Résumés
Summary
The Author first describes the « contradictory values » which surround collective bargaining and industrial peace, going through a brief analysis of various industrial relations theories: those of Market, Government and Union Participation in Management. He then goes on to distinguish between various manifestations of industrial conflicts—one of which being the strike, which is not necessarily a symptom of « unhealthy » industrial relations. The Author states that government intervention in conflicts of interests must be the exception and must have their justification in each case. He founds his thesis on the on-the-spot study of numerous data collected from the United States, Great Britain, France, Germany and, Sweden.
Sommaire
Le choix d'une ligne de conduite repose fondamentalement sur l'analyse de différents systèmes de valeurs. En matière de relations industrielles, il existe un conflit entre les valeurs contradictoires de la négociation collective et de ce qu'on est convenu d'appeler la paix industrielle.
La négociation collective a été interprétée de bien des manières, tant par ceux qui la pratiquent que par ses théoriciens. Il peut être utile de jeter un coup d'oeil rapide sur les théories les plus couramment admises du processus de la négociation.
TROIS THÉORIES DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
1—La plus simple de ces théories est celle qui considère la convention collective purement et simplement comme UN MARCHÉ. Dans cette optique, le contrat pose les conditions auxquelles le travail sera vendu aux compagnies. Certes, le contrat n'est pas une vente; il ne fait que stipuler les conditions auxquelles les membres du syndicat accepteront de vendre leur travail. Cependant, ceci est sans doute plus un point de droit que de fait. La négociation se termine par une vente aux prix indiquées dans le contrat. Les syndicalistes ont autrefois frayé eux-mêmes la voie à cette interprétation en dénommant ces accords des «liste de prix». L'objet de la négociation collective, par opposition à la négociation individuelle, est d'éliminer les inégalités de forces inhérentes aux relations d'un travailleur isolé avec son employeur.
Selon Selig Perlman, dans sa théorie du mouvement syndicaliste, la négociation collective n'éliminerait pas la rareté des possibilités d'emploi qui est, toujours selon lui, le fait fondamental du syndicalisme, mais elle empêcherait l'employeur d'exploiter la disproportion qui existe entre l'offre de travail et une demande réduite.
La théorie du marché a été extrêmement populaire dans une très grande partie du mouvement ouvrier lui-même, particulièrement parmi les anciens syndicats professionnels; mais elle a aussi trouvé des partisans parmi nombre de penseurs, dont le professeur W.W. Hurt et Henry Simons.
Du point de vue de cette théorie, le droit de grève découle de la liberté du commerce, et toute interférence de l'État dans ce domaine devrait entraîner logiquement des restrictions à la vente d'autres produits et services de l'économie. Les partisans d'une économie libérale devraient être normalement conduits à rejeter les restrictions aux droits de grève et de lock-out, de même qu'ils rejetteraient de telles restrictions dans un marché libre d'un produit quelconque.
La théorie du marché est une vue peu satisfaisante de la convention collective. La vente ordinaire est une opération qui est normalement close lorsqu'elle est accomplie. Certes, elle peut être accompagnée d'une garantie qui prolongera l'obligation entre les parties, mais d'une façon limitée et pour une période déterminée. Il est au contraire de l'essence de la convention collective d'établir une relation permanente entre les parties au contrat, relation qui est d'ailleurs très vivante et très animée, du fait de la procédure des réclamations.
2—La théorie dite du GOUVERNEMENT, dont W. Leiserson fut l'un des protagonistes, vient ensuite. Selon lui la convention collective est la constitution d'une communauté industrielle à maints égards comparable à notre communauté politique et sociale plus vaste. Le contrat collectif est la constitution (la charte) de cette «cité». Chaque partie est investie d'un droit de veto, et des organes de gouvernement sont établis dont l'objet est de faire des lois et de les mettre en vigueur. Dans cette communauté, le législatif, ce sont les comités de revendication, l'exécutif, c'est la direction, et le judiciaire, ce sont les arbitres impartiaux ou les comités paritaires employeurs-employés qui règlent les désaccords. On peut même découvrir des idées qui évoquent le concept de souveraineté nationale: les droits exclusifs de négociation, du côté du syndicat majoritaire, et le droit de contrôle sur les éléments d'actif de la compagnie, du côté de la direction. Il y a à la base de cette théorie le concept d'une autonomie industrielle qui serait partagée par les travailleurs et les patrons, et dont l'exercice en commun présente deux aspects. En premier lieu, de même que sur la scène internationale un condominium est exercé par deux puissances souveraines, ces deux autorités autonomes que sont le travail et le patronat ont un contrôle commun de l'entreprise. En second lieu, cette façon de voir implique que les deux parties, exerçant leur autonomie, unissent leurs forces pour tenir à l'écart toute intervention extérieure, et en particulier celle de l'État.
Dans cette perspective, le droit de grève ou de lock-out est un attribut indispensable de la souveraineté. Mieux, c'est le moyen essentiel par lequel elle s'exprime, ainsi que le droit de veto, que les deux parties doivent posséder pour mener à bien leur condominium industriel.
3—Une autre théorie, qui a rencontré unie faveur croissante parmi les experts, ces dernières années, c'est celle qui considère la convention collective comme étant l'expression de la PARTICIPATION DU SYNDICAT À LA DIRECTION de l'entreprise. La convention collective devient donc une forme d'administration de l'entreprise, une méthode pour prendre les décisions qui la concernent. Le syndicat participe au processus de décision, et ceci, qu'il le souhaite ou non. Il est vrai que le rôle du syndicat dans l'administration de la compagnie va différer suivant l'échelon de l'autorité de décision en question. Aux échelons les plus élevés, le syndicat négocie avant que les décisions soient prises. A des niveaux plus bas, la direction conserve l'initiative, et les syndicats ne peuvent les mettre en question que lorsqu'elles sont déjà prises. Il faut dire aussi qu'en pratique, la plupart des syndicats ont limité leurs préoccupations à une petite portion du domaine des décisions directoriales, c'est-à-dire au domaine des problèmes concernant le personnel. Néanmoins, à l'intérieur de ces limites le syndicat apparaît bien comme un partenaire dans le processus de direction.
Dans cette théorie, le droit de grève est un instrument indispensable dont le syndicat se sert pour renforcer sa revendication d'une participation aux décisions. Alors que les déléguées des actionnaires peuvent diriger parce qu'ils représentent des droits de propriété, le syndicat participe à la direction uniquement à cause et dans la mesure de sa faculté de refus de fournir la main-d'oeuvre.
LES VALEURS QUI CORRESPONDENT AUX THÉORIES
Voyons comment s'établit, dans chacune de ces théories la matérialisation de certaines valeurs sociales que la négociation collective est censée représenter.
1—A la théorie du marché correspond le concept d'équité. La négociation collective est censée équilibrer la force des parties en présence. On obtient ainsi un résultat qui a des chances d'être plus proche de notre concept de l'équité (i.e., de ce qui est juste), que ne le seraient des décisions unilatérales venant soit de la direction, soit du syndicat. Quelles sont les alternatives à la discussion collective, à la lumière de cette notion? Nous en voyons de trois types.
L'exploitation: en l'absence de négociation, une partie ou l'autre, et plus probablement le patronat, atteindra une position assez puissante pour lui permettre de fixer les conditions du travail à sa guise.
Le paternalisme qui peut, ou non, conduire à un arrangement convenable. Il faudra, quant à cela, s'en remettre à ce que le bon père estimera être un accord équitable. Mais la notion d'équité étant malheureusement hautement subjective, il y aura fréquemment des différences d'opinion considérables entre le « père », ses employés, et le reste de la communauté sur ce point. De fait, il est probable que, pour bien des gens, l'équité réside beaucoup plus dans le procédé qui conduit à une décision que dans son contenu. Ceci est vrai, par exempt, de nos instances légales, où la procédure de jugement est, sans contredit, une caractéristique primordiale de ce que nous considérons comme la justice.
L'intervention ou le contrôle de l'État. Une fois de plus, nous rencontrons cette question de l'équité. N'est-il pas inévitable qu'un gouvernement qui intervient fréquemment ou systématiquement dans le procédé de détermination des salaires et des conditions de travail soit accusé, et ce à tort ou à raison, d'avoir pris parti de l'un des antagonistes? Peut-on attendre de l'intervention de l'État qu'elle tombe plus près d'une solution juste et équitable qui soit acceptée par les citoyens en général?
2—Quant à la théorie gouvernementale, et au moins dans une certaine mesure la théorie de la participation à la direction, elles font appel à d'autres valeurs. Pour elles, la négociation est un procédé qui introduira les valeurs de la démocratie dans le monde industriel, qui favorisera la prise de confiance en soi, et qui donnera plus de contenu et de sens au travail.
Les philosophes de la politique ont établi depuis longtemps qu'il existe une relation relativement étroite entre la démocratie et la décentralisation. S'il est vrai que démocratie signifie que les règles doivent être faites par ceux qu'elles gouverneront, il faut faire établir les règles dans l'industrie par ceux qui auront à vivre avec elles, c'est-à-dire par les employés et les patrons. C'est ceux que cela concerne le plus étroitement qui doivent déterminer leur propre destinée. C'est, dès lors, le degré d'intérêts que l'on a dans une situation donnée qui détermine si l'on doit être inclus ou non dans la préparation des règles qui régiront ladite situation.
L'idée de détermination par soi-même est étroitement apparentée à l'idée précédente. Les démocraties, et particulièrement les démocratie libérales, ont une préférence pour le systèmes de participation volontaire, plutôt que pour des méthodes de contrainte, partout où c'est possible. La démocratie repose sur l'action des individus ou des groupes, plutôt que sur la coercition par la loi. Elle rejette le paternalisme, même s'il est équitable, en faveur de la décision autonome par les groupes, et ceci même si le résultat est, comme l'ont noté certains observateurs, parfois moins juste.
Finalement, il y a la tendance à rendre plus de sens au travail par le système de négociation collective. La division du travail, la mécanisation, et les progrès de l'automation enlèvent toute signification au processus du travail industriel moderne, pour le participant individuel. L'ouvrier spécialisé, qui constitue la catégorie prépondérante dans l'industrie moderne, n'est guère qu'un robot devant sa machine. Certains penseurs sociaux ont rêvé le retour à une société artisanale, où le travailleur individuel, qui a réalisé un travail, peut dire que c'est là son oeuvre propre, et en faire une expression de sa personnalité. Dans le monde entier, il y a une tendance vers toujours plus d'industrialisation et vers une mécanisation toujours plus poussée, car ce sont là les conditions nécessaires de l'abondance. Que faire, dès lors, pour donner au travailleur un sentiment de participation à sa vie professionnelle? Le retour à l'artisanat médiéval étant exclu, la négociation collective apparaît comme un moyen possible. L'ouvrier pourrait ainsi au moins avoir son mot à dire, en ce qui concerne son salaire et les conditions de son travail.
Pour réaliser toutes ces valeurs, notre accent essentiel doit dès lors être placé sur la liberté de négociation collective. Toute entorse à ce principe doit être interdite, ou au moins exceptionnelle, car elle viole ces valeurs que nous venons de discuter. Mais personne n'a encore découvert un moyen de conserver une libre négociation collective tout en éliminant les grèves, car sans elles, on aurait peu de résultats effectifs.
PROPOSITIONS FONDAMENTALES
1—Une grève n'est pas forcément l'indication d'un manque de santé dans les relations industrielles. Il y a toute sorte de grèves, de la grève-éclair au conflit normal correspondant à une divergence d'intérêts. Et s'il est vrai que certains de ces types de grève sont plus discutables que d'autres; il nous faut cependant apprendre à considérer le grève comme une simple étape du processus de négociation, dont elle fait partie intégrante.
2—Le conflit industriel a bien d'autres formes d'expression que la grève. L'anxiété et la tension chez l'individu, l'absentéisme, les retards, les ralentissements de production, le sabotage et un taux de renouvellement du personnel anormalement élevé sont quelques-unes des formes possibles d'expression du conflit industriel. L'avantage semble douteux si, pour supprimer une de ces formes, on doit aggraver les autres.
3—Toute l'expérience des nations industrielles modernes semble indiquer qu'avec le développement de systèmes de négociation collective d'une plus grande maturité, la fréquence des grèves tend à diminuer. Mais ceci n'arrive que si la négociation collective peut mûrir, c'est-à-dire si les deux parties peuvent discuter sans crainte d'une intervention systématique de l'extérieur.
LÉGITIMITÉ DE L'INTERVENTION DE L'ÉTAT DANS DE RARES CAS
S'il est vrai qu'en démocratie les règles doivent être faites par ceux que cela concerne le plus directement, il est indéniable que dans certains cas, le public peut avoir aussi son mot à dire au sujet d'un conflit industriel. Et s'il est vrai que la suppression d'une forme de conflit industriel en intensifie d'autres, il faut encore admettre que du point de vue du public, certaines formes de ce conflit sont préférables à d'autres. En d'autres termes, certaines grèves affectent le public dans une mesure que l'on ne saurait négliger. Il se peut bien que le public préfère à une grève importante la guerre des nerfs entre patrons et ouvriers, au sein de l'entreprise. Mais il est bien évident que ces cas doivent demeurer exceptionnels, si nous désirons préserver les valeurs démocratiques, c'est-à-dire un système de négociation collective libre. L'intervention extérieure dans le processus de négociation doit être l'exception qui nécessite justification chaque fois qu'elle se produit. Si elle est régulière et fréquente, cela créera un état d'attente de l'intervention. Le résultat sera que, si l'une des parties espère tirer un bénéfice de l'intervention extérieure, elle ne s'engagera pas dans la négociation normale.
Un examen plus attentif révèle que bien peu de conflits économiques dans une société moderne sont de nature à justifier une intervention étatique. Certes, beaucoup de grèves gênent le public et nuisent au pays; mais s'il fallait chaque fois faire intervenir l'État, nous aurions aboli le libre système des conventions collectives.
En effet, une grève qui ne gêne personne a peu de chances de réussir. Et s'il n'espère pas affecter le fonctionnement d'une ou plusieurs entreprises, et par là même, le bien-être public, aucun syndicat n'entreprendra une grève. Il nous faut donc accepter ces quelques atteintes à notre bien-être comme étant le prix à payer pour de libres négociations collectives. Ce n'est que dans le petit nombre de cas où nous rencontrons plus qu'une gêne passagère, et où la santé et la sécurité du public sont en danger, plutôt que son seul bien-être, que des limitations extérieures à cette liberté semblent se justifier.
Autrement dit, un système démocratique doit choisir ces valeurs de décentralisation, détermination par soi-même et participation des travailleurs à la direction de leurs propres vies, du moins tant que la situation est normale. Et ceux qui désireraient limiter ces droits démocratiques auront la charge de la preuve. Pour exprimer le problème différemment, la paix industrielle est un objectif souhaitable, mais est-ce le plus souhaitable? Elle peut être obtenue au prix de la collusion employeurs-employés contre le public. Ce n'est pas le genre de paix que la plupart souhaiteraient. La paix industrielle peut aussi être obtenue par la suppression du conflit. C'est un système essentiellement autoritaire; c'est la paix du tombeau. Si une telle paix est le bien le plus souhaitable, ce sont les systèmes sociaux de l'Allemagne nazie et de l'Union Soviétique qui semblent les plus proches d'un tel idéal.