Résumés
Summary
In the following essay, the Author analyses the nature of property in the modern business enterprise and the nature of authority. He concludes that, although property may be considered as a legitimate mode of designation of those in authority, it is not the sole foundation. Management's right are not permanently established; they can change and effectively do change with the times and circumstances.
Sommaire
LA PROPRIÉTÉ
Les biens de la création ont pour destination de servir à l'épanouissement de la personne humaine. Leur appropriation privée est légitime et en certains cas nécessaire, que ce soient les biens d'usage ou les biens de production.
Les liens qui existent entre le propriétaire et les biens d'usage sont beaucoup plus étroits que ceux qui existent entre le propriétaire et les biens de production. Car ce sont l'existence et les activités d'une personne qui justifient finalement ses droits de propriété. Plus la zone de propriété d'un homme s'élargit à mesure qu'il s'enrichit et plus on est loin du centre de sa vie personnelle, plus aussi se renforce la mission sociale dont est assortie la propriété et plus doit s'affirmer le respect du bien commun dans l'usage qui en est fait.
Certains biens de production peuvent devenir productifs par la seule action de leur propriétaire. D'autres ont besoin de la collaboration d'un nombre plus ou moins considérable de personnes. Si quelqu'un affecte ses biens à la production d'autres biens, cette propriété devient nécessairement conditionnée d'une façon particulière: soit la nature de l'entreprise, soit la finalité spécifique de l'entreprise déterminée. On ne possède pas de la même façon un paquet de cigarettes, une automobile, une terre, une usine et des actions dans une entreprise. Le droit de propriété sur ces différentes choses ne donnera pas à celui qui le détient les mêmes privilèges et les mêmes responsabilités. La plupart des confusions viennent du fait que l'on transporte des notions valables dans certains cas alors qu'elles ne le sont plus dans d'autres.
L'ENTREPRISE
Une entreprise, c'est la mise en oeuvre de moyens financiers, techniques et humains sous une même direction, en vue d'une certaine production économique pour le marché. Il existe une variété considérable d'entreprises et la propriété n'y joue pas partout le même rôle. Certains caractères essentiels se rencontrent partout; l'entreprise est une entité distincte des personnes qui s'y trouvent; elle a toujours pour but la production d'un bien ou d'un service pour le public et non pas pour les agents de production; elle est communautaire dans le sens qu'elle nécessite un nombre plus ou moins considérable de personnes pour produire.
Dans l'entreprise socialisée, il y a du capital, mais pas de propriété privée.
Dans la petite ou moyenne entreprise, personnelle ou familiale, le capital ou les moyens financiers sont apportés par des personnes qui n'engagent pas seulement leurs biens, mais aussi leur activité. La propriété est identifiée; le lien entre personne et propriété est manifeste. Cependant, dans les entreprises à responsabilité limitée, le patrimoine de l'entreprise est distinct du patrimoine particulier des apporteurs de capitaux.
Dans la corporation, qui nécessite des moyens financiers très considérables, on met sur le marché des actions ou des obligations. Ce qui frappe aujourd'hui, c'est la diffusion des actions entre les mains d'un nombre immense d'actionnaires. Certaines entreprises américaines se vantent d'avoir dépassé le million. Et ce n'est pas tout, il n'y a pas seulement des personnes physiques qui détiennent des actions. Des institutions comme les sociétés de fiducie, les fonds de placement, les fonds de pension, les mutuelles d'assurance, etc., administrent des montants fabuleux dont ils ne sont pas du tout propriétaire et les placent dans l'achat d'actions. Dans ces entreprises dont les actions sont diffusées de cette manière, on cherche en vain l'engagement personnel chez les détenteurs d'actions. Le lien homme-propriété est très faible.
D'ailleurs les actionnaires, s'ils sont propriétaires de leurs actions, ne sont pas pour cela propriétaires de l'entreprise. L'entreprise, la corporation, à strictement parler, n'est pas objet de propriété, même, si comme personne morale, elle peut posséder des biens. Les actionnaires possèdent des titres dont ils peuvent disposer et qui cependant leur donnent des droits dans l'entreprise, droits autres que celui de propriété. C'est à cause de leur droit de propriété sur ces titres qu'ils peuvent avoir le droit de se mêler des affaires de l'entreprise, comme prendre part à l'assemblée générale, désigner les administrateurs, etc.
Dès que l'on sort du cadre de l'exploitation individuelle pour entrer dans celui de l'exploitation en commun, quelque soit le genre d'entreprise, les biens qui s'y trouvent ne peuvent être mis en valeur sans la collaboration acceptée d'autres personnes et, de ce fait, sont grèves de servitudes indépendemment de qui en est le propriétaire, si propriétaire il y a. Et le lien entre personne humaine et biens de production revêt une importance capitale lorsqu'il s'agit d'étudier le rapport entre propriété et autorité dans l'entreprise.
AUTORITÉ ET PROPRIÉTÉ
L'autorité dans l'entreprise est indispensable quelles que soient les formes juridiques ou les régimes économiques. Ce qui peut prêter à discussion, c'est seulement de savoir qui va exercer cette autorité, quelle forme elle peut prendre et quelles sont les limites de ses pouvoirs.
L'autorité est le pouvoir moral de coordonner les activités des membres d'un groupe vers le bien commun. Elle n'est pas un privilège, mais essentiellement une fonction relative à un bien commun. Elle s'exerce sur des « sujets » et non pas sur des « objets ». On administre des choses, on gouverne des hommes. Il faut distinguer entre le fondement de l'autorité, les titulaires de l'autorité, le mode de désignation des titulaires et l'exercice de l'autorité.
C'est toujours le bien commun qui fonde l’autorité. C’est lui qui donne ses pouvoirs, qui détermine la nature, l'étendue et les limites de sa compétence. Cette fonction du bien commun doit être exercée par des personnes. Cela peut être le fait d'un individu ou d'un groupe. Les titulaires sont l'organe de l'autorité. Dans certaines sociétés, il existe un mode naturel de désignation des titulaires de l'autorité. Dans d'autres groupements, elle est laissée à la volonté des hommes.
En général, ces modes relèvent de l'histoire, de la tradition, des coutumes et des lois. Ce qui importe, c'est que soient choisis ceux qui sont les plus aptes à exercer l'autorité. Ainsi, on a vu l'hérédité, le suffrage, l'usurpation, la violence, le hasard, la propriété, etc., être des moyens par lesquels des individus ou des groupes ont eu accès à l'autorité. La médiation effective entre la fin communément poursuivie et les subordonnés est d'une importance si décisive et si prépondérante qu'elle peut normaliser l'exercice de l'autorité, malgré le caractère immoral de l'élément de ce fait initial. En général on peut choisir indifféremment l'un des modes de désignation des titulaires de l'autorité pourvu que l'on en prenne un bon. Ce qui fera leur valeur pour en choisir un plutôt qu'un autre, c'est leur aptitude à désigner les détenteurs les plus compétents, tenant compte de la nature du groupement et de l'état de civilisation dans lequel on se trouve.
Dans la petite entreprise personnelle, l'organe d'autorité est constitué d'un nombre très restreint de personnes qui cumulent les fonctions. Mais dans toute entreprise qui revêt une certaine dimension, dans la corporation, l'organe d'autorité — que l'on appelle la direction, la gérance, le « management » — n'est pas constitué d'une seule personne. Il est lui-même une entité distincte de l'entreprise et des personnes qui en font partie. C'est un corps hiérarchisé dans lequel des fonctions particulières sont attribuées à des individus ou à des groupes d'individus. Et il arrive même que surgissent des divergences d'opinion et des conflits au sein de la gérance entre les diverses fonctions: vente, production, recherche, administration financière, approvisionnement, etc. Les décisions ultimes sont prises collégialement. Comme les personnes qui font partie de la direction ne sont pas toutes sur le même palier de la hiérarchie au sein du corps qu'est la gérance, leurs intérêts légitimes, soit comme individus ou comme groupe, ne sont pas nécessairement ceux de l'entreprise. C'est d'ailleurs ce qui a amené le phénomène du syndicalisme des cadres, sans pour cela que soit mis en cause l'autorité.
Il est évident que la propriété n'est pas et ne peut pas être le fondement de l'autorité. Si la propriété donne un droit sur les choses, par elle-même, elle ne donne aucun pouvoir sur les hommes. Il y aurait abus, scandale, retour à une forme antique d'esclavage et de servage.
S'il n'y avait que des biens à gérer dans l'entreprise, cela ne causerait pas de problèmes. Mais la difficulté survient quand ces biens ne peuvent être administrés sans avoir un effet sur des hommes dont la collaboration est indispensable à leur bonne administration.
En disant que les décisions affectant les biens investis dans l'entreprise reviennent de droit à leurs propriétaires, comme celles qui affectent le travail reviennent aux travailleurs, on n'a rien réglé. Car dans l'entreprise, les décisions affectant les biens ont des effets sur le travail, tout comme celles qui affectent le travail ont des effets sur les biens. C'est donc la nature même de l'entreprise qui exige une organisation de la coopération de plusieurs à la réalisation de la fin commune. Ce qui fondera l'autorité, quels qu'en soient les détenteurs, c'est la fin de l'entreprise. Et ceci, dans quelque régime économique que l'on se trouve.
LA CONVENTION COLLECTIVE
Comme ce sont des hommes libres, vivant dans un pays où l'on n'a pas la conscription du travail, dont on doit obtenir la collaboration, la rencontre, le dialogue, la négociation s'imposent si l'on veut vraiment gagner leur assentiment à l'oeuvre commune. D'ailleurs ceci est reconnu en principe par la loi qui oblige la direction des entreprises à négocier des conventions collectives de travail pour certaines catégories de salariés.
L'introduction du système de la convention collective dans notre régime du travail a, sans que l'on s'en aperçoive, modifié le régime d'autorité dans l'entreprise. L'organe d'autorité n'est plus constitué uniquement de ce que l'on croit encore, mais à tort, des «représentants du capital ». Ce qui démontre que les conceptions courantes sont toujours en retard sur la réalité. De même que dans les grandes entreprises, la gérance est déjà diffusée entre un grand nombre de personnes à des niveaux divers dans la hiérarchie, mais que l'on identifie toujours comme étant de la gérance, ainsi, l'obligation pour les entreprises de reconnaître le syndicalisme ouvrier et de négocier tout ce qui peut affecter les travailleurs a, en fait, inséré partiellement le syndicalisme dans l'organe d'autorité avec un rôle particulier et des fonctions limitées.
Si c'est dans le bien commun de l'entreprise qu'il faut aller chercher le fondement de l'autorité, sa source immédiate vient du consentement, de l'accord entre les agents de production pour travailler ensemble à le réaliser. Le contrat individuel de travail établit le lien entre le travailleur individuel et l'entreprise et l'assujettit à l'autorité selon les termes de l'accord; la convention collective négociée entre la direction de l'entreprise et les représentants de l'ensemble des travailleurs vient déterminer le cadre général de l'exercice de l'autorité et fixer les conditions communes auxquelles tout sont soumis.
L'organe d'autorité (comprenant à des degrés divers tous ceux que nous venons d'inclure) qui a des décisions à prendre ne peut mettre de côté le bien général de l'ensemble de l'économie. Il doit insérer l'entreprise à l'intérieur de l'économie et l'ajuster pour servir toute la communauté. Il doit veiller à ce que les initiatives qu'il prend ne bouleversent pas l'économie ni ne la conduise à la ruine. Jusqu'à ce que l'on ait enfin compris qu'une certaine ordination, une certaine organisation de l'économie s'impose tant sur le plan professionnel que sur le plan national, la responsabilité de la direction de chacune des entreprises est encore plus grande et plus difficile. Les seuls contrôles possibles sont ceux qui viennent de la part de l'État et aussi, indirectement, de la part du syndicalisme ouvrier.
CONCLUSION
On a vu le genre de propriété qui existe dans l'entreprise personnelle ou familiale et dans la grande entreprise ou la corporation. Historiquement, la propriété peut être considérée comme un mode légitime de désignation des titulaires de l'autorité. Dans la petite et moyenne entreprise, individuelle ou familiale, à cause des liens intimes qui existent et parfois la confusion entre l'entreprise et l'apporteur de capital, ce mode s'impose et s'imposera. Mais, dans!a grande entreprise, la corporation, la loi pourvoit au mode de désignation des titulaires de l'autorité et l'on sait que, dans la pratique, le rapport entre la propriété et l'autorité est assez tenu. Les obligataires n'ont rien à voir: les actionnaires sont des sleeping partners qui peuvent difficilement exercer leurs droits. De plus, l'organe d'autorité comprend un nombre considérable de personnes, lesquelles ont peu ou pas du tout de propriété dans l'entreprise.
Quant à l'extension des pouvoirs qui peuvent être attribués à telle ou telle personne ou groupe à l'intérieur de l'organe d'autorité, de même qu'aux modalités de l'exercice de la fonction d'autorité, puisque ce qui compte, c'est l'autorité effective et non pas un pouvoir abstrait, et que d'autre part, on ne peut pas plus forcer les épargnants à investir que de forcer les travailleurs à travailler, leur aménagement concret revient à une question d'accord, de négociation entre les différents participants à la production. Ce que l'on appelle les droits de la gérance n'a rien d'immuable, peut changer et change avec le temps et les circonstances. Tout se ramène à une affaire d'efficacité, d'aptitude à réaliser le bien de l'entreprise dans le respect des droits de tous les participants à la production et du bien commun de l'ensemble de l'économie.