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Volume 46, numéro 2, 2016
Sommaire (7 articles)
Articles
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Publicité des droits et prescription acquisitive : des liaisons dangereuses?
Gaële Gidrol-Mistral et Thuy Nam Tran Tran
p. 303–342
RésuméFR :
L’influence de la publicité des droits sur la prescription acquisitive au Québec est apparue dans toute sa force lors de la réforme du Code civil. Le législateur avait pour ambition de conférer à la publicité des droits une force probatoire qui aurait relégué la prescription acquisitive au second plan. Cette réforme ambitieuse nécessitait une immatriculation des immeubles. En attendant sa mise en place, des dispositions transitoires ont suspendu l’application des règles qui devaient organiser ce système. En 2000, la réforme a été abandonnée et plusieurs articles du Code ont été modifiés ou abrogés. Cette nouvelle situation a entraîné une certaine confusion quant au rôle de la publicité foncière, confusion encore perceptible aujourd’hui. La Cour d’appel du Québec, fin août 2015, a rendu une décision qui s’inscrit dans ce débat, révélant pleinement les liaisons dangereuses que la publicité des droits entretient avec la prescription acquisitive. L’analyse diachronique de cette saga législative permettra de faire la lumière sur le couronnement et l’éclipse de la publicité des droits.
EN :
The influence of the publication of rights on the acquisitive prescription has clearly arisen during the Civil Code reform. The legislator had an ambition to confer the publication of rights a probative force that relegates the acquisitive prescription to a second level. This ambitious reform required an immovable property registration. In waiting for its implementation, the transitional provisions suspended the application of the rule which allows the establishment of the system. In 2000, this reform was abandoned and many provisions in the Code were amended and repealed. This new situation leads to a certain confusion about the role of the publication of rights, confusion always perceptible today. At the end of August 2015, the Québec Court of Appeal made a decision that revealed the dangerous relations between publication of rights and acquisitive prescription. A diachronic analysis of this legislative saga will allow a more comprehensive explanation of the different sides of the publication of rights.
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La notion d’économie du contrat en droit français et québécois
Éric Fokou
p. 343–377
RésuméFR :
Pour la doctrine française, l’économie du contrat constitue l’une des notions prétoriennes les plus influentes en droit contemporain des contrats. Notion à géométrie variable, née en jurisprudence française en 1894, l’économie du contrat fut reprise dès 1919 par les juridictions québécoises. Son essor reste cependant plus significatif en droit français où elle a reçu, depuis lors, une stature constitutionnelle. Cette étude propose, dans une approche systématico-fonctionnaliste, d’examiner les contours et les solutions que la notion inspire à travers le prisme du droit comparé, et présente dès lors un grand intérêt pour la doctrine québécoise où elle demeure encore peu connue.
EN :
According to French doctrine, the economy of contract is one of the most influent judge-made law concept in the modern civil law of contracts. This flowing concept was firstly used in 1894 by French courts followed since 1919 by the Québec courts. However, the influence of the economy of contract is more significant in French law through its consecration by the constitutional judge. This study constitutes an introduction to the concept in comparative law. Therefore, it presents a high interest for the doctrine of contract in Québec where the notion is still unknown.
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L’espace judiciaire pénal CEMAC : regard sur la déterritorialisation du droit pénal
Éric-Adol T Gatsi
p. 379–418
RésuméFR :
Les enjeux liés à la lutte contre la criminalité transfrontalière et le raffermissement du Marché commun ont amené le législateur communautaire à jeter les bases d’un espace pénal commun dans la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (CEMAC). Intervenant dans un domaine où la souveraineté de l’État a longtemps été considérée comme un obstacle à toute harmonisation, la construction de l’espace pénal communautaire est perceptible sur les plans matériel et procédural. Sur le plan matériel, elle se manifeste par une communautarisation des règles pénales au moyen de l’institution d’infractions communautaires assorties de sanctions. Sur le plan procédural, la construction de l’espace pénal commun procède de la consécration, bien qu’imparfaite, du principe de la reconnaissance et de l’exécution mutuelles des décisions judiciaires en matière pénale, d’une part, et d’une procédure de coopération judiciaire qui emprunte progressivement la voie des organes communautaires, d’autre part.
EN :
Issues relating to the fight against cross-border crime and the strengthening of the Common Market led the Community legislature to lay the foundations of a common criminal space in the Central African Economic and Monetary Community (CEMAC). Being an area where State sovereignty has long been regarded as an obstacle to any harmonization, the building of a Community penal space is noticeable on material and procedural plans. On the material side, it is manifested by a communitisation of criminal rules through the establishment of Community offences and matching penalties. On a procedural point of view, the construction of the common criminal space proceeds of the consecration, though imperfect, of the principle of mutual recognition and enforcement of judgments in criminal matters, on the one hand, and a judicial co-operation procedure which gradually takes the path of Community bodies on the other.
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Le fédéralisme coopératif entre territorialité et fonctionnalité : le cas des valeurs mobilières
Noura Karazivan
p. 419–472
RésuméFR :
L’histoire constitutionnelle canadienne, et le fédéralisme en particulier, oscillent traditionnellement entre deux horizons analytiques contrastés : le premier, issu d’une approche territoriale ou dualiste, considère les compétences exclusives comme un terrain à morceler; le second repose sur une interprétation fonctionnelle des chefs de compétence et rejette l’étanchéité du partage des compétences que suppose le dualisme. Celui-ci alimente les écrits de juristes soucieux de préserver une fédération centralisée, où le palier fédéral aurait les coudées franches pour adopter des politiques législatives uniformes et efficaces à travers le pays. De ces deux visions contrastées, le fédéralisme coopératif est l’héritier, un peu désorienté, un peu en quête d’identité. Même s’il est fréquemment associé à une conception plus fonctionnelle du partage des compétences, il demeure balisé, voire astreint, par les limites imposées par le dualisme.
Chacune de ces visions sera explorée dans la première partie de cet article, à travers les écrits de deux figures de proue de l’histoire constitutionnelle canadienne, les juges, doyens et auteurs Jean Beetz et Bora Laskin. Une attention particulière sera portée à la manière dont chacun de ces auteurs a entrevu le fédéralisme coopératif, ses potentialités, ses risques. La seconde partie de ce texte étudie les divers usages du fédéralisme coopératif dans la jurisprudence constitutionnelle canadienne, en distinguant le recours au fédéralisme coopératif dans l’assouplissement de doctrines interprétatives, d’une part, et le recours à ce même principe en présence de régimes coopératifs intégrés, d’autre part. La troisième partie prend le litige des valeurs mobilières pour point d’ancrage, en effectuant, d’abord, un retour sur le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, et en anticipant le rôle potentiel que le fédéralisme coopératif pourrait jouer dans le second renvoi, qui s’est amorcé, à l’automne 2016, devant la Cour d’appel du Québec.
EN :
This paper addresses the tension between the traditionally dualist or ‘territorial’ take on division of powers, on the one hand, and a more functional conception of federalism, on the other hand, and the place of cooperative federalism within that structure. Part 1 will briefly address these two contrasted visions of Canadian federalism, by focusing on the writings of two former Supreme Court Justices, Jean Beetz and Bora Laskin. In particular, this Part will highlight how each author considered the potential, and limitations, of cooperative federalism. Part 2 will draw a portrait of cooperative federalism in Canada, by looking at both judicial cooperative federalism, at play when courts tone down the effect of rigid constitutional law doctrines, and executive cooperative federalism, which inspires Courts’ deference when integrated or interlocked cooperative regimes are challenged. Finally, the last part of this paper will take the securities regulation debate as a focal point for considering the past, and potential, role of cooperative federalism in the second round of litigation which is just starting.
Chronique jurisprudentielle
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Affaire Hillis c Canada (PG) : la Cour fédérale juge conforme au droit interne le dispositif décrié
Mazen Raad
p. 473–501
RésuméFR :
Sous l’impulsion, notamment, d’un certain nombre d’institutions financières canadiennes, mais aussi au vu du contexte national et international de cristallisation des consciences sur les enjeux de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, le Canada a adopté, en 2014, la Loi de mise en oeuvre de l’Accord Canada–États-Unis pour un meilleur échange de renseignements fiscaux qui a, depuis lors, permis la mise en oeuvre de la loi américaine Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes déclarables américains ouverts, au Canada, par des personnes présentant des indices d’américanité. Les premiers échanges de renseignements, qui devaient avoir lieu le 30 septembre 2015, ont été l’élément déclencheur d’une série de contestations judiciaires quelques mois plus tôt, traduisant la double volonté de mettre en cause l’illégalité de ces procédés, y compris de leur assise textuelle, et de contrer l’influence, voire l’extraterritorialité, de la loi FATCA. En témoignent, à juste titre, la procédure judiciaire engagée devant la Cour fédérale du Canada dans l’affaire faisant l’objet du présent commentaire et le jugement qui s’en est suivi.
EN :
In light of the Canadian financial institutions’ concerns, as well as of the fraud and tax evasion issues in both the national and international context, Canada had enacted, in 2014, the Canada–United States Enhanced Tax Information Exchange Agreement Implementation Act that has since been aligned with the American Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), which applies to US reportable accounts held by US persons in Canada. The first exchange of information that took effect on September 30, 2015 was the trigger of a series of contestations which aimed to challenge both the illegality of the automatic exchange of information, including their legal grounds, and the influence and extraterritoriality impact of the FATCA. Self-evidently, the ruling of the Federal Court of Canada in the case under comment reflected these legal challenges.