, affirme-t-il, l’homme devra de plus en plus produire des « biens publics » ; il s’agit des services essentiels à tous les hommes et notamment en éducation, santé, logement et activités sociales. Ainsi, le travail sera encore davantage le fait de l’homme par et pour l’homme : « Les médecins, les enseignants, les architectes, les entraîneurs sportifs, les inventeurs d’objets nouveaux (et non plus leurs producteurs) formeront la seule ossature des relations économiques » (p. 16). Pour illustrer cette thèse, l’auteur rappelle comment le prix d’une place au théâtre était fort accessible alors que seuls les riches pouvaient se procurer une bible au temps de Shakespeare. Situation maintenant inversée où le travail de l’homme par l’homme se fait cher alors que tous pouvons disposer à prix modique d’un exemplaire de la bible ou du coran. Daniel Cohen signale que les techniques nouvelles de production n’ont pas réduit pour tous le poids du travail. S’il est moins physiquement pénible, il devient de plus en plus stressant sous la pression psychologique qu’exerce l’organisation et l’isolement qu’imposent les programmes informatiques, soit les nouveaux « petits chefs » aussi vigilants que discrets. En somme, la technologie libère l’homme de l’asservissement de la nécessité, mais elle ne le libèrerait pas de la technique (p. 26). L’auteur souligne comment l’évolution de ses instruments de travail bouscula l’homme. De la ruralité à l’usine sous les effets combinés du taylorisme et du fordisme, soit la production de masse par et pour une masse anonyme d’ouvriers non qualifiés et maintenant, on connaît un certain retour à l’atelier-maison par l’informatique et la télécommunication (le télétravail). L’ère du zapping des tâches et des fonctions suppose ou exige du salarié une grande polyvalence pour demeurer en poste. Cette flexibilité professionnelle conduit le salarié à devenir un travailleur « autonome ». En clair, cela signifierait seulement que le contremaître n’est pas derrière son épaule. Par ailleurs, ce travail demeure néanmoins encadré par le tracé des programmes informatiques qui indiquent la voie et enregistrent tous les faits et gestes et même les omissions de ce même travailleur « autonome ». Cette polyvalence permet de réduire les « temps morts » si bien qu’il n’y a plus de jachère, de temps libre où on peut prendre un recul pour mieux voir l’ensemble des opérations et faire le point. C’est le passage du fordisme au toyotisme : le juste à temps pour le client et le « tout le temps occupé » du salarié. Un tel régime de travail conduit inévitablement à l’actuelle maladie, celle qui brûle le salarié (le burn-out) notamment par la concurrence interne qui peut être plus dévastatrice que celle de l’extérieur car, avec le temps, cette dernière serait quelque peu apprivoisée. Ce n’est plus la machine qui serait en panne, …