EN :
In the present article, the author outlines the new reality of modern industry; he goes on to advocate the need for new ideas and modified conceptions about labour relations as they exist in our present society. He finally points out the fact that industry must be conceived in terms of a social function.
FR :
Le droit constitue un principe d'ordre dans les rapports sociaux par le fait qu'il régit les actions humaines à l'aide d'un système sous-jacent de préceptes et de règles établis selon la coutume ou imposés par la loi, et dont la société garantit l'application au moyen de sanctions coercitives ou punitives. La fin de tout système juridique, c'est de créer un climat d'harmonie et de sécurité en supprimant les chocs trop violents auxquels pourraient donner lieu les conflits d'intérêts, au moyen de règles limitatives reconnues et acceptées concernant les actions individuelles et sociales. Les normes de comportement, élaborées peu à peu tout au long des siècles, tirent leur origine des idées qu'une société se fait quant à la nature de l'homme, ses facultés et les fins qu'elle assigne à sa personnalité.
La justification, et à la fois, la nécessité de ces limitations imposées à l'action individuelle résident en définitive dans l'incidence de cette action sur la vie des autres membres de la communauté. L'auto-discipline, le contrôle volontaire de soi-même ne sont pas suffisants, seuls, à neutraliser chez l'homme sa cupidité naturelle, ses passions ou son égoïsme, lesquels doivent être assujettis au jugement final de la communauté.
L'industrie, qui résulte de la lutte constante de l'homme aux prises avec son milieu et qui consiste en l'aménagement rationnel de ce milieu en vue de la satisfaction des besoins communautaires, a provoqué la création d'un réseau de relations si complexes qu'elle subordonne en quelque sorte à ses fins tous les autres intérêts des communautés qui en dépendent.
Il est donc de toute nécessité et de toute urgence qu'un certain ordre soit établi au sein du complexe de l'industrie moderne si on ne veut pas qu'une certaine anarchie persiste en ce domaine et conduise éventuellement à la dislocation des fonctions vitales de nos communautés industrielles. Il faut que les excès soient réprimés, que les intérêts indisciplinés soient jugulés, que les actions de groupes soient effectivement réglementées pour le plus grand bien des sociétés. C'est par l'élaboration et l'application systématique des règles du droit que ceci doit s'opérer.
L'industrie a origine dans l'entreprise individuelle, mais cette dernière s'est par la suite transformée en entreprise à responsabilité limitée par la fiction juridique de la personnalité morale. Il faut bien prendre conscience de la différence fondamentale qui existe entre ces deux modes d'entreprises: par le jeu de la responsabilité limitée, une compagnie n'est plus autre chose, essentiellement, qu'une agglomération de capitaux mis entre les mains d'administrateurs en vue de leur meilleure utilisation. Nous pouvons facilement concevoir l'ampleur du pouvoir économique qu'un tel procédé confère à l'entreprise moderne, et les conséquences auxquelles est exposée la vie communautaire tout entière au cas où certains excès en entravent le fonctionnement. C'est dans le domaine des relations du travail que résident bien souvent les causes de ces désordres industriels.
L'histoire des relations du travail présente plusieurs phases d'évolution. C'est vers la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe que les masses laborieuses en Grande-Bretagne se virent octroyer les concessions définitives permettant à leurs organisations syndicales une action collective vraiment libre et reconnue comme telle. Au Canada, comme en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les relations industrielles s'organisèrent en fonction des mêmes principes individualistes selon lesquels chaque partenaire de l'industrie, le patron et l'employé, négociait librement, de personne à personne, tout ce qui n'allait pas au-delà des limites générales imposées aux contrats particuliers. Avec le temps certains principes émancipateurs de la classe ouvrière furent introduits dans le droit du travail, et maintenant le droit d'association, n'étant plus prohibé par le droit pénal, est à la base de la négociation collective dont l'obligation incombe aux parties selon certaines conditions prévues par nos lois de Relations ouvrières.
Six cents ans de luttes ont permis l'élaboration de ces libertés, et la société est en droit de voir à ce qu'elles soient utilisées selon les exigences des règles juridiques qui en conditionnent l'exercice. Il reste toutefois que la grève ou le lockout sont encore trop souvent marqués de cet atavisme de la violence et des épreuves de force hérité d'un âge révolu.
Nous retrouvons malheureusement en relations industrielles, comme dans les autres sphères de l'action sociale, la tyrannie des « slogans » et des mots d'ordre stéréotypés: «notre économie est une économie concurrentielle », «nous ne devons pas abandonner le droit de faire grève», «pas d'arbitrage obligatoire», «l'entreprise privée », etc. On oublie souvent que la réalité ne souffre plus que de telles expressions soient utilisées dans un sens absolu. Les conditions modernes de l'industrie et la dépendance totale dans laquelle le grand public se trouve par rapport à cette dernière, étant donné le caractère de nécessité et d'urgence de ses fonctions, font que leur application trop rigoureuse met en danger la vie communautaire tout entière.
Là réside l'élément distinctif par excellence entre la grève telle qu'elle était conçue et pratiquée au début de l'ère industrielle, et la paralysie qu'elle inflige à des fonctions sociales essentielles dont dépend maintenant à un titre ou à un autre, le reste de la communauté. Considérons pour un instant la notion d'« entreprise privée ». Comment une telle expression peut-elle encore avoir un sens idéologiquement, en face de tout le secteur des services publics de tous ordres où l'entreprise dite « privée » ne peut, ou ne veut pas entrer, ou lorsqu'elle le fait, n'y réussit qu'à l'aide de subsides de l'État, de dégrèvements d'impôts et d'assistance gouvernementale sous différentes formes: assistance technique, assistance en matière de recherches, assistance financière, protection tarifaire, etc.?
L'objection fondamentale à l'utilisation de tels cris de ralliement, c'est la confusion qu'ils créent dans les idées dont la clarté serait pourtant si nécessaire à la solution de problèmes réels et difficiles. Ce qui nous manque avant tout sous ce rapport, c'est l'esprit d'invention nous permettant d'élaborer des concepts nouveaux propres à saisir les conditions actuelles et les formes vers lesquelles notre société évolue. Et l'ennemi par excellence de cet esprit d'invention et des idées novatrices, c'est justement la répétition jusqu'à l'écoeurement, de ces slogans à l'emporte-pièce qui n'ont plus aucune résonnance dans la réalité des choses, et ne riment plus à rien d'actuel. Lorsque des problèmes se posent dans l'industrie et en relations du travail, tâchons de les envisager à leur mérite en toute liberté intellectuelle et sans se laisser circonvenir l'esprit par d'aussi stupides obstacles à l'exercice d'un jugement intelligent et réaliste.
En matière de relations du travail, des procédures de règlement des conflits, de négociation et d'administration existent présentement, mais toute proportion gardée, ils sont d'importance secondaire. L'activité industrielle devient de plus en plus matière à l'intervention gouvernementale car elle est partie intégrante au grand problème social de la distribution du revenu national. Nous avons les vieilles catégories du dividende, de la rente, du profit, des salaires, etc., mais aucun lien organique n'existe entre elles qui puisse répondre aux conditions présentes de notre économie évoluée.
Ce qui accompagne ordinairement les grèves: la violence, la destruction de la propriété, les obstructions de toutes sortes, le piquetage, les boycottages, sont des vestiges de barbarisme utilisés à l'encontre de la propriété privée. Mais l'extrême rigidité de nos concepts de propriété et d'entreprise privée d'une part, ainsi que les revendications des travailleurs en vue d'obtenir une existence plus facile grâce au partage accru des biens matériels, et à une égalité économique et sociale plus vraie, rendent ces manifestations inévitables.
Ces conflits remettent en question le vieux dilemme quant à leur solution: seront-ils résolus par la force ou par la raison? La réponse doit être la même qu'en ce qui concerne tout autre conflit social: c'est la raison qui doit prévaloir, sanctionnée s'il le faut par les rigueurs de la loi; et ceci signifie que des concepts nouveaux et des idées modifiées doivent être élaborés.
En ce qui concerne l'exercice du droit de grève, l'irresponsabilité selon laquelle il est trop souvent utilisé rend nécessaire, dans les cas où l'intérêt public est directement concerné, certaines mesures propres à assurer aux travailleurs en cause, la possibilité de s'exprimer librement sur une telle question. Même si l'opinion publique juge en dernier ressort, le vote au scrutin secret s'impose comme mesure préliminaire essentielle à l'expression des travailleurs concernés.
L'évolution présente de l'industrie, avec l'automation grandissante et les bouleversements qu'elle provoque dans les structures traditionnelles de la main-d'oeuvre, semble rendre possible l'adoption de moyens plus rationnels de traiter ces problèmes. Beaucoup de travailleurs qui ne font pas partie des syndicats à cause de ces pratiques qu'ils répudient, réclament l'arbitrage obligatoire des conflits du travail. C'est la solution que la raison semble devoir imposer.
Une culture sociale plus large devrait nous permettre de concevoir l'industrie présente comme une fonction sociale. Il faut, pour ce faire, opérer un changement dans les attitudes traditionnelles et chacun doit acquérir un sens plus aigu de ses responsabilités envers la société. Seules des règles juridiques dont l'observation doit être constamment rappelée, et sanctionnée par les pouvoirs publics, peuvent contribuer à empêcher la détérioration de ce secteur important de notre société.