Volume 53, numéro 2, 2023
Sommaire (6 articles)
Articles
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La Loi sur la qualité de l’environnement vue sous l’angle du libéralisme et de la Green Legal Theory : un regard critique
Stéphanie Roy
p. 259–296
RésuméFR :
L’adoption de la Loi de la qualité de l’environnement en 1972 (devenue la Loi sur la qualité de l’environnement) répondait à la prise de conscience des problèmes environnementaux sur le plan international, qui avait mené à l’adoption de la Déclaration de Stockholm par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement la même année. Comme la plupart des lois environnementales édictées par les autres pays occidentaux durant cette période, la Loi sur la qualité de l’environnement se fonde sur le paradigme libéral, également à la base des systèmes politique et économique.
Or, le paradigme libéral valorise l’autonomie individuelle, le statut moral supérieur de l’être humain (pour sa faculté de penser), ainsi que la propriété privée. Par le fait même, le libéralisme engendre une vision du monde anthropocentrique qui a fortement contribué à la crise environnementale actuelle. Chaque individu exploite les « ressources naturelles » en recherchant son propre intérêt, parfois au détriment des générations actuelles et futures, ainsi que des écosystèmes.
Les auteur et autrice de la Green Legal Theory critiquent l’approche réformiste du droit de l’environnement qui vise à diminuer la pollution et à rendre les activités économiques plus « éco-efficaces » sans se pencher sur la nécessité de réduire la consommation et la croissance économique qui nécessitent l’utilisation de matières premières. L’État ne devrait pas avoir le double rôle de nourrir la croissance économique et d’en mitiger les effets négatifs sur la population et les écosystèmes. Ces auteur et autrice rappellent donc l’importance d’analyser le droit de l’environnement en tenant compte du contexte dans lequel il est adopté, puisqu’il est impossible d’apporter des solutions efficaces à un problème en se fondant sur les mêmes prémisses qui l’ont engendré. Cet article se penchera sur la question de savoir comment la Loi sur la qualité de l’environnement a reproduit les schémas libéraux critiqués, mais également comment elle les a dépassés, en s’inspirant des critiques formulées par les auteur et autrices de la Green Legal Theory.
EN :
The adoption of the Environment Quality Act in 1972 was a response to the growing international awareness of environmental problems, which had led to the adoption of the Stockholm Declaration by the United Nations Conference on the Human Environment that same year. Like much of the environmental legislation enacted by other Western countries during this period, the Environment Quality Act is based on the liberal paradigm, which also underpins our political and economic systems.
The liberal paradigm values individual autonomy, the superior moral status of human beings (for their ability to think) and private property. By the same token, liberalism engenders an anthropocentric worldview that has strongly contributed to the current environmental crisis. Individuals exploit “natural resources” in pursuit of their own interests, sometimes to the detriment of present and future generations as well as ecosystems.
The authors of the Green Legal Theory criticize the reformist approach to environmental law, which aims to reduce pollution and make economic activities more “eco-efficient” without addressing the need to reduce consumption and economic growth, which both require the use of raw materials. They believe that the State should not have the dual role of nurturing economic growth and mitigating its negative effects on people and ecosystems. These authors therefore reiterate the importance of analyzing environmental law in the context in which it is adopted, since it is impossible to provide effective solutions to a problem by relying on the same premises that gave rise to it. This article will examine how the Environment Quality Act has reproduced and integrated the criticized liberal patterns, but also how it has transcended them, drawing on the criticisms of the authors of the Green Legal Theory.
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Quand l’imprescriptibilité prend corps — la notion de préjudice corporel au regard des violences sexuelles, conjugales et infantiles
Michaël Lessard et Marie-Andrée Plante
p. 297–350
RésuméFR :
L’article 2926.1 CcQ rend imprescriptibles les actions civiles liées aux violences sexuelles, conjugales et infantiles, dans la mesure où elles constituent un préjudice corporel. Or, le critère du préjudice corporel qu’impose cet article soulève plusieurs enjeux lorsqu’il s’agit de déterminer quelles victimes de violences sexuelles, conjugales et infantiles peuvent bénéficier de l’imprescriptibilité de leur action en réparation. Ces enjeux découlent d’une incertitude entourant le concept de préjudice corporel, dont la définition exige qu’un certain seuil soit dépassé pour qu’un acte sur le corps soit considéré comme une atteinte à l’intégrité physique.
Dans cet article, l’auteur et l’autrice cherchent à comprendre ce qui constitue un préjudice corporel aux fins de l’article 2926.1 CcQ. Il et elle proposent une interprétation de la notion de préjudice corporel qui comprend tout préjudice résultant d’une agression à caractère sexuel. Il et elle soutiennent également que le critère du préjudice corporel devrait être retiré en ce qui concerne la violence sexuelle, la violence conjugale et la violence subie pendant l’enfance afin que toutes les victimes visées par les parlementaires lors de l’établissement de l’imprescriptibilité puissent bénéficier de cette disposition.
EN :
Article 2926.1 CCQ makes imprescriptible civil actions related to sexual, spousal or childhood violence, insofar as they constitute bodily injury. However, the criterion of bodily injury imposed by this article raises several issues when it comes to determining which victims of sexual, spousal and childhood violence can benefit from the imprescriptibility of their action for damages. These issues stem from uncertainty surrounding the concept of bodily injury, the definition of which requires that a certain threshold be met for an act on the body to be considered an infringement on physical integrity.
In this article, the authors seek to understand what constitutes bodily injury for the purposes of article 2926.1 CCQ. They propose an interpretation of the notion of bodily injury that includes any injury resulting from sexual assault. They also argue that the criterion of bodily injury should be removed with respect to sexual violence, spousal violence and violence suffered during childhood so that this provision can benefit all victims targeted by parliamentarians during of the establishment of imprescriptibility.
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Réformer la dévolution légale des successions au Québec : de l’Office de révision du Code civil au Code civil du Québec, musicalités et rythmes entourant le statut du conjoint survivant dans la famille
Andréanne Malacket
p. 351–416
RésuméFR :
L’auteure brosse un portrait des discussions entourant le statut du conjoint survivant dans les règles québécoises de dévolution légale, en parcourant les travaux et propositions de réformes menés au cours des années 70, 80 et 90. Elle s’interroge sur la nécessité de réformer la matière afin de rehausser le statut conféré au conjoint survivant et d’inclure le conjoint de fait comme héritier légal. Aussi, elle examine les recommandations formulées par l’Office de révision du Code civil (ORCC) pour ensuite effectuer une brève analyse des Lois 89 et 146 en matière familiale, notamment quant à leur effet sur la dévolution légale, de même que du projet de loi 107 et de la Loi 20 portant sur la réforme du droit des successions. Finalement, elle se penche sur les dispositions du Code civil du Québec qui concernent la dévolution légale, en particulier à l’égard du conjoint survivant, tout en évoquant les recommandations du Comité interministériel sur les unions de fait au regard du conjoint de fait survivant.
EN :
The author pictures the discussions surrounding the status of the surviving spouse in Quebec’s rules of legal devolution, reviewing the work and proposals for reform carried out in the 70s, 80s and 90s. She examines the need for reform to enhance the status of the surviving spouse, and to include the de facto spouse as a legal heir. She also explores the recommendations made by the Civil Code Revision Office (CCRO), and then provides a brief analysis of Bills 89 and 146 in family law and their effect on legal devolution, as well as Bill 107 and Bill 20 on the reform of the law of succession. Finally, she looks at the provisions of the Civil Code of Quebec on legal devolution regarding the surviving spouse, while evoking the recommendations of the Comité interministériel sur les unions de fait towards the surviving de facto spouse.
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L’accès aux procédures judiciaires : de la théorie à la pratique, un enjeu pour la recherche et l’accès à la justice
Édith Perrault et Emmanuelle Bernheim
p. 417–454
RésuméFR :
Le caractère public des procédures judiciaires est constitutionnellement consacré. Or, au Québec, le nombre de jugements publiés est limité et il n’existe pas de procédé unifié permettant d’accéder aux dossiers judiciaires, ce qui explique des divergences de pratiques et de résultats selon les instances, les matières et les districts. Grâce à diverses expériences de recherche, nous avons documenté nombre d’obstacles à l’accès aux dossiers judiciaires, mettant en lumière le fossé qui sépare les garanties constitutionnelles et la réalité sur le terrain. Les délais et les coûts qui en découlent constituent un enjeu pour la recherche et invitent à se pencher sur le principe de la publicité des débats ainsi que sur la valeur scientifique et sociale de ces archives et leur conservation. Considérant leur importance pour la recherche, et plus largement pour l’accès à la justice et la démocratie, nous discuterons de ce que l’inaccessibilité pratique signifie pour les chercheur.e.s et les justiciables.
EN :
The open court principle is a fundamental aspect of our democratic society. The public nature of judicial proceedings is constitutionally protected. However, in Quebec, the number of published judgments is limited, and there is no unified process for accessing court records, which explains the divergence of practices and results across jurisdictions, matters and districts. Through various research experiences, we have documented many barriers preventing access to court records, highlighting the gap between constitutional guarantees and the reality on the ground. The resulting delays and costs are a challenge for research, and invite consideration of the open court principle, as well as the scientific and social value of these records and their preservation. Considering their importance for research, and more broadly for access to justice and democracy, we will discuss what practical obscurity means for researchers and citizens.
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Paroles d’expert.e.s autour de l’affaire Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
Nathalie Chalifour, David Robitaille, Stewart Elgie, Amir Attaran, Justine Bouquier, Sarah Nolasque, Elie Klee et Thomas Burelli
p. 455–488
RésuméFR :
Ce texte revient sur une affaire portée devant la Cour suprême du Canada au cours de l’année 2021 dans laquelle plusieurs provinces canadiennes ont contesté la Loi sur la tarification de la pollution par les gaz à effet de serre, adoptée par le fédéral. Cette loi établit à l’échelle fédérale une norme minimale sur la tarification des gaz à effet de serre dans le but de réduire les émissions du pays et contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Les provinces ont argué devant la Cour que la tarification des gaz à effet de serre ne relève pas de la compétence fédérale en ce que la réglementation des ressources naturelles est une compétence provinciale. Le 25 mai 2021, la Cour suprême du Canada a débouté les trois provinces en validant la compétence fédérale en la matière.
À l’aide d’entrevues réalisées avec des intervenant.e.s dans ce litige, le présent texte donne la parole à Amir Attaran, Nathalie Chalifour, Stewart Elgie et David Robitaille, quatre professeurs qui sont membres du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale (CDEDM) de l’Université d’Ottawa, ayant participé à la défense dans cette affaire historique. Ceux-ci transmettent de manière vulgarisée leur expérience devant la Cour suprême et les arguments qu’ils ont fait valoir pour mener à une décision de la Cour en faveur de la tarification fédérale des gaz à effet de serre. Cette démarche apporte un éclairage intéressant et des informations de première main sur une décision qui constitue un pas de plus vers l’aboutissement de contentieux climatiques au Canada. L’article donne également une perspective très instructive sur le fonctionnement de la Cour suprême et l’organisation des plaidoiries des experts interrogés.
EN :
This text looks back at a case brought before the Supreme Court of Canada in 2021 in which several Canadian provinces challenged the federal Greenhouse Gas Pollution Pricing Act. This law establishes a minimum standard for greenhouse gas pricing at the federal level, with the aim of reducing the country’s emissions and contributing to achieving the objectives of the Paris Agreement. The provinces argued before the Court that greenhouse gas pricing did not fall under federal jurisdiction, as the regulation of natural resources is a provincial area of competence. On May 25, 2021, the Supreme Court of Canada ruled against the three provinces, validating federal jurisdiction in the matter.
Through interviews with stakeholders in the dispute, this text gives the floor to Amir Attaran, Nathalie Chalifour, Stewart Elgie and David Robitaille, four Professors who are members of the Centre for Environmental Law and Global Sustainability (CELGS) at the University of Ottawa, who participated in the defence of this historic case. They convey in simple words their experience before the Supreme Court and the arguments they put forward to lead to the Court’s decision in favour of federal greenhouse gas pricing. This approach provides interesting insights and first-hand information on a decision that represents another step towards the successful outcome of climate litigation in Canada. This article also provides a highly instructive perspective on the workings of the Supreme Court and the organization of the oral arguments of the experts interviewed.