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Voici un ouvrage très intéressant sur la question des différences hommes-femmes sur le marché du travail. En effet, comme l’indique Margaret Maruani, en introduction : « La féminisation du marché du travail est réelle, nous dit-elle, mais inachevée, inaboutie tant elle s’est faite sous le sceau de l’inégalité et de la précarité [...] les frontières se déplacent plus qu’elles ne s’effacent ». De fait, l’ouvrage couvre la situation des femmes à l’école (première partie) et sur le marché du travail (deuxième et troisième parties). Au-delà des descriptions, les articles nous invitent surtout à une analyse des rapports sociaux qui expliquent les transformations, mais aussi la persistance de nombreuses inégalités : de salaires (Silvera), de chômage (Gauvin, Torns, Hegewisch), de formes d’emploi (Meulders, Walby, Fagan et al.). Les différentes formes de « flexibilité » sont ainsi analysées du point de vue des différenciations, voire des inégalités qu’elles induisent pour les femmes. On peut peut-être reprocher à certains articles de trop se centrer sur l’Europe, excluant d’autres pays de l’OCDE (le Canada entre autres) qui font apparaître des formes de différenciations selon le sexe et des rapports sociaux plus diversifiés. C’est certes là l’effet négatif — pour nous — des nombreux financements de la Communauté européenne que de refermer le monde étudié sur les pays européens. Pourtant, l’évolution des marchés du travail féminin et masculin est d’autant plus intéressante que la diversité des pays considérés est importante.
On pourrait faire un commentaire apparenté en ce qui concerne l’étude de la citoyenneté et de l’égalité professionnelle. Jacqueline Laufer trace en introduction à cette partie un excellent portrait des enjeux des droits des femmes. Entre l’État, la famille et le marché, voilà comment les femmes se retrouvent entre dépendance et inégalités, nous indique-t-elle. Son texte présente bien les grands enjeux qui sont ensuite analysés plus en détail, sous divers angles, par les auteurs : le droit à l’épreuve des faits de l’(in-)égalité professionnelle entre hommes et femmes (Lanquetin), l’inégalité salariale (Silvera), la politique familiale (Lewis), les temps de travail et les temps des villes (Belloni, Boulin, Loiseau), les femmes migrantes (Gaspard). Certes, ici encore, la lecture des différences Europe-Amérique du Nord eût été encore plus instructive, mais il est certainement difficile de couvrir autant en si peu de pages. Cette partie permet déjà de conclure qu’égalité de principe et inégalités de fait se retrouvent partout.
Parmi les points centraux d’intérêt de l’ouvrage, il faut souligner qu’il nous invite à déconstruire les catégories habituellement constituées, ainsi que les frontières généralement établies entre le travail et le non-travail, ainsi qu’entre travail rémunéré et production sociale ou utilité sociale de ces activités. L’ouvrage nous invite également à revoir certaines analyses à la lumière de l’expérience des femmes, qui fut occultée dans des travaux antérieurs.
Ainsi, dans le texte de Durand-Delvigne et Duru-Bellat, on semble indiquer que la mixité à l’école conduit les jeunes filles à sous-estimer leurs capacités et leur potentiel dans des domaines traditionnellement vus comme masculins lorsqu’elles sont en présence de garçons. Les auteures affirment également que les filles des écoles mixtes auraient une moindre estime de soi que celles des écoles non mixtes. On peut certes se demander si plusieurs variables n’ont pas été occultées, variables qui permettraient d’expliquer ces résultats. Bien que les auteures indiquent que leur texte repose sur des recherches anglo-saxonnes, on peut se demander s’il ne s’agit pas surtout de recherches étatsuniennes. Or, le Canada anglais et le Québec présentent une situation fort différente de la situation des États-Unis sur le plan du système d’éducation et on peut penser que nombre d’autres pays pourraient aussi s’en différencier fortement.
Le texte de Gardey et celui de Schweitzer insistent sur l’importance de reconstruire l’histoire du travail des femmes. Gardey brosse un excellent tableau de toute cette évolution de l’entrée des femmes dans diverses activités de travail salarié où elles deviennent enfin visibles. Elle rappelle un certain nombre de faits intéressants, dont le fait que l’exigence des soins à l’enfant est une préoccupation récente. Travaillant sur l’articulation emploi-famille depuis quelques années, je n’ai pas vu de contribution aussi originale très fréquemment. L’auteure invite aussi à réfléchir sur ce qui se joue dans la capacité d’une activité à être nommée comme un métier et le lien avec les activités souvent apparemment plus diffuses et insaisissables des femmes, dont les qualifications sont souvent déguisées en « qualités » ; les transformations intervenues au sein du monde ouvrier féminin et les transformations dans les emplois dits de service ou de cols blancs. À une époque où émergent les services de proximité ou les services d’économie sociale que le gouvernement québécois et d’autres identifient comme « gisiers » d’emplois, ces réflexions sont certes fort pertinentes (voir le texte de Lallement sur famille et emplois de service).
Dans le domaine de la formation toujours, mais sous un angle de comparaisons internationales, le texte de Marry met en évidence un aspect généralement négligé, soit le fait que la force du modèle allemand serait surtout celle des hommes. En raison de l’affectation différenciée des hommes et des femmes aux diverses filières, elle avance l’idée d’inégalités sexuées plus fortes en Allemagne qu’en France, en raison notamment de ce système dual. À l’instar d’autres textes évoqués, ce texte pourrait permettre de répondre à la question à savoir si les chemins de la mixité peuvent conduire à l’égalité ; cependant, puisqu’il existe une forte ségrégation selon le sexe dans le système allemand — mais aussi dans la plupart des filières techniques de l’enseignement de niveau secondaire dans plusieurs pays — on peut en conclure qu’il existe de nouvelles frontières de l’inégalité à l’intérieur de ce système tant vanté.
Les différences dans les formes d’exercice du temps partiel, le sens et l’incidence de cette forme d’emploi sont aussi différenciées. C’est là aussi un aspect parfois négligé, cette forme d’emploi étant considérée identique d’un pays à l’autre, alors que sa durée précise, ses conditions d’exercice, les avantages qui y sont associés et les secteurs où elle se concentre induisent des différences non négligeables en ce qui concerne la place et le statut des femmes sur le marché du travail. Des textes de la dernière partie le mettent en évidence.
Le texte de Alonzo et Liaroutzos m’a quelque peu étonnée. Ayant réalisé certaines enquêtes en collaboration avec la Fédération des secrétaires professionnelles du Québec, à la demande de ses représentantes qui aspiraient à un « nouveau rôle » pour la secrétaire, j’ai trouvé quelque peu optimiste la présentation des auteurs. On nous présente le portrait d’une secrétaire coordonnatrice, interlocutrice, au coeur des grands dossiers, préparant même des contrats, mais on fait par ailleurs état de secrétaires accusant les coups, dont on exploite les qualités féminines… Ceci semble plus près de la réalité vécue par nombre de secrétaires.
Enfin, Helena Hirata et Danièle Kergoat présentent une revue générale des évolutions observées dans les théories et les problématiques de recherche exprimées en termes de division sexuelle du travail (DST). Les auteures soulignent fort justement qu’en 1998, parler de DST en France peut paraître à certains d’une grande banalité, surtout dans le domaine de la sociologie. On peut dire la même chose au Québec ou aux États-Unis, mais en même temps, on est forcé de constater que si ces thèmes sont fort présents en certains lieux, ils ne sont pas si présents dans nombre de colloques traitant des nouvelles formes d’organisation du travail, du « teamwork », des entreprises de haute performance, comme si les entreprises de la nouvelle économie avaient dépassé cette question de la ségrégation. Les chercheurs de relations industrielles admettent bien sûr l’ensemble des constats effectués par divers chercheurs en regard de la DST, mais ils n’en tiennent néanmoins pas toujours compte dans leurs recherches, qui demeurent encore souvent « gender blinded ». On parle des travailleurs, mais le travailleur-type auquel on fait référence est en fait un homme. Il y a bien sûr des exceptions, mais on peut se demander si l’approche différenciée selon le genre est un acquis. Les auteures soulignent aussi fort justement que la pensée en termes de complémentarité, de conciliation des rôles a pris une place croissante aux dépens d’une sociologie en termes de rapports sociaux et d’antagonismes. Pourtant, dans nos sociétés salariales, la division du travail entre les sexes est l’enjeu des rapports sociaux de sexe. La DST est au coeur du pouvoir que les hommes exercent sur les femmes. Pour autant, rappellent les auteures, le travail social et sa division entre les sexes n’est pas que domination. Il y a aussi lien social.
L’ensemble de ces textes nous invite à voir la division sexuelle du travail comme une réalité multiforme qui se transforme au fil des ans, mais à des rythmes différents, sous l’influence de divers facteurs, variables selon les pays, à savoir l’évolution des systèmes scolaires, des marchés du travail, des pratiques et politiques en matière d’emploi et d’accès à l’égalité en emploi, mais aussi des femmes et des hommes eux-mêmes.