Résumés
Résumé
La réalité globale de l’entreprise transnationale, l’ensemble intégré de son activité, s’étend à plusieurs pays, même si elle est elle-même le plus souvent juridiquement fragmentée en différentes sociétés nationales. Dans quelle mesure le Droit parvient-il à saisir dans toute sa réalité significative, c’est-à-dire transnationale, cette entreprise ; réussit-il à atteindre son centre de pouvoir ? L’examen porte d’abord sur la normativité applicable. Existe-t-il une normativité commensurable à cette entreprise ? Les droits des pays d’implantation se montrent-ils capables d’applications extraterritoriales à son endroit ? Il y a ensuite à considérer la mise en oeuvre, en particulier juridictionnelle, des normes applicables, tantôt l’intervention du for du pays de la filiale, tantôt celle du for de la société dominante.
Summary
In the current state of law, multinational enterprises (MNEs) do not have a specific legal status in the field of labour relations. There is not a specific set of rules that govern them. Thus, in labour relations, MNEs are generally subject to the national law of the host countries. There are, of course, exceptions. For example, the supranational law of the European Union recognizes the pan-European enterprise insofar as it obliges the Member-States to ensure that a European enterprise committee is created within a pan-European group. Similarly, MNEs are, on the whole, understood through different instruments decreed by regional or international organizations, including the International Labour Organisation (ILO), the Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD) and the United Nations. These instruments can be characterized as “green” or “soft” law due to their lack of legal “compellability.” Notwithstanding these exceptions, the MNEs’ lack of a transnational legal status reduces legal intervention to a set of national laws, that is, those of the host countries of its legal components and activities. Indeed, national labour laws, whose vocation is, in principle, strictly territorial cannot affect an MNE in its entirety since, by definition, it extends beyond the borders of a single country.
Despite their naturally territorial vocation with regard to MNE activities’, national laws could be adapted, albeit marginally, to cover a number of extraterritorial applications of their labour law. The legislator of the subsidiary’s host country or the parent corporation’s country could affect the MNE if the parent corporation presented itself as the “usual” employer, on its own or together with its subsidiary. Moreover, although the conservatism of standard international jurisprudence rejects the extraterritoriality of the law of the parent corporation’s country, it has not stopped the American legislator from expressly recognizing the extraterritorial application of laws on workplace discrimination to foreign subsidiaries of American parent corporations.
However, the question of the normativity applicable to MNEs cannot be dealt with on its own. It must be addressed at the same time as the question of its implementation. This involves determining to what extent the courts of the host country are able to apply these norms in order to grasp the true nature of MNEs. Therefore, it can be proposed that these courts—those of the subsidiary’s host country and those of the parent corporation’s country—will generally be able to compel the parent corporation to meet a number of obligations deriving from their national labour law subject to two conditions : first, that the parent corporation has the legal status of an employer at the location of the subsidiary or together with the subsidiary ; second that the principle of “piercing the corporate veil” is admitted in their national law. Moreover, despite their non-binding nature, the ILO’s Tripartite Declaration of Principles Concerning Multinational Enterprises and Social Policy, as well as the OECD’s Guidelines for Multinational Enterprises, take into account the true nature of MNEs based on the follow-up mechanisms provided for their respective implementation.
Although it is true that currently, in labour relations, MNEs are still almost exclusively governed by the national law of the countries in which they are based, it is entirely possible that this situation can and will eventually change. As shown by history, labour law has always demonstrated an adaptive capacity, reflecting the gradual development of employer-employee relations.
Resumen
La realidad global de la empresa transnacional, el conjunto integrado de su actividad, se extiende a varios países, aun cuando en sí misma ella se presenta muy a menudo jurídicamente fragmentada en diferentes sociedades nacionales. ¿En que medida el Derecho llega a comprender este tipo de empresa en toda su realidad significativa, es decir transnacional? ¿Logra revelar su centro de poder? El examen aborda en primer lugar la normatividad aplicable. ¿Existe una normatividad conmensurable a esta empresa? ¿Dispone el derecho en los países de implantación de la capacidad de aplicaciones extraterritoriales respecto a esta empresa? Se considera enseguida la implementación, en particular jurisdiccional, de las normas aplicables, la intervención tanto del fuero del país de la filial como del fuero de la sociedad dominante.
Corps de l’article
Sociétés, ou entreprises, multinationales, sociétés, ou entreprises, transnationales : la variation terminologique à laquelle donnent ouverture ces acteurs de premier plan d’une société de plus en plus mondialisée traduit la complexité des institutions en cause. Elle traduit également une histoire et une évolution trop souvent ignorées dans le traitement du rôle de ces institutions, aussi variées les unes que les autres[1]. En effet, chacune a une personnalité organisationnelle et opérationnelle propre ; l’observation de cette réalité ne pourrait que déboucher sur une typologie ramifiée[2]. Complexité essentielle, même, au-delà de ce particularisme. S’activant dans une pluralité de pays, l’institution se décompose typiquement, en effet, d’un point de vue juridique et structurel, en une pluralité de sociétés nationales correspondant à autant de pays d’implantation de son activité (sous réserve d’une activité qui ne se rattacherait qu’à un établissement non personnalisé, ou succursale, dans un ou plusieurs pays). De ce point de vue, l’institution paraît multinationale, du moins en raison de la nationalité variée des sociétés qui la composent[3]. Elle ne l’est toutefois pas si on prétendait par là lui attribuer un statut juridique d’ensemble, qui n’existe pas, comme il sera vu plus avant. Il n’empêche que, cette fois d’un point de vue fonctionnel ou opérationnel, on parle couramment d’une « société multinationale », ou mieux, d’une « société transnationale » pour désigner toute sa réalité, c’est-à-dire, l’ensemble intégré de son activité dans différents pays et des moyens qui concourent à la réalisation de cette dernière. Mais, de ce point de vue, la réalité qui s’impose, derrière le visage sociétal, est celle-là même de l’entreprise transnationale : « [m]ultinationales par leurs implantations, ces entreprises sont en effet transnationales par leur activité »[4].
L’entreprise transnationale (ci-après désignée ETN), a-t-on observé avec justesse, « [...] est donc marquée par un dualisme contradictoire entre un élément subjectif, l’unité de l’organisation économique qui détermine sa stratégie, et un élément objectif, la pluralité de ses diverses composantes localisées dans des États différents »[5]. Comment le droit du travail parvient-il à rendre compte d’un tel dualisme ? Réussit-il à appréhender dans sa réalité significative, c’est-à-dire transnationale, cette entreprise ? Parvient-il, en définitive, à atteindre le centre décisionnel de l’ETN, à tenir compte de la domination exercée typiquement par la société dominante (souvent appelée « société mère ») sur les filiales (ou sociétés dominées) du groupe de sociétés correspondant à l’ensemble de l’entreprise ? Ce pouvoir de la société mère lui permet, en effet, si les circonstances s’y prêtent, d’être l’auteur effectif d’actes de ces filiales[6] ? Il s’agit donc, en premier lieu, d’établir la normativité régissant l’entreprise transnationale, le droit face à l’ETN, pour ensuite considérer la mise en oeuvre de ce droit : l’ETN face au droit.
Le droit face à l’ETN
Comme toute institution, l’ETN génère ses propres règles de fonctionnement, qu’appliquent ses institutions. Cette normativité interne et privée exerce couramment, en fait, une influence considérable dans la détermination et l’application du régime de travail des cadres supérieurs de l’ETN qui en sont de véritables « fonctionnaires » sans attache nationale particulière au sein de l’organisation[7]. Malgré l’importance pratique de ce droit privé et sa signification dans la perspective du pluralisme juridique[8], le défi lancé au droit par la nature de l’ETN vise l’ensemble du droit « public », ou « officiel », qu’il se rattache à un ordre national ou supranational, à l’exclusion de cette normativité privée. D’ailleurs, la mise en oeuvre ultime de ce droit privé, à défaut par lui de s’imposer de lui-même dans les rapports entre l’ETN et son personnel, ferait appel à l’ordre juridique public. Il s’agirait, par exemple, d’assurer la sanction d’obligations contractuelles officialisant pour ainsi dire certaines pratiques de l’ETN concernant des éléments de son personnel.
Ainsi circonscrit, le droit ne relèvera entièrement le défi que lui pose l’ETN que s’il se montre lui-même à la mesure de cette dernière. Les rapports juridiques, en particulier ceux d’ordre collectif en matière de travail, peuvent en effet en arriver à présenter toute l’envergure de l’ETN, par exemple, dans le cas d’une représentation ou d’une négociation collective qui se voudrait à l’échelle de l’ETN. Si la recherche d’une telle normativité à la mesure de l’ETN devait se révéler infructueuse, ce qu’il faut d’abord vérifier, force serait alors de faire appel à différents ordres juridiques nationaux, à l’intérieur du champ d’action de l’ETN. Dans quelle mesure ces derniers se montreraient-ils capables d’une application extraterritoriale, malgré leur vocation nationale, de manière à atteindre, ne serait-ce que partiellement, une activité et des rapports inévitablement marqués de transnationalité ?
Une normativité commensurable à l’ETN ?
Dans ses rapports juridiques en matière de travail l’ETN est, dans l’état actuel du droit, dépourvue d’un statut juridique à sa mesure, c’est-à-dire, d’un statut qui serait lui-même d’une portée transnationale. Ainsi, malgré les nombreux régimes internationaux développés depuis la Seconde Guerre mondiale dans des secteurs aussi divers que l’aviation civile, les transactions commerciales, la propriété intellectuelle, les produits pharmaceutiques, l’investissement, etc., l’ETN demeure presque invariablement régie, dans ses relations de travail, par le droit national des États d’implantation[9].
Cette portée transnationale ne pourrait lui résulter que de traités liant une pluralité d’États, ou encore de l’intervention d’institutions elles-mêmes supraétatiques, éventualités peu probables dans le contexte contemporain[10]. L’énoncé précédent doit cependant laisser place à certaines exceptions.
En premier lieu, le droit supraétatique de l’Union européenne reconnaît l’entreprise d’envergure européenne dans la mesure où il impose aux États membres[11], y compris le Royaume-Uni[12], l’obligation de veiller à l’institution d’un comité d’entreprise européen ou d’une procédure permettant l’information et la consultation des travailleurs dans les entreprises et les groupes de dimension européenne[13]. Le domaine d’application de la directive à la source de cette obligation vise des entreprises ayant des établissements dans au moins deux États membres[14], de même que des groupes d’entreprises sises, elles aussi, dans au moins deux États membres, que la direction centrale de l’entreprise ou du groupe soit ou non à l’intérieur de l’Union européenne[15]. L’entreprise ou le groupe doit employer au moins 1 000 travailleurs à l’intérieur de celle-ci et au moins 150 travailleurs dans deux États membres différents. La représentation de l’entreprise ou du groupe d’entreprises communautaires est multinationale, le personnel de chaque État dans lequel l’entreprise ou le groupe est implanté devant être représenté par au moins un délégué[16]. Enfin, la compétence du comité en ce qui a trait à l’information et à la consultation a nécessairement un caractère transnational : les questions en cause doivent dépasser les frontières d’un seul territoire national et intéresser au moins deux établissements ou entreprises situés dans au moins deux États membres différents[17]. À ces différents égards, l’ETN se trouve donc saisie dans toute son ampleur communautaire[18], mais non au-delà de celle-ci, le cas échéant.
Derrière cette Directive, il faut voir un objectif de protection des droits des travailleurs européens dans le cadre du processus de restructuration commerciale internationale susceptible de résulter de la réalisation ultime et finale du Marché unique européen. Cette Directive a ainsi été mise de l’avant à la lumière du constat que les procédures nationales d’information et de consultation des travailleurs ne sont souvent pas adaptées aux structures transnationales de la société mère. Ainsi, les décisions prises par cette dernière sont susceptibles de se traduire par un traitement inéquitable parmi les travailleurs d’une même entreprise ou d’un groupe d’entreprises. Cette préoccupation se dégage notamment du préambule de la Directive 94/45 qui, à cet égard, réfère expressément au point 17 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, aux termes duquel « l’information, la consultation et la participation des travailleurs doivent être développées selon des modalités adéquates, en tenant compte des pratiques en vigueur dans les différents États membres »[19].
En second lieu, l’ETN est appréhendée dans son ensemble par différents instruments de droit qualifié de « vert » ou de « mou », en raison de leur défaut de « contraignabilité » juridique, même s’ils peuvent parvenir à s’imposer plus ou moins fortement dans la réalité ; il s’agit des principes contenus dans différents codes de conduite édictés par des organisations régionales ou internationales de caractère public ou officiel, dont l’Organisation internationale du Travail [ci-après OIT], l’Organisation de coopération et de développement économiques [ci-après OCDE] et l’Organisation des Nations Unies [ci-après ONU][20].
Adoptée en 1977 par le Conseil d’administration du Bureau international du Travail [ci-après BIT][21], la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT s’adresse ainsi non seulement aux gouvernements et aux organisations d’employeurs et de travailleurs des pays du siège et des pays d’accueil des « entreprises multinationales », mais aussi à ces dernières[22]. Elle définit ces institutions à la fois souplement et classiquement. L’expression « entreprise multinationale », précise-t-on :
compren[d] des entreprises, que leur capital soit public, mixte ou privé, qui possèdent ou contrôlent la production, la distribution, les services et autres moyens en dehors du pays où elles ont leur siège. [...]. Sauf indication contraire, le terme « entreprise multinationale » se réfère aux diverses entités (société mère ou entités locales ou les deux, ou encore tout un groupe) en fonction de la responsabilité entre elles, dans l’idée qu’elles coopéreront et s’entraideront, le cas échéant, pour être mieux à même d’observer les principes énoncés dans [la] Déclaration[23].
Les énoncés de principes, qu’il s’agisse de l’emploi, de la formation, des conditions de travail et de vie et des relations professionnelles, visent en conséquence ces « entreprises multinationales » dans leur ensemble, c’est-à-dire, sans tentative de départager les responsabilités au sein de celles-ci, entre le centre décisionnel et les entités locales. Relativement à la négociation collective, il est même stipulé que les ETN :
[...] ne devraient pas déplacer des travailleurs de leurs filiales dans des pays étrangers pour nuire aux négociations de bonne foi engagées avec les représentants des travailleurs ou à l’exercice par les travailleurs de leur droit de s’organiser[24].
De même, l’information qu’elles devraient fournir aux représentants des travailleurs devrait être « de nature à leur permettre de se faire une idée exacte et correcte de l’activité et des résultats de l’entité, ou le cas échéant, de l’entreprise dans son ensemble »[25]. Malgré de telles références à la globalité de l’entreprise, il n’empêche que, dans son ensemble, la Déclaration tripartite de l’OIT ne se soucie du comportement de l’ETN qu’en fonction de l’un ou l’autre des droits nationaux avec lesquels elle est en contact, par exemple en ce qui a trait au salaire[26], ou encore à la négociation collective[27], ce qui, indirectement, est de nature à faire resurgir la fragmentation sociétale de l’ETN[28].
Partie intégrante de la Déclaration de l’OCDE sur l’investissement international et les entreprises multinationales de 2000, les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sont autant de recommandations qu’adressent conjointement les gouvernements des États membres de l’organisme aux entreprises multinationales[29]. Ils traitent non seulement de l’emploi et des relations professionnelles, mais aussi d’autres aspects de l’activité de l’ETN, dont la lutte contre la corruption, les intérêts des consommateurs, la fiscalité et la concurrence. Depuis leur adoption, en 1976, les Principes directeurs ont fait l’objet de cinq réexamens, le plus récent datant du mois de juin 2000[30]. Cette dernière révision a permis de reconsidérer en profondeur les Principes directeurs afin de s’assurer de leur pertinence et de leur efficacité à répondre aux préoccupations liées à l’évolution accélérée du processus de mondialisation et à la présence sans cesse accrue des ETNs dans l’environnement de l’investissement international[31]. Par rapport aux réexamens précédents, les changements apportés aux Principes directeurs au mois de juin 2000 sont significatifs. Ainsi, s’inspirant de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi de 1998 et de la récente Convention 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants, les Principes directeurs comportent désormais des recommandations relatives à l’abolition du travail des enfants et du travail forcé, de sorte que toutes les normes fondamentales du travail reconnues au niveau international sont aujourd’hui consacrées dans les Principes directeurs.
L’institution de l’ETN qu’appréhendent les Principes directeurs correspond substantiellement à celle définie dans la Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale de 1977, telle qu’amendée par le Conseil d’administration du BIT à sa 279e session (novembre 2000). Qu’il s’agisse notamment des normes du travail ou, encore, de la représentation et de la négociation collectives, le comportement suggéré s’établit en fonction des droits nationaux correspondant aux pays d’implantation : « [l]es entités d’une entreprise multinationale situées dans divers pays sont soumises aux lois applicables dans ces pays »[32]. Au regard des régimes juridiques nationaux et des pratiques nationales, l’application des Principes devrait conduire à un comportement, dirait-on, fonctionnel et, au besoin, dégagé à partir d’une vision d’ensemble de l’ETN :
Les Principes directeurs s’adressent à toutes les entités que comportent l’entreprise multinationale (sociétés mères et/ou entités locales). En fonction de la répartition effective des responsabilités entre elles, on attend des différentes entités qu’elles coopèrent et se prêtent concours pour faciliter l’observation des Principes directeurs[33].
La portée de cette avancée se veut toutefois nuancée :
La première obligation des entreprises multinationales est de se conformer au droit interne. Les Principes directeurs ne se substituent pas aux lois et règlements locaux et ne doivent pas être considérés comme supérieurs à ces lois et règlements. Ils représentent des principes et normes supplémentaires de comportement sans caractère impératif concernant en particulier les activités internationales de ces entreprises. Si les Principes directeurs vont au-delà de la loi dans de nombreux cas, ils ne devraient pas — et tel n’est pas leur but — placer les entreprises dans une situation où elles feraient face à des obligations contradictoires[34].
Si la responsabilité demeure ainsi fragmentée au sein de l’ETN, du moins en droit, bien qu’elle puisse se traduire en des comportements volontairement globalisants, comme il sera vu ultérieurement[35], d’autres obligations débouchent plus explicitement sur une telle vision d’ensemble de l’ETN ; ainsi en est-il de la publication d’information sur l’entreprise[36], particulièrement de celles à communiquer aux représentants des salariés[37]. On ne doit pas non plus :
[l]ors des négociations menées de bonne foi avec des représentants des salariés sur les conditions de l’emploi, ou lorsque les salariés exercent leur droit de s’organiser [...] menacer de transférer hors du pays en cause tout ou partie d’une unité d’exploitation ni de transférer des salariés venant d’entités constitutives de l’entreprise situées dans d’autres pays en vue d’exercer une influence déloyale sur ces négociations ou de faire obstacle à l’exercice du droit de s’organiser[38].
La représentation collective des salariés s’envisage localement au premier chef, bien que rien dans les Principes directeurs n’interdise aux salariés qui le souhaiteraient de participer à des réunions internationales de consultation et d’échanges entre eux[39]. La question de négociations collectives à l’échelon international n’est par ailleurs pas abordée et ce, nonobstant le fait qu’il s’agit là d’une pratique de plus en plus répandue dans certains secteurs économiques tels le transport maritime, l’alimentation ainsi que le bâtiment et le bois, où certaines ETNs ont négocié, en collaboration avec des fédérations syndicales internationales, des conventions collectives internationales[40].
Des efforts pour faire des ETNs des agents de promotion des normes fondamentales du travail ont également été déployés au sein de l’ONU au cours des dernières années[41]. Ainsi, le 31 janvier 1999, à l’occasion du Forum économique mondial de Davos (Suisse), le Secrétaire général Kofi Annan a lancé le Pacte mondial, un code de conduite destiné aux ETNs et comportant neuf principes portant sur les droits de l’homme, dont quatre dirigés spécifiquement vers la protection de certains droits fondamentaux des travailleurs : la liberté d’association et le droit de négociation collective, l’élimination du travail forcé, l’abolition du travail des enfants de même que l’élimination de toute forme de discrimination en matière d’emploi[42]. Bien que leur respect demeure tributaire de la bonne volonté de chaque ETN, les principes énoncés dans le Pacte ont reçu un accueil favorable de hauts dirigeants de certaines ETNs, parmi lesquelles Alcatel, Allied Zurich, Norsk Hydro, Unilever, Royal Dutch/Shell, France Telecom, Nike et Novartis[43].
Enfin, le 1er août 2000, la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme des Nations Unies a annoncé sa décision de mettre sur pied un groupe de travail chargé d’étudier les méthodes de travail et les activités des ETNs[44] et de poursuivre ses travaux relatifs à l’élaboration d’un projet de principes relatifs au comportement des ETNs en matière de droits de l’homme à portée juridiquement obligatoire[45]. Le projet couvre un large éventail de droits que seraient tenues de respecter les ETNs envers leurs travailleurs dans leurs domaines d’activités et leurs sphères d’influence respectifs. Parmi ces droits figurent le maintien d’un cadre de travail sain et sûr, une rémunération juste et équitable, la liberté d’association et le droit de négociation collective[46].
Ces codes de conduite officiels constituent des exemples d’initiatives interétatiques louables dès lors qu’ils apparaissent disposés à s’ouvrir sur une vue d’ensemble de l’ETN pour ce qui est de saines pratiques de gestion. Toutefois, des doutes se soulèvent quant à leur efficacité pratique dans la mesure où chacun de ces codes se contente d’adopter une approche fragmentaire relativement aux obligations juridiques de l’ETN et continue d’ignorer sa nature transnationale intrinsèque.
Sous réserve de l’exception résultant du droit communautaire européen et de certains aspects de la portée « douce » des codes de conduite officiels, l’absence de statut juridique transnational de l’ETN réduit l’intervention juridique à son sujet à un ensemble de droits nationaux, soit ceux des pays correspondant à l’implantation de ses composantes juridiques et au déploiement de ses activités. Or, il est impossible à chacun de ces droits nationaux d’atteindre dans sa totalité l’entreprise laquelle, par définition, s’étend au-delà des frontières d’un seul pays. Ce droit national n’a, en principe du moins, qu’une vocation territoriale[47]. Il en va de même des rapports de travail se rattachant à l’ETN, dans la mesure du moins où ils sont eux-mêmes d’une portée transnationale. Ce peut être le cas de différents aspects des rapports collectifs, du travail, qu’ils soient unilatéraux, comme la représentation collective des salariés, syndicale ou directe, ou une action de solidarité, comme la grève qui se voudrait d’une portée transnationale, ou qu’ils soient bilatéraux, comme une négociation collective transnationale relative au personnel d’une ETN réparti dans les pays où elle s’active. De la même façon, la détermination directe des conditions de travail de ces mêmes salariés par un État ne pourrait atteindre que ceux d’entre eux dont le travail les rattache au territoire de l’État dont il s’agit[48].
Dans le contexte d’un État fédéral comme le Canada, où la compétence législative usuelle relative au travail appartient aux unités constituantes, les provinces en l’occurrence (à moins qu’il ne s’agisse dans ce même pays d’une entreprise exceptionnellement régie à cet égard par la législation fédérale), la fragmentation territoriale de la réception juridique du rapport collectif de travail ou, plus généralement, de la compétence de légiférer relativement au travail se rattachant à l’ensemble de l’ETN, n’en est que plus accentuée, chaque loi provinciale n’ayant qu’une portée « provinciale » selon le droit constitutionnel canadien[49].
Ainsi, le morcellement territorial, d’un point de vue juridique, de la représentation collective des salariés de l’ETN, qu’il soit national, ou même possiblement infranational comme dans le cas canadien[50], se répercute nécessairement sur tout ce qui en découle. Certes, une expérience réelle de la négociation collective au sein d’une ETN peut transcender dans les faits les frontières du droit et correspondre dans une plus ou moins grande mesure à l’envergure de l’entreprise en cause ; néanmoins, sur le plan juridique, la négociation collective sera inévitablement démembrée en fonction des territoires nationaux, ou même provinciaux en cause, en l’occurrence ceux de chacun des pays d’implantation de l’entreprise et même, dans ce dernier cas, ceux de chacune des provinces d’implantation. Ainsi en sera-t-il, en contexte nord-américain de la négociation obligée avec le représentant légal des salariés[51]. La régulation du processus de négociation collective, par exemple, le recours obligatoire à la conciliation, le cas échéant, s’envisagera de même. Semblablement, un mouvement de grève (ou un lock-out) traversant en totalité ou en partie l’ETN sera décomposé en autant d’arrêts de travail nationaux, ou locaux, qu’il y aura de droits à intervenir, entraînant quasi inévitablement un affaiblissement de ce type d’action transnationale. Enfin, le visage juridique, la force obligatoire de toute convention collective intéressant le personnel de l’ETN ne pourra provenir que de l’intervention séparée et juxtaposée de chacun de ces droits locaux du travail appelés à « relayer » partiellement dans leur territoire respectif d’application cette réalité transnationale[52].
Les droits nationaux du travail se montrent donc incapables, isolément ou même conjointement, de correspondre à la nature transnationale du rapport collectif du travail lorsqu’il se présente au sein de l’ETN. Plus généralement, aucun de ces droits n’a capacité, voire vocation à régir l’ensemble du travail salarié se rattachant à la totalité de l’ETN. Le commentaire suivant résume avec justesse cette déficience des droits nationaux des États en matière de relations du travail :
Since World War II, international regimes have grown up governing aviation, commercial transactions, intellectual property, banking and insolvency, and a good deal more. But, « the law of employment and industrial relations remains resolutely local in character »[53].
Cette disparité congénitale entre l’envergure du droit national et celle de l’ETN et des rapports collectifs du travail d’ordre transnational qui peuvent y avoir cours se trouve accentuée par celle que révèle le contenu des droits locaux en présence. La réalité souvent quasi universelle de l’ETN commande ainsi de prendre acte de cette disparité, souvent essentielle, des droits nationaux régissant les rapports du travail, surtout s’ils sont d’ordre collectif, dans les différents pays dans lesquels l’ETN est susceptible d’étendre son activité. Ces droits sont en effet le résultat, chacun, d’une tradition historique et d’un contexte social propre, qui les marquent[54]. Ainsi, selon les juridictions en cause, la représentation collective sera tantôt typiquement centrée sur l’entreprise, comme au Canada et aux États-Unis, tantôt étendue sur des plans plus vastes, comme dans certains contextes européens ; elle sera ici syndicale, là, directe, du moins selon l’objet en cause ; la négociation sera itérative ou, au contraire, d’une nature continue, fortement encadrée par le droit ou non ; le droit de grève sera ici individuel, là syndical, il sera immanent ou périodique ; l’entente collective aura une portée erga omnes ou non, imposera des conditions minimales ou effectives, etc.[55] Une coordination des rapports collectifs régis par différentes lois concernant le travail est concevable, dans une certaine mesure, pourvu que ces lois procèdent de principes communs et si seulement certaines disparités techniques secondaires les séparent[56].
Fragmentation juridique de l’ETN, de ses rapports collectifs et transnationaux du travail et, plus généralement, de la régulation du travail qui s’y rattache : reste toutefois à vérifier si ce droit national, dont la portée est en principe territoriale, ne serait pas lui-même susceptible d’une application extraterritoriale en certaines circonstances.
De l’application extraterritoriale du droit national
En dépit de sa vocation naturellement territoriale au regard de l’ensemble de l’activité de l’ETN et des rapports du travail transnationaux qui peuvent s’y nouer, le droit national pourrait, marginalement faut-il convenir, se prêter à certaines applications extraterritoriales relativement à ce même contexte.
Il est d’abord acquis en droit international privé québécois, à l’instar de ce qui a cours dans plusieurs autres ordres juridiques nationaux[57], que les parties à un contrat individuel de travail peuvent convenir de la loi nationale applicable aux effets civils de ce contrat. Dans cette mesure, le droit québécois pourrait, par exemple, exercer une certaine influence externe, qu’il s’agisse de l’intervention de son contenu pour déterminer supplétivement le salaire dû en vertu de ce même contrat, ou encore, en fonction de ce dernier, les conséquences civiles d’un renvoi illégal[58]. Mais le présent propos s’attache plutôt à une application extraterritoriale d’un aspect d’un droit du travail qui procéderait directement de la volonté du législateur étatique, l’auteur même de ce droit. Sous réserve de possibles difficultés résultant de sa mise en oeuvre auxquelles il sera fait subséquemment allusion[59], le droit international public donne ouverture à des applications extraterritoriales d’un droit national relativement à des situations présentant une connexité suffisante par rapport à l’État qui légifère ; il peut notamment s’agir de l’exercice de la compétence personnelle de ce dernier. ll s’agira donc maintenant de répondre aux deux questions suivantes : le droit du pays de la filiale peut-il s’appliquer à la société dominante, quoique sise dans un autre pays ? ; le droit du pays de la société dominante peut-il s’appliquer à sa ou ses filiales étrangères ?
L’application du droit du pays de la filiale à la société dominante sise dans un autre pays
Relativement à l’ETN, on pourrait d’abord songer au pouvoir du législateur du pays d’accueil d’imposer des obligations en matière de travail à une société dominante sise dans un pays étranger mais ayant une présence physique sur le territoire du pays d’accueil — situation peu réaliste, a-t-on déjà fait observer, si le pays d’accueil est désireux d’attirer des investissements étrangers[60]. Cette présence physique pourrait prendre la forme d’une simple succursale ou d’un établissement, sur le territoire du pays d’accueil, par le biais duquel la société dominante agirait ; elle pourrait également consister en une filiale de la société dominante, constituée en vertu de la loi du pays d’accueil.
Si la société dominante agissait sur le territoire du pays d’accueil par le biais d’une succursale ou d’un établissement, en l’absence de toute filiale, la question de l’extraterritorialité de la loi du pays d’accueil ne se poserait pas : en effet, l’application du droit du pays d’accueil aux activités de la société dominante résulterait simplement du caractère territorial de l’hypothèse envisagée.
Si la société dominante était plutôt représentée sur le territoire du pays d’accueil par une filiale constituée en vertu des lois de ce dernier, la question de l’application du droit du travail du pays d’accueil sur la société dominante sise à l’étranger devrait être résolue en recourant, notamment, à la notion d’employeur conjoint. Ainsi, dans le cas où, de facto, la société dominante se présenterait, conjointement avec sa filiale, comme l’employeur conjoint des salariés travaillant dans le pays d’accueil, les lois de ce dernier pourraient atteindre directement la société dominante, en raison du caractère territorial de la situation visée[61]. À l’inverse, dans le cas où seule la filiale assumerait, dans les faits, la fonction courante d’employeur, y compris la responsabilité des licenciements individuels et collectifs, la séparation des entités sociétales aurait sans doute pour effet de soustraire de la portée de la législation du pays d’accueil les activités de la société dominante. Tel serait à tout le moins l’impact de la jurisprudence classique du droit international public résultant de l’arrêt Barcelona Traction[62], dans la mesure où cette jurisprudence ferait encore obstacle à la « tendance rencontrée chez les États développés à considérer que les filiales peuvent être rattachées à leur société dominante, sinon par un lien de nationalité stricto sensu, du moins par une unité économique [...] »[63]. Enfin, resterait le cas où la société dominante, quoique totalement dissociée de la fonction courante d’employeur et donc, des questions relatives aux licenciements individuels, exercerait cependant, à partir de son siège, certains pouvoirs — tels ceux en matière de licenciement collectif — susceptibles d’affecter directement les activités de sa filiale étrangère. Le droit national du pays de cette dernière saurait-il, dans ce contexte, atteindre la société dominante ? Rien n’est moins sûr. La difficulté à trancher cette question serait d’autant accrue s’il y avait, en plus, contradiction entre un contenu impératif présent dans les deux ordres juridiques en cause, celui du pays de la société dominante et celui de la filiale[64].
L’application du droit du pays de la société dominante à sa ou ses filiales étrangères
Il pourrait également s’agir de l’État de la société dominante qui, par exemple soucieux de l’image qu’il projette sur le plan international, prétendrait imposer des comportements à une filiale étrangère contrôlée par son propre ressortissant[65]. Tenter de réaliser cet objectif en visant la société dominante élimine la difficulté reliée à une application territoriale de la loi[66] ; il s’agit plutôt d’une imputation extraterritoriale (le comportement de la filiale étrangère) dans le cours d’une application territoriale de la loi[67]. Atteindre directement la filiale étrangère constituerait, au contraire, une application extraterritoriale de la compétence législative de l’État de la société dominante étant donné l’éloignement de la situation de son territoire en raison non seulement de l’objet de l’intervention — des rapports du travail se déroulant à l’étranger — mais aussi du sujet qu’elle vise — une personne morale qui se distingue juridiquement de la société dominante qui en est l’actionnaire principal. Or, l’application extraterritoriale de la loi du pays de la société dominante saurait difficilement se justifier dans la perspective de la jurisprudence internationale classique, quelle qu’en soit ses lacunes[68].
Le conservatisme de cette jurisprudence internationale n’a toutefois pas empêché le Congrès américain d’attribuer une portée extraterritoriale à certains aspects de sa législation relative aux relations de travail. En effet, ce dernier a, au cours des deux dernières décennies, reconnu expressément la portée extraterritoriale de trois lois relatives à la discrimination en milieu de travail. Écartant la présomption jurisprudentielle classique suivant laquelle le droit américain du travail s’applique, sauf exception, exclusivement à l’intérieur de la juridiction territoriale des États-Unis[69], le Congrès américain a modifié la Age Discrimination in Employment Act [ci-après ADEA] en 1984[70] de même que le Title VII of the Civil Rights Act [ci-après Title VII] et la American with Disabilities Act [ci-après ADA] en 1991[71], donnant ainsi expressément ouverture à la possibilité que des citoyens américains employés au sein d’une filiale étrangère d’une ETN américaine poursuivent la société dominante devant les tribunaux américains au motif d’une violation alléguée à la législation visée.
Adopté en 1964 par le Congrès américain, le Title VII[72] est venu consacrer la règle de non-discrimination dans l’emploi. Suivant les termes de la loi, régie par l’Equal Employment Opportunity Commission, l’agence responsable de sa mise en oeuvre et de son respect[73], il est interdit « for an employer [...] to fail or refuse to hire [...] any individual because of such individual’s race, color, religion, sex or national origin »[74]. Cette règle de non-discrimination dans l’emploi est complétée dans les années suivantes par deux autres textes de loi : l’ADEA, adoptée en 1967 et destinée à reconnaître aux travailleurs américains plus âgés le droit de non-discrimination dans l’emploi reconnu trois ans plus tôt aux plus jeunes en vertu du Title VII, ainsi que l’ADA, édifiée en 1990 à partir d’une série de lois fédérales en matière de non-discrimination dans l’emploi édictées dans les décennies précédentes afin d’assurer la garantie des droits civils des personnes souffrant d’un handicap.
L’ADEA ne comporte, dans sa version initiale, aucune clause établissant une portée autre que territoriale. Pour cette raison, les tribunaux appelés à se prononcer sur son application juridique concluent que l’ADEA n’avait pas de portée au-delà des frontières du territoire américain[75]. C’est en réponse à cette jurisprudence que le Congrès américain décide, en 1984, de modifier explicitement les termes de l’ADEA de manière à rendre son application extraterritoriale non équivoque.
Par ailleurs, nonobstant l’intention claire du Congrès de favoriser une interprétation libérale du Titre VII[76] et en dépit d’une jurisprudence d’instances inférieures à l’effet contraire[77], la Cour suprême des États-Unis refuse de lui reconnaître toute portée extraterritoriale dans l’arrêt EEOC c. Arabian American Oil Co. [ci-après Aramco][78]. Dans cette affaire rendue en 1991, la plus haute instance du pays n’a pas en effet retenu l’argument à l’effet que le principe de non-discrimination énoncé dans le Title VII pouvait être invoqué par des citoyens américains travaillant à l’étranger pour le compte d’une société américaine[79]. La réaction du Congrès est immédiate. Dans les mois suivant la décision Aramco, le Title VII de même que l’ADA sont amendés de façon à ne plus laisser planer aucun doute sur leur portée extraterritoriale[80]. Modelés sur les dispositions extraterritoriales incorporées à l’ADEA en 1984, ces amendements au Title VII et à l’ADA ont pour objet : (i) d’élargir la notion d’employé de manière à inclure « [any] individual who is a citizen of the United States employed by an employer in a workplace in a foreign country » ; (ii) d’étendre l’application du Title VII et de l’ADA aux sociétés étrangères contrôlées par une ETN américaine ; et (iii) d’énoncer les quatre facteurs applicables (interrelations des opérations, administration commune, contrôle centralisé des relations de travail et propriété conjointe/contrôle financier des deux entités), afin de déterminer si une société étrangère est assujettie au contrôle d’une ETN américaine[81].
Le Title VII[82], la ADEA[83] et la ADA[84] ont ainsi vu leur portée s’étendre exceptionnellement au-delà du territoire américain à la suite de modifications législatives apportées par le Congrès en 1984 et 1991, dans une perspective de conquête, voire d’impérialisme économique et politique. Serait-il possible d’imaginer un comportement semblable de la part du Parlement fédéral canadien ? Le scepticisme est certes de mise à cet égard. D’ailleurs, est-il besoin de souligner que ce désir d’hégémonie du Congrès américain n’a jamais été partagé par les tribunaux américains. En effet, au cours des décennies ayant suivi l’affaire Foley Bros., Inc.[85], ces derniers ont fréquemment invoqué la présomption à l’encontre de l’extraterritorialité des lois et refusé d’étendre l’application de lois américaines sur le travail au-delà des frontières du pays[86]. Un tel sort a ainsi été réservé à la Fair Labor Standards Act[87], la National Labor Relations Act[88] ainsi que la Labor Management Relations Act[89].
L’ETN face au droit
La mise en oeuvre d’un droit national à l’endroit d’une ETN pourra, compte tenu des règles établissant la compétence juridictionnelle, être le fait du for de la filiale à laquelle semble se rattacher primordialement l’exécution du travail salarié en cause. L’intervention du for de la société dominante pourra aussi être sollicitée en raison de différents rattachements, précédemment évoqués, avec ce même contexte de travail, rattachements tenant en définitive à la réalité de l’intégration de l’activité au sein de l’ETN. Enfin, il y a lieu de tenir compte de l’intervention ad hoc des institutions liées au « droit mou ».
Intervention du for du pays de la filiale
La loi du pays d’exécution du travail salarié a naturellement vocation générale à régir ce travail. La mise à exécution de ce droit fait tout aussi naturellement appel à ses propres juridictions. Ces instances peuvent se rattacher à l’ordre pénal ; il peut aussi s’agir, du moins en contexte nord-américain, de « tribunaux administratifs ». Les unes et les autres se préoccuperont directement de l’aspect « public » de la mise à exécution de la loi ; leur intervention est circonscrite par l’application du principe de territorialité et, à l’intérieur de l’aire ainsi définie, par le champ d’application établi par la loi elle-même[90]. Les tribunaux civils de ce pays d’exécution du travail peuvent aussi être sollicités non seulement pour assurer la mise à exécution civile du droit de ce pays, mais aussi, plus largement, pour ce qui est de l’identité du droit national en cause, relativement à celle de tout droit national désigné en vertu des règles du droit international du pays auquel appartiennent ces tribunaux.
Application de son droit national
Le for ainsi appelé à assurer la mise à exécution de son propre droit national, celui du pays même d’exécution du travail, déterminera, compte tenu, le cas échéant, des positions du droit matériel qu’il applique à ce sujet, dans quelle mesure il y a lieu de rechercher ou non la transparence face aux structures sociétales de l’ETN, c’est-à-dire de soulever le voile sociétal pour atteindre la société dominante faisant partie de la réalité de l’ETN (de même que d’autres sociétés du groupe s’insérant dans cette dernière réalité), cette société (ou ces autres sociétés) étant du ressort d’un État étranger (ou de plusieurs États étrangers). Or, les attitudes nationales sont plus ou moins encore rigides ou formalistes en la matière. Dans la mesure où une tendance « réaliste » prévaudrait, seraient alors pris en compte différents facteurs : le contrôle, réel et/ou financier, virtuel ou exercé ; le fait de se comporter comme un employeur, etc.
Le caractère étranger de la nationalité de la société qui s’identifie — le plus souvent conjointement avec la filiale locale — à l’employeur ne fait pas obstacle à cette dernière qualification, si elle paraît justifiée aux yeux de l’instance. Il n’en résulte pas pour autant une application extraterritoriale de la loi, en dépit de l’éloignement de la société visée par rapport à l’ordre juridique en cause. Le situs de l’exécution du travail en cause paraît, en effet, déterminant. Le caractère étranger de l’entreprise ne sera un obstacle, relativement à l’un ou l’autre des trois types de for, que lorsqu’il s’agira, en cours d’instance, d’exécuter une ordonnance de la juridiction saisie en sol étranger, par exemple en matière de contrainte de témoins ou de production de documents. L’exécution d’un jugement civil en sol étranger à l’encontre de la société dominante pourrait également entraîner le recours à des voies particulières d’exemplification, voire à une impossibilité d’exécution en l’absence de concours des autorités de l’État étranger.
De la sorte, mais uniquement dans la mesure où le tribunal admet la levée du voile sociétal, la société étrangère pourra se voir contrainte par un tribunal administratif à respecter ses obligations d’employeur face à un représentant collectif des salariés, notamment en matière de négociation collective[91]. Des condamnations pénales pourraient aussi l’atteindre, qu’elles soient fondées sur une loi régissant le travail, par exemple en matière de représentation collective des salariés, ou de santé et de sécurité au travail, ou encore, sur le droit pénal général, par exemple, s’il s’agissait d’un manquement caractérisé en matière de sécurité au travail. Un jugement civil pourrait pour sa part imposer le paiement d’arriérés de salaire — notamment en situation d’insolvabilité de la filiale — ou encore, celui de dommages-intérêts en matière de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. Des conclusions d’intégration du personnel licencié par la filiale dans les rangs de la société étrangère seraient aussi envisageables, à l’instar de ce qui sera précisé dans la section suivante, laquelle s’attache à l’intervention du for de la société dominante.
Application d’un droit étranger
Enfin, il serait aussi concevable, a-t-on vu, que le for civil du pays d’accueil soit appelé à assurer la mise à exécution extraterritoriale d’un droit étranger, en particulier celui du pays de la société mère en vertu des règles de conflits de lois établies dans son système juridique, notamment en tant que lex contractus des salariés en cause ; il ne s’y refusera normalement qu’advenant contradiction avec des aspects impératifs de son propre droit.
Intervention du for du pays de la société dominante
Le for du pays de la société dominante, s’il intervient, le fera principalement dans des situations comportant la mise à exécution de son propre droit. Tout comme dans le cas précédent du for du pays de la filiale, il lui reviendra de déterminer, selon son propre droit et la conception qu’il s’en fera, si la société dominante doit assumer le statut juridique d’employeur au lieu et place de la filiale, ou conjointement avec celle-ci. Tout comme il a été rappelé relativement à l’hypothèse précédente, la réception du principe de la levée du voile sociétal est variable dans les différents droits positifs nationaux[92]. Une conclusion d’assujettissement de la société dominante n’entraînera toutefois pas ici de difficultés d’exécution du jugement, puisque le situs de la société dominante est dans le pays de l’instance.
À titre illustratif, après avoir rejeté une exception de forum non conveniens, une juridiction civile américaine examina, dans l’affaire Pico, la possibilité de tenir éventuellement une société mère américaine responsable de la violation par une filiale coréenne, qu’elle contrôlait par l’intermédiaire d’une société américaine, des obligations résultant à cette dernière d’une convention collective conclue en vertu de la loi coréenne. Ces manquements découlaient de la fermeture de l’usine de la filiale coréenne à la suite du retrait du financement américain. La Cour refusa toutefois au fond de faire droit aux demandes. Dans la mesure où on prétendait les fonder sur la législation fédérale américaine, celle-ci, a-t-on posé, n’avait pas de portée extraterritoriale. La Cour rejeta aussi ces demandes au regard du droit commun de l’État de la société poursuivie : l’absence d’autonomie de la filiale ne justifiait pas, à son avis, la double levée du voile sociétal dans l’espèce[93].
Par ailleurs, de l’autre côté de l’Atlantique, un changement s’est opéré dans la jurisprudence française rendue en matière de reclassement pour motif économique[94] de travailleurs à l’emploi d’une filiale française d’une ETN. Cette ère de changement a pris naissance en 1980 alors qu’un juge administratif appelé à décider d’un cas de licenciement collectif pour motif économique[95], a exigé que soient examinées les possibilités de reclassement des salariés visés par le projet de licenciement non seulement dans l’entreprise d’origine — comme c’était le cas initialement — mais, également, dans le périmètre du groupe auquel appartient cette entreprise[96]. La Chambre sociale de la Cour de cassation de même que les cours d’appel ont emboîté le pas dans cette direction à partir des années 90. Ainsi, dans l’arrêt Chevalier du 25 juin 1992, la Cour de cassation est venue énoncer la règle suivant laquelle « la réalité du motif économique d’un licenciement et la recherche des possibilités de reclassement d[oivent] s’apprécier à l’intérieur du groupe auquel appart[ient] l’employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités ou l’organisation permett[ent] d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel »[97]. Trois ans plus tard, dans l’affaire Thompson et TRW Repa du 5 avril 1995, la Cour de cassation était appelée à établir à quelles fins et dans quelle mesure la réalité d’ensemble de l’ETN pouvait être considérée à l’occasion de ce qui devait être tenu en définitive pour un licenciement collectif reposant sur une cause économique et sérieuse[98]. La réalité des suppressions d’emploi s’apprécie au niveau « de l’entreprise », a-t-elle établi, entendant par là le niveau de la société française du groupe, contrairement à ce qu’avait décidé la Cour d’appel. (Celle-ci s’était en effet permis une imputation extraterritoriale ; elle avait tenu compte de l’existence d’emploi auprès d’une filiale brésilienne, à la suite d’un transfert partiel de production à celle-ci, transfert lui-même consécutif à la fermeture d’un établissement d’une société française du groupe à Lyon : on était, selon la Cour d’appel, en présence d’un transfert d’emploi et non d’une suppression d’emploi.) En revanche, les difficultés économiques à l’origine des suppressions s’apprécient en fonction du secteur d’activité en cause dans l’ensemble du groupe, donc sur un plan transnational au besoin. De même, les possibilités de reclassement des salariés visés par le licenciement économique doivent être recherchées « à l’intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l’organisation, ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ». À cet égard, le comportement requis de l’ETN s’établit en tenant compte, si les faits s’y prêtent, de l’ensemble à la réalité transnationale correspondant au groupe de sociétés. Pour revenir aux faits de l’espèce, la société française, qui était l’auteur des licenciements, serait en défaut, en définitive, si la filiale brésilienne ne permettait pas l’occupation d’un poste à la fois disponible et se prêtant au transfert du salarié licencié[99].
Interventions ad hoc des institutions liées au « droit mou »
Par ailleurs, les modes persuasifs d’application des codes de conduite officiels permettent au droit déjà qualifié de « mou » de tenir compte de la réalité d’ensemble de l’ETN avec plus de facilité que le droit national.
Ainsi, malgré son caractère non contraignant, la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT[100] requiert des gouvernements des États membres de l’OIT de lui faire rapport, à tous les trois ans, sur l’effet donné à la Déclaration en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs. À ce mécanisme de suivi de la Déclaration est par ailleurs venue s’ajouter, dès 1980, une procédure d’examen des différends relatifs à l’interprétation des dispositions de la Déclaration[101].
Depuis 1977, sept enquêtes ont été tenues sur la suite donnée à la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT. La plus récente a été examinée par le Conseil d’administration de l’OIT au cours de sa 280e session du mois de mars 2001[102]. Fondées sur les informations fournies par les gouvernements et les organisations d’employeurs et de travailleurs en réponse à un questionnaire élaboré et distribué à cette fin par le BIT, ces enquêtes visent à établir dans quelle mesure les parties ayant souscrit à la Déclaration en respectent le contenu. Curieusement cependant, ces questionnaires ne sont pas expédiés aux entreprises multinationales, bien qu’elles constituent le point de mire de ces enquêtes.
Par ailleurs, tout gouvernement agissant soit de sa propre initiative, soit après avoir consulté les organisations d’employeurs et de travailleurs[103], de même que toute organisation nationale ou internationale d’employeurs ou de travailleurs peut, conformément aux termes du paragraphe 1 de la Procédure pour l’examen des différends relatifs à l’application de la Déclaration par interprétation de ses dispositions[104], demander au BIT « d’interpréter les dispositions de la Déclaration, lorsque cela est nécessaire pour résoudre un désaccord relatif à leur signification, survenant lors d’une situation concrète, entre des parties à l’intention desquelles la Déclaration est préconisée »[105]. Le BIT jouit, à cet égard, d’une marge de manoeuvre considérable pour établir les faits pertinents. En effet, tel que le précise la procédure, « toutes les sources d’informations appropriées doivent être utilisées, y compris les sources émanant du gouvernement, des employeurs et des travailleurs du pays concerné »[106]. Le projet de réponse du BIT est examiné par la Sous-commission sur les entreprises multinationales avant d’être soumis au Conseil d’administration du BIT[107]. La réponse approuvée par le Conseil doit être envoyée aux parties concernées et publiée au Bulletin officiel du BIT[108]. Depuis son origine, à peine cinq demandes d’interprétation ont fait l’objet de décisions du Conseil d’administration[109]. Deux ont été soumises par un gouvernement et trois par des organisations internationales de travailleurs au nom d’une organisation nationale affiliée. Quatre demandes ont été considérées recevables, deux à l’unanimité[110] et deux suite à une décision majoritaire[111]. La cinquième demande a été considérée irrecevable[112]. Les interprétations ont couvert les paragraphes suivants de la Déclaration : les paragraphes 1–7 (portée et but de la Déclaration) ; le paragraphe 8 (respect des textes internationaux et des droits souverains des États) ; le paragraphe 10 (respect des objectifs de politique générale des pays d’implantation) ; le paragraphe 25 (stabilité de l’emploi) ; le paragraphe 26 (licenciements collectifs/information des parties) ; ainsi que le paragraphe 52 (négociation collective)[113].
Par ailleurs, comme c’était le cas sous l’égide des versions précédentes, les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multi-nationales, tels que révisés au mois de juin 2000[114] continuent de relever de la responsabilité du Comité sur l’investissement international et les entreprises multinationales [ci-après CIME], lequel a notamment pour fonction de clarifier l’application des Principes directeurs lorsqu’une demande à cet effet lui est soumise par une association syndicale internationale. Dans aucun cas cependant, le CIME n’est autorisé à tirer des conclusions sur le comportement d’une entreprise déterminée ou à imposer quelque sanction que ce soit à son encontre[115].
La compétence du CIME fut notamment requise dans Badger, une affaire où les Principes directeurs de l’OCDE sont venus reconnaître l’ETN dans sa réalité factuelle[116] : la société dominante américaine, qui contrôlait une filiale belge faillie, accepta au terme de discussions au sein du CIME de l’OCDE[117] un règlement avec le syndicat belge en vertu duquel elle s’engageait à verser elle-même une compensation monétaire aux salariés licenciés, lesquels n’avaient reçu aucune indemnité de leur employeur, la filiale belge, antérieurement à sa faillite[118]. Une autre affaire, impliquant cette fois l’ETN américaine Citibank-Citicorp a été portée à l’attention du CIME dans le cadre d’une plainte soumise par l’entremise de deux associations syndicales anglaises de la Fédération internationale des métallurgistes. Dans cette affaire, les plaignants ont allégué que Citibank-Citicorp violait les termes du paragraphe 1 des Principes directeurs en distribuant des brochures anti-syndicales alors qu’une campagne de syndicalisation était en cours au sein de sa filiale britannique[119]. Bien que les pratiques de relations du travail de Citibank-Citicorp aient été trouvées conformes aux droits américain et anglais du travail, le CIME a indiqué que les paragraphes 1 et 2 des Principes directeurs devaient être interprétés comme des incitatifs à l’adoption, par l’ETN, d’une attitude positive à l’endroit des associations syndicales[120].
Le CIME a par ailleurs été appelé à examiner la légitimité d’une pratique de l’ETN américaine Hertz consistant à transférer un groupe de travailleurs de ses filiales anglaise, italienne et française vers sa filiale danoise afin d’assurer le maintien des activités de cette dernière arrêtées par suite d’une grève de ses travailleurs syndiqués[121]. Tout en concluant à l’absence d’infraction aux lois danoise et américaine en matière de relations du travail, le CIME a émis l’avis que ladite pratique n’était pas conforme à l’esprit du paragraphe 8 des Principes directeurs et que « enterprises should definitely avoid recourse to such practices in the future »[122]. Un amendement au paragraphe 8 des Principes directeurs était subséquemment apporté afin d’y incorporer la position adoptée par le CIME dans cette affaire[123].
Conclusion
Comme nous avons pu le constater dans la première partie de cette étude, l’ETN demeure à l’heure actuelle une réalité strictement factuelle. En effet, contrairement aux règles juridiques développées dans d’autres secteurs économiques, il n’existe toujours pas de Droit du travail à la mesure de l’ETN sauf, du moins, l’apport particulier du droit européen et celui, plus général, du « droit mou ». Cela ne signifie pas pour autant que le Droit ne peut atteindre l’ETN. En effet, ainsi qu’il s’est dégagé de la seconde partie de notre analyse, le législateur du pays d’accueil de la filiale ou celui du pays de la société dominante est habituellement apte à atteindre l’ETN si la société dominante se présente comme l’employeur « courant », seul ou conjointement avec sa filiale. Toutefois, tel n’est pas le cas si la société dominante relègue cette fonction à sa ou ses filiales et se limite à exercer le centre des pouvoirs à partir de son siège.
Faut-il se résoudre à accepter que l’ETN demeure régie, dans ses relations de travail, par le seul droit national des États où elle est sise ? L’histoire nous apporte à cet égard quelques lueurs d’espoir. En effet, bien qu’il soit juste de dire qu’aujourd’hui le Droit parvient avec beaucoup de difficulté à rendre adéquatement la réalité de l’ETN et celle des rapports du travail qui s’y rattachent, il importe de se rappeler qu’à une autre époque, pas si lointaine faut-il insister, les droits nationaux — dont les droits canadiens — ont mis un bon moment à saisir et à exprimer adéquatement les caractéristiques et spécificités de l’instance syndicale, de la convention collective ou, encore, de la grève.
Parties annexes
Notes
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[1]
L’histoire nous apprend que l’émergence de ces institutions remonterait aussi loin qu’au cours des 16e et 17e siècles, avec l’établissement de succursales commerciales créées par les plus importants États colonisateurs européens de l’époque. Voir P. T. Muchlinski, Multinational Enterprises and the Law, Oxford, Blackwell, 1999, à la p. 19 et s. [ci-après Muchlinski]. Toutefois, la majorité des économistes et des historiens ayant abordé cette question s’entendent pour situer la naissance de l’institution telle qu’on la connaît aujourd’hui à la seconde moitié du 19e siècle, en parallèle avec l’explosion de l’industrialisation britannique (ibid., à la p. 20).
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[2]
Voir notamment C. Leben, « Le juridique : problèmes de définitions » dans C. Lazarus et al.,L’entreprise multinationale face au droit, Paris, Litec, 1977, aux pp. 44–73 ; Muchlinski, ibid., aux pp. 12–15. Plus généralement voir CNUCED, Rapport sur l’investissement dans le monde 1999/Tendances et déterminants, New York, Genève, Nations Unies, 1998.
-
[3]
F. Rigaux, « Les sociétés transnationales » dans M. Bedjaoui, Droit international, bilan et perspectives, Paris, Pedone, 1991, 129, à la p. 129 : « [...] on peut préférer le terme société à celui d’entreprise, à condition qu’il désigne le caractère sociétaire des relations qui unissent les unes aux autres les diverses entités juridiques qui forment un groupe transnational de sociétés [...] ».
-
[4]
B. Goldman, « Entreprises multinationales et collectivités internationales », (1974) Rev. des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques 21, à la p. 21. Dans les faits, certaines entreprises se prétendent authentiquement « transnationales » ; leur rattachement à un droit national particulier se base sur des raisons de commodité et leurs visées sont globales. Voir D. C. Korten, Where Corporations Rule the World, West Hartford, Kumarian Press Inc. and Berrett-Koehler Publishers, Inc., 1995, à la p. 125 : « Although a transnational corporation may choose to claim local citizenship when that posture suits its purpose, local commitments are temporary, and it actively attempts to eliminate considerations of nationality in its efforts to maximize the economies that centralized global procurement makes possible ».
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[5]
S. A. Metaxas, Entreprises transnationales et codes de conduite, Zurich, Schulthess, 1988, à la p. 24 [ci-après Metaxas].
-
[6]
Cette question se pose avec une acuité particulière en contexte canadien, où on observe ces dernières années un déplacement du pouvoir décisionnel des filiales canadiennes vers le siège directeur de l’entreprise sis aux États-Unis. Voir à cet égard H. W. Arthurs, « Globalization of the Mind : Canadian Elites and the Restructuring of Legal Field », (1997) 12 : 2 Rev. can. dr. & soc. 219, aux pp. 226–233.
-
[7]
Voir A. Siblini-Vallat, « Les normes matérielles internationales d’entreprise », (1988) 77 Rev. crit. dr. int’l privé 655.
-
[8]
Voir notamment J.-P. Robé, « L’ordre juridique de l’entreprise », (1997) 25 Droits 163 ; A. Jeammaud, « Les règles juridiques, l’entreprise et son institutionnalisation : au croisement de l’économie et du droit », (1996) Rev. int. dr. écon. 99 ; N. Aliprantis, « L’entreprise en tant qu’ordre juridique » dans N. Aliprantis et F. Kessler (dir.), Le droit collectif du travail, Frankfurt am Main, Peter Lang, 1994, aux pp. 189–206 ; J.-G. Belley, « L’entreprise, l’approvisionnement et le droit », (1991) 32 C. de D. 253 ; et, plus généralement, S. Romano, L’ordre juridique, Paris, Dalloz, 1975.
-
[9]
Voir à ce sujet M. W. Finkin, « International Governance and Domestic Convergence in Labor Law as Seen from the American Midwest », (2001) 76 Ind. L. J. 143 [ci-après Finkin]. Voir aussi : M.-A. Moreau et G. Trudeau, « Les normes du droit du travail confrontées à l’évolution de l’économie : de nouveaux enjeux pour l’espace régional », 2000, J.D.I. 915.
-
[10]
C. W. Jenks, « Multinational Entities in the Law of Nations » dans W. Friedman et autres (dir.), Transnational Law in a Changing Society : Essays in Honor of Philip C. Jessup, New York, Columbia U. Press, 1972, 70, à la p. 80.
-
[11]
Directive 94/45 du 22 septembre 1994 concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen ou d’une procédure dans les entreprises de dimension communautaire en vue d’informer et de consulter les travailleurs (1994)J.O.C.E. L. 254, aux pp. 64–72 [ci-après Directive 94/45] ; mod. par la Directive 97/74/CE du 15 décembre 1997 (1998) J.O.C.E. L. 10, aux pp. 22–23 [ci-après Directive 97/74]. Voir P. Rodière,Droit social de l’Union européenne, Paris, L.G.D.J. 1998, à la p. 261 [ci-après Rodière] ; R. Blanpain et J.-C. Javillier, Droit du travail communautaire, 2e éd. Paris, L.G.D.J., 1995, à la p. 343 ; Mushlinski, note 1, aux pp. 352–353.
-
[12]
Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du parti des travailleurs dirigé par Tony Blair, le Royaume-Uni avait refusé d’être lié par la Directive 94/45. Selon le gouvernement conservateur en place jusqu’en 1997, toute forme de mesure favorisant la participation et la consultation des travailleurs d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises constituait une menace pour la croissance économique et les opportunités d’emplois au sein de l’Union européenne. Toutefois, dans les mois suivant son accession au pouvoir, le gouvernement travailliste mit un terme à son statut d’exception en regard des prescriptions de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (Commission des Communautés européennes, Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, EUR-OP, 1990 [ci-après Charte communautaire]) et, le 15 décembre 1997, le Conseil de l’Union européenne adoptait la Directive 97/74/CE aux termes de laquelle l’application de la Directive 94/45 était étendue au Royaume-Uni (Directive 97/74, ibid.). Voir à cet égard Mushlinski, ibid. à la p. 376, n. 52 et texte correspondant ; Commission des Communautés européennes, Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil, COM(2000), 188 final, Bruxelles (4 avril 2000), à la p. 1 [ci-après Rapport de la Commission].
-
[13]
À l’exception du Royaume-Uni, les États membres de l’Union européenne ont procédé à l’incorporation de la Directive 94/45 dans leur droit interne dans les deux ans ayant suivi l’adoption de cette dernière, soit au plus tard le 22 septembre 1996. Le Royaume-Uni a eu pour sa part jusqu’au 15 décembre 1999 pour procéder à cette incorporation juridique. Voir Directive 94/45, ibid., art. 14 ; Directive 97/74, ibid., art. 4.
-
[14]
Directive 94/45, ibid., art. 1a).
-
[15]
. Ibid., art. 1b) – c).
-
[16]
Ibid., ann., art. 1d).
-
[17]
Sur ces différents aspects, voir Rodière, note 11, aux p. 266, 268 et 281 ; M. Moreau, « À propos de “l’affaire Renault” », (1997) 5 Droit social 493, à la p. 500 ; Institut de droit international, « Les effets des obligations d’une société membre d’un groupe transnational sur les autres membres du groupe », Ann. drt int’l (1993) t. 1, aux pp. 191–326 et (1995) t. 1, aux pp. 497–511.
-
[18]
Si l’entreprise (ou le groupe) avait une direction centrale à l’extérieur de l’Union européenne, les obligations incomberaient à son représentant communautaire ou, à défaut, à la direction de l’entreprise ou de l’établissement employant le plus grand nombre de travailleurs dans un État membre (Rodière, ibid., à la p. 266) ; semblablement, l’objet de l’information et de la consultation ne s’étend qu’à la partie communautaire de l’entreprise ou du groupe (ibid., à la p. 281).
-
[19]
Charte communautaire, note 12. L’adoption prochaine d’un statut de « société européenne » permettant la création d’une personne morale de droit communautaire entraînera un aménagement de la représentation du travailleur au sein de cette société selon les principes éprouvés de la Directive 94/45 relative au comité d’entreprise européen ; il se substituera à ce dernier « pour qu’il n’y ait pas superposition de deux instances transnationales de représentation des travailleurs ». Voir M.-A. Moreau, « L’implication des travailleurs dans la société européenne », (2001) Droit social 967, à la p. 973.
-
[20]
Voir en général quant à ce type de codes de conduite : P. Merciai, Les entreprises multinationales, Bruxelles, Bruylant, 1993, à la p. 87 et s. ; Metaxas, note 5 ; N. Horn, « Codes of Conduct for MNEs and Transnational Lex Mercatoria : An International Process of Learning and Law Making », dans N. Horn (dir.), Legal Problems of Codes of Conduct for Multinational Enterprises, Deventer, Kluwer, 1980, aux pp. 45–81 [ci-après Horn] ; G. Kelley, « Multilateral Investment Treaties : A Balanced Approach to Multinational Corporations », (2001) 39 Columbia J. Transnat’l L. 483 [ci-après Kelley] ; K. G. Granatino, « Corporate Responsibility Now : Profit at the Expense of Human Rights with Exemption from Liability ? », (1999) 23 Suffolk Transnat’lL. Rev. 191 ; L. Saunders, « Rich and Rare Are the Gems They War : Holding De Beers Accountable for Trading Conflict Diamonds », (2001) 24 Fordham Int’l L. J. 1402, aux pp. 1461–1471.
-
[21]
Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, adoptée par le Conseil d’administration du BIT à sa 204e session, novembre 1977, telle qu’amendée à sa 279e session, novembre 2000 [ci-après Déclaration tripartite]. Le texte de la Déclaration tripartite de l’OIT de 1977 a été modifié au cours de l’automne 2000 de manière à incorporer les engagements énoncés dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi de 1998 et à ajouter une référence aux conventions 138 et 182 ainsi qu’aux recommandations 146 et 190 de l’OIT relatives à l’âge minimum et au travail des enfants. Voir à ce sujet Bureau international du Travail, Conseil d’administration, Rapport de la Sous-commission sur les entreprises multinationales, doc. GB.279/12, 279e session, Genève, novembre 2000. Voir également F. Morgenstern, « Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale. Nouveaux problèmes, nouvelles méthodes », (1983) 110 J. dr. int’l 61 ; H. Günter, « The Tripartite Declaration of Principles (ILO) ; Standards and Follow-up » dans Horn, note 20, la p. 155 et s.
-
[22]
Déclaration tripartite, ibid. parag. 4.
-
[23]
Ibid, parag. 6.
-
[24]
Ibid., parag. 53.
-
[25]
Ibid., parag. 55.
-
[26]
Ibid., parag. 33.
-
[27]
Ibid., parag. 49.
-
[28]
Observons toutefois qu’en matière de représentation collective, la Déclaration tripartite se soucie du droit des associations de travailleurs et d’employeurs rattachées à des ETNs de s’affilier à des organisations internationales de leur choix (ibid., parag. 45).
-
[29]
Voir R. Blanpain, « Guidelines for Multinational Enterprises for Ever ? The OCDE Guidelines, 20 Later », (1998) 14 Int.J. Comp.LL. & I.R. 337 ; Kelley, note 20, aux pp. 518–521 ; J. Salzman, « Labor Rights, Globalization and Institutions : The Role and Influence of the Organization for Economic Cooperation and Development », (2000) 21 Mich. J. Int’lL. 769, aux pp. 788–796 [ci-après Salzman].
-
[30]
OCDE, Les principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales, révision 2000, Paris, OCDE, 2000, Partie 1, aux pp. 19–32 [ci-après Principes directeurs 2000].
-
[31]
OECD, The OECD Guidelines for Multinational Enterprises, Policy Brief, Paris, 2001, à la p. 3.
-
[32]
Principes directeurs 2000, note 30, à la p. 23, Chap. I, parag. 7. Voir aussi ibid., Chap. II, parag. introductif.
-
[33]
Ibid., à la p. 22, Chap. I, parag. 3. Voir également OCDE, Les principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales, révision 2000, Paris, OCDE, 2000, Partie 3, Commentaire sur les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales, Commentaire concernant les principes généraux, à la p. 45, parag. 3 [ci-après Commentaire concernant les principes généraux].
-
[34]
Commentaire concernant les principes généraux, ibid., à la p. 45, parag. 2.
-
[35]
Voir infra, la section intitulée « Interventions ad hoc des institutions liées au “droit mou” ».
-
[36]
Principes directeurs 2000, note 30, aux pp. 24–25, Chap. III.
-
[37]
Ibid., à la p. 26, Chap. IV, parag. 3 : » [f]ournir aux salariés et à leurs représentants les informations leur permettant de se faire une idée exacte et correcte de l’activité et des résultats de l’entité ou, le cas échéant, de l’entreprise dans son ensemble ».
-
[38]
Ibid., à la p. 27, Chap. IV, parag. 7.
-
[39]
Tel qu’il est précisé dans les commentaires au premier paragraphe du chapitre IV, « [l]es termes “pratiques en vigueur en matière d’emploi et de relations de travail” [figurant au premier paragraphe] sont suffisamment larges pour permettre diverses interprétations compte tenu des différentes situations nationales — par exemple, en ce qui concerne les différentes possibilités de négociation offertes aux salariés en vertu de la législation nationale » (OCDE, Les principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales, révision 2000, Paris, OCDE, 2000, Partie 3, Commentaire sur les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales, Commentaire concernant l’emploi et les relations professionnelles, à la p. 50, parag. 19).
-
[40]
Bureau international du Travail, Conseil d’administration, Groupe de travail sur la dimension sociale de la mondialisation, Organisation, négociation et dialogue au service du développement dans le contexte de la mondialisation, doc. GB.279/WP//SDG/2, 279e session, Genève, novembre 2000, parag. 31–34.
-
[41]
Il est intéressant de souligner que la première initiative onusienne de cette nature remonte à 1974, année où le Conseil économique et social de l’ONU créait le Centre des Nations Unies sur les sociétés transnationales de même que la Commission des sociétés transnationales, chargée d’élaborer un code de conduite ayant force contraignante pour les ETNs. Ce code, qui a fait l’objet de pourparlers interétatiques jusqu’en 1992, n’a jamais été adopté, faute d’entente entre les États développés et les États en développement au sujet, notamment, de l’application des règles du droit international ainsi que des normes relatives au traitement accordé aux ETNs sises dans le pays en développement hôte. L’objet de ce code était double et complémentaire : d’une part, tirer le meilleur parti de l’activité économique des ETNs pour le développement économique et social des États en développement hôtes ; d’autre part, amenuiser les effets négatifs résultant de l’application des prescriptions de ce code. En 1994, à la suite d’une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, les activités du Centre et de la Commission étaient transférées au sein de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (G.A., Integration of the Commission on Transnational Corporations into the Institutional Machinery of the United Nations Conference on Trade and Development, doc. A/Res/49/130, 19 décembre 1994). Voir généralement à ce sujet United Nations Research Institute for Social Development, Transnational Corporations : Impediements or Catalysts of Social Development ?, Occasional Paper no 5, World Summit for Social Development, par E. Kolodner, UNRISD, 1994, aux pp. 28–29 ; P. Lansing et A. Rosaria, « An Analysis of the United Nations Proposed Code of Conduct for Transnational Corporations », (1991) 14 World Competition 35, à la p. 37 ; Nations Unies, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, La réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, doc. E/CN.4/Sub.2/1996/12, 2 juillet 1996, parag. 60–62.
-
[42]
The Nine Principles : A Compact for the New Century, en ligne : The Global Compact <http://www.unglobalcompact.org/qc/unweb.nsf/content/ thenine.htm> (date d’accès : 21 juin 2001).
-
[43]
From Principles to Practice : Company Actions, en ligne : The Global Compact <http://www.unglobalcompact.org/gc/unweb.nsf/content/companyactions.htm> (date d’accès : 21 juin 2001).
-
[44]
Nations Unies, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, Établissement d’un groupe de travail de session chargé d’examiner les méthodes de travail et les activités des sociétés transnationales au titre du point 4c) de l’ordre du jour, doc. E/CN.4/SUB.2/DEC/2000/101 (11 août 2000).
-
[45]
Nations Unies, Commission des droits de l’homme, Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, Groupe de travail sur les méthodes de travail et les activités des sociétés transnationales, Principes relatifs au comportement des sociétés en matière de droits de l’homme, doc. E/CN.4/Sub.2/2000/WG.2/WP.1 (25 mai 2000), Ann.
-
[46]
Ibid., parag. 19–29. Voir dans le même sens, Nations Unies, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, La réalisation des droits économiques, sociaux et culturels – La question des sociétés transnationales, doc. E/CN.4/Sub.2/2000/12 (28 août 2000), parag. 26–58.
-
[47]
Voir notamment B. Stern, « L’extraterritorialité revisitée », (1992) Ann. fr. d. int’l 239 [ci-après Stern] ; I. Brownlie, Principles of Public International Law, 5th ed., Oxford, Oxford University Press, 1998, aux pp. 310–312 [ci-après Brownlie].
-
[48]
Voir notamment P. Verge, « Mondialisation et fonctions du droit du travail national », (1999) 40 C. de D. 437, à la p. 447 et s. [ci-après Verge].
-
[49]
Sur l’absence de compétence de légiférer de façon extraterritoriale dans le cas des législateurs provinciaux canadiens, voir notamment P. A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1990, aux pp. 188–191 ; à titre d’exemple relatif aux rapports de travail, voir Labour Relations Board of New Brunswick c. Eastern Bakeries Ltd., [1961] R.C.S. 72.
-
[50]
Voir ainsi Lloydminster, School Division 99 and Canadian Union of Public Employees Local 3432, (1991) 9 C.L.R.B.R. (2d) 28 (Sask. L.R.B.).
-
[51]
Voir ainsi, sur le plan infracanadien, Abitibi-Consolidated inc. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of CanadaLocals 90, 92, 109, 132, 238 and 306, [1998] O.L.R.D. (Quicklaw) no 2114 (O.L.R.B.), déclaration d’un comportement de mauvaise foi d’un syndicat dans la négociation résultant de son insistance à forcer l’employeur à négocier pour l’ensemble de ses usines au Canada (les établissements en cause appartenaient toutefois à une même société) ; Northwood Pulp and Timber Ltd and Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 603, (1994) 23 C.L.R.B.R. (2d) 298 (B.C.L.R.B.).
-
[52]
Selon l’heureuse expression de A. Lyon-Caen, « Les dimensions internationales dans la négociation collective », rapport français, texte présenté lors du XVe Congrès international de droit du travail et de la sécurité sociale, Buenos Aires, septembre 1997, à la p. 39. Voir aussi, relativement à la négociation et à la convention collective transnationale, P. Verge, « Dimensions internationales de la négociation collective nationale », dans Actes du XVe Congrès mondial de droit du travail et de la sécurité sociale, Buenos Aires, Fundación del Trabajo, 1997, à la p. 114, en particulier la Partie II, aux pp. 157–175 ou « International Collective Bargaining » dans R. Blanpain (dir.), XV World Congress of Labour Law and Social Security, Vol. II, Leuven Peeters, 1998, aux pp. 32–46.
-
[53]
Finkin, note 9, à la p. 144 (références omises).
-
[54]
Voir notamment O. Kahn-Freund, « On Uses and Misuses of Comparative Law », (1974) 37 Modern L.R. 1, à la p. 21.
-
[55]
S’il fallait se convaincre d’une telle diversité des droits régissant la négociation collective, voir notamment J. P. Windmuller, « Étude comparative » dans Organisation internationale du Travail, La négociation collective dans les pays industrialisés à économie de marché : un réexamen, Genève, BIT, 1989, à la p. 3.
-
[56]
Tel est le cas, par exemple, des différents systèmes provinciaux canadiens des lois sur le travail et, même, de la législation fédérale américaine par rapport à ces systèmes. Ainsi une pratique de négociation collective chez chacun des trois grands de l’industrie nord-américaine de l’automobile avait-elle conduit à des conventions collectives-cadres canado-américaines, que complétaient des ententes locales, tant au Canada qu’aux États-Unis. Juridiquement, le résultat d’ensemble de cette négociation composite se traduisait en sol canadien par une entente formellement négociée en vertu de la loi provinciale applicable (en l’occurrence celle de l’Ontario), laquelle incorporait à la fois le contenu général et le complément canadien. Cette situation a eu cours des années 50 jusqu’à la scission syndicale de 1985, laquelle donna naissance à un syndicat autonome canadien de l’automobile. En particulier, dans de tels cas, il y a lieu pour les parties en cause d’assurer la coordination de l’ouverture aux droits de grève et de lock-out dans les différentes juridictions en cause. Dans un tel contexte, la négociation collective transnationale se réalise d’autant plus facilement qu’elle se conçoit de façon souple et diversifiée, pour ce qui est des grandes techniques de négociation. Ainsi, une négociation locale type pourra conduire à un résultat s’imposant en fait dans une autre juridiction, dans le cours d’une négociation menée selon la loi de cette dernière (pattern bargaining). Voir M.-E. Roberge, La négociation transnationale : typologie et étude de cas chez GM, Ford, Chrysler, mémoire de maîtrise en relations industrielles, Montréal, Université de Montréal, 1993 ; sur l’historique de la négociation dans ce secteur, voir en particulier les pages 93 à 105. Il ne faudrait toutefois pas minimiser, même dans ces cas, les embûches pouvant découler de disparités législatives particulières, par exemple l’application du régime de la grève légale totale au Québec (Code du travail, L.R.Q., c. C-27, art. 109.1), lequel n’existe pas ailleurs au Canada ni aux États-Unis dans sa forme générale et absolue. Voir ainsi l’interdiction de recourir à des arbitres substituts selon la loi de l’Ontario — qui était alors similaire à cet égard à la loi québécoise — à l’occasion d’une grève entreprise par l’ensemble des arbitres des ligues majeures de baseball aux États-Unis et au Canada : The Association of Major League Umpires c. The American League, [1995] O.L.R.D. (Quicklaw) no 1543 (O.L.R.B.).
-
[57]
Voir ainsi l’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 pour ce qui est du droit social européen.
-
[58]
C.c.Q., art. 3118. Voir G. Vallée et T. Saba, « La mobilité du personnel en contexte de mondialisation : incidences juridiques des politiques de gestion des expatriés », (1998) 58 R. du B. 203 ; Verge, note 48, à la p. 441 et s. Il en sera ainsi pour autant qu’un for étranger n’estime pas que le droit québécois va à l’encontre de son ordre public essentiel. Ce tribunal appliquera par ailleurs les lois d’application immédiate de son pays relativement à ce travail exécuté sur son sol. Pour sa part, le tribunal québécois qui serait éventuellement saisi d’un litige relatif à ce contrat devrait, dans le cours de l’application de la loi québécoise à son sujet, tenir compte, comme autant de faits s’imposant à lui, des limites découlant du contexte social ou juridique étranger dans lequel se situe l’application du droit québécois. Voir F. Gamillscheg, « Les principes du droit du travail international », (1961) 50 R. crit. de drt int’lprivé 265–290 ; 477–498 et 677–699, à la p. 698 [ci-après Gamillscheg]. Il pourrait enfin avoir à donner effet à des dispositions impératives plus favorables pour le salarié du droit du pays d’exécution du travail, du moins s’il s’agissait du lieu habituel d’exécution de la prestation (C.c.Q., art. 3118 ; voir aussi l’intervention possible des articles 3079 et 3082). Dans tous ces cas, le tribunal ne tire que des conséquences civiles de la loi applicable, dans la mesure de sa compétence.
-
[59]
Voir infra, « L’ETN face au droit ».
-
[60]
Voir généralement J. P. Trachtman, « International Regulatory Competition, Externalization, and Jurisdiction », (1993) 34 Harv. Int’lL. J. 47. Voir également K. Van Wezel Stone, « Labor and the Global Economy : Four Approaches to Transnational Labor Regulation » (1995) 16 Mich. J. Int’lL. 987, aux pp. 992–993 [ci-après Stone].
-
[61]
Voir cependant la prise en compte de la limite tenant à la territorialité de la loi fédérale américaine régissant les rapports collectifs du travail relativement à des entités canadiennes (en l’occurrence certains clubs de soccer) qualifiées d’« employeurs conjoints » de concert avec une entité américaine (une ligue de soccer) : The North American Soccer League and its Constituent Member Clubs and The North American Soccer League Players Association, décision du 30 juin 1978 du National Labor RelationsBoard, 236 N.L.R.B. 1317. Une situation inversée avait conduit à un semblable résultat selon le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), c. L-2, au motif toutefois que le libellé même de la disposition relative à l’« employeur unique » [l’article 35] ne s’appliquait qu’en présence de deux entreprises canadiennes, ce qui ne correspondait pas aux faits de l’espèce. Voir Serval Transport Limited et autre, (1991) 86 d.i. 185, à la p. 191.
-
[62]
Barcelona Traction, Light & Power Co., (Belgique c. Espagne), [1970] C.I.J. 4 .
-
[63]
Stern, note 47, à la p. 252. Le droit de la concurrence américain a été l’occasion à plusieurs reprises de dérogation à cette prise de position classique de la Cour internationale de justice. Voir notamment à cet égard J. Turley, « When in Rome : Multinational Misconduct and the Presumption Against Extraterritoriality », (1990) 84 Nw. U. L. Rev. 598, aux pp. 608-613 [ci-après Turley] ; Stone, note 60, aux pp. 1011-1014. Toutefois, on note une tendance favorable à l’assouplissement de cette règle internationale, notamment au niveau de la doctrine. Favorable au rejet de la règle de l’incorporation adoptée par la Cour internationale de justice dans l’affaire Barcelona Traction relativement à la nationalité des sociétés, Brownlie apportait le commentaire suivant : « [i]n the case of corporations with complex structures and foreign-based subsidiaries, a principle of substantial or effective connection could be applied as a basis for jurisdiction. [...] » (Brownlie, note 47, à la p. 312). Voir dans le même sens, ibid., aux pp. 486-491.
-
[64]
Voir notamment à cet égard F. Morgenstern et B. Knapp, « Multinational Enterprises and the Extraterritorial Application of Labour Law », (1978) 27 Int’l and Comp. L. Q. 769, à la p. 781 [ci-après Morgenstern et Knapp].
-
[65]
Voir à ce sujet B. Frey, « The Legal and Ethical Responsibilities of Transnational Corporations in the Protection of International Human Rights », (1997) 6 Minn. J. Global Trade 153, aux pp. 168-174 (tentatives de certains membres du Congrès de contrôler les activités étrangères des sociétés transnationales américaines en matière de protection des droits des travailleurs et plus généralement des droits de la personne ; e.g., introduction au Sénat du Slepak Principles Act (1989) et du Burma Freedom and Democracy Act (1995)).
-
[66]
Morgenstern et Knapp, note 64.
-
[67]
Voir, pour ce qui est de l’analyse générale, Stern, note 47, aux pp. 245-246, 266 (se référant à l’arrêt de la Cour de cassation Société Thorensen Car Ferries Ltd et al. c. Sieur Fasquel et al., C. Cass. 3 mars 1988, J.D.I., (1989), J.D.I. 78, où la Cour a distingué l’imputation extraterritoriale —, i.e., la prise en compte d’éléments d’un groupe de sociétés sises à l’étranger dans l’établissement d’un seuil global d’effectif requis pour la reconnaissance d’une unité économique et sociale — d’une application strictement territoriale de la loi – l’obligation légale d’instituer une représentation légale du personnel se rattachant aux sociétés françaises du groupe faisant partie d’une telle unité).
-
[68]
Voir à ce sujet notes 62-64 et texte corespondant.
-
[69]
Foley Bros inc. c. Filardo, 336 U.S. 281, à la p. 285 (1949) [ci-après Foley]. Dans cette affaire, monsieur Filardo, un citoyen américain, avait été embauché à titre de cuisinier par Foley Bros., Inc., une firme américaine ayant contracté, en Iran et en Iraq, des projets de construction. Consistant en la préparation de repas pour les travailleurs de la firme, la fonction de monsieur Filardo se traduisait fréquemment par un dépassement de la norme applicable aux États-Unis en matière de temps de travail journalier, à savoir huit heures. Se fondant sur la Eight Hour Act [40 U.S.C. § 321-326 (abrogée en 1962)], monsieur Filardo avait demandé à son employeur une hausse du taux horaire appliqué sur les heures travaillées au-delà de la limite maximale quotidienne de huit heures. Aux termes de cette législation fédérale américaine, aucun employé « shall be required or permitted to work more than eight hours in any one calendar per day upon such work » sauf pour le travail rémunéré « in excess of eight hours per day at not less than one and one-half times the basic rate of pay » (ibid., § 324-325 citée dans G. E. James, « Don’t Touch that Grapefruit : Prohibiting the Encouragement by U.S. Unions of Secondary Boycotts Abroad », (1997) 26 Ga. J. Int’l & Comp. L. 433, n. 53 [ci-après James]). C’est à la suite du refus de Foley Bros., Inc. de donner droit à sa demande que monsieur Filardo décida de prendre action à l’encontre de son employeur devant les tribunaux américains. La Cour suprême des États-Unis a ainsi été appelée à répondre à la question de savoir si la Eight Hour Law pouvait réglementer la durée d’une journée de travail de salariés américains employés par une firme américaine à l’étranger. La Cour suprême a conclu par la négative sur la base de la structure de la loi et du fait que le Congrès, dans cette loi, n’avait pas établi une distinction entre les salariés étrangers et les salariés américains. Cette absence de distinction indiquait, de l’avis de la Cour, une intention du Congrès à l’effet que la loi « [...] appl[ies] only to those places where the labor conditions of both citizen and alien employees are a probable concern of Congress » (Foley, ibid., à la p. 285). La Cour a toutefois reconnu que le Congrès américain pouvait, exceptionnellement, choisir de rendre sa législation applicable au-delà des limites territoriales américaines (Foley, ibid., aux pp. 284-285). Afin de déterminer si l’intention du Congrès est de doter une loi d’une portée extraterritoriale, la Cour a développé le test suivant : « [does the] language in the [relevant act] gives any indication of a congressional purpose to extend its coverage beyond places over which the United States has sovereignty or has some measure of legislative control » (Foley, ibid., à la p. 285).
-
[70]
Older American Amendments of 1984, Pub. L. no 98-459, 98 Stat. 1767 (1984) (codifiée telle qu’amendée à 29 U.S.C.A. § 621–634 (West 2000) [ci-après ADEA].
-
[71]
Title VII of theCivil Rights Act of 1991, Pub. L. no 102-166, 105 Stat. 1071 (1991) (codifiée telle qu’amendée à 42 U.S.C.A. § 2000e- 2000e17 (West 2000) [ci-après Title VII] ; The American with Disabilities Act of 1990, Pub. L. no 101-336, 104 Stat. 328 (codifiée telle qu’amendée à 42 U.S.C.A. § 12101-12213, 47 U.S.C.A. § 225, 611 (West 2000) [ci-après ADA].
-
[72]
Title VII, ibid.
-
[73]
Ibid., § 2000e–4 et 2000e–5.
-
[74]
Ibid., § 2000e–2(a)(1).
-
[75]
Voir e.g. Cleary c. United States Lines, Inc., 555 F. Supp. 1251 (D.N.J. 1983), aff. 728 F. 2d 607 (3e Cir. 1984) ; Zahourekvc. Arthur Young & Co., 567 F. Supp. 1453 (D. Col. 1983), aff. 750 F. 2d 827 (10th Cir. 1984) ; De Yoreo c. Bell Helicopter Textron, Inc., 608 F. Supp. 377 (N.D. Tex. 1985). Sur la question de l’extraterritorialité de l’ADEA, voir généralement M. M. Madden, « Strengthening Protection of Employees at Home and Abroad : The Extraterritorial Application of Title VII of the Civil Rights Act of 1964 and the Age Discrimination in Employment Act », (1997) 20 Hamline L. Rev. 739, aux pp. 746–752 [ci-après Madden].
-
[76]
Voir e.g. la notion de « commerce » définie en termes larges et englobants dans le Title VII : « trade, traffic, commerce, transportation, or communication among the several States, or between a State and any place outside thereof » (Title VII, note 71 § 2000e(g)).
-
[77]
Voir e.g. Bryant c. International Sch. Servs., Inc., 502 F. Supp. 472 (D.N.J. 1980), rév. pour d’autres motifs, 675 F. 2d 562 (3e Circuit, 1982) ; Seville c. Martin Marietta Corp., 638 F. Supp. 590 (D. Md. 1986). Voir également K. M. Murphy, « Title VII and Its Ability to Bind American Companies Acting Outside the United States », (1993) 16 Suffolk Transnat’l L. J. 593, aux pp. 596–597 ; R. Yamakawa, « Territoriality and Extraterritoriality : Coverage of Fair Employment Laws », (1992) 17 N.C.J. Int’l L.. & Comm. Reg. 71 ; Madden, note 75, à la p. 745.
-
[78]
EEOC c. Arabian American Oil Co, 499 U.S. 244 (1991). Dans cette affaire, Ali Boureslan, un citoyen américain d’origine libanaise, avait été embauché comme ingénieur à Houston (Texas) par une filiale américaine de la société américaine Aramco, incorporée en vertu des lois de l’état du Delaware. Toutefois, après quelque temps, monsieur Boureslan est transféré aux bureaux saoudiens de la société mère. Après moins d’un an en Arabie Saoudite, un conflit émerge entre monsieur Boureslan et son superviseur. Ce conflit dégénère et mène au congédiement de même qu’au recours de monsieur Boureslan devant les tribunaux américains (ibid.).
-
[79]
Ibid. aux pp. 249–250. Sur l’affaire Aramco, voir généralement Madden, note 75, aux pp. 743–745.
-
[80]
Protection of Extraterritorial Employment Amendments, Civil Rights Act of 1991, Pub. L. no 102–166 § 109, 105 Stat. 1071 (1991). Voir à cet égard M. Kubo, « Extraterritorial Application of the Americans with Disabilities Act », (2001) 2 Asian-Pac. L. & Pol’y J. 259, aux pp. 269–290 [ci-après Kubo].
-
[81]
Kubo, ibid., à la p. 274.
-
[82]
Title VII, note 71.
-
[83]
ADEA, note 70.
-
[84]
ADA, note 71.
-
[85]
Foley, note 69.
-
[86]
Voir à cet égard Stone, note 60, aux pp. 1012–1013.
-
[87]
Fair Labor Standards Act, 29 U.S.C. § 201–219 (2000) [ci-après FLSA]. La FLSA établit des normes minimales de travail telles que le salaire minimum, le maximum d’heures de travail ainsi que la question du travail des enfants afin de protéger la santé et le bien-être général des travailleurs. Il est prévu, à son article 216(d), que des employeurs ne peuvent être considérés responsables du non-respect de la FLSA « with respect to work heretofore or hereafter performed in a workplace to which the exemption in section 213(f) is applicable ». L’exemption de l’article 213(f) exclut de la portée de la FLSA « any employee whose services during the workweek are performed in a workplace with a foreign country ». Dans la cause Cruz c. Chesapeake Shipping, Inc., 932 F. 2d 218 (3rd Cir. 1991), la cour a rejeté le recours intenté par les demandeurs à l’encontre de leur employeur, une société mère koweïtienne et de sa filiale américaine Chesapeake Shipping, Inc. La Cour de troisième circuit a considéré que les demandeurs, des Philippins membres d’un équipage employé par la société mère koweïtienne sur des navires battant pavillon américain, mais naviguant uniquement sur le Golfe persique ne pouvaient invoquer à leur profit les dispositions de la FLSA. Selon la Cour, la FLSA n’a pas été adoptée de manière à couvrir le cas de « foreign seamen employed on vessels engaged in foreign operations entirely outside of the United States, its waters and territories » (ibid., à la p. 232). Sur la FLSA, voir généralement K. Vossler Champion, « Who Pays for Free Trade ? The Dilemma of Free Trade and International Labor Standards », (1996) 22 N.C.J. Int’l L. & Com. Reg. 181, aux pp. 206–208.
-
[88]
National Labor Relations Act, 29 U.S.C.A. § 151–169 (2000) [ci-après NLRA]. L’application extraterritoriale de la NLRA a été considérée par le National Labor Relations Board et par les cours fédérales américaines dans une variété de cas. Bien que le langage du texte de la loi apparaisse relativement large, les tribunaux américains n’ont jamais consenti à y voir un élément d’extraterritorialité. À titre d’exemple, dans l’affaire McCulloch c. Sociedad Nacional de Marineros de Honduras, 372 U.S. 10 (1963), la Cour suprême des États-Unis a conclu, au terme d’un examen de l’historique législatif de la NLRA, que le Congrès n’avait pas manifesté expressément son intention de lui reconnaître un caractère extraterritorial. Pour cette raison, la cour a refusé d’appliquer la NLRA aux membres honduriens d’un équipage d’un navire battant pavillon hondurien et a préféré ignorer le lien sociétal existant entre la société propriétaire du navire, Empresa Hondurena de Vapores, S.A., et United Fruit Company, sa société mère incorporée dans l’état du New Hampshire. Selon la Cour suprême, « [the legislative history] inescapably describes the boundaries of the Act as including only the working men of our own country and its possessions » (ibid., à la p. 19). Voir dans le même sens les décisions Incres Steamship Co. c. International Maritime Workers Unions, 372 U.S. 24 (1963) ; ILA Local 1415 c. Ariadne Shipping Co., 397 U.S. 195 (1970) ; Windward Shipping (London) Ltd. c. American Radio Association, 415 U.S. 104 (1974) ; American Radio Association c. Mobile Steamship Association, 419 U.S. 215 (1974) — où la Cour suprême des États-Unis a réitéré son refus de reconnaître une portée extraterritoriale à la NLRA.
-
[89]
Labor Management Relations Act, 29 U.S.C. § 141–144 (2000) [ci-après LMRA]. Adoptée en 1947 sous le nom de Taft-Hartley Act, la LMRA est venue modifier la NLRA en déclarant illégal le boycott secondaire pratiqué par des associations syndicales auprès de leurs membres et visant à convaincre ces derniers de faire la grève de manière à amener leur employeur à cesser de faire affaires avec une tierce partie. Dans l’affaire Benz c. Compania Naviera Hidalgo, S.A., 353 U.S. 138 (1957), la Cour suprême des États-Unis fut appelée à déterminer si la LMRA s’appliquait à un litige originant d’un remorquage d’un navire étranger, commandé par un capitaine étranger, et amarré temporairement dans un port américain. Elle conclut par la négative, considérant que l’application extraterritoriale de la LMRA aurait injustement pour effet d’écarter l’application territoriale de la loi étrangère. Tel n’était pas, selon elle, l’objet visé par le Congrès américain lors de l’adoption de la loi en 1947. De l’avis de la Cour, « there must be present the affirmative intention of the Congress clearly stated » en faveur de la reconnaissance du droit des tribunaux américains de s’introduire dans « such a delicate field of international relations » (ibid., à la p. 147). Au sujet de la LMRA et de l’affaire Benz, voir James, note 69, aux pp. 443–450.
-
[90]
Voir notamment Gamillscheg, note 58, à la p. 267.
-
[91]
Voir e.g. Rederiet A. P. Moller A/S, (1996) 102 d.i. 31. (C.c.r.t.).
-
[92]
Voir e.g. l’article 317 du C.c.Q., lequel consacre le principe de la levée du voile sociétal dans le cas où la personnalité distincte de la société est invoquée en vue de masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public.
-
[93]
Position confirmée en appel : Labor Union of Pico Korea Ltd c. Pico Products Inc., 968 F. 2d 191 (2nd Cir. 1992). En ce qui a trait à l’impact de la contestation judiciaire sur le comportement des intéressés, voir F. E. Deale, « The Pico Case — Testing International Labor Rights in U.S. Courts » dans L. A. Compa et S. F. Diamond, Human Rights, Labor Rights and International Trade, Philadelphia, U. of Penn. Press, 1996, aux pp. 251–272. On indique notamment que ces recours judiciaires incitèrent la société américaine à chercher à régler l’affaire avec le syndicat coréen.
-
[94]
Au sens de l’article L 321–1 du Code du travail français.
-
[95]
Ibid.
-
[96]
CE 18 janvier 1980, Ministre du travail contre la Fédération des cadres de la chimie et des fédérations annexes, cité dans F. Héas, Le reclassement du salarié en droit du travail, Bibliothèque de droit social, t. 34, Paris, L.G.D.J., 2000, parag. 245–246 [ci-après Héas].
-
[97]
Soc 25 juin 1992, Bull. civ. V, no 420 à la p. 260, Droit social, septembre-octobre 1992 à la p. 832. Voir également Héas, ibid., parag. 247.
-
[98]
Société Thomson Tubes et Displays (ex : Videocolor) c. X, Y, Z et Assedic de la région lyonnaise et de l’Isère, C. Cass. 5 avril 1995, dont le texte accompagne les commentaires suivants : G. Lyon-Caen, « Sur le transfert des emplois dans les groupes multinationaux », (1995) Droit social 489 ; P. Waquet, « Le niveau d’appréciation des conditions du licenciement économique », (1995) Droit social 482.
-
[99]
Deux espèces québécoises notamment traitent de la disponibilité de l’emploi au sein de l’entreprise à l’extérieur du Québec (sans qu’il soit pour autant question d’un groupe de sociétés) à la suite d’une plainte alléguant un congédiement sans cause juste et suffisante selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N–1.1. Dans l’une, un commissaire du travail tient compte du fait que l’employeur n’avait pas envisagé une possibilité plutôt réelle de transfert du salarié ailleurs au Canada pour en arriver à exclure l’existence d’une cause juste et suffisante de congédiement : Clark et Groupe D.M.R. inc., C.T., CM 9605S206, 26 mars 1997, D.T.E. 97T–625 (défaut d’imputation extraterritoriale, dirait-on). Dans l’autre, la Cour d’appel a établi qu’un commissaire du travail ne pouvait ordonner la réintégration du salarié injustement congédié dans un poste comparable dans une autre province ; ceci reviendrait, selon la Cour, à reconnaître une portée extraterritoriale à la loi (« nor can such an order have extraterritorial effect, i.e. to provide a comparable post for Appelant elsewhere in Canada ») : voir Dodd c. 3M Canada Ltd., [1997] R.J.Q. 1581, à la p. 1585. Une appréciation divergente de la territorialité, à partir du centre de gravité de la relation de travail en cause, aurait sans doute été concevable. Il est par ailleurs intéressant de souligner que la question du licenciement pour motif économique d’un salarié d’une entreprise appartenant à un groupe de sociétés a également été abordée par une certaine jurisprudence québécoise du travail. Ainsi, dans l’affaire Korngold et Cosignma Lavalin inc. (D.T.E. 90T–824, 26 avril 1990), l’arbitre appelé à décider de la légalité du congédiement d’un individu jusqu’alors employé au sein de l’entreprise Cosignma, appartenant au groupe de sociétés Lavalin, a conclu que la nature des motifs, économiques ou subjectifs, à l’origine du congédiement devait être examinée dans le contexte du groupe de sociétés plutôt que dans les seules limites de l’entreprise lorsque celle-ci est, comme c’est le cas en l’espèce, possédée à 100 % par le groupe et lorsque ses activités sont intégrées à celles du groupe.
-
[100]
Voir Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT, notes 21–28 et texte correspondant.
-
[101]
Procédure pour l’examen des différends relatifs à l’application de la Déclaration par interprétation de ses dispositions, adoptée par le Conseil d’administration à sa 232e session (mars 1986), reproduite dans Bureau international du Travail, Bulletin Officiel, Vol. LXIX, 1986, série A, no 3 aux pp. 220–221, remplace la partie IV des procédures adoptées par le Conseil d’administration à sa 214e session (novembre 1980), reproduite dans Bureau international du Travail, Bulletin Officiel, Vol. LXIV, 1981, série A, no 1, aux pp. 94–96 [ci-après Procédure d’interprétation de la Déclaration].
-
[102]
Bureau international du Travail, Conseil d’administration, Sous-Commission sur les entreprises multinationales, Suivi et promotion de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, Septième enquête sur la suite donnée à la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale :Rapport analytique du Groupe de travail sur les rapports soumis par les gouvernements et par les organisations d’employeurs et de travailleurs (partie I), doc. GB.280/MNE/1/1, Genève, Bureau international du Travail, mars 2001.
-
[103]
C’est dans ce contexte que le gouvernement belge, après s’être associé aux demandes de trois organisations syndicales, a présenté en son nom, au mois de janvier 1987, une demande d’interprétation de la Déclaration à la suite de la décision prise le 25 juillet 1986 par la filiale belge de l’ETN Michelin de fermer son usine et de licencier collectivement ses quelque 1000 travailleurs le jour même (voir Demande d’interprétation de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Lettre en date du 27 janvier 1987 du gouvernement belge), Rapport de la Commission sur les entreprises multinationales, doc. GB.239/14/24/annexe, Genève, 23 février 1988, parag. 1, 6 [ci-après doc. GB.239/14/24/annexe].
-
[104]
Procédure d’interprétation de la Déclaration, note 101.
-
[105]
La procédure ne peut toutefois être invoquée à l’égard : (a) des législations et pratiques nationales des États membres, dont l’examen est réservé aux seuls organismes nationaux appropriés ; (b) des conventions et recommandations internationales du travail de l’OIT, lesquelles sont régies par les procédures énoncées aux articles 19, 22, 24 et 26 de la Constitution de l’OIT ; et (c) des questions relevant de la procédure spéciale de l’OIT en matière de liberté syndicale. Voir à cet égard ibid., parag. 2).
-
[106]
Ibid., parag. 7.
-
[107]
Ibid., parag. 8.
-
[108]
Ibid., parag. 9.
-
[109]
Voir Interpretation Procedure at Work, en ligne : International Labor Office, Multinational Enterprises, MNE Declaration <http://www.ilo.org/public/ english/employment/multi/inter/index.htm#todate> (date d’accès : 9 octobre 2001) [ci-après Interpretation Procedure at Work].
-
[110]
Demande d’interprétation de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Lettre en date du 2 mai 1984 de la Banking, Insurance and Finance Union, Londres), Rapport de la Commission sur les entreprises multinationales, doc. GB. 229/13/13/annexe, Genève, 8 février 1985 ; Doc. GB.239/14/24/annexe, note 103.
-
[111]
Sous-Commission sur les entreprises multinationales, Demande d’interprétation de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Lettre en date du 22 mai 1997 du gouvernement belge) (Recevabilité), doc. GB.270/MNE/1, Genève, 11 novembre 1997 ; BIT, Rapport de la Sous-Commission sur les entreprises multinationales, doc. GB.270/18, Genève, 17 novembre 1995 ; Sous-Commission sur les entreprises multinationales, Demande d’interprétation de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Lettre en date du 22 mai 1997 du gouvernement belge) (Questions de fond), doc. GB.272/MNE/1, Genève, 22 mai 1998 ; BIT, Rapport de la Sous-Commission sur les entreprises multinationales, doc. GB.272/6, Genève, juin 1998. Sous-Commission sur les entreprises multinationales, Demande d’interprétation de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Lettre en date du 6 mars 1995 de la Fédération internationale des travailleurs de la chimie, de l’énergie et d’industries diverses), doc. GB.264/MNE/2, Genève, 19 septembre 1995.
-
[112]
Commission sur les entreprises multinationales, Demande d’interprétation de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Lettre en date du 16 avril 1992 de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation et des branches connexes), doc. GB.254/MNE/4/6, Genève, 5 novembre 1992.
-
[113]
Interpretation Procedure at Work, note 109.
-
[114]
Principes directeurs 2000, note 30.
-
[115]
Ibid.
-
[116]
Voir R. Blanpain, The Badger Case and the OECD Guidelines for Multinational Enterprise, Deventer, Kluwer, 1977 [ci-après The Badger Case and the OECD Guidelines] ; R. Blanpain, « The OCDE Guidelines and Labour Relations : Badger and Beyond » dans Horn, note 20, aux pp. 145–155 ; Salzman, note 29, aux pp. 791–792.
-
[117]
Principes directeurs 2000, note 30.
-
[118]
Le CIME n’avait alors prétendu qu’expliciter la portée générale de l’énoncé des Principes directeurs relatif à l’avertissement raisonnable des changements dans les opérations (7g), sans pour autant affirmer un principe de responsabilité des dettes de la filiale en pareille situation à la charge de la société mère (voir The Badger Case and the OECD Guidelines, note 116, à la p. 118) ; encore moins n’avait-il prononcé des conclusions à l’endroit de l’ETN en cause dans l’espèce (ibid., à la p. 129).
-
[119]
Voir C. R. Coxson, « The 1998 ILO Declaration on Fundamental Principles and Rights at Work : Promoting Labor Law Reforms Through the ILO as an Alternative to Imposing Coercive Trade Sanctions », (1999) 17 Dick. J. Int’lL. 469, à la p. 480 [ci-après Coxson].
-
[120]
Les paragraphes 1a) et 2 du Chapitre IV des Principes directeurs (Principes directeurs 2000, note 30) prévoient notamment que les entreprises devraient « la) [r]especter le droit de leurs salariés d’être représentés par des syndicats et d’autres organisations légitimes de salariés et engager soit individuellement, soit par l’intermédiaire d’association d’employeurs, des négociations constructives avec ces représentants, en vue d’aboutir à des accords sur les conditions d’emploi [...] » (ibid. à la p. 26, Chap. IV, parag. 1a)) ; et « 2. a) [f]ournir aux représentants des salariés les moyens nécessaires pour faciliter la mise au point de conventions collectives efficaces. b) [c]ommuniquer aux représentants des salariés les informations nécessaires à des négociations constructives sur les conditions d’emploi. c) [p]romouvoir les consultations et la coopération entre les employeurs, les salariés et leurs représentants sur des sujets d’intérêt commun » (ibid., à la p. 26, Chap. IV, parag. 2).
-
[121]
Coxson, note 119, à la p. 480.
-
[122]
Ibid., aux pp. 480–481.
-
[123]
Figurant désormais au paragraphe 7 du Chapitre IV (emploi et relations professionnelles) des Principes directeurs, cet amendement, qui résulte de la révision de 1979, se lit comme suit : « [l]es entreprises devraient [...] [l]ors des négociations menées de bonne foi avec des représentants des salariés sur les conditions d’emploi, ou lorsque les salariés exercent leur droit de s’organiser, ne pas menacer [...] de transférer des salariés venant d’entités constitutives de l’entreprise situées dans d’autres pays en vue d’exercer une influence déloyale sur ces négociations ou de faire obstacle à l’exercice du droit de s’organiser » (Principes directeurs 2000, note 30, à la p. 27)