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Cet ouvrage innovateur réussit de façon convaincante à concrétiser l’amaigrissement d’un procédé ou d’une organisation. Le lecteur visualise, voire ressent les péripéties et les détails de la transition à une production amaigrie. Pour les fins de cette recension, le mot « amaigrissement » a été choisi pour traduire Becoming Lean parmi les diverses traductions disponibles du lean, car il véhicule tant l’ampleur et les difficultés du bouleversement organisationnel impliqué, que celles de l’amaigrissement corporel et personnel.
Le coeur de cette réussite et des quinze chapitres de cet ouvrage consiste en six récits et analyses signés par des acteurs — gestionnaires ou consultants — de cette transformation d’une organisation ou d’un procédé. Le premier porte sur une usine syndiquée de deux mille employés de Delphi (GM) fabriquant des systèmes de direction. Le deuxième traite d’une tannerie fournissant à Toyota des pièces de cuir fini pour les sièges d’une automobile. Le troisième porte sur les quinze usines et les 3 500 employés d’un manufacturier de scellants destinés aux moteurs et aux transmissions automobiles. Le quatrième raconte l’amaigrissement d’une des trois usines non syndiquées, possédant une main-d’oeuvre féminine non diplômée, d’un producteur de membranes et de filtres sophistiqués destinés à des usages médicaux. Le cinquième relate la transformation d’une PME fabriquant des cabanes et mangeoires d’oiseaux faites de cèdre aromatique, dans deux usines totalisant deux cents employés ; nous y reviendrons. Le sixième récit porte sur l’une des quatre sections d’une usine produisant du matériel d’exploration sismique qui fabrique des câbles utilisés en eau peu profonde dans la transmission des données. Chacun de ces six récits est concret, abondamment détaillé, précis et circonstancié.
Pour en illustrer brièvement le style distinctif, prenons le cas du fabricant de cabanes et de mangeoires d’oiseaux en cèdre. Ici, c’est le consultant qui raconte ses interventions dans cette PME de deux cents employés répartis dans deux usines. Dans l’une de ces usines, on refend des troncs d’arbre équarris, provenant de scieries locales, en planchettes qu’on laisse ensuite sécher pour minimiser le fendillement ou le gondolement subséquents. Ces opérations de refente constituaient un goulot d’étranglement de toute la production en dépit d’un horaire intensif et coûteux de trois postes et six jours par semaine. Ces opérations furent la cible de la première intervention.
Celle-ci débuta par une formation hebdomadaire de dix personnes, incluant le président et le vice-président responsable, tenue le soir. Chaque soir, la moitié du temps se passait en classe et l’autre moitié dans l’usine pour identifier les problèmes et les corriger au fur et à mesure. Les problèmes étaient nombreux et diversifiés, on les a classés et cherché leurs causes.
Par exemple, un problème concernait le temps excessif requis pour changer la lame de la scie : seize causes diverses de ce temps excessif sont énumérées dans une figure de ce chapitre. On se concentra sur les trois premières. De celles-ci, on choisit l’absence de méthode ou d’endroit pour rapprocher les lames de la scie. Puis on examina et évalua les diverses façons possibles de corriger cette situation. Au début de la formation, les participants s’impatientaient des délais engendrés par une telle analyse en profondeur, pourtant indispensable à l’amélioration continue.
Par exemple, encore, on forma les participants à l’analyse des temps de travail débalancés d’un travailleur à l’autre au sein de la même opération. Et pour mesurer les progrès accomplis, on installa sur la scie une minuterie qui était activée quand la lame coupait du bois, permettant de calculer le pourcentage du temps de coupe réalisé chaque jour sur chaque poste. L’ensemble de cette première intervention dura dix semaines. Les processus et les résultats furent jugés très satisfaisants.
Par ailleurs, ce consultant fut déçu que les leçons apprises ne se répandent pas ailleurs dans cette usine. On espérait que la valeur de l’exemple donné assure sa diffusion. Tel ne fut pas le cas. Mais quelques mois plus tard, le consultant fut en mesure de faire une seconde intervention, dans l’autre usine cette fois-là, dans la production de la mangeoire d’oiseaux la plus sophistiquée que produisait cette compagnie. Quatorze employés y étaient impliqués, répartis sur un horaire de trois postes.
Ici encore on a réussi à quantifier et à éliminer les disproportions récurrentes entre les sous-assemblages de la base et du toit, et l’assemblage final de la mangeoire. Les inventaires furent coupés, éliminant le problème de la détérioration des planchettes et qui de plus masquait le problème-clé du fusil de collage des pièces. Les résultats chiffrés des mesures faites furent affichés à la vue de tous. Le travail d’équipe fut valorisé, par exemple par la réduction du travail précaire. Les livraisons de matériel, auparavant quotidiennes, se firent désormais aux deux heures. Les surfaces de plancher occupées furent réduites de quarante pour cent. D’autres interventions suivirent, qu’il serait superflu de résumer ici. Le tout s’étala sur quatre ans, finit par englober l’ensemble des opérations, et aboutit à une production vraiment amaigrie, appréciée de tous semble-t-il : travailleurs, cadres et direction.
Terminons cette recension en signalant deux autres chapitres remarquables et valant le détour. L’un est le témoignage d’un gestionnaire américain ayant longuement travaillé chez Toyota tant au Japon qu’aux États-Unis. L’autre est celui d’une japonaise-américaine ayant fréquenté l’école élémentaire dans les deux pays ; elle souligne que les premières années d’école au Japon visent l’apprentissage à fonctionner non seulement dans un groupe mais aussi en tant que groupe, un aspect important de la pratique du kaizen, selon son expérience subséquente. Somme toute, cet ouvrage est un régal distinctif.