Résumés
Abstract
Before examining many of the myths surrounding the strike phenomenon, the author of this paper feels that the accuracy of the strike figures themselves should be questionned.
Résumé
Chaque année, le ministère du Travail publie un rapport sur le nombre de jours de travail perdus à la suite des grèves. En 1972, le nombre s'établissait à 7,848,360 jours-hommes. Hommes d'affaires et journalistes alarmistes se sont prévalus de ce fait pour réclamer la restriction du droit de grève. Ces propos sont de nature à détourner l'attention des causes véritables des conflits du travail dont la grève n'est qu'une des manifestations.
En fait, le nombre de jours ainsi perdus n'équivaut qu'à deux cinquièmes de un pour cent des heures travaillées. Le temps perdu à cause de la maladie dépasse de beaucoup ce pourcentage. Quant au temps perdu par suite du chômage, on l'estime à plus de sept pour cent. Donc, parce qu'on met l'accent sur les grèves, on en vient vite à considérer qu'il s'agit là d'un problème social et économique plus grave que le chômage et les accidents du travail.
On peut également se demander ce que signifient ces statistiques dans la pratique. Ne sont-elles pas fondées sur des hypothèses dont on peut mettre en doute la valeur ? N'arrive-t-il pas qu'un certain nombre de travailleurs touchés par la grève auraient pu être licenciés, auraient pu tomber malades ou se seraient trouvés entraînés dans un mouvement de ralentissement du travail ? Par ailleurs, il est faux de prétendre que le temps de la grève est toujours irrémédiablement du temps perdu. On le reprend ensuite. Il ne faut pas oublier non plus que certains employeurs cherchent à sous-estimer le nombre des salariés touchés par la grève, alors que d'autres tendent à l'amplifier.
Ce n'est pas là l'aspect le plus important tout de même de la publication de ces statistiques. Parce qu'elles jettent une lumière crue sur une des facettes des relations du travail, elles contribuent à voiler bien d'autres éléments du problème considéré dans toute son ampleur. En réalité, ce ne sont pas tant les grèves qui instituent le vrai « problème », mais les huées et les clameurs qu'elles soulèvent. La presse, avec sa tendance à faire accepter le comportement anormal pour la règle générale et sa recherche ducatastrophisme, contribue à en fausser la signification.
Il est malheureusement impossible de mesurer les pertes de temps et de production causées par l'inefficacité de la direction dont les erreurs font perdre beaucoup plus de temps et baisser bien davantage la production que les grèves.
Il faut aussi se défier de l'importance que certains employeurs donnent aux pertes financières occasionnées par les grèves dont il faut déduire ce qu'ils n'ont pas à débourser en salaires et en achat de matières premières. On sait que certaines entreprises, faisant face à un surplus de production ou à des difficultés financières passagères, savent comment pousser leurs salariés à la grève. En un mot, il n'est pas possible d'évaluer les pertes réelles résultant des grèves et, en autant qu'il s'agit de la production, on peut aller jusqu'à dire qu'un vaccin antigrippe efficace permet d'épargner plus de temps que les mesures antigrèves les plus strictes. On condamne la grève parce qu'on la considère comme un comportement déviant, irrationnel et destructeur, alors que, en réalité, c'est le système industriel lui-même qui fait problème, la grève n'étant qu'une des manifestations de la rébellion contre le système.
En regard de la loi, on considère les employeurs et les travailleurs signataires d'une convention collective comme des parties égales. Mais elles ne sont pas si égales que cela. Le contrat, ramené à son élément essentiel, oblige le travailleur à servir l'employeur. Les travailleurs ne peuvent changer leurs conditions de travail sans l’acquiescement de l'employeur, tandis que ce dernier peut les modifier par voie d'autorité. Il est donc facile pour lui de se réclamer de la sainteté des contrats parce qu'il a rarement l'occasion de les violer.
Voilà pourquoi sous ce système, l'état de conflit apparaît endémique et inévitable. Au partage inégal de l'autorité s'ajoute celui de la distribution des richesses. Ce qui constitue le revenu de l'employé représente un coût que l'employeur s'efforce de minimiser le plus possible, même s'il arrive que les syndicats les plus puissants réussissent à arracher des augmentations de salaires supérieures à celles que l'employeur serait prêt à concéder. Au cours des soixante dernières années, la partdu travail dans le revenu national brut n'a varié que de quelques points, soit de 50 à 55 pour cent.
Il y a deux raisons pour lesquelles les conflits, donc les grèves, continueront d'exister : c'est que, d'abord, des facteurs comme le coût de la vie, le coût des matières premières et la valeur marchande du produit, échappent au contrôle des syndicats et parfois aussi des employeurs ; c'est aussi qu'il n'y a pas de point de saturation qui puisse être atteint pour ce qui est des majorations que souhaitent les salariés. D'ailleurs, sur ce dernier point, la publicité commerciale se charge bien de le leur rappeler chaque jour.
Cependant, même si, dans la plupart des grèves, le conflit porte ostensiblement sur les questions salariales, il ne fait pas de doute que beaucoup d'entre elles sont motivées par le sentiment d'insatisfaction qu'engendre le système lui-même. Il n'y a rien de nouveau dans ce phénomène. Les salariés ont toujours ressenti la dureté, la monotonie et, souvent le danger de leur travail. La seule différence avec le passé, c'est que, depuis quelques années, ils peuvent l'exprimer plus efficacement. Et le régime de la négociation collective tel qu'il est présentement structuré ne peut s'attaquer aux causes psychologiques de conflit. C'est pourquoi la grève dérive toujours vers des questions d'argent. Les travailleurs insistent pour être payés le plus possible non pas pas parce qu'ils placent la question du salaire au-dessus de toutes les autres, mais parce que l'action syndicale, étant ce qu'elle est aujourd'hui, ils ne peuvent toucher qu'au prix de leur travail et non aux conditions et au contenu de leur travail.
Cette situation engendre un mécontentement contre lequel il n'existe aucune valve de sécurité dans le régime actuel de négociation collective si ce n'est la grève, le ralentissement du travail et la « journée d'étude ». Cette situation suscite aussi nombre de réactions individuelles comme l'absentéisme, l'alcoolisme, la paresse, le travail bâclé ou même du vrai sabotage. Ce sont là autant de facteurs qui contribuent à abaisser la productivité beaucoup plus que les grèves et, pourtant, on s'y intéresse assez peu.
C'est une grave erreur que de croire que, parce que le travailleur est forcé de considérer son travail comme une marchandise, il s'attend aussi à ce que sa propre personne soit également traitée comme un objet de commerce. Aussi, trouvera-t-il toujours des moyens d'exprimer son mécontentement, individuellement ou collectivement. Si on impose des restrictions à l'exercice de la liberté collective par l'intermédiaire de son syndicat, il recourra à des méthodes personnelles de représailles.
Tout ceci permet de souligner que les statistiques relatives aux grèves ne sont qu'une mesure imparfaite de l'état de conflit ou de l'état de paix industrielle. Il est donc nécessaire de dépasser le cadre de ces statistiques pour avoir une vue juste de ces états. C'est une hypothèse dangereuse de penser que, s'il n'y avait pas de grèves, la production en serait d'autant accrue.
L'important c'est la suppression de la cause du mécontentement, car il ressort nettement de toutes les études faites sur le sujet que, partout où les travailleurs sont malheureux dans leur travail, ils expriment de quelque façon le malaise qu'ils ressentent, soit en se moquant des règlements et de la discipline, soit en abaissantla quantité ou la qualité de leur production. En fait, il y a une espèce d'interchangeabilité entre les grèves et l'absentéisme, les grèves et le roulement de la main-d'oeuvre. Dans certaines industries, le nombre des grèves tend à décroître à mesure que le taux de roulement de la main-d'oeuvre augmente. Au contraire, lorsque le taux de chômage s'élève, le taux de roulement de la main-d'oeuvre s'abaisse, mais les grèves et l'absentéisme se multiplient.
Les partisans des mesures restrictives en matière de grève s'inspirent de trois écoles de pensée. Pour les premiers, la grève est une déviation et une menace à la stabilité dustatu quo existant ; d'autres estiment que c'est lestatu quo lui-même qui fait problème et que, sans la grève ou d'autres formes de contestation, il ne sera jamais possible de changer la structure inhumaine et antidémocratique de l'industrie moderne ; une troisième école voit dans la grève un élément essentiel des relations du travail et un exutoire aux frustrations et aux ressentiments ce qui les incite à vouloir institutionnaliser l'instrument de la grève.
Considérée sous ce dernier aspect, la grève ne peut que causer une espèce de rupture entre les dirigeants syndicaux et les travailleurs du rang, d'où la naissance du factionalisme, du rejet par les membres des propositions de règlement et la défaite des dirigeants syndicaux à l'heure des élections. Un syndicat qui étouffe le mécontentement des travailleurs perd pour ainsi dire sa raison d'être.
Il n'en reste pas moins que les syndicats sont devenus une partie essentielle du mécanisme de contrôle social et, à ce propos, on peut dire d'une certaine façon que, du fait de leur association avec lespoliticiens et les employeurs dans différents comités ou commissions, ils appartiennent àl'establishment. C'est pourquoi d'ailleurs les employeurs acceptent facilement les clauses de sécurité syndicale. Ces pressions conservatrices ne s'étendent que rarement aux travailleurs du rang dont l'insatisfaction s'exprime par des grèves légales ou illégales, celles-ci étant ressenties comme un instrument révolutionnaire. La fréquence et la durée accrues des grèves au Canada est le symptôme d'un malaise profond.
Si les conflits vont toujours s'intensifiant, c'est que le régime actuel des relations professionnelles est inadéquat, et que ce n'est pas par des restrictions législatives qu'on résoudra le problème. Il s'agit là d'une vue absolument simpliste. Il y a et il y aura toujours dans l'industrie des conflits d'intérêts irréconciliables au sujet du partage des revenus, de la sécurité de l'emploi et de l'exercice de l'autorité.
Cet exposé n'avait qu'un objectif : montrer que la grève est un phénomène social complexe qu'on ne peut expliquer par les statistiques ni régler par l'adoption de mesures restrictives en matière d'exercice du droit de grève. Pour les travailleurs qui déclenchent une grève, la seule solution véritable se trouve dans la transformation du statut du travailleur et de la structure même des entreprises. Mais ce n'est pas pour demain.
Veuillez télécharger l’article en PDF pour le lire.
Télécharger