Relations industrielles
Industrial Relations
Volume 23, numéro 2, 1968
Sommaire (24 articles)
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Les cadres et les directions devant les temps improductifs
Pierrette Sartin
p. 201–220
RésuméFR :
Même quand on a réussi à réduire au minimum le travail nécessaire à la fabrication d'un produit, il subsiste encore de nombreux points qui sont autant de sources de temps perdu, sur lesquelles le travailleur a peu de prise, mais que par de bonnes méthodes de gestion et d'organisation la direction peut en partie éliminer.
EN :
The passage of the traditional society where agriculture was the main activity to our large industrial societies gave an economic value to the notion of time. To win a second in a work process is very economic and is almost always translated in a cost reduction.
The worker is often, if not always, held responsible for reducing or increasing the time of work necessary for the fabrication of a certain commodity. But a deeper study shows the falsity of such an assertion and that the worker has in fact less and less control over his working methods.
Managers and management, however, are responsible for about two thirds of overtime periods (due to the fact a poor study of the product or its fabrication) and of idle time during which no real work is accomplished. Both overtime and idle time are also due to the excessive variety of product and, to lack of standardization in the changes of models. Thus causing stoppages due to small lot production and frequent adjustment of machines...
Overtime and idle time are also caused on the one hand by a bad planning of work and of orders resulting in a lack of raw materials, and on the other hand by breakdowns and installations in bad conditions causing stoppages for both men and materials and thus a certain waste.
In addition to this, in small firms, personnel policies are not sufficient, even often unexisting. Too often managers live and work in pure routine without even thinking of reconsidering their conception of work and their methods.
One will find in a study of the International Labor Bureau that the time of work really necessary in the execution of an operation does not exceed one third of the total existing working time.
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Income Policies in the Light of International Experience : Further Comments
Adolph Sturmthal
p. 221–236
RésuméEN :
It remains that the main problem of an incomes policy as a mean of restraining inflation in a full employment economy is that of the long run. It is, I believe, fair to point out that this problem has hardly been tackled so far and that the tendency to look at incomes policy in the light of temporary emergencies has blocked rather than opened the road to a solution.
FR :
L'expérience prouve que la politique des revenus ne peut pas être considérée comme un des fondements d'un programme anti-inflationiste. Elle n'est tout au plus qu'un mécanisme auxiliaire de courte période.
Il y a eu beaucoup de littérature sur le concept d'inflation due à la poussée des coûts. Mais, en fait, la motivation à tout ce travail est due d'une part à la tendance inflationniste à long terme qui a suivi la seconde grande guerre et d'autre part encore plus aux nombreuses crises de balance des paiements qui ont caractérisé la conjoncture économique durant cette période de croissance qu'ont constitué les deux dernières décades.
Les questions que l'on peut se poser sur la valeur des théories du « cost push » et le manque de clarté quant aux buts poursuivis par une politique des revenus rendent encore plus difficile l'évaluation des résultats d'une telle politique. Une comparaison entre les programmes américains et français illustre ces difficultés.
Il serait bon ici d'insister sur les différences entre les diverses politiques de revenus :
a) disons qu'il semble que notre pays soit particulièrement sensible à l'inflation quoique beaucoup moins au chômage comme la plupart des pays de l'Europe de l'Ouest ;
b) la portée de ces politiques peut différer selon qu'elles visent à influencer exclusivement les salaires ou les autres revenus ;
c) les différences observées peuvent aussi être dues à la multiplicité des méthodes d'approche utilisées.
Résumons les données permettant l'évaluation des diverses politiques de revenu.
TABLEAU I
CHANGEMENTS ANNUELS MOYENS (EN %) DANS LES COÛTS DE TRAVAIL PAR UNITÉ DE PRODUCTION DANS L'INDUSTRIE MANUFACTURIERE
1952-58 1948-65 1952-58 1948-65
Allemagne O. 1.8 3.2 Irlande 1.9 2.3
Autriche 0.7 2.7 Italie — 1.8 2.6
Belgique — 0.4 Norvège 1.4 1.4
Danemark 2.0 3.9 Royaume Uni 3.6 2.3
Etats-Unis 1.2 —0.8 Suède 2.0 2.0
France 4.5 1.2 Suisse — 2.0
Hollande 3.2 3.0
Nous pouvons, à partir de ces chiffres, dégager un certain nombre de conclusions :
a) l'efficacité de la politique des revenus semble s'être atténuée avec le temps ;
b) les restrictions ont perdu de leur efficacité entre la table de négociation et l'atelier ;
c ) l'effet destructeur du « wage drift »sur la politique des revenus est quelque peu incertain ;
d) l'expérience ne démontre pas que les pays avec des politiques de revenus ont mieux réussi que les autres.
Plusieurs politiques de revenus se sont servies de différentes façons de la productivité comme unité de mesure dans la détermination des augmentations de salaires permises. Supposant l'élimination dans les différences d'utilisation de cette mesure, les implications possibles de son utilité ont certaines significations.
a) La première alternative est celle de l'économie concertée. Mais cela ne vaut pas à l'infini.
b) l'action politique syndicale est une autre alternative.
La politique des revenus traite d'un des problèmes fondamentaux d'une société de plein emploi, à savoir sa tendance inflationiste interne.
Après considération des diverses expériences à travers le monde, il reste que le principal problème de ce moyen d'enrayer l'inflation dans une économie de plein emploi est celui de la longue période. Cette difficulté n'a pas encore été surmontée et la tendance à considérer la politique des revenus dans une perspective de courte période a plutôt été défavorable à la découverte d'une solution.
Elaborons quelque peu :
a) il y a eu, dans le domaine des restrictions de salaires et de prix, un divorce entre l'idéologie et l'action ;
b) les politiques de revenus représentent un retour aux méthodes dirigistes des années '30 ;
c) on ignore l'effet en longue période de la politique des revenus sur la productivité
Il semble donc que nous avons traditionnellement considéré notre société de plein emploi de longue période simplement comme une société traditionnelle exempte de chômage substantiel à long terme. Nous constatons de plus en plus que l'absence d'emploi substantiel de longue période peut affecter certaines des bases de nos institutions. Il n'est aucune institution sacrée et même en l'absence d'une politique de revenus l'existence du plein emploi de longue période a radicalement changé l'attitude des syndicats et des employeurs.
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Industrial Unrest in Canada : A Diagnosis of Recent Experience
J. H.G. Crispo et H. W. Arthur
p. 237–264
RésuméEN :
To diagnose the recent wave of industrial unrest in Canada, it is first of all necessary to indentify its characteristics. The two major dimensions of this phenomenon concern the source of union militancy and its illegal manifestations.
FR :
UNE PERSPECTIVE DU MALAISE INDUSTRIEL AU CANADA
Nous pouvons croire au premier abord que le Canada, comme les autres sociétés industrielles libres, a subi la plupart des grandes manifestations du malaise industriel durant les années de croissance économique. Avant de vérifier la vérité de cette croyance, nous nous pencherons sur les deux caractéristiques de la présente vague de malaise qui semble avoir des causes très complexes :
1.—le militantisme spontané des ouvriers du rang ; 2.—le mépris accru de la loi de la part des syndicats.
Mais nous pourrions peut-être dire que ces deux traits sont la rançon de la prospérité.
LE SYNDICALISME, LA NÉGOCIATION COLLECTIVE, LE DROIT ET LES AVOCATS DU TRAVAIL
Le syndicalisme est sans contredit une partie essentielle de l'organisation industrielle d'une société libre. C'est en fait un participant indispensable au processus de la négociation collective. Cependant on ne considère trop souvent que le rôle proprement économique du syndicat, alors que sa plus grande contribution peut aussi bien être dans d'autres domaines.
Si nous considérons le point de vue légal, nous devons noter que le rôle du droit en relations industrielles n'est ni statique ni inévitable. Nos lois du travail soutiennent ce désir que la négociation collective soit une technique pour régulariser les relations industrielles en tentant de balancer le pouvoir entre les deux parties à la négociation. Mais alors que les lois du travail reflètent une pensée contemporaine, la jurisprudence représente un consensus social plus vieux basé sur des divergences de vues au sujet des politiques publiques et des propriétés de la négociation collective. Les politiques plus vieilles penchent vers la protection des entrepreneurs contre l'interférence syndicale alors que la législation contemporaine prone la protection de la négociation collective contre l'hostilité des employeurs.
Tout ceci nous amène à faire quelques remarques sur le rôle de l'avocat en relations industrielles. Même si l'esprit parfois trop juridique des avocats a contribué à empoisonner les relations de travail, ils peuvent, et le font de plus en plus, apporter une contribution à la fois constructive et créative.
LES CARACTERISTIQUES DE LA RECENTE VAGUE DE MALAISE INDUSTRIEL
Pour mieux analyser la récente vague de malaise industriel au Canada, nous devons d'abord identifier plus à fond ses caractéristiques. En plus des deux traits généraux déjà mentionnés, il y en a au moins six autres spécifiques à considérer :
1.—le haut taux de roulement des vieux chefs syndicaux ;
2.—le refus des membres de ratifier les conventions collectives ;
3.—les grèves sauvages ;
4.—les rivalités inter-syndicales ;
5.—la syndicalisation de nouveaux secteurs de l'économie ;
6.—le temps perdu dû aux grèves.
ANALYSE DE LA PRÉSENTE VAGUE DE MALAISE INDUSTRIEL
Dans les lignes qui suivent, nous porterons d'abord notre attention sur les causes du militantisme ouvrier pour ensuite considérer les raisons du mépris qu'ont les syndicats de l'ordre et de la loi.
a)Explication de militantisme des ouvriers du rang
1.—la tendance à toujours demander plus dans notre société d'abondance;
2.—l'inflation et l'élévation du coût de la vie ;
3.—la soi-disant formule Pearson ;
4.—l'insécurité d'emploi ;
5.—le caractère cachotier du patronat ;
6.—la rigidité de la convention collective face aux changements dans les conditions de travail ;
7.—le changement des centres de pouvoir syndicaux et patronaux ;
8.—les accords à long terme ;
9.—le manque d'expérience en négociation collective ;
10.—la croissance du nombre des jeunes membres ;
11.—les facteurs internes au mouvement ouvrier ;
12.—le manque de satisfaction des besoins supérieurs ;
13.—l'élévation du niveau d'éducation ;
14.—le plein emploi ;
15.—les fruits du militantisme ;
16.—le rôle de la direction.
b)Explication du mépris accru des syndicats face à la loi
Ce mépris de la loi doit être placé dans son contexte. Les syndicalistes ont la ferme conviction qu'ils ont peu à gagner et beaucoup à perdre en se soumettant à la loi. Il en serait ainsi dans le cas des délais, piquetages et des injonctions.
Mais il reste que les doctrines développées et administrées par les cours de justice sont souvent rigides et ne répondent pas aux besoins et aux problèmes du régime de négociation collective. Ayant donc perdu confiance dans la loi., les syndicats ont cessé de s'y soumettre. Ceci soulève une question à savoir comment peut-on retrouver la soumission d'antan ? Soit en appliquant la loi à la lettre ou, si cela s'avère inutile, la changer tout simplement.
CONCLUSION
Nous ne prétendons pas avoir apporté une foule de solutions aux problèmes existants. Nous avons seulement tenté de décrire la nature du récent malaise industriel au Canada. Le défi de longue période pour les syndicats serait alors de demeurer à la fois démocratique et responsable.
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Industrial Relations and Technological Change : Swedish Trade Union and Employers’ Views and Agreements
Paul Malles
p. 265–294
RésuméEN :
« An interest organization which limits itself to guarding existing group interests risks becoming petrified in tradition and losing all influence over developments. On the other hand, if an organization accepts change and is able to integrate the group interest within the overall process of development, the aims of the organization will he accepted as progressive and the organization will have the possibility of actively influencing the course of the future. »
FR :
Depuis un quart de siècle, la pensée syndicale en Suède est dominée par la question des changements. Au congrès de 1941 de la Confédération suédoise des syndicats (LO), l'attention a été centrée sur le nouveau rôle des syndicats dans l'Etat-Providence. Au congrès de 1951, l'accent a été placé sur le problème de la politique des salaires dans des conditions de plein emploi et on en est arrivé à un régime centralisé de négociation collective applicable à l'ensemble du pays. En 1961, a surgi la question de changements structurels et technologiques comme pré-requis d'une croissance économique stable et d'une hausse constante du niveau de vie. On a alors commencé à penser que les syndicats ne pouvaient plus se contenter d'accepter passivement le changement, mais qu'ils devaient travailler activement à le stimuler.
Ce n'est donc pas par pure coïncidence qu'au même congrès, la LO a également abordé la question du rôle et de la fonction des travailleurs et de leurs représentants dans la prise des décisions au niveau de l'entreprise. Elle a soutenu que pour accepter une part de responsabilité dans la stimulation des changements, les syndicats devaient nécessairement, au cours de la mise en oeuvre de ces changements, avoir la faculté et l'occasion de protéger les intérêts de leurs membres, non seulement du point de vue matériel, mais aussi des points de vue social et proprement humain.
Cependant, à l'époque, on ne possédait guère de renseignements exacts au sujet de la nature des changements et de leurs conséquences possibles sur les travailleurs. La LO a donc formé un groupe de travail chargé de faire les études nécessaires. Ce groupe a publié son rapport en mai 1966, à temps pour le congrès de la LO de la même année. Il y déclarait que même dans le cas d'une forte accélération des changements technologiques et structurels, les répercussions sur l'emploi en général seraient sans doute assez limitées. Quant aux changements technologiques comme tels, le groupe opinait qu'il était difficile en théorie et impossible en pratique d'isoler la « technologie » des autres causes de changement. Il fallait donc considérer le changement comme un tout complexe, qu'il fût possible ou non de le rattacher à la « nouvelle technologie ».
D'autre part, le groupe signalait qu'un haut niveau général d'emploi peut dissimuler de graves écarts entre les secteurs particuliers et que le changement, même s'il n'a pas de graves répercussions sur l'ensemble de l'emploi, peut avoir des conséquences dramatiques pour certaines entreprises, industries, ou régions géographiques ainsi que pour certains particuliers. La nécessité s'imposait donc d'ajouter comme complément à la politique de plein emploi certains éléments bien choisis de politique active du marché du travail.
Au sujet du rôle de la main-d'oeuvre, le groupe de la LO a formulé diverses recommandations. Les changements technologiques et structurels ne sont pas commandés par des « lois naturelles » et, dans chaque cas, il y a un choix possible. Le travailleur ou employé en tant que salarié doit toujours être au centre des préoccupations et alors la nécessité s'impose d'établir un juste équilibre entre deux facteurs : d'une part, le problème d'adaptation de la part du particulier et, d'autre part, l'accroissement possible de l'efficacité économique. Toutefois, les discussions à ce sujet sont vaines si elles ne tiennent pas compte de tout le processus de la prise des décisions. Les travailleurs ont donc le droit de réclamer de l'administration les renseignements et les données dont ils ont besoin pour juger de leur propre situation ainsi que les conséquences pour eux-mêmes des changements et agir selon les circonstances. Toutefois, il ne leur suffit pas d'être renseignés. Ils doivent aussi avoir la possibilité d'influer sur la façon dont les changements sont effectués et sur les résultats de ces changements. Le groupe concluait donc à l’à-propos d'un accroissement de l'influence des syndicats sur la politique de l'entreprise. « Ainsi l'objectif traditionnel des syndicats d'en arriver à une démocratisation de plus en plus poussée de la vie industrielle gardait toute son actualité ».
La question de la « démocratie économique » préoccupe depuis très longtemps les esprits en Suède, bien que l'expression n'ait jamais été clairement définie. Après la Première Guerre mondiale la « démocratie économique » a été surtout considérée comme un corollaire de la démocratie parlementaire. Cependant, le long règne du parti social-démocratique auquel la majorité des syndicats industriels du pays sont liés organiquement a semblé démontrer l'efficacité du pouvoir politique sur l'économie et graduellement on en est venu à considérer plus précisément comme objectif des syndicats un accroissement de l'influence des travailleurs au niveau de l'administration des entreprises.
Une des grandes caractéristiques du régime suédois de relations industrielles réside dans le fait que les deux parties comptent aussi peu que possible sur la législation, mais cherchent plutôt dans des ententes volontaires conclues par leurs organismes centraux respectifs les moyens de régler leurs conflits. Ces ententes nationales remontent à la première décennie du siècle actuel. Cependant, ce n'est que depuis 1938, alors que, après des dizaines d'années de grands conflits industriels et de menaces d'intervention de la part du Gouvernement, la Confédération suédoise des employeurs ( SAF ) et la LO en sont arrivées à leur fameux « Accord fondamental », que les ententes nationales sont devenues le moyen d'assurer graduellement des cadres institutionnels aux relations patronales-ouvrières. Toutefois, ces accords ne sont pas des ententes collectives proprement dites, mais simplement des recommandations aux organismes affiliés. Ils ne le deviennent que sur ratification par les fédérations et les associations compétentes.
Si l'on fait abstraction de la clause de sécurité de l'emploi contenue dans « l'Accord fondamental » de 1938, la première tentative en faveur de la démocratie industrielle date de l'Accord de 1946 sur les comités d'entreprise. Après quinze années d'efforts de la part des organismes des deux côtés, il a fallu reconnaître que ces comités mixtes de patrons et de travailleurs au niveau de l'entreprise n'avaient guère contribué à l'amélioration des relations patronales-ouvrières. Cette conclusion a été confirmée par des études faites entre 1961 et 1965 par les trois organismes en cause, la SAF, la LO et l'Organisation centrale des employés (TCO).
Du point de vue syndical, le fait le plus inquiétant était que dans la plupart des cas étudiés par la LO les travailleurs se plaignaient de n'être mis au courant des changements importants dans le fonctionnement de l'entreprise et les conditions de travail qu'après la prise de la décision définitive par l'administration.
A la lumière de ces études, les syndicats membres de la LO en sont venus à la conclusion qu'il ne suffisait pas de modifier partiellement de l'Accord sur les comités d'entreprise, comme on l'avait fait jusque là, mais qu'il fallait en arriver à un accord entièrement nouveau.
La Confédération des employeurs a consenti à des négociations en ce sens malgré une certaine crainte, semblait-il, que les syndicats ne soulèvent la question de la codétermination sous une forme de participation plus directe à la haute direction. Il n'en a été rien, cependant. Les négociations entre la SAF, d'une part, et la LO et la TCO, d'autre part, ont abouti à la conclusion, en août 1966, de trois nouveaux accords nationaux :
(i) Un nouvel accord sur les comités d'entreprises, aux termes duquel ces comités sont des organismes mixtes, dont les membres du côté patronal sont nommés par le patron et ceux du côté des travailleurs sont élus par les travailleurs selon des règles établies par le syndicat local. Les comités d'entreprise sont définis comme étant « des organismes de renseignement et de consultation entre le patron et les travailleurs représentés par leur syndicat dans l'entreprise ». L'accord, qui vise à faire de ces comités des éléments réguliers des rouages administratifs de l'entreprise et du processus de décisions, précise en toutes lettres que par renseignement et consultation il faut entendre des renseignements et des consultations préalables.
(ii) Le deuxième des nouveaux accords vient des employeurs. Intitulé « Accord sur les questions de collaboration au niveau de l'entreprise », il établit les principes généraux de la collaboration patronale-ouvrière au niveau de l'entreprise comme principes directeurs des comités d'entreprise. Il prévoit également l'établissement, au niveau national, d'un nouvel organisme représentatif des trois grandes centrales (SAF, LO, TCO ) ayant un double objectif : la recherche et la formation des membres des comités d'entreprise. C'est également cet organisme qui est chargé de diriger et de stimuler l'activité des comités d'entreprise. En outre, il est expressément reconnu que les ententes institutionnelles auront d'autant plus de succès qu'elles seront directement adaptées à la structure administrative particulière de l'entreprise en cause, ce qui laisse aux parties au niveau local le soin d'améliorer, de compléter ou même de remplacer l'accord général sur les comités d'entreprise, sous réserve de l'approbation des organismes compétents au niveau de l'industrie.
( iii ) De longues années d'expérience ayant démontré que la signature d'accords ne suffit pas pour assurer la réalisation du régime des comités d'entreprise, il a été reconnu que la bonne exécution de l'accord exigeait beaucoup de travail de formation des membres de ces comités. Il a donc été convenu par les organismes supérieurs de recommander à leurs filiales de faire de cette formation une partie régulière de l'activité des entreprises et, en particulier, du programme de formation du personnel de la société. La question du coût sera réglée au cours de discussions entre les organismes en cause dans chaque industrie.
Malgré qu'il apparaisse aux syndicats comme « l'événement le plus important dans le domaine de la collaboration patronale-ouvrière depuis l'Accord de 1946 », l'Accord de 1966 sur les comités d'entreprise constitue manifestement un compromis. Il est évident aussi que les nouveaux accords ne visent pas à entraver les droits du patron de prendre la décision finale, même s'il est prévu — ou plutôt que l'espoir soit exprimé — que les décisions touchant la main-d'oeuvre seront prises du consentement général. Une certaine note de scepticisme semble se glisser dans les dernières phrases du Rapport du Groupe de travail au congrès de la LO, où il est dit que « des consultations d'égal à égal ne seront guère possibles tant que sera maintenue dans les ententes collectives la clause accordant aux employeurs le droit exclusif de diriger et de répartir le travail et d'engager et de congédier librement les travailleurs ».
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A Balanced and Broad Approach to Technological Innovations
Félix Quinet
p. 295–316
RésuméEN :
Collective bargaining is a process on which technological change might not only have an impact but a process that should be strengthened through its responses to technological change.
FR :
Une question aussi capitale que celle des transformations techniques dans l'industrie doit être envisagée d'une façon très équilibrée puisqu'il est ici question d'êtres humains et non seulement de machines ; et d'ailleurs si les personnes qui travaillent dans un bureau ou une usine sont raisonnablement satisfaites, cela mène habituellement à une plus grande productivité.
Il conviendrait peut-être d'exprimer cette pensée en des termes plus concrets. On pourrait être tenté, en analysant les conséquences de l'automatisation et des transformations techniques devant des étudiants en sociologie industrielle, par exemple de mettre fortement l'accent sur l'aspect humain de ces phénomènes ; de même, en exposant ces problèmes devant de futurs hommes d'affaires et administrateurs, on pourrait être porté à bien souligner l'aspect « efficacité » des progrès techniques. Une telle approche pourrait avoir ses mérites ; cependant, elle comporte aussi certaines limites parce que ceux dont la profession les amène à se pencher sur le bien-être humain n'ont rien à perdre en prenant conscience du rôle de l'efficacité dans notre économie ; de même, ceux dont l'intérêt professionnel principal est axé sur l'efficacité n'ont rien à perdre en prenant conscience de la dimension humaine de quelques-uns de nos problèmes économiques. En fait, les sociologues qui sont conscients des exigences de l'efficacité et les hommes d'affaires sensibilisés au bien-être humain pourraient bien être de meilleurs sociologues et de meilleurs hommes d'affaires.
Le problème des transformations techniques devrait donc être envisagé d'une façon équilibrée. On devrait aussi l'aborder d'une manière globale. Il n'y a pas que l'industrie et les usines qui soient témoins des innovations techniques. L'instituteur du cours élémentaire ou le professeur du secondaire qui se voit tout à coup dans l'obligation de se familiariser avec de nouvelles techniques d'enseignement ou une nouvelle méthodologie, est, en un sens, en face de transformations techniques. L'économiste dont la formation a porté principalement sur l'analyse des institutions et qui se trouve soudainement en présence d'économistes fraîchement diplômés qui jonglent avec des équations et des modèles économiques, est soumis lui aussi à la pression de l'évolution de l'enseignement ou de transformations d'un certain genre. L'homme d'affaires qui doit toujours être à l'affût des plus récentes techniques comptables, a aussi sa part de pression dues aux transformations techniques. Ces exemples ne sont fournis que pour montrer que les innovations techniques ne sont pas restreintes à l'industrie, mais font partie d'une évolution constante qui envahit tous les domaines.
Quelques questions fondamentales
Pour en revenir plus particulièrement au monde industriel, on pose souvent la question suivante : il y a déjà plusieurs décennies que les transformations techniques sont parmi nous et pourtant il semble que de nos jours on insiste plus que jamais sur elles ; pourquoi en est-il ainsi ? Les spécialistes disent que les genres de transformations dont on a été témoin depuis une décennie se sont succédés à un rythme plus rapide qu'auparavant ; on dit aussi que les transformations technique récentes ont des répercussions profondes sur les besoins de l'industrie en matière de main-d'oeuvre. En termes plus concrets, l'introduction des transformations techniques dans l'industrie s'est généralement traduite par une augmentation considérable dans le nombre des professions spécialisées, techniques et libérales et par une croissance plus lente des groupes professionnels semi-spécialisés et des manoeuvres.
En ayant à l'esprit le besoin manifeste d'une approche équilibrée aux problèmes des transformations techniques, à ce point-ci deux questions fondamentales pourraient être posées. La première est celle-ci : Si l'introduction rapide des transformations techniques signifie que bon nombre de travailleurs, jeunes et vieux, avec beaucoup ou peu d'ancienneté, possédant beaucoup ou peu de capacités, peuvent rapidement devenir inutiles, comment les parties à la négociation collective, syndicat et patron, peuvent-elles trouver des moyens pour atténuer les effets des répercussions des transformations techniques sur la main-d'oeuvre ? La seconde question est celle-ci : Si un employeur ou un homme d'affaires est obligé d'adopter de nouvelles techniques pour pouvoir maintenir sa position concurrentielle, ou même pour pouvoir survivre dans un marché donné, comment le processus de la négociation collective peut-il aider cet employeur ou cet homme d'affaires à adopter une transformation technique dans un délai souhaitable, tout en minimisant les effets défavorables de ces modifications sur la main-d'oeuvre ?
Il est évidemment difficile, sinon impossible de répondre à ces questions de façon catégorique ou globale. Toutefois, certaines informations, fondées sur des études menées au ministère fédéral du Travail, indiquent que syndicats et patrons ont souvent pris des mesures constructives pour répondre au défi des transformations techniques.
L'INCIDENCE DES TRANFORMATIONS TECHNIQUES SUR LES MODALITÉS DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
La mise en oeuvre ou même l'expectative de transformations techniques aura des répercussions non seulement sur le genre de dispositions qui seront incorporées dans les conventions collectives conclues entre patrons et ouvriers, mais aussi sur la façon de négocier ; en d'autres termes, ces transformations auront une influence sur les techniques de la négociation collective. C'est ainsi que l'introduction de machines ou d'un nouvel outillage dans une usine pourrait amener des problèmes qui exigeraient de la part des syndicats et des patrons une approche différente que, par exemple, des problèmes résultant d'une demande d'augmentation de salaire ou d'une demande de majoration dans la prime du poste de nuit. Dans le dernier cas, on peut facilement imaginer que le syndicat et le patron pourraient, au cours d'une séance tendue de négociations, en arriver rapidement à un compromis aux fins d'éviter une grève ou un lock-out imminent, mais il est difficile d'imaginer qu'on puisse discuter des problèmes résultant de l'introduction de machines automatisées ou tout simplement nouvelles, dans la même atmosphère de tension et de pression.
Formulons ici quelques questions qui pourraient être soulevées à la suite d'innovations techniques. Après l'installation du nouvel outillage, combien des emplois actuels deviendront désuets ? Comment pourrait-on rééduquer les gens qui sont actuellement en service, pour remplir les nouveaux postes créés par la nouvelle technique ? Si quelques-uns des employés actuels ne peuvent pas être rééduqués, à quelles sortes d'arrangement peuvent en venir le syndicat et le patron pour s'assurer que ces employés soient mutés à d'autres postes au sein de la firme ou à l'extérieur, là où ils pourraient être employés utilement ? On pourrait multiplier ce genre de questions, mais celles qui ont été posées montrent que les problèmes de main-d'oeuvre, les problèmes créés par la nécessité d'adaptation aux transformations techniques, exigent que patrons et ouvriers se rencontrent régulièrement et collaborent et ne doivent pas recourir à des séances de négociations expéditives et tendues, entendues dans le sens traditionnel.
Incidemment, les gouvernements au Canada ont généralement reconnu ce besoin d'un nouveau genre de relations ouvrières-patronales dans le contexte des transformations techniques. Lorsque, il y a quelques années, le gouvernement fédéral a créé le Service consultatif de la main-d'oeuvre, service qui fait maintenant partie du nouveau ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, l'un des principes-clés de l'établissement de ce nouveau service était que l'on prenne bien à l'avance des mesures appropriées avant de déplacer des travailleurs à la suite de transformations industrielles et techniques. Un autre principe aussi important voulait que là où il y avait un syndicat, ce dernier et la direction devaient se consulter au sujet de l'évaluation des travaux de recherche et des mesures prévues pour l'adaptation aux transformations industrielles. L'on doit ajouter que le gouvernement fédéral fournit une aide concrète et des encouragements aux employeurs et aux syndicats qui consentent à mener conjointement des recherches sur la rééducation de la main-d'oeuvre en prévision des transformations techniques. Plus est, depuis la mise sur pied de ce service, plusieurs employeurs et syndicats partout au Canada ont, avec l'appui concret du gouvernement fédéral, et dans certains cas des gouvernements provinciaux aussi, entrepris des recherches conjointement en prévision des transformations techniques.
Au ministère fédéral du Travail, il y a le Service de la collaboration ouvrière-patronale. L'un des principaux objectifs de ce service est d'encourager les représentants des employeurs et des travailleurs à se consulter régulièrement et à discuter des problèmes de relations ouvrières-patronales qui peuvent être créés lors de l'introduction de nouvelles techniques de production. Il faut souligner ici qu'il n'est pas question de vouloir substituer la collaboration ouvrière-patronale à la négociation collective libre, mais plutôt de faire en sorte que ces deux genres de relations entre patrons et ouvriers soient, dans la plus grande mesure possible, complémentaires.
L'INCIDENCE DES TRANSFORMATIONS TECHNIQUES SUR LES CONVENTIONS COLLECTIVES
Le nombre croissant des dispositions concernant les transformations techniques dans les conventions collectives au Canada
L'on jettera maintenant un bref coup d'oeil sur les conventions collectives conclues récemment afin de se faire une idée de ce qui a été accompli depuis quelque temps par les syndicats et les patrons afin de faire face aux conséquences des transformations techniques. A la suite de recherches continuelles menées par la Direction de l'économique et des recherches sur les dispositions concernant les transformations techniques, il est permis d'affirmer que ce genre de clause apparaît de plus en plus souvent dans les conventions collectives au Canada depuis le début des années 1960. Quoique des études menées en 1961 et en 1962 sur les conventions collectives en vigueur dans les principaux établissements de fabrication au Canada aient révélé que bien peu de conventions contenaient des clauses visant directement et spécifiquement les transformations techniques, des enquêtes récentes ont indiqué que de telles dispositions sont de plus en plus nombreuses dans les conventions. Par exemple, une récente enquête sur les conventions collectives en vigueur dans les industries de l'impression et de l'édition, du fer et de l'acier et du transport par camionnage 1 , a indiqué qu'environ cent vingt dispositions dans les industries des produits du fer et de l'acier et de l'impression et de l'édition faisaient mention de transformation technique, de nouvelles machines ou de nouveaux procédés. Dans la branche du transport par camion, environ 36 dispositions touchaient à des problèmes tels que ceux qui sont causés par les services rails-routes, les locations de matériel et l'affermage des tâches. Il y aurait peut-être lien de mentionner aussi que dans ces trois branches d'activités, l'on a trouvé 142 autres clauses qui avaient un rapport quelconque avec les transformations techniques, sans y faire allusion directement.
Au cours d'une étude encore plus récente effectuée au sein de la division de la négociation collective2 , on a constaté que parmi 471 conventions collectives visant cinq cents travailleurs ou plus dans toutes les industries au Canada, à l'exception de celle du bâtiment, 137, soit trente pour cent, contenaient au moins une clause prévoyant une adaptation à une transformation technique. En tout, il y avait 281 clauses distinctes de ce genre.
En fournissant ces renseignements, certaines observations générale de base doivent être faites. La première a trait à quelques-unes des raisons principales qui ont été invoquées pour expliquer l'apparition de ce nombre de plus en plus grand de clauses portant sur les transformations techniques. Deuxièmement, il est difficile de mesurer l'importance de la transformation technique en cause simplement en étudiant les conventions collectives. La troisième observation porte sur les grands types de dispositions qui ont été relevés. La quatrième observation, qui est aussi une conclusion, est un examen de la signification de ces dispositions pour l'ensemble de notre système des relations du travail.
Voici ce qu'affirmait M. Georges Saunders dans un document qu'il présentait en 1966, intituléTechnological Change and Security of Employment 3:
« Avant 1957, les économies canadienne et américaine jouissaient de hauts niveaux d'emploi et de prospérité sans précédent. Dans une telle conjoncture, la négociation collective visait principalement à répartir les revenus accrus entre les parties... Cependant, le chômage a subi une hausse au Canada après 1957, et entre 1957 et 1964 il a oscillé entre cinq et sept pour cent de la population active. En même temps, l'intensification de la concurrence internationale a stimulé l'industrie canadienne à rechercher des moyens plus efficaces et plus mécanisés de production. L'introduction des nouvelles techniques a été plus massive dans les industries fortement syndiquées. Ces deux faits, le taux élevé du chômage et l'introduction des nouvelles techniques dans les industries fortement syndiquées, se sont conjugués pour exercer de nouvelles pressions sur la négociation collective, ce qui a rendu si difficile la période récente sur le plan des relations du travail... En réponse à ces nouvelles pressions, l'orientation de la négociation collective a changé sensiblement — actuellement on met plutôt l'accent sur la sécurité de l'emploi que sur les hausses de salaires. On a vu surgir des conventions collectives d'avant-garde au Canada et aux Etats-Unis... »
En d'autres termes, il y a lieu de croire que le nombre de plus en plus grand de dispositions portant sur les transformations techniques est rattaché à l'évolution du contexte économique et technique.
On peut mesurer les répercussions des innovations techniques dans les conventions collectives en examinant d'autres dispositions que celles qui se rattachent explicitement aux transformations techniques
L'on vient de dire que le nombre croissant des dispositions portant sur les transformations techniques, incorporées dans les conventions collectives canadiennes, reflète le rythme plus rapide ou la plus grande intensité des innovations techniques dans l'industrie. Par ailleurs on peut émettre l'opinion que les répercussions des transformations techniques dans les conventions collectives pourraient se refléter dans d'autres dispositions que celles qui mentionnent expressément les transformations techniques dont il est question. En d'autres termes, j'estime que la nature des transformations techniques est telle qu'on pourrait s'en faire une fausse idée en essayant d'en mesurer la portée ou l'importance uniquement à partir du nombre des dispositions portant sur elles.
Les transformations techniques pourraient être à la base de bon nombre de dispositions qui ne feraient pas nécessairement et expressément mention du problème qu'elles essaient de résoudre. Par exemple, dans un établissement donné, l'introduction d'outillage automatisé peut mener à l'emploi d'un certain nombre de femmes, ce qui pourrait aboutir à l'insertion d'une disposition de « salaire égal pour un travail égal » dans la convention collective en vigueur dans cet établissement. Cependant, il se pourrait qu'aucune disposition de cette convention ne mentionne expressément l'outillage automatisé comme tel. Dans une autre usine, l'introduction de nouvelles techniques pourrait avoir des effets fâcheux sur un certain nombre de travailleurs âgés ou avançant en âge, dont les compétences pourraient devenir partiellement désuètes, ce qui amènerait peut-être l'insertion d'une clause portant sur la protection des travailleurs âgés dans la convention collective, sans toutefois mentionner expressément les nouvelles techniques. Par conséquent, là où il y a des dispositions qui mentionnent expressément des transformations techniques, on peut supposer que de nouvelles techniques de production ont été introduites dans les établissements en question, mais cela ne donne pas toujours une idée juste et globale de l'importance et de l'ampleur des transformations techniques dans l'ensemble de l'industrie.
Le contenu des dispositions concernant les transformations techniques
L'on examinera maintenant brièvement le contenu des clauses qui ont été étudiées. Ce qui frappe à prime abord c'est le fait qu'il y ait une si grande variété de ces dispositions. Certaines d'entre elles prévoient ce qui a été appelé l'entière sécurité de l’emploi 4 : l'employeur promet qu'advenant une transformation technique ou l'automatisation d'un processus, les travailleurs appartenant à une classe professionnelle ou à plusieurs classes, ne seront pas licenciés à cause de ces transformations. Il y a d'autres clauses qui stipulent que les travailleurs dont l'emploi pourrait être touché par des transformations techniques pourraient tirer profit de programmes de rééducation, de réadaptation, de formation, etc. D'autres dispositions, qui ont été appelées dispositions-tampons, stipulent que si des travailleurs perdent leur emploi à la suite de l'introduction d'innovations techniques l'employeur prendra les mesures qu'il faut pour diminuer les effets pénibles pour les travailleurs de l'interruption de leur contrat de travail. C'est ainsi que l'on voit souvent des dispositions portant sur les allocations de fin de service qui, comme on le sait, constituent une compensation versée aux travailleurs qui perdent leur emploi sans que ce soit de leur faute, travailleurs qui ne peuvent s'attendre à être convoqués de nouveau.
D'autres dispositions prévoyaient une variété d'arrangements ouvriers-patronaux visant à étudier certains problèmes particuliers et à réviser un certain nombre clé mesures rattachées aux transformations techniques. Parmi les questions telles que celles qui se rattachent au personnel affecté au nouvel outillage ou aux taux de salaire à payer aux travailleurs qui doivent faire fonctionner des nouvelles machines, etc., il y en a sans doute qui, par le passé, auraient pu faire l'objet de discussions à la table de négociation. Dans certains cas, il semblerait que de telles mesures fassent maintenant l'objet de discussions permanentes entre le syndicat et le patron au cours de la durée de la convention collective et non seulement à la veille de la conclusion d'une nouvelle convention.
Le fait qu'il y ait des dispositions précises concernant la consultation ouvrière-patronale et l'envoi d'un préavis dans le cas d'une transformation technique, est certes très significatif. Serait-il risqué de supposer que les clauses visant à la consultation ouvrière-patronale laissent entrevoir dans une certaine mesure que la direction est disposée à faire connaître d'avance au syndicat ses projets d'avenir en matière de transformations techniques ? Les clauses qui prévoient l'envoi d'un préavis sont très valables parce que les travailleurs qui peuvent s'attendre à être déplacés pourraient se préparer, avec l'aide du syndicat et de la direction, soit à une mutation à un autre poste au sein de la même entreprise ou à un poste dans une autre entreprise. Il est juste de dire que ce genre de disposition a de bonnes chances de créer un nouveau climat dans les relations entre travailleurs et patrons, un climat appelant un dialogue soutenu et peut-être aussi un meilleur esprit d'appartenance.
Quelques exemples précis de dispositions portant sur les transformations techniques
Parmi les exemples de clauses portant sur les transformations techniques, il y a celui de la convention collective conclue par une agence d'information dans l'ouest du Canada, contenant une disposition stipulant que, au cours de la convention, il n'y aurait pas de licenciement pour des raisons économiques, ou à la suite de la suppression ou de la vente d'une publication. Toujours en vertu de cette convention, on prévoit la formation d'un comité mixte permanent aux fins d'étudier les répercussions de l'automatisation au sein de la société et de faire des recommandations en vue du replacement et de la rééducation possible des employés touchés par ces nouveaux procédés. Finalement, la société promet de fournir l'aide financière nécessaire pour la rééducation des employés.
Il y a aussi l'exemple de la convention collective conclue par une entreprise de l'industrie des produits du fer et de l'acier, où il est stipulé que la société est disposée à aider les employés à obtenir leur diplôme d'études secondaires (12ème ou 13ème année) ou à atteindre un autre niveau d'instruction, sous réserve de certaines conditions précises. Une des conditions mentionnées est que l'employé obtienne des résultats satisfaisants ; à cette condition, la société paiera pour les frais de scolarité à concurrence de 40 pour cent à la fin du premier semestre et de 45 pour cent à la fin de l'année.
Finalement, l'on pourrait vous donner cet autre exemple d'une grande entreprise située dans l'est du Canada qui a conclu une convention collective où figure une clause de rééducation qui, d'après ce qui a été appris, a été élaborée conjointement par la direction de l'usine et le syndicat, au cours d'une période de plusieurs mois et sans qu'il y ait de négociation, dans le sens traditionnel du terme. Aux termes de cette disposition, on fournit une formation en cours d'emploi et on offre de payer les cours suivis le soir dans les écoles professionnelles de l'endroit. La société paie les frais de scolarité et la moitié du coût des manuels; les employés qui travaillent par postes et qui s'inscrivent à ces cours ne travailleront que le jour pendant la durée du cours. Cette disposition, semble-t-ii, a eu beaucoup de succès.
Peut-être serait-il maintenant souhaitable d'examiner sur un plan plus global l'évolution et les dispositions concernant les transformations techniques. Quelle est la signification de ces dispositions en ce qui concerne les relations du travail au Canada?
De même qu'au début de cet article l'on préconisait une approche équilibrée aux transformations techniques comme telles, je recommanderais également d'envisager avec sérénité les dispositions portant sur les transformations techniques.
Les dispositions portant sur les transformations techniques doivent être envisagées dans leur contexte industriel et économique
D'abord, il faut se rappeler que si les « transformations techniques » sont une expression générale et qu'elles correspondent à une réalité très générale dans toute l'industrie, la façon dont les parties à la négociation collective répondront au défi posé par des transformations sera probablement influencée par la nature même de l'industrie où ces changements sont appelés à se produire. L'on pourrait ici poser une question. Serait-il faux de supposer que les problèmes posés par les transformations techniques, notamment en ce qu'ils touchent la main-d'oeuvre, seraient probablement envisagés par le syndicat et le patron d'une fabrique de chaussures d'une façon différente qu'ils le seraient par exemple dans une compagnie de transports aériens ? Alors que dans le premier cas il semblerait raisonnable que l'on donne par exemple aux travailleurs possédant le plus d'ancienneté, le premier choix quant à la rééducation aux fins de la conduite des nouvelles machines, la considération de la durée du service pourrait ne pas être un critère aussi convaincant lorsqu'il s'agit de rééduquer des pilotes pour leur permettre de naviguer les réactés les plus modernes. Certes, l'observation qui vient d'être faite n'est qu'une conjecture et ne sert qu'à montrer que la nature de l'industrie déterminera probablement la façon dont patrons et ouvriers chercheront à résoudre les problèmes occasionnés par les transformations techniques.
Le contenu des clauses portant sur les changements et sur les transformations techniques dépend aussi dans une certaine mesure de l'ampleur des transformations envisagées et de la position économique de la société ou de l'industrie en cause. Se tromperait-on en supposant que dans une industrie où l'automatisation et les transformations techniques sont en train de réduire considérablement le nombre d'emplois disponibles, il se pourrait bien que les clauses portant sur ces questions mettent l'accent sur la sécurité de l'emploi ou sur l'adoption d'un plus jeune âge de retraite ? D'autre part, on pourrait supposer que dans une industrie où les transformations techniques se solderaient par la disparition d'un certain nombre de postes, mais aussi par la création d'un nombre égal de nouveaux emplois, les clauses en vigueur mettraient probablement l'accent sur la rééducation.
D'autre part, serait-il juste de dire qu'au cours d'une période de stagnation économique atteignant l'entreprise ou l'industrie en cause, les dispositions portant sur les transformations techniques mettraient probablement l'accent sur la sécurité de l'emploi, alors qu'au cours d'une période d'expansion économique on insisterait plutôt sur la rééducation pour que les entreprises en question puissent non seulement rééduquer mais aussi retenir leurs employés ? Ces questions ont été simplement soulevées pourindiquer que les dispositions portant sur les transformations techniques ne doivent pas être envisagées de façon isolée, mais doivent être placées dans leur contexte économique et industriel.
Il se peut que ce qui a été dit jusqu'ici ait donné l'impression que les patrons et les syndicats ont résolu de s'adapter aux transformations techniques par l'intermédiaire de la négociation collective — adaptation de la main-d'oeuvre aux nouvelles exigences, adaptation des programmes de formation à la demande de nouvelles compétences, etc. Si c'était le cas, la négociation collective aurait tout simplement tenté de s'adapter aux transformations.
L'aspect dynamique de la réponse de la négociation collective aux innovations techniques
Toutefois, il est certainement permis de penser que syndicats et patrons ont, par l'intermédiaire de la négociation collective, fait beaucoup plus dans plusieurs cas que tout simplement s'adapter aux transformations, parce qu'en s'y adaptant et en prévoyant conjointement ces dernières, on a contribué au progrès et on a amené d'autres innovations.
Ainsi qu'il a été mentionné précédemment, lorsque, dans un contexte de transformations techniques une convention stipule que des cours de base seront offerts aux travailleurs, avec l'appui financier et moral de l'employeur, n'est-il pas vrai que cette disposition particulière peut signifier davantage qu'une simple adaptation à de nouvelles exigences éducatives résultant d'une transformation des techniques dans une usine particulière ? On peut estimer qu'une telle clause peut représenter une nouvelle expérience en éducation des adultes, faire naître chez les travailleurs une nouvelle attitude vis-à-vis de l'éducation et peut aboutir à des expériences fructueuses. Il se pourrait fort bien que l'incorporation de dispositions de ce genre dans les conventions représente une expérience d'une grande signification qui engendrera d'autres transformations et des initiatives semblables ailleurs. De façon plus générale, on pourrait affirmer qu'en répondant au défi des transformations techniques, la négociation collective peut dans certains cas trouver de nouvelles solutions, tenter de nouvelles expériences et, en fait, indiquer la voie à la société dans son ensemble dans l'édification du monde de demain.
S'il est vrai que la négociation collective et les relations du travail peuvent apporter leurs contributions dans le domaine des transformations techniques, l'on se rendra compte qu'il est important non seulement de lire les clauses portant sur les transformations techniques, mais aussi, autant que possible, de se renseigner pour savoir quelles sont celles qui ont eu du succès et pourquoi, afin que d'autres entreprises dans la même industrie puissent tenter des expériences semblables.
Tout en prétendant que la négociation collective et les relations du travail ont été et sont encore l'un des éléments dynamiques contribuant à l'avancement de notre pays, l'on se doit de souligner certains aspects importants de notre système de négociation collective au Canada. C'est par voie de négociations collectives que, dans bon nombre d'industries au Canada, les conditions de travail d'une très grande proportion 5 de travailleurs sont fixées. Au Canada, la négociation collective est fondée principalement sur les relations ouvrières-patronales dans l'établissement, de sorte que les parties à la négociation collective, syndicat et patron, et leurs conventions, se trouvent très près des problèmes locaux, très près des gens et de leurs buts, de leurs aspirations et de leurs inquiétudes. Au Canada, la négociation collective et les conventions collectives qui en résultent, traitent de plusieurs questions qui dans d'autres pays font l'objet de lois. Ainsi la négociation collective est un processus vital de même qu'un mécanisme important et approprié auquel on doit avoir recours dans le contexte des innovations techniques.
L'INCIDENCE POSSIBLE DES TRANSFORMATIONS TECHNIQUES SUR LE RÔLE FUTUR DE LA NEGOCIATION COLLECTIVE
Les transformations techniques pourraient non seulement avoir une influence sur la négociation collective, mais pourraient aussi consolider cette dernière. A cet égard, l'on soulèvera, en guise de conclusion, une dernière question : Se pourrait-il que dans quelques années on dise que les transformations techniques ont eu sur la négociation collective une influence faisant de celle-ci un mécanisme très approprié pour examiner et s'occuper des problèmes d'évolution et de transformation en général et non uniquement pour régler les problèmes de transformations techniques ? Par exemple, serait-il faux d'affirmer qu'en prenant l'habitude de se consulter mutuellement sur les questions de technique, patrons et ouvriers deviendraient mieux préparés à envisager conjointement les problèmes autres que ceux qui sont rattachés aux transformations techniques ?
* Cette traduction a été préparée par le Service de Traduction du ministère fédéral du Travail. Les idées exprimées dans cet article sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement les vues du ministère du Travail du Canada. Cet article est tiré d'une conférence prononcée par l'auteur devant les professeurs et les étudiants du Département d'Administration des Affaires, Université Laurentienne, Sudbury (Ontario), mars 1967. Des extraits de la conférence ont paru dans la Gazette du Travail (septembre 1967), et sont reproduits ici, en tant que parties de l'article, avec l'aimable permission de l'éditeur.
( 1 ) Cette enquête sur les dispositions concernant les transportations techniques a été menée par la Division de la négociation collective de la Direction de l'économique et des recherches, par MM. R. Charlton et E. Vallée, sous notre direction.
(2)Survey of Technological Change Provisions, par M. David Ross, Division de la négociation collective, Direction de l'économique et des recherches, ministère du Travail du Canada, janvier 1967. (Document inédit)
(3) M. GEORGES SAUNDERS,Technological Change and Security of Employment, document présenté à la Conférence sur les lois et les relations de travail, Toronto, 26 mai 1966, p. 3.
(4) Voir « Clauses de conventions collectives concernant les transformations technologiques », par Félix Quinet, dansRelations Industrielles, volume 21, numéro 3.
(5) D'après le rapport annuel (1964) intituléConditions de travail dans l'industrie canadienne, publié par la Direction de l'économique et des recherches du ministère du Travail du Canada, 69 pour cent des ouvriers de l'industrie de transformation sont régis par des conventions collectives ; dans l'extraction des métaux, la proportion atteint 82 pour cent, dans l'extraction du charbon elle est de 92 pour cent et dans le secteur des pâtes et papiers (transformation) elle atteint 89 pour cent.
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Enquête canadienne dans l’industrie de la construction
Dion, Goldenberg & Crispo
p. 317–349
RésuméFR :
Lors du cinquantième congrès annuel de l’Association canadienne de la construction tenu à Ottawa en janvier 1968, on a présenté au public certains travaux effectués lors de l’enquête sur les relations ouvrières dans l’industrie de la construction. Nous donnons ici un résumé substantiel de deux communications. Le texte intégral de toutes les études sera bientôt publié dans un ouvrage en anglais et en français.
EN :
At the Fiftieth Annual General Meeting of the Canadian Construction Association held in Ottawa, January 1968, were presented to the public some studies undertaken by the Canadian Inquiry on Construction Labour Relations. We give here a substantial résumé of two communications. The full text of all the studies will soon be available in a book published in French and English.
Commentaires
Jurisprudence du travail
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Représentation collective et représentation individuelle devant l’arbitre des griefs
Pierre Verge
p. 356–360
RésuméFR :
La Cour suprême reconnaît à un salarié le droit de participer personnellement à la procédure d'arbitrage, dans le cas où le syndicat accrédité doit y soutenir une position, allant à l'encontre de ses intérêts. L'obligation de représenter tous les salariés, qui incombe à l'association accréditée, peut-elle alors vraiment s'accommoder de ce souci d'accorder à l’individu l'occasion de faire valoir lui-même ses prétentions devant l’arbitre?
Informations
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Relations intersyndicales : CSN-FTQ-CEQ
p. 361–367
RésuméFR :
Depuis longtemps des essais de rapprochement ont eu lieu entre les diverses centrales syndicales.Relations industrielles y a déjà fait état 1. Après une phase morte suivie d'agression croissante, la Fédération des Travailleurs du Québec (FTQ), la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN) et la Corporation des Enseignants du Québec (CEQ) ont cherché une solution commune. Nous reproduisons ici une chronologie de quelques faits importants à l’aide de deux textes publiés récemment l’un par la CSN2 et l'autre par la FTQ3. Nous y ajoutons copie du jet préliminaire FTQ-CSN-CEQ en date du 8 mars 1968.
( 1 ) GÉRARD DION, « La CTCC et l'unité ouvrière canadienne » dans Relations industrielles, vol. 12, no 1, 1957, pp. 32-53. GÉRARD DION, « La CTCC et l'affiliation au CTC » dans Relations Industrielles, vol. 13, no 1, 1958, pp. 57-61.
(2) CSN, Le travail du permanent, vol. 4, no 11, 29 mars 1968, pp. 44-45.
(3) FTQ, Résolution d'urgence en appel d'une interprétation de la constitution par le conseil exécutif du CTC, présenté au congrès du CTC, 5-10 mai 1968, pp. 4-6.
Recensions / Book Reviews
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La lutte contre la discrimination dans le travail, Bureau International du Travail, Cours d’éducation ouvrière, Genève, 1968, 218 pp.
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Scientists in Organizations – Productive Climates for Research and Development, par Donald C. Pelz et Frank M. Andrews, John Wiley and Sons, Inc., 1966, xii plus 317 pp.
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La population active et sa structure, Statistiques internationales rétrospectives, volume I sous la direction de P. Bairoch, Université Libre de Bruxelles, Éditions de l’Institut de Sociologie, 1968, 236 pp.
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The Politics of Pure Science, by Daniel S. Greenberg, The New American Library, New-York, 1967, 303 pages.
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Rotation des stocks et marge bénéficiaire à l’américaine, par John P. D’Anna, Entreprise Moderne d’Édition, Paris, 1968, 90 pp.
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Great Myths of Economics, by Dan Paarlberg, The New American Library Inc., New York, 1968, 206 pp.
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La stratégie des négociations collectives, par Denis Carrier, Les Presses Universitaires de France : [Travaux et recherches de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Paris, série « Sciences Économiques », no 5, préfacé par Henri Bartoli, 160 pages, 1967 – 4].
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Ordinateur et décentralisation des décisions, par Max Rouquerol, Entreprise Moderne d’Édition, Paris, 1958, 155 pp.
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L’entretien d’appréciation, par Norman Maier, Entreprise Moderne d’Édition, Paris, 1968, 290 pages
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Comment étudier un problème, par Roland Caude, Entreprise Moderne d’Édition, Paris, 1968, 117 pp.
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Initiation aux nouvelles techniques de gestion industrielle, par André Olmi, Entreprise Moderne d’Édition, Paris, 1967, 60 pp.
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Management and Machiavelli, par Antony Jay, Musson Book Co., Toronto, 1967, 224 pp.
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Comment organiser le classement et les archives, par Giuseppe Continolo, Entreprise Moderne d’Édition, Paris, 1968, 241 pp. Traduit de l’italien par J.-E. Leymarie.