Corps de l’article

INTRODUCTION

Souvent utilisés par les pédagogues pour aborder des questions difficiles, les livres pour enfants proposent aux jeunes lecteurs, à travers des récits plus ou moins réalistes, des situations problèmes et des modalités de réponses en accord avec le contexte social et les normes culturelles du moment. Cet article s’intéresse à une de ces questions difficiles qu’est le handicap dans des livres qui peuvent permettre aux parents et aux éducateurs d'engager le dialogue avec des enfants dont les destinataires prioritaires, car premiers concernés, sont les frères et soeurs des enfants en situation de handicap.

La littérature jeunesse

Appelée « littérature enfantine » vers 1950, puis « littérature pour la jeunesse », puis encore « littérature d'enfance et de jeunesse », on désigne aujourd’hui par les termes « littérature jeunesse » toutes les publications destinées aux enfants et aux adolescents. Ces publications sont, en France, strictement encadrées par les dispositions de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 modifiée par la loi n° 2011- 525 du 17 mai 2011, dont l’article 2 précise qu’elles :

ne doivent comporter aucun contenu présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère pornographique ni susceptible d’inciter à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, aux atteintes à la dignité humaine, à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants ou de substances psychotropes, à la violence ou à tous actes qualifiés de crimes ou de délits ou de nature à nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral de l’enfance ou la jeunesse.

Au-delà de l’obligation commune du respect de ces prescriptions, les ouvrages destinés à la jeunesse se présentent sous des formes très diverses et remplissent différentes fonctions. Manipulé avec plaisir par le jeune enfant, le livre stimule son attention et sollicite son imagination (Chartier, 2010), raconté par l’adulte, il devient un médiateur de l’échange affectif et verbal (Dupraz, 2005). À travers les récits, la littérature jeunesse remplit, selon Chelebourg et Marcoin (2007) les fonctions de récréation, d'édification et d’éducation. Le divertissement qu’apporte le livre se combine ainsi avec l’acquisition de notions et valeurs et l’apprentissage des normes culturelles (Léon, 2004). Si la littérature jeunesse répond à ce triple objectif, c’est qu’elle est à la fois miroir et filtre : miroir, parce que les enfants se reconnaissent dans les personnages et parce que l’histoire racontée ressemble à la leur (Chartier, 2010 ; Léon, 2004), et filtre en ce qu’elle leur permet de prendre de la distance et de se positionner face à certaines situations (Chartier, 2010; Ørjasaeter, 1981).

C’est par l’identification aux personnages et la projection dans l’histoire que les enfants peuvent trouver des réponses à leurs préoccupations et des propositions pour grandir « certains livres peuvent […] aider les enfants à mûrir c'est-à-dire à voir plus clair en eux et sur leur entourage, à se connaître soi-même à travers les autres. » (Léon, 2004, p. 70). Quand la littérature jeunesse aborde des sujets comme la souffrance ou le rejet que peut engendrer la situation de handicap, le récit fictionnel se révèle une voie privilégiée pour aborder ces problématiques à travers une histoire susceptible de captiver le lecteur par des textes simples, mais sous-tendus par un message à transmettre (Schneider et Mietkiewicz, 2013).

La littérature jeunesse et handicap

L’apparition, notamment aux 19ème et 20ème siècles, d’ouvrages destinés à la jeunesse sur le thème du handicap a fait émerger de nouveaux usages pédagogiques des livres pour enfants (Joselin, 2009; Miet et Recher, 1989). Ces livres peuvent aider les parents, enseignants et éducateurs à aborder la question du handicap ou de la déficience, ils permettent d’en favoriser les représentations et d’en approcher le vécu au quotidien (Schneider et Mietkiewicz, 2013). Plutôt bien documentés et malgré quelques approximations, ces ouvrages tout en pointant sans ambiguïté les déficiences, mettent en évidence les aptitudes des enfants porteurs de handicap et leurs capacités adaptatives (Lemoine, Mietkiewicz et Schneider, 2012). Leur conception peut contribuer à faire accepter aux jeunes lecteurs la différence et à faire évoluer l’image qu'ils ont des personnes atteintes de handicap. La trame des récits interpelle le lecteur et suscite sa réflexion en mettant l’accent sur les réactions négatives (rejet, moquerie, brutalité…) envers l’enfant porteur de déficience, si bien que la littérature jeunesse apparaît comme un support pertinent pour engager le dialogue sur le handicap (Joselin, 2008) et pour soutenir les parents et autres éducateurs dans leur mission.

Les travaux sur les représentations sociales du handicap dans les livres pour enfants, et en particulier dans l’étude de Joselin (2008), attestent de la manière dont ces représentations ont évoluées au cours du 20ème siècle puis au début du 21ème, notamment comment un processus de catégorisation a progressivement conduit à l’émergence de figures spécifiques de héros en situation de handicap, parmi lesquelles l’enfant atteint d’un trouble autistique et l’enfant porteur de trisomie 21, entre autres.

Parce que le lien fraternel est l’objet d’une attention élective des familles, dont un enfant est porteur de handicap (Bert, 2006; Scelles, 2003a, 2003b, 2010), c’est sur cet aspect que l’attention est focalisée.

La littérature jeunesse et handicap : un soutien éducatif pour la fratrie

Les frères et soeurs des enfants porteurs d’un handicap sont très certainement parmi les destinataires prioritaires des ouvrages susceptibles de les orienter vers une construction des représentations culturelles du handicap et de contribuer à leur développement personnel et social. Ces représentations véhiculées par la littérature jeunesse vont accompagner, voire soutenir ces enfants dans la construction du lien fraternel, il nous semble important de les étudier au regard de l’écho qu’elles peuvent trouver dans la littérature scientifique et donc de leur reprise éducative potentielle par les parents et professionnels.

Par ailleurs, plusieurs études sur les fratries de personnes avec handicap – renvoyant à des handicaps aux étiologies diversifiées – mettent en évidence que les conséquences sur la fratrie peuvent précisément varier en fonction du type de handicap. Les études qui ont porté sur l’impact différentiel du handicap d’un enfant ont évoqué, en ce qui concerne l’incidence sur la fratrie, un « avantage » de la trisomie 21 par rapport au syndrome autistique. L’étude de Orsmond et Seltzer (2007) met en évidence que les frères et soeurs des enfants porteurs de trisomie 21 ont plus de contact avec leur frère ou soeur que les adultes dont le frère ou la soeur est atteint d’un trouble autistique, ont un niveau plus important d’affects positifs dans la relation, sont plus optimistes quant à l’avenir de leur frère ou soeur ou encore ressentent moins le risque de voir la relation avec leurs parents affectée. Hodapp et Urbano (2007) montrent également que les fratries des personnes avec trisomie apparaissent avoir davantage de contacts et des relations plus proches et plus chaleureuses avec leur frère ou soeur.

La représentation des relations fraternelles en littérature jeunesse

L’article propose d’examiner quatre grands thèmes relatifs aux représentations des relations fraternelles à l'épreuve du handicap. Ces thèmes prennent appui sur les études relatives aux représentations du handicap en littérature jeunesse qui font apparaitre en particulier un processus de catégorisation conduisant à l’émergence de figures spécifiques de héros en situation de handicap, notamment atteints de trisomie 21 et d'autisme (ci-dessus) et sur les études scientifiques abordant les relations fraternelles (les rappels essentiels ci-dessous).

Dans l’analyse des ouvrages chacun des thèmes est traité en prenant en compte successivement chacun des deux handicaps, puis les comparaisons entre handicaps pour chacun des quatre thèmes dans la partie discussion sont synthétisés.

Ci-après, quelques références relatives aux analyses portant sur la question du lien fraternel « dans la réalité » sont mentionnées. Une comparaison stricte déborderait du cadre possible dans un tel article du fait des problèmes méthodologiques que posent une telle approche tentée par ailleurs au sujet de l’autisme (Lemoine, Mietkiewicz et Schneider, 2016).

L’incidence des composantes structurelles de la fratrie. Les études scientifiques ont montré que les difficultés des frères et soeurs de personnes avec handicap peuvent varier selon la composition de la fratrie, en particulier selon le nombre d’enfants concernés : la présence d’au moins deux enfants en plus de l’enfant avec handicap pourrait protéger la fratrie (Peille, 2005). Les difficultés peuvent également varier selon les âges des enfants et selon leur rang dans la fratrie (Rufo, 2002). S’ils sont nés après l’enfant avec handicap, les frères et soeurs peuvent présenter des difficultés à le dépasser dans ses acquisitions et vivre dans le fantasme d’avoir « récupéré » une partie de l’intelligence que leur frère ou soeur aurait laissée dans le ventre de leur mère (Scelles, 2003b). S’ils sont nés avant leur frère ou leur soeur avec handicap, ils peuvent être amenés à prendre des responsabilités excessives.

Dans quelle mesure les trames mises en oeuvre dans la littérature jeunesse reflètent-elles l’importance de la composition de la fratrie ?

Les difficultés et troubles du comportement du héros porteur d’un handicap comme entrave à la construction du lien fraternel. Les travaux scientifiques mettent en évidence que la naissance d’un enfant avec handicap entraîne un important traumatisme pour sa fratrie (Scelles, Bouteyre, Dayan et Picon, 2007; Schauder et Durand, 2004). Les frères et soeurs présentent souvent des sentiments de honte et des difficultés à assumer le handicap (répondre aux questions, subir le regard et l’intolérance des autres) dans la sphère sociale, qu’il s’agisse de membres de la famille élargie, d’amis, de camarades d’école, de connaissances ou d’inconnus (Carquain et Vaillant, 2008; Déclic, 2009; Scelles, 1997a; Scelles et al., 2007). Les moqueries envers l’enfant avec handicap placent les frères et soeurs dans une position particulièrement inconfortable. En effet, ils ne peuvent ni se mettre du côté des moqueurs sans blesser leur frère ou soeur, ni se placer du côté de leur frère ou soeur sans être rejetés par les moqueurs (Scelles, 1997a). Pour la fratrie, le fait d’avoir un frère ou une soeur avec handicap entraîne une faille narcissique et la crainte d’être assimilée à ce frère ou cette soeur ce qui peut entraîner une tendance à l’introversion et des difficultés à entrer en relation avec les autres (Déclic, 2009).

Quel est l’impact du handicap sur l’expression des émotions de la fratrie observable dans les ouvrages pour enfants ?

La place donnée aux parents dans la construction du lien fraternel.  Pour la fratrie, les répercussions sont directes à tous les moments de la vie quotidienne, mais également indirectes du fait du traumatisme pour le couple parental qui est amené à modifier sa façon de se comporter avec elle (Schauder et Durand, 2004). Les parents consacrent moins de temps et de disponibilité à la fratrie de l’enfant avec handicap (Turnbull et Turnbull, 1990), ce qui peut être perçu comme un manque d’amour, un délaissement, voire un abandon, et entraîner de la jalousie envers leur frère ou leur soeur avec handicap (Déclic, 2009; Restoux, 2004; Rufo, 2002). La fratrie va apporter aide et soutien aux parents et partager des responsabilités relatives à l’éducation et aux soins apportés à l’enfant porteur de handicap (Restoux, 2004; Turnbull et Turnbull, 1990), ce qui comporte le risque de sa « parentalisation » (Carquain et Vaillant, 2008).

De quelle façon les interactions entre les parents et les enfants se structurent-elles dans les ouvrages analysés et comment contribuent-elles à la construction du lien fraternel ?

L’inscription du lien fraternel dans la durée ? À l’âge adulte, plusieurs auteurs (Déclic, 2009; Scelles et al., 2007; Turnbull et Turnbull, 1990) soulignent que la fratrie se pose toutes sortes de questions en lien avec l’avenir et l’avancée en âge, voire le décès des parents : charges à supporter, responsabilités financières, tutélaires, décisions relatives au lieu de vie... Les choix professionnels des frères et soeurs de personnes avec handicap sont fréquemment déterminés, orientés, influencés par leur vécu auprès de leur frère ou de leur soeur pendant l’enfance (Korff-Sausse, 2009; Scelles, 1997b; Scelles et al., 2007; Turnbull et Turnbull, 1990). Leur désir de soigner, comprendre, aider, faire bénéficier des personnes avec handicap de leurs compétences, les conduisent souvent à sublimer en choisissant une profession en rapport avec le handicap. Ils deviendront fréquemment des professionnels de la santé, du médico-social ou de l’éducation spécialisée (médecin, éducateur, enseignant, assistant social, orthophoniste, psychologue ; Korff-Sausse, 2009; Peille, 2005; Restoux, 2004; Rufo, 2002; Scelles, 1997b).

La question du devenir du lien fraternel est-elle abordée dans les livres destinés aux enfants, évoquent-ils une projection dans un avenir lointain ?

MÉTHODE

Définition du corpus

Parmi les nombreux ouvrages destinés à la jeunesse publiés au cours des vingt dernières années qui abordent les questions du handicap, les auteurs ont cherché à isoler tous ceux qui portent explicitement sur la trisomie 21 et les troubles autistiques et qui s’adressent à des enfants de 3 à 12 ans. Ils ont ensuite restreint le corpus basé sur ces deux premiers critères, aux albums et romans dans lesquels le récit fictionnel met en scène de façon explicite les liens entre un personnage porteur de l’un de ces troubles et son entourage familial et social. Autrement dit, l’étude porte sur les albums et petits romans dans lesquels les situations rapportées sont évocatrices de vécus auxquels sont confrontées les fratries des enfants avec trisomie 21 ou autisme.

Les ouvrages du corpus ont été repérés à partir des sources suivantes : sites web dédiés à la littérature jeunesse, sites d’associations concernées par le handicap, réseaux CANOPE[1], consultation de bibliothécaires et libraires spécialisées. La lecture des ouvrages ainsi présélectionnés a permis de vérifier qu’ils traitaient effectivement de trisomie 21 ou d’autisme, de sorte que ces diagnostics soient clairement mentionnés dans le récit, dans le résumé ou les commentaires de l'auteur (par exemple dans des parties intitulées « pour en savoir plus »), ou que les troubles et difficultés rapportés en soient évocateurs sans la moindre ambiguïté. Cette démarche a menés à éliminer les récits qui abordaient la différence, le handicap de façon globale, le handicap mental en général, les syndromes spécifiques non liés à l'autisme (syndrome de Williams...), et les troubles envahissants du développement spécifiques (syndrome d’Asperger et syndrome de Rett). Nous n’avons pas retenu les documents rédigés par le corps médical à dessein d’expliquer les troubles ni les manuels pédagogiques de sensibilisation dans lesquels la trame narrative est absente.

Ceci a permis d’identifié 27 livres qui racontent des histoires à des enfants âgés de 3 à 12 ans dans lesquels un personnage est porteur de trisomie 21, et 25 livres dans lesquels un personnage est atteint de troubles autistiques. Parmi ces livres, 12 livres dans chacune des deux catégories mettent en scène une fratrie : ce sont à ces albums et petits romans que les auteurs se sont exclusivement intéressés. Les informations fournies par les éditeurs, les sites Web, les bibliothécaires permettent de définir trois tranches d’âge des enfants à qui ces ouvrages sont plus particulièrement destinés : 3-5 ans, 6-8 ans et 9-12 ans. Cette classification correspond, dans le modèle de scolarisation français à des lecteurs respectivement de cycles 1 (Petite, Moyenne et Grande Section de Maternelle), 2 (Cours Préparatoire, Cours Élémentaire 1 et 2) et 3 (Cours Moyen 1 et 2, et 6ème en collège).

Les auteurs disposent ainsi de 24 ouvrages ; 12 sur la trisomie 21 et 12 sur l'autisme. Pour faciliter la lecture et distinguer les livres du corpus jeunesse des ouvrages scientifiques, ils ont utilisé une codification à laquelle ils réfèrent dans la suite du texte.

Les livres sur la trisomie sont ainsi numérotés de 1 à 12 dans un tableau (voir Tableau 1) où sont indiqué pour chacun d'entre eux la catégorie d'âge et le cycle pédagogique correspondant. Les ouvrages sur l'autisme, sont quant à eux référencés de A à L (voir Tableau 2).

Ainsi, le corpus se constitue de : cinq ouvrages destinés à des jeunes enfants âgés de 3 à 5 ans (trois sur la trisomie [1, 5, 10] et deux sur l'autisme [H, J]); de 12 ouvrages destinés à des enfants âgés de 6 à 8 ans (trois sur la trisomie [2, 3, 8] et neuf sur l'autisme [A, B, D, F, G, I, K, L]); et de huit ouvrages destinés à des jeunes adolescents (six sur la trisomie [4, 6, 7, 9, 11, 12]; et deux sur l'autisme [C, E]).

L’édition originale de ces livres est très majoritairement en langue française (18 édités en France, quatre au Québec) : deux sont traduits  de l’allemand [9] et de l’espagnol [B]. De plus, 22 ouvrages ont été publiés au 21ème siècle et deux seulement datent du siècle dernier [7 et L]. Le rythme de publication des ouvrages est régulier et similaire dans les deux sous-catégories.

Élaboration d’une grille de lecture

Afin de systématiser leur approche des ouvrages du corpus par une procédure d’analyse de contenu thématique, les auteurs ont mis au point une grille de lecture qui leur permet de relever de manière précise un ensemble d’indications relatives aux points suivants. Les caractéristiques des enfants (âge, sexe, prénom) ont d’abord été relevées ; concernant les enfants porteurs de handicap, les auteurs s’attachent à leurs particularités physiques éventuelles (dans le texte et l’iconographie), aux indicateurs de leur développement cognitif (difficultés, retard, « talents » spécifiques) et émotionnel et social (traits de personnalité, manifestations d’affection, réponses comportementales).

Tableau 1

Corpus des ouvrages de littérature jeunesse analysés portant sur la trisomie 21[2]

Corpus des ouvrages de littérature jeunesse analysés portant sur la trisomie 212

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Tableau 2

Corpus des ouvrages de littérature jeunesse analysés portant sur l'autisme

Corpus des ouvrages de littérature jeunesse analysés portant sur l'autisme

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Pour saisir les particularités des relations qu’entretiennent ses frères et soeurs avec l’enfant porteur de trisomie ou autiste et leurs parents, les auteurs ont considéré la dynamique narrative des ouvrages afin de respecter la complexité des positionnements et de tenir compte de leurs évolutions au fil des événements qui contribuent à les révéler. Chacun des livres a été lu plusieurs fois et mis en fiche par au moins deux d’entre nous de manière à assurer l’accord sur le relevé des éléments pertinents et en permettre une interprétation fondée.

RÉSULTATS COMPARATIFS

L’ensemble des ouvrages est analysé au regard de quatre questions. Dans un premier temps, les auteurs évoquent les caractéristiques générales des fratries (taille de la fratrie, sexe des frères et soeurs, place des frères et soeurs typiques dans la fratrie...), puis la construction du lien fraternel, l’impact des relations parentales sur ce lien et enfin le devenir des relations avec l’enfant porteur de handicap.

Les composantes structurelles de la fratrie

Les fratries sont, très majoritairement, de type « duelles ». Elles le sont presque exclusivement (11/12) dans les ouvrages traitant de l'autisme (voir Tableau 3).

Les fratries d'enfant avec trisomie sont parfois plus nombreuses; dans ce cas, les trames narratives privilégient une relation élective entre l’enfant avec trisomie et un frère ou une soeur héros de l’histoire, les autres frères et soeurs restant périphériques, voire seulement mentionnés : alors que Lili [5] se préoccupe beaucoup de son petit frère porteur de trisomie « à la maison, le grand frère et la grande soeur, ne s'occupent pas beaucoup de Doudou-Lapin. Ils partent à vélo avec leurs copains ou bien ils s'enferment dans leurs chambres en disant qu'ils ont des devoirs à faire ». Dans les cinq ouvrages où sont mentionnés plusieurs frères et soeurs, une attention est apportée, dans la suite du texte, sur ce frère ou cette soeur qui occupe une place centrale de héros dans le récit et qui entretient une relation privilégiée avec l’enfant porteur de handicap.

Parmi les 48 personnages héros, on compte pratiquement autant de garçons (25) que de filles (23) (voir Tableau 4), mais il y a davantage de soeurs que de frères (14 vs 10), surtout pour les ouvrages sur la trisomie. Les soeurs s’avèreraient-elles un public cible de ces ouvrages ? Seraient-elles davantage représentées comme porteuses des questionnements suscités par les situations de handicap ?

Par contre, il y a davantage de garçons en situation de handicap que de filles (15 vs 9), surtout en ce qui concerne l'autisme (8 vs 4). Rappelons que la prévalence de l'autisme serait 3 à 4 fois plus élevée chez les garçons que chez les filles.

Le frère ou la soeur de l’enfant porteur de handicap jouant un rôle majeur est majoritairement l’aîné(e). Dans les fratries multiples, il occupe à deux reprises une place intermédiaire (une fois plus jeune et une fois plus âgé que l'enfant avec handicap). Mentionnons la présence de jumeaux dans un ouvrage sur la trisomie (deux « vraies » fillettes jumelles) et un sur l'autisme. La comparaison entre deux oisillons, de même âge, est faite à plusieurs reprises ; l'allusion à la gémellité par l'auteur n’est donc probablement pas fortuite (voir Tableau 5).

Dans les ouvrages sur l'autisme, les frères et soeurs occupent des places non spécifiques alors que dans les ouvrages sur la trisomie, le frère ou la soeur occupe la place d'aîné dans 2/3 des cas. Mentionnons que le facteur de risque principal pour la trisomie est l'âge maternel, dès lors les enfants porteurs de trisomie sont souvent les derniers des fratries.

Tableau 3

Taille de la fratrie

Taille de la fratrie

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Les difficultés et troubles du comportement du héros porteur de handicap : une entrave à la construction du lien fraternel ?

La construction du lien fraternel dans les ouvrages sur la trisomie. Des places, des comparaisons et la confrontation à la différence : tristesse, colère et détresse. La question des places respectives de l'enfant avec trisomie et de son frère ou de sa soeur typique est interrogée par la fratrie, comme l’exprime Clément [11] : « Il a deux ans de plus que moi. Il fait moins que son âge », « sur l’état civil, je suis le deuxième; dans la vraie vie, il faut reconnaître que je suis souvent le premier » et l’absence de correspondance entre l'âge de développement et l’âge réel génère une certaine confusion (« mon grand petit frère »). Dans d’autres récits, c’est l’enfant avec trisomie lui-même qui réalise que son puîné a des compétences qu’il n’a pas; c’est lui, personnage principal, qui constate [2] : « Souvent Elsa raconte la fin : elle sait déjà lire »; « Parfois, quand elle me parle, je me dis que de nous deux, c’est elle la plus grande ».

Les frères et soeurs, confrontés à la différence, éprouvent de la tristesse. Cette tristesse s’exprime de différentes façons comme le souligne ce passage [5] : « Enfin, Lili-Lapin est presque heureuse. Parce que, quelquefois, elle a des soucis, des colères et des chagrins à cause de doudou-lapin ». Cette tristesse se manifeste notamment lorsque des frères ou soeurs sont confrontés aux difficultés cognitives de l'enfant avec trisomie, par exemple [2] : « Elsa pleure et moi je suis triste » ; parfois il s’agit de frères et soeurs typiques de leurs amis [5] : « Le petit frère de son amie Margot-Blaireau, lui, il dit déjà des tas de mots ». Cette différence renvoie aussi à la question de la « place » mentionnée précédemment, avec le sentiment que cet enfant porteur de trisomie n'occupe pas son rang dans la fratrie du fait du décalage entre ses âges chronologique et développemental [6] : « En fait de dessin, j'aperçois des espèces de têtards difformes qui se promènent sur une feuille zébrée de coups de crayons en tous sens », « un gamin de cinq ans ferait mieux que ça, j'en suis sûr ! ». Dans d’autres occasions, la trame de l’histoire illustre que l’enfant avec handicap ne progresse pas : [6] « J’ai l’impression… qu’il n’apprend rien et n’apprendra jamais rien »; [7] « mais tu sais comme moi qu'Émilien, n'est pas un frère ordinaire. Je l'adore Émilien. Mais il est comme un bébé et il va toujours le rester ».

Tableau 4

Sexe de l'enfant avec handicap et du frère ou de la soeur héros

Sexe de l'enfant avec handicap et du frère ou de la soeur héros

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Cette tristesse est également la conséquence du regard porté par les autres sur le handicap [9] : « Normale, Alice ne l'est pas. Même si pour moi, elle est aussi normale ou différente que n'importe qui. Cependant, aux yeux du reste du monde, c'est une handicapée mentale, je dois bien l'admettre ».

Les frères et soeurs peuvent éprouver de la colère vis-à-vis des comportements de l'enfant avec trisomie lorsque celui-ci les accapare [8] : « J'en ai marre de cette soeur. Elle nous colle tout le temps ! »; [7] : « Émilien, c'est une vraie tâche. Un vrai pot de colle ! », « et quand il n’est pas collé à moi, il fouille dans mes affaires »; [6] : « Ma porte lui est toujours ouverte, mais il y a des moments où j’aimerais bien pouvoir être un peu tranquille ». Les frères et soeurs de certains récits éprouvent aussi de la colère lorsque l’enfant ayant un handicap fait des bêtises [7] : « Il joue des tours, fait parfois le détestable et souvent des fugues » ou lorsqu’il porte son attention exclusive sur une idée [9] : « Alice est un peu fatigante, surtout quand elle fait des fixettes » (…) « elle en parlait même au moins cinquante fois par jour ». La fratrie peut également être exaspérée par le tempérament de l'enfant avec trisomie [9] : « Quand son menton tremble, on peut s'attendre à un accès de fureur comparable à une éruption volcanique », « Quand Alice est une princesse, on ne peut rien lui refuser, et moi, je suis la suivante qui doit servir madame », « Alice peut être princesse pendant des jours, et malheur à ceux qui l'oublient ».

Pour résumer, l'enfant avec trisomie peut donc se montrer insupportable, avec un caractère bien trempé, ce qui a un impact sur la vie quotidienne de l'enfant typique [6] : « Ce soir encore, Nicolas me tape sérieusement sur le système », « Ce n’est pas possible ce qu’il peut être pénible quand il s’y met »; [7] : « Ce n'est pas rose tous les jours, tu sais de vivre avec un frère trisomique », « ce n'est pas toujours facile avec Émilien »; [11] : « Sacré caractère ; parfois, faut se le farcir, mon frangin ». Les frères et soeurs peuvent également être agacés par les difficultés cognitives [5] : « D'abord, il ne parle presque pas. Ça énerve Lili », notamment lorsque leurs efforts d'entraide ne portent pas leurs fruits [6] : « Il ne fait pas d’efforts ! », « et ses doigts, noirs d'encre, serrent mon stylo dégoulinant. J'ai envie de le manger tout cru ».

Mais la colère de la fratrie est canalisée, sa violence verbale est souvent intériorisée [9] : « J'ai tourné la tête pour regarder par la fenêtre. Une fois de plus, j'en avais marre d'être sa soeur ! ». Une possible violence physique est, elle aussi, retenue [6] : « Respirer lentement et ne pas écouter la petite voix qui, au fond de mon crâne, me conseille de lui coller une claque »; [9] : « Me suis-je insurgée, me retenant de lui flanquer un coup de pied dans le tibia ».

Sous le regard d'autrui : honte et honte d'avoir honte. Les frères et soeurs peuvent appréhender le fait que l'enfant avec trisomie fréquente leur établissement scolaire. Quand Laurette intègre l’école, son frère réagit [2] : « Bof, a répliqué Sébastien, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Que vont dire les copains ? »; [6] : « Je me dis que c’est aussi bien que Nicolas ait fait sa rentrée la veille de ma propre rentrée au collège, parce que, ce matin, je n’aurais pas du tout aimé que mes nouveaux camarades, comme les appellent mes parents, me voient arriver avec lui ! ». Parce que l’année précédente, Clément [11] avait écrit qu’il avait un frère différent sur la fiche de présentation et n’avait trouvé d’autre parade que la fuite quand un enseignant avait voulu en savoir plus, il choisit à la rentrée suivant d’inscrire « 0 » à la rubrique nombre de frères et soeurs. Quand l'enfant avec trisomie fréquente la même école, il arrive que son frère l'ignore [2] : « Sébastien n'est pas venu me voir. Il jouait au foot avec ses copains », la plupart du temps la fratrie le vit très mal [3] «  La première fois que j'ai emmené Clément à l'école… c'était horrible »; [11] : « Je ne veux pas supporter leurs regards, cet après-midi, quand ils seront tous au courant ». Lorsque leurs camarades découvrent qu'ils ont un frère avec trisomie, la honte les submerge [6] : « Il est complètement ridicule… la honte ! Je voudrais disparaître sous le sol », « Je suis mort de honte…», « Le coeur lesté d’une bonne centaine de tonnes supplémentaires…», « Il va me falloir passer devant elle et montrer à tous que c’est mon frère. Je ne m’en sens pas le courage… », « Avoir un frère mongolien, je ne m’y habituerai jamais ». Ils sont si pétrifiés [11] : « Mais moi, je suis là, incapable d'articuler le moindre mot », « mon corps ne répond plus. Paralysé », qu'ils seraient tentés de nier lorsqu'on leur demande s'il s'agit bien de leur frère [6] : « J’aurais bien aimé dire non ».

Tableau 5

Place du frère ou de la soeur typique au sein de la fratrie

Place du frère ou de la soeur typique au sein de la fratrie

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Les frères et soeurs renoncent parfois à recevoir leurs amis [4] : « Ma maison, c’est mon endroit, je n’y invite personne. Ça me rase. Je n’ai pas envie d’expliquer le jardin magique, ma soeur trisomique et flowerstown »; [6] : « Ce n’est pas demain la veille que j’inviterai quelqu’un à la maison… J’aurais trop peur de leurs réactions face à Nico ». Lorsqu'ils le font, leurs craintes se révèlent parfois justifiées [6] : « Je suis effondré […] c’est cela d’avoir un petit frère trisomique […] il ne faut pas compter sur lui pour avoir le sens de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas ».

Si les frères et soeurs éprouvent de la honte principalement vis-à-vis de leurs pairs, ils peuvent aussi redouter les réactions des voisins [6] : « Nico se met à crier, à pleurnicher, à trépigner… Je pense aux voisins et à ce qu’ils doivent imaginer s’ils l’entendent. J’ai honte ! », ou d'autres adultes lorsque l'enfant avec trisomie manque de distance [7] : « Ah, non ! À la vue d'Émilien j'ai le coeur qui s'emballe »; [7] : « Avec l'air de dire mon cher serrons-nous la pince, soyons amis et faisons équipe », ou encore lorsqu’il a des comportements aberrants par exemple quand Nicolas confond une cabine d’essayage et l’urinoir [6] : « Pas possible d’avoir deux minutes de répit ! … j’ai honte ».

Les frères et soeurs peuvent se reprocher leurs attitudes [3] : « J'ai honte de mon petit frère, mais encore plus d'avoir honte »; [6] : « On a beau être très en colère, il y a quand même des moments où on se sent mal, où on n’est pas fier de soi »; « Le plus ridicule c’est sans doute moi… Je me déteste », notamment lorsqu'ils n'ont pas réagi aux moqueries ; ainsi Clément, resté silencieux quand on s’est moqué de son frère n’a pas pu manger, [11] « ayant une boule au ventre »; [3] : « Je suis nul, je l'ai même pas défendu quand tout le monde s'est moqué de lui… ».

Les frères et soeurs peuvent également avoir peur d'être assimilés à l’enfant porteur de handicap [11] : « Je vais être regardé comme une bête étrange. De la même façon qu'on regarde mon frère » et en avoir honte lorsque c'est le cas [11] : « L'insulte qui m'a fait le plus mal, c'est pousse toi de là, handicapé. Car j'ai un frère trisomique 21 ». Cela peut être d'autant plus saillant quand les propos sont violents [11] : « V'là Quasimodo avec son gogol ! - Deux gogols tu veux dire… » ; [6] : « Et vous êtes nombreux comme cela dans la famille ? » ou en accompagnant des personnes avec handicap dans la rue [6] : « Et puis, en vérité, moi, au milieu d'eux, j'étais gêné […] j'avais l'impression que tous les gens qu'on croisait me prenaient aussi pour un handicapé mental ! ». La peur d'être assimilé à l'enfant avec handicap peut donc faire écho à la faille narcissique supposée de la fratrie.

La fratrie comme vecteur d'intégration. Cependant la fratrie représente un vecteur d'intégration pour l'enfant avec trisomie, tout d'abord en l'aidant à progresser [5] : « Elle voudrait tellement lui apprendre à faire des progrès ! »; [2] : « Elsa, ma petite soeur, fait toujours attention à moi », « Elle m’apprend à faire des puzzles », notamment dans la sphère scolaire par exemple pour l'apprentissage de l'écriture, puis en l'aidant également dans la gestion de ses frustrations [11] : « Je suis le premier à me précipiter pour éteindre une colère parce qu'il n'arrive pas à couper sa viande »; [9] : « Pour certains problèmes, il n'y a que moi qui puisse l'aider. Si elle trouve par exemple que quelqu'un a été injuste envers elle, et qu'elle pique une de ses colères, c'est moi qui sais le mieux ce qu'il faut faire ».

La fratrie intègre l'enfant avec trisomie dans son cercle social. Elle l’associe à ses activités [11] : « Mon frère adore flâner avec moi. Quand je lui dis : on va faire un p'tit tour, une pluie de gémissement joyeux s'abat sur moi » ; le soutient dans ses projets : Ludo [12] veut faire du cheval ; « Au cours de ma copine Sonia, dit Nadia, ils offrent une séance gratuite, il paraît, pour essayer » et dans ses envies de connaître les coutumes Mongoles [12] : « Maman et Nadia se sont fait des tresses. Au dîner, on mange des brochettes de mouton avec des fromages de chèvre grillés ». Elle l'intègre également dans son groupe d'amis, chez lui avec ses copains, à la piscine... pour Étienne [6]; lors d’un pique-nique entre amis pour Juliette [7] : « On va pouvoir peut-être se baigner. Qu'est-ce que tu en dis Émilien ? » si bien que ses amis sont eux aussi très proches de cet enfant [7] : « Émilien, c'est comme mon petit frère. On se connaît tellement bien que même s'il ne parle pas, je le comprends ».

La fratrie va avoir un rôle protecteur et défendre l’enfant avec trisomie envers et contre tous. Elle se promet de soutenir ce frère ou cette soeur différent(e) en cas de besoin [6] : « Nelly est ma soeur, je la protégerai ». En effet, dans la sphère publique, les inconnus ne sont pas toujours ouverts [10] : « Ils font la grimace ou ils parlent d'autre chose », « On dirait qu'ils ont peur », « Trop de gens n'aiment pas les enfants des pays rares, les enfants comme ma petite soeur », « Mais il y a des grands, et parfois même des petits, qui font une drôle de tête […] quand ils voient ma Lili ». Parfois même ce sont des membres de la famille qui sont rejetant [7] : « Il y a des gens qui regardent mon frère comme un objet de curiosité, d'autres qui l'ignorent carrément. Ça, ça ne me dérange pas beaucoup. Mais dans ma famille j'ai une tante qui ne peut pas le sentir », ce qui exaspère d'autant plus l'enfant typique [7] : « Ça ne me gêne pas qu'on dise « mongolien » au lieu de trisomique, mais quand on l'appelle « le mongol », ça me donne des boutons ! » Quand les remarques d'adultes se font cruelles, la fratrie n'hésite pas à réagir, quitte à être insolente : à la question [9]  « Comment peut-on se lancer dans un voyage pareil avec une enfant comme ça ? » la soeur d’Alice rétorque : d’une voix forte : « comment peut-on se lancer dans un voyage pareil quand on est si vieux? » Et quand des enfants ou camarades de classe rejettent leur frère ou soeur, elle n'hésite pas à prendre sa défense en faisant taire les murmures lorsque « les autres enfants faisaient des messes basses et nous regardaient d'un air bizarre », Alice lançait de sa « voix la plus revêche, en les fusillant du regard », « Y'a quelque chose qui ne va pas ? ». La fratrie n'hésite pas non plus à répondre avec ironie « Oui » à la question : « Vous avez adopté cette Mongole ? », ou à renvoyer les insultes portant sur les difficultés de l'enfant avec trisomie [5] : « Ses copains rient et ils chantent une méchante chanson que Lili déteste : hou hou, Doudou-Lapin-petit-boudin-qui-comprend-rien ! Alors Lili leur crie qu'elle les déteste et que c’est eux, les gros boudins qui ne comprennent rien ! »; [3] : « Décampe avec ton débile de frère » ; « Si il y a un débile ici, c'est toi, gros naze ! ». Elle renvoie aussi au moqueur la lâcheté de ces propos [7] : « Qu'est-ce qui te prend de t'attaquer à mon frère, Patrick Pépin ? Te sens-tu plus fort parce qu'il est petit et qu'il ne peut pas se défendre ? » et son incurie [2] : « Elle leur a dit que j'étais trisomique 21, mais qu'elle ne pouvait pas expliquer la maladie, car c'était trop compliqué pour leur cerveau ».

Une relation positivée : fierté et amour. Dans la moitié des ouvrages, les frères et soeurs évoquent la fierté qu'ils ressentent pour leur frère ou soeur avec trisomie, lorsqu'il ou elle réussit à écrire son premier mot [6] : « Une grosse vague de bonheur qui déferle immédiatement en moi » ou une prouesse dans un sport, en l'occurrence le tir-à-l'arc et l'équitation [9] : « Incroyable ! Ma soeur avait réussi à toucher l'un de ces trucs microscopiques ! Je la regardais, bouche bée », « et moi, j'étais au bord des larmes, tant j'étais fière ». Cela peut également être sans raison particulière [1] : « C'est bien normal, Martin, c'est notre petit frère et pour tout vous dire, on en est drôlement fières ! »; [2] : « Je suis fière d'elle »; [3] : « Je suis très fier de mon petit frère d'amour… et de sa différence... ».

Dans presque tous les ouvrages, les auteurs abordent l'amour qui sous-tend le lien fraternel, avec un frère ou une soeur qui montre son affection avec effusion [9] : « Un quart d’heure à lire une histoire à Capucine et cinq minutes à desserrer ses mains de mon cou » et qui est facile à aimer [9] : « Elle est plutôt sympa. Elle est même carrément adorable »; [1] : « En fait, souvent, la trisomie, on l'oublie. Ce qui compte vraiment, c'est qu'il nous sourit ! ». De plus, l'enfant avec trisomie est pourvu de qualités [2] : « Ne t'inquiète pas, ils ne savent pas que tu es une super fille qui fait des super clafoutis », notamment d'empathie et de joie de vivre [3] : « Et quand mon petit frère me tend les bras pour me faire un câlin,… je suis le plus heureux des grands frères », « Il a le pouvoir de l'amour et de guérir les coeurs tristes… c'est pas des super pouvoirs ça? »; [5] : « On ne peut jamais vraiment se fâcher avec Doudou-Lapin, il aime tellement les câlins ». Si bien que se noue une grande complicité [1] : « Mais nous, on l'aimera tellement fort notre Martin, qu'on lui fera faire plein de progrès, c'est certain » : [11] : « On partage quelque chose de fort, que les autres ne peuvent pas comprendre », « entre nous deux, il y a quelque chose de spécial », « on partage des choses qu'on ne peut pas nommer. C'est dans le ventre que ça se passe »; [6] : « Je t'aime Nicolas ». Lorsque l'enfant avec trisomie fugue, sa fratrie est désemparée [7] : « Rongée par l'inquiétude et la tristesse »; [11] : « Pendant toute son absence, j'avais un creux […] J'ai l'impression que si on me privait définitivement de Flo, cela me ferait le même effet que si on me coupait un bras ». Et un ouvrage se clôt avec une phrase sur l'amour fraternel [10] : « Et moi, j'aime ma petite soeur ».

La construction du lien fraternel dans les ouvrages sur l'autisme. Une différence et des troubles du comportement difficilement compréhensibles. Les fratries des enfants avec autisme sont interloquées par une différence qu'ils n'arrivent pas à saisir [B] : « Sara ne ressemble à personne »; [E] : « Ce petit frère ne fait décidément rien comme tout le monde »; [F] : « Chez ses copains, les bébés n’étaient pas du tout pareil ». Ces enfants semblent vivre dans leur monde [B] : « Elle part en voyage et erre à travers ses pensées, on ne sait pas comment et encore moins où elle vit à l'intérieur de son monde, et c'est tout, solitaire »; [K] : « On dirait qu'il est dans la lune »; [G] : « Paul ne répond jamais. Il fait toujours comme si les gens, les choses, même les jouets, n'existaient pas, ne l'intéressaient pas ». De plus, ils présentent des comportements étranges [B] : « Elle reste immobile, pendant des heures »; [I] : « Ce petit frère qui a toujours les yeux tournés vers le ciel », « On reste des heures devant les panneaux de signalisation, la pizza sur le camion, les roues et les bouches d’égout ! ». Par ailleurs, ils se manifestent bruyamment [J] : « Il fait la sirène du camion des pompiers... »; [A] : « Plusieurs fois, je lui ai demandé d’arrêter, mais il s’est mis à crier de plus belle »; [C] : « Alienor qui, à sept heures, faisait déjà une crise à cause de la sirène d’une ambulance qui passait dans la rue » et peuvent être violents envers eux-mêmes [B] : « Elle se tord les doigts, elle tire les mèches de ses cheveux, elle se griffe et elle se fait mal… »; [K] : « Mon petit frère, des fois, se cogne la tête », « Quand je l'arrête, il se roule par terre en criant ».

Peut-être plus déconcertant encore, les enfants avec autisme ne jouent pas [E] : « Il ne joue pas, ne parle pas »; [B] : « Elle ne participe pas souvent aux jeux »; [K] : « C'est bizarre, il ne semble pas s'amuser », ce qui attriste leur fratrie [K] : « Et moi je voudrais qu'il guérisse pour lui montrer à jouer avec tous ses jouets ». Mais la fratrie trouve des moyens détournés pour entrer en contact et jouer avec eux [G] : « Tu veux jouer ? » lui demande Thomas qui n'ose y croire. Paul ne répond pas. Mais pour la première fois, Paul ne détourne pas les yeux. Il rit. Et le jeu s'installe entre eux [I] : « J’ai décidé que mon petit frère et moi, on s’amuserait comme les autres. On a inventé une langue tous les deux », « et là on est tous les deux et c’est bien ! ».

Les enfants avec autisme sont décrits par les auteurs énigmatiques et insaisissables [B] « Une ombre glisse le long des murs et disparaît. Qui est-ce ? Un murmure se répand dans la pièce puis s'apaise. Qu'est-ce que c'est ? C'est Sara, ma soeur », « Elle est silencieuse comme un chat, bruyante comme la circulation (…) imprévisible comme le temps », « elle est semblable à un rébus, une énigme, un labyrinthe »; ils rendent leurs frères et soeurs perplexes.

La tristesse, voire la détresse ou la peur face à l'indifférence et au rejet. Dans la moitié des ouvrages, la fratrie souffre du comportement de leur frère ou soeur [G] : « et Thomas se retient pour ne pas pleurer »; [K] : « Ça me fait de la peine de voir ça » qui ne leur accorde pas un regard [I] : « Il fait comme s’il ne me voyait pas, comme s’il ne m’entendait pas »; [E] : « Jules ne le regardait jamais »; [K] : « Même moi, quand je l'appelle, il ne me regarde pas du tout », « C'est comme si il ne voyait pas que je suis là »; [C] : « Je lui ai souri et comme d’habitude, mon sourire est passé à travers elle, sans la toucher »; [G] : « Paul s'en fiche complètement. Il ne veut rien voir, rien toucher, rien entendre. Rien ». L'enfant avec autisme ne répond pas aux sollicitations de son frère ou de sa soeur [I] : « J’aimerais bien le faire rire. Mais il ne rit jamais »; mais il peut rire sans motif compréhensible [K] : « Il rit aux éclats. Pour rien ! ».

Quand un frère veut offrir un cadeau à son frère, celui-ci semble impassible [G] : « Bon anniversaire grand frère ! J'ai un cadeau pour toi ! Paul ne se lève pas, ne tend pas les bras », et se soustrait à ses marques d'affection [G] : « Alors il couvre son frère de baisers, le serre dans ses bras « Tu sais… Tu es mon frère à moi » », « Paul se dégage, repousse Thomas ». La fratrie peut être désemparée [B] : « Elle est décourageante ! » face aux crises d'angoisse de leur frère ou soeur avec autisme [K] : « Il pique une grosse colère et c’est pas drôle » avec lequel il est difficile de rentrer en relation [F] : « Quand Hugo était près de lui, Jules préférait hurler ». Parfois même, la fratrie peut être effrayée [L] : « Merli, alors poussait des pépiements d'épouvante. Ses parents devaient l'amener dans le nid voisin, où, là, seulement, il se calmait »; [F] : « Parfois elle me fait peur! ».

Des sentiments de honte et de culpabilité. Des sentiments de honte peuvent être ressentis par les membres de la fratrie, honte de ses propres pensées ou actes, voire culpabilité. Cette honte peut être ressentie à l'école lorsque l’enfant ne souhaite pas que ses camarades sachent qu'il ou elle a un frère ou une soeur avec autisme [F] : « Hugo ne voulait surtout pas que ses copains voient ça. Il avait donc fait promettre à sa maman de toujours se garer loin. Mais malgré cette promesse, il vivait dans la crainte qu’on découvre ce frère honteux »; [C] : « L’idée qu’une copine voit Alienor, ça me terrorise… Je préfère rester seule et sans amie jusqu’à la fin de ma vie ». Quand les camarades sont informés, le sentiment de honte est exacerbé [H] : « Non seulement tous ceux qui étaient à la cafétéria avaient les yeux fixés sur Antoine, mais, en plus, ils savaient tous qu'il était mon frère ! J'étais si embarrassé ! »; [G] : « Thomas en a assez. Surtout depuis que les copains sont venus goûter, ont vu… », « Maintenant tout le monde sait ». Ce sentiment est majoré en présence des troubles du comportement [H] : « Je n'aime pas quand il pique une crise, surtout devant mes amis ou les autres élèves de l'école »; [A] : « N’empêche que, lorsqu’il se met à crier dans le bus ou en plein magasin, sans raison, ce n’est pas vraiment drôle »; [C] : « Et moi, j’en ai assez des gens qui nous observent comme si on était des animaux de cirque », « mais quand il y a du monde, c’est horrible, ça me fout la honte ». Cette honte peut être relativisée [A] : « Avant, je n’étais pas très fière de lui. Mais ça va mieux maintenant », mais aussi commune à l'ensemble de la cellule familiale [F] : « Jules était un secret de famille qu’il ne fallait pas partager ».

Mais il n'y a pas seulement un sentiment de honte, il y a aussi de la tristesse face à la mécompréhension. En effet, les comportements de l'enfant avec autisme peuvent interpeller : [I] : « Quand on se promène les gens regardent beaucoup mon petit frère parce qu’il fait des gestes bizarres », « Ils croient que c’est une maladie qui s’attrape »; [K] : « Les gens pensent qu'il chante et qu'il est de bonne humeur. Moi, je ne dis rien. Je ne veux pas leur dire qu'ils se trompent » et il peut subir des moqueries : [D] : « Les enfants la fuyaient, et plus triste encore, se moquaient d'elle en secret »; [H] : « Les élèves de ma classe, regardaient Antoine et le pointaient du doigt; certains se moquaient même de lui ! ». Les autres enfants ou même les adultes peuvent appréhender ces comportements [D] : « Beaucoup d'entre eux, trop sensibles, rêvaient d'elle la nuit »; « elle était le fantôme caché du placard aux jouets, le cauchemar tordu, tapi dans l'ombre d'un grenier »; [I] : « Il y en a qui ont peur de ça », et donc être condescendant [C] : « Elle dit d’une voix super aiguë comme si elle parlait à son yorkshire : et comment va la fifille, ce matin ? Ça à l’air d’aller. C’est bien, ça… C’est une grande fifille » ou rejeter violemment l'enfant et sa famille [C] : « Elle ne loupe pas une occasion de demander notre expulsion de l’immeuble pour nuisances et troubles du voisinage »; [F] : « Plus d’une fois, les voisins du dessous sont montés. Empiler les tapis pour assourdir les bruits de Jules n’était pas une solution et quand Jules a eu cinq ans, il a fallu déménager ». Ces moqueries et rejets qui blessent la fratrie seraient principalement dus à une mécompréhension et pourraient donc être atténués par l'information [H] : « J'ai dit à mon enseignante que j'aimerai que plus d'élèves comprennent l'autisme », « Peut-être qu'alors ils seraient plus gentils avec des enfants comment Antoine et leur donneraient une chance ».

Un sentiment de culpabilité est également mis en exergue dans plusieurs livres, lorsque l'enfant typique fuit face aux troubles du comportement de son frère avec autisme [H] : « Au lieu d'essayer d'aider Antoine à se calmer, je suis sorti de la cafétéria en courant le plus vite possible et j'ai laissé Antoine tout seul avec ce dégât », « Je lui ai dit que j'étais désolé de l'avoir laissé seul à la cafétéria et je lui ai promis que quoiqu'il arrive, je ne le referai plus », ou laisse s'échapper l'enfant avec autisme par inadvertance alors qu'une surveillance lui avait été demandée [A] : « J’ai couru, couru, couru et je suis arrivée tout essoufflée au bout du sentier sans avoir vu personne », «  Et là, j’ai commencé à avoir vraiment peur », « J’avais perdu un temps précieux inutilement. Et je pleurai », « J’ai fait une grosse bêtise ».

Cette culpabilité peut également clairement résulter d’un passage à l'acte, par exemple un grand frère a sciemment laissé son frère s'échapper sur la route [F] : « Quand Hugo réalise que son complot a fonctionné, tout son corps hurle NON ! », « Un poids lourd pèse dans son ventre », « Hugo n’en peut plus. Il entend des cris dans sa tête », « (il) revoit ce qu’il a fait. Son secret martèle dans sa tête. Il faut qu’il sorte de lui », « (il) libère le secret qui l’étrangle […] j’ai laissé exprès sortir Jules ».

Une échappatoire par la voie du rêve. Dans la moitié des ouvrages, le rêve est abordé dans le scénario, mais de manière différente. Il est tout d'abord évoqué un décalage entre le frère fantasmé, rêvé et réel : [F] « Jules grandissait mais pas du tout comme Hugo l’avait rêvé », puis le fait de rêver d'une soeur qui ne serait pas différente [D] : « Elle avait retrouvé dans ses pas précipités, les arabesques merveilleuses de la fille de son rêve », « Elle avait entendu dans ses cris de souffrance, les doux murmures des feuilles et de l'eau » et avec laquelle l'enfant pourrait interagir [D] : « Danse avec moi petite soeur, car nous sommes les mêmes, dans des mondes différents », « Iléna, pour un moment calmée, la laisserait effleurer, comme dans son rêve, sa joue ». Le rêve concerne parfois des solutions pour faire évoluer la situation [I] : « Moi, j’aimerais bien être une fée pour lui donner envie d’être sur la terre plutôt que sur la lune »; « Je lui prendrai alors la main pour qu’il vienne avec moi »; [H] : « Aujourd'hui je l'ai vu non seulement tel qu'il est, mais aussi tel qu'il pourrait devenir ». D’autres rêves ouvrent vers une issue plus radicale : que cette soeur, source de tant de souffrance, soit retirée de la famille, voire même qu’elle n’ait jamais existé [C] : « Je crois que ce que je voudrais parfois, c’est que ma soeur soit placée toute l’année dans une institution avec des gens qui lui ressemblent et qu’elle ne rentre jamais à la maison », « Souvent, je me raconte une autre histoire que celle de ma vie. […] je rêve qu’un jour mes vrais parents, pris de remords, viendront me chercher », « J’habiterai ailleurs, dans une grande maison, et je serai enfant unique ».

La colère et la violence. Les comportements de l'enfant avec autisme peuvent entraîner un sentiment de colère chez son frère ou sa soeur typique [A] : « Nous avions vraiment les nerfs en pelote » ce qui est d'autant plus saillant que la fratrie a le sentiment d'avoir fait de grandes concessions [F] : « Hugo a donc dû changer d’école et quitter ses copains », « Pour que Jules puisse courir, crier et taper, ses parents ont opté pour une maison avec jardin », sans que cela induise d’effet favorable « Dans le cas d’Hugo, les choses ont empirées. Sa vie est devenue terrible ».

Cette colère peut se traduire par une violence verbale [G] : « Ça suffit ! Arrête de faire l'idiot »; [C] : « Je l’ai attrapée par l’épaule et j’ai hurlé pour qu’elle s’en aille », voire une décharge d’agressivité physique [G] : « Et vlan ! De rage, de désespoir, Thomas jette la voiture, toutes ses économies, contre le mur » ; [C] : « J’ai eu envie de cogner dans quelque chose. Je me suis levée et j’ai shooté dans le banc aussi fort que j’ai pu ». Dans un des ouvrages, la souffrance est tellement prégnante que la violence s'extériorise en un geste agressif envers l'enfant, son frère l'attirant sciemment dehors pour qu'il s'échappe [F] : « Hugo est resté dans la maison et en a refermé les portes. Il sait qu’il y a un danger : le portail n’est pas fermé à clé. Mais il joue avec le feu », ce que fait l'enfant avec autisme qui se fait renverser par une voiture et se retrouve à l'hôpital entre la vie et la mort.

Une fratrie qui fait preuve d'adaptation et cherche à nouer une complicité difficile à construire. La fratrie, qui connaît bien l'enfant avec autisme [G] : « Thomas a l'habitude : il connaît son frère » s'adapte à ses centres d'intérêt et ce qu'il affectionne, en lui offrant par exemple des objets particuliers [G] : « Regarde ! Un volant, des roues, ça tourne aussi ! », ou en l'emmenant dans le métro [E] : « De temps en temps, il passe rue des Roses pour emmener son jeune frère dans le métro » ou encore en l'aidant à constituer son étrange collection de couvercles [J] : « Nous avons dû manger tous les yaourts que Timothée avait ouverts mais nous avons été très contents de l'aider à agrandir sa collection ». C'est aussi grâce à leur connaissance de leur frère avec autisme et leur patience qu'ils retrouvent sa piste suite à sa disparition [E] : « Je vais te retrouver, Brelin. Je vais te retrouver ». Ils font preuve également d’inventivité afin d'éviter les crises [I] : « Pour les bouches d’égout, j’ai un truc : si on veut qu’il avance, on met le pied dessus. Il ne les voit plus et il continue sa route »; [C] : « J’ai deux minutes chrono pour m’habiller. Au-delà, ma soeur se déshabille en hurlant et c’est foutu pour la journée », et de le rassurer [J] : « Il est rigolo ton frère, pourquoi il me renifle »; « Timothée fait connaissance ainsi, il renifle tous nos amis ». Ils participent également aux adaptations nécessaires pour sécuriser l’environnement ou donner des repères temporels [J] : « Nous sommes obligés de tout ranger et surtout de cacher les paires de ciseaux, Timothée découpe tout ce qu'il trouve », « Pourquoi une pendule dans la salle de bain ? Elle sonne au bout d'une demi-heure. Timothée sait qu'il doit sortir de la baignoire ».

La fratrie éprouve à plusieurs reprises de la fierté envers l'enfant avec autisme [A] : « Avant, je n’étais pas très fière de lui. Mais ça va mieux maintenant » que ce soit pour les progrès qu'il fait ou le courage dont il fait preuve pour surmonter son handicap [A] : « Pour la première fois, Nono venait de dessiner quelque chose ! », « Nous sommes fiers de toi et de tes progrès » ; [K] : « J'aimerais vous présenter mon superhéros, mon petit frère », « c'est un garçon très courageux », « Il doit travailler très fort pour faire la même chose que les autres ».

Une complicité peut s'installer entre l'enfant avec autisme et sa fratrie, que ce soit sous une forme de jeu [A] : « Nono tapait dans ses mains. Il s’applaudissait en quelque sorte, alors on a fait comme lui : on l’a applaudi » par le regard [F] : « Quand Jules voit la fleur, il reconnait son liseron. Aussitôt son regard s’adoucit et descend le long de la tige. Au bout de la tige, il y a Hugo qui sourit ! » ou par un langage commun [I] : « On a inventé une langue tous les deux ». Et les comportements étranges de l'enfant avec autisme, peuvent parfois se montrer révélateurs de complicité fraternelle qu’ils soient intentionnels ou fortuits [J] : « Enrhumé, il ne va pas à l'école et cache nos cartables pour que nous restions jouer avec lui. Nous, nous sommes d'accord, mais nos parents non ! », « Ma dictée de trente-deux fautes que j'avais laissée traîner. Il en a fait des confettis que papa n'a pas pu signer ! », « Quand maman va au jardin ramasser les radis, Timothée les replante. Nous sommes très contents, nous ne les aimons pas ! ».

Malgré cette complicité, le lien fraternel peine à se construire, du fait de l’ambivalence éprouvée par la fratrie. Tout d'abord, il est difficile pour leurs frères et soeurs de se faire une idée des sentiments qu’éprouvent pour eux l’enfant avec autisme [F] : « Il ne m’aime pas » pensait Hugo »; [B] : « Et puis tout à coup elle se calme, et alors là elle cherche ma présence, elle m'attendrit par son sourire, elle m'étreint et m'étouffe sous les câlins… », « Un amour infini et indistinct »; [E] : « Les yeux ne sont sûrs de rien, mais le coeur sait. Et en matière d'amour, le coeur ne se trompe pas ». Quant aux frères et soeurs, ils peuvent avoir des élans d'amour démonstratifs [G] : « Alors il couvre son frère de baisers, le serre dans ses bras « Tu sais… Tu es mon frère à moi », ou tout simplement éprouver le bien-être d’une proximité [I] : « Et là on est tous les deux et c’est bien ! ». Mais les ressentis de la fratrie sont parfois mitigés [E] : « C'est pas que j't'aime pas, p'tit frère, mais t'es vraiment trop bizarre », voire empreints de haine [C] : « T’es pas Alienor, t’es Alien, un monstre venu de l’espace pour nous tuer les uns après les autres ! Je te déteste ! »; [D] : « Elle n'avait jamais craint l'esprit égaré d'Iléna, mais... elle ne l'aimait pas et refusait de se l'avouer ». Parfois les frères et soeurs sont tellement en souffrance [C] : « Alienor m’empêchait de vivre ma vie »; [E] : « Ce n'est pas toujours facile à supporter et arrive un jour où Jérémie en a marre », qu'ils en viennent à souhaiter la disparition de cet enfant [C] : « Aujourd’hui, je déteste ma soeur, je voudrais en avoir une autre à la place ». Dans des actes désespérés, ils iront jusqu'à fuguer, habiter ailleurs, présenter une violence verbale ou même, comme nous l'avons déjà mentionné, confronteront l’enfant avec autisme à des risques majeurs. Cette ambivalence prégnante envers le frère avec autisme résulte de la difficulté de vivre auprès de lui, mais aussi sans lui [E] : « La vie n'est pas possible sans son petit frère. Il est parti vivre chez Sylvita, c'est vrai, mais c'est pour mieux l'aimer quand il est avec lui ».

Quelle place pour les parents dans la construction du lien fraternel ?

La responsabilisation de la fratrie par les parents : le risque d’une « parentalisation » ? Dans plus de la moitié des ouvrages sur la trisomie, la responsabilisation de la fratrie par les parents est clairement évoquée. Elle l’est d’abord au sens d'une injonction des parents à prendre soin de l'enfant avec handicap. Ainsi le père dit à Mathieu [3] qu’ils lui « confient » son petit frère et qu’il doit faire attention à lui : « Mathieu, on te confie Clément. Tu lui tiens bien la main ! »); le père de Zoé [9] l’enjoint de prendre soin de sa soeur : « Fait attention à elle ! M'a crié papa »; Clément [11] doit s'occuper de son petit frère quand leur mère travaille : « J'ai donné à manger à mon frère puis on est allés se coucher ». Elle l’est ensuite au sens d’une sollicitation à l'aide et à l’accompagnement. Les parents d'Étienne [6] le mobilisent fréquemment pour accompagner son frère dans ses prises en charge : « Tu te rappelles, Étienne ? Ce soir, Nicolas a son premier rendez-vous chez son nouvel orthophoniste… Il faudra que tu l'emmènes », et dans sa vie quotidienne : « J’ai fréquemment quelques remarques, genre : tu pourrais aider ton frère »; les parents de Juliette [7] recourent à son aide dès que son jeune frère fait des fugues : « Juliette, Juliette ! Lorsque ma mère m'appelle de cette façon, je sais qu'il y a de l'Émilien là-dessous. […] Dépêche-toi Juliette, il est presque vingt heures. Il faut le retrouver avant la nuit », « Organisons-nous comme d'habitude. Toi, Juliette, va vérifier les endroits qu'il préfère ». Et quand Alexis [8] « en a marre » de sa petite soeur, ses parents lui rappellent le rôle qu'il a à jouer : « Elle a besoin spécialement de nous, de toi, car elle est particulière ». Lorsque cette aide n'est pas demandée à la fratrie, celle-ci s'en étonne [4] : « Elle a même dit à Capucine de me laisser tranquille, ce qui était une grande première ». Et lorsque l'aide est à la hauteur de ce qu'attendent les parents, la fratrie est valorisée [7] : « Il me répète que maman et lui apprécient énormément que je m'occupe aussi bien de mon frère, qu'ils comprennent que vivre avec Émilien exige beaucoup de patience et parfois même du courage, qu'ils ne pourraient pas désirer meilleure soeur pour leur garçon handicapé ». Ce qui est aussi le cas de Clément [11] qui, ayant retrouvé son frère, observe : « À la maison, je suis le roi. Maman me considère comme un sauveur ».

Cette responsabilisation est décrite également dans les livres sur l'autisme au sens d'une injonction des parents à prendre soin de l'enfant avec handicap : Hugo [F] est invité par sa mère à prendre soin de son petit frère : « Elle confie Jules à Hugo et s’en va » et Amandine [A] l’est par chacun de ses deux parents : « Avant de partir travailler, sa petite ride sérieuse juste entre les sourcils, elle m’avait dit : « Amandine, je compte vraiment sur toi pour Nono" »; « J’ai pensé à Papa qui me dit toujours : « Ma petite Dinette, garde ton calme, je compte sur toi ! ». Dans un conte, les parents de Maélys [D] confient à cette dernière la clé des songes afin de veiller notamment sur les rêves de sa soeur : « Maélys devient gardienne de ces clés »; « Cette Clé des songes lui indiquait son chemin dans le monde des songes ». De même les parents d'Anika [K] lui spécifient le rôle qu'elle doit jouer : « Maman dit que nous devons l'aider à grandir comme tous les autres enfants. Et que si nous travaillons très fort ensemble, il pourra peut-être aller mieux ». Comme dans les ouvrages sur la trisomie, lorsque l'aide est à la hauteur de ce qu'attendent les parents, la fratrie est valorisée [A] : « Papa trouvait que j’avais eu une bonne idée d’installer un coin peinture pour Nono, et avant de raccrocher il me dit, très fier : Ma Didine ! Tu es une perle ! ».

Reproches parentaux et manque de tolérance face à l’expression de certaines émotions. Lorsque l’enfant se dérobe à la responsabilité qui lui est confiée, il encourt les reproches parentaux. Ainsi dans un livre sur la trisomie, la mère d'Étienne [8] lui fait des reproches ou lui jette des regards lourds de sens quand celui-ci réprimande son frère : « Si tu continues ainsi, tu vas non seulement t'énerver pour rien, mais en plus, tu risques de le rendre malheureux s'il sent que tu attends de lui ce qu'il n'est pas capable de te donner ! » ou ne s'intéresse pas à lui : « Le regard de maman se trouble un petit peu… la voix se fait plus froide… Comme tu voudras mon chéri ». Et quand Étienne dit qu’il a d’autres choses à faire plus importantes qu'aider son frère, sa mère lui répond « Comme de téléphoner des heures à tes amis, par exemple ? ».

Ce constat est également saillant dans trois livres sur l'autisme : la mère d'Amandine [A] lui reproche de ne pas être assez patiente : « Maman est montée et, bien sûr, elle a trouvé que je n’étais pas assez patiente avec mon frère » et compréhensive : « Il ne crie pas pour t’embêter, tu le sais bien »; la mère d'Anika [K] lui reproche d'entraîner son frère à faire des bêtises : « Maman m'a plutôt demandé de lui apprendre à faire quelque chose »; la mère d'Emma [C] lui demande de ne pas rendre sa soeur responsable de tous ses problèmes en lui rappelant la chance qu'elle a de ne pas être en situation de handicap : « Tu ne crois pas que la vie s’est déjà suffisamment chargée de l’abimer ? Tu as de la chance, toi, tu as tout, mais elle, regarde-là… ». Les mères seraient-elles les chantres des reproches ?

Les sentiments de gêne et de honte exprimés par l’enfant sont peu tolérés par les parents.

Dans quatre livres sur la trisomie, les parents s'emportent ou ont un regard lourd de sens quand des sentiments d’agressivité ou de honte sont ressentis et exprimés par les membres de la fratrie. Ainsi les parents ne tolèrent pas que leurs enfants aient honte d'accueillir leur frère avec trisomie dans leur école, ce qui est le cas des parents de Sébastien [2] : « Papa lui a jeté un regard noir et la maman l’a regardé d’un air désolé » et de Juliette [7] lorsqu'elle regrette que son frère soit venu dans son école : « Allons Juliette, ne le prends pas sur ce ton ». Les parents ne tolèrent pas non plus que leur enfant soit gêné par les comportements de l'enfant avec trisomie [9] : « Papa m'a lancé un regard mauvais, l'air de dire : « Ne va pas gâcher son plaisir ! », « Maman m'a lancé un coup d'oeil sévère ». La mère d'Étienne [6] se met en colère contre lui car il n'a pas défendu son jeune frère lorsque des inconnus s'en s'ont pris à lui : « Il ne faut pas laisser tomber ! Rugit-elle, des étincelles dans les yeux. Étienne, tu dois vraiment comprendre cela : personne n'a le droit de manquer de respect à ton frère ! Quel est ce monde dans lequel tu acceptes de vivre ? ».

Dans un ouvrage sur l'autisme [C], la mère ne tolère pas qu'Emma ne souhaite pas la présence de sa soeur à son concours de piano : « Elle viendra, un point c’est tout. Alienor est ce qu’elle est et tu n’as pas à en avoir honte »; « Alors, tu as compris ? a hurlé ma mère dans mes oreilles, Alienor viendra, que tu le veuilles ou non », et elle s'emporte vivement : « Maman s’est levée comme une furie. Et pourquoi donc ? Qu’est-ce qu’elle a ? Tu veux lui mettre une petite clochette comme les lépreux au Moyen Âge ? Ou une étoile sur la veste ? Tu sais, ça s’est fait à une certaine époque… C’est très efficace ».

Il n'y a pas, sur ce point, de différences notoires entre les livres sur l'autisme et la trisomie. Les parents peuvent donc exiger une compréhension inconditionnelle associée à une grande tolérance à l’égard des troubles des enfants avec handicap (principalement des troubles de la compréhension dans le cas de la trisomie et du comportement dans le cas de l'autisme) et ne pas tolérer, voire être débordés par leurs propres émotions et s'emporter lorsque les sentiments de honte sont exprimés par leur enfant typique.

Les sacrifices parentaux. Certains ouvrages sur la trisomie abordent les sacrifices parentaux : ne trouvant plus de lieu d'accueil pour Nicolas, la famille a dû déménager et le père d'Étienne [6] doit désormais faire 80 kilomètres par jour pour se rendre à son travail ; les parents de Nelly [8] ne font plus d'activités afin de se consacrer davantage à elle.

Mais ce sujet est davantage abordé dans les ouvrages sur l'autisme, qu’il s’agisse simplement d’accompagner leur enfant dans ses prises en charge [J] : « Papa et maman ont souvent des rendez-vous le mercredi pour Timothée, et nous faisons la cuisine », ou de faire face aux difficultés de comportement de l’enfant [I] : « Pour le calmer, papa l’emmenait faire un tour en voiture » ; « Papa et Maman sont obligés de lui couper les cheveux quand il dort ». Deux mères ont dû arrêter leur activité professionnelle pour se consacrer à leur enfant avec autisme [D] : « Elle a arrêté de donner ses leçons de piano », ce qui les épuise, les rend irascibles : « Sa mère qui avait abandonné sa profession pour se consacrer totalement à Jules, ne voyait plus que ce fils épuisant. Elle devenait très irritable » [F], si bien qu’elles ne souhaitent leur situation à personne [C] : « Je prie pour que tu n’aies pas à subir ce que je vis, moi ». Dans deux ouvrages, les parents ont dû déménager, ce qui peut se révéler épuisant [F] : « Son père, dont le travail était resté à Paris, s’est mis le matin à partir très tôt, et le soir il rentrait tard. Du coup, ils ne se voyaient presque plus » et contraignant [C] : « Maman a appris qu’à Paris, un jeune médecin faisait des merveilles avec des enfants comme Alienor. Alors on a troqué notre maison aux volets verts contre un minuscule appartement ».

La jalousie de la fratrie exacerbée par l'indisponibilité des parents à son égard. Certains frères ou soeurs d'enfants avec trisomie se sentent délaissés par leurs parents qui consacrent l’essentiel de leur temps à l'enfant avec handicap [4] : « Elle est très douée … pour accaparer nos parents jusqu’à ce qu’il ne reste presque rien pour nous »; [6] : « C'est vrai qu'elle n'a pas beaucoup de temps pour s'occuper de moi; c'est vrai qu'elle ne se rend peut-être pas compte que je grandis, moi aussi ». Ces enfants ont ainsi l'impression de n'être pas prioritaires et de passer toujours après leur frère ou soeur avec handicap [6] : « J’existe moi aussi ! ». Mais plusieurs parents font cependant en sorte de consacrer des temps privilégiés à leur enfant typique : Alexis [8] « en a marre de cette soeur » aussi son père va rechercher Nelly et la maman propose à son fils de faire une activité ensemble hors de la présence de sa petite soeur.

Mais il s'agit surtout d'une place symbolique de reconnaissance, difficilement accessible pour l'enfant typique, ce qu'illustre parfaitement un des ouvrages [4] : « Chez moi on m’appelle la petite dernière. C’est pour cela que depuis la maternelle, je mets un point d’honneur à le devenir. De toute façon, dans ma famille les autres places étaient déjà prises » [...], « Ma grande soeur, Marguerite [...] a deux ans d’avance et elle étudie la médecine. Elle fait parfaitement la fille brillante [...]. Ensuite vient Capucine, elle est trisomique. Mongolienne si vous préférez. Et dans son rôle elle est carrément fortiche. [...]. Et puis il y a mon frère, Romarin, champion de tennis régional par équipe. Dans notre famille, il joue le rôle du sportif et on peut dire qu’il bat tous les records… », [...]. En sortant, la psychologue a dit à mes parents que mon QI était de 150, ce qui est paraît-il « extraordinaire » et donc que, j’étais surdouée. Ce qui entre nous n’arrange pas mes affaires, vu que c’est la place de Marguerite ma grande soeur. Et moi, je veux une place pour moi toute seule ».

La question de la disponibilité parentale est plus aigüe encore au sein des fratries d'enfants avec autisme [D] : « … et Maélys, au château, se sentait trop souvent isolée... »; « Il était donc devenu impossible de confier Jules à qui que ce soit »; [F] : « Adieu les beaux dimanches à trois, Papa – Maman – Hugo, comme ils faisaient autrefois », voire insurmontable [C] : « Je n’ai aucun droit, juste celui de vivre dans le peu d’espace que me laisse Alienor » entre une mère qui s'épuise à porter seule à bout de bras sa fille en refusant toute aide et un père qui se réfugie dans son travail : « Papa, ça ne lui pose pas trop de problèmes parce qu’il bosse tellement que, finalement, il n’est presque jamais à la maison. […]. Le plus souvent, le samedi, il a des trucs à finir au bureau. Parfois, je me demande si son travail n’est pas un moyen d’échapper aux problèmes [...] ». L’enfant typique doit même renoncer à certaines choses dans l’intérêt de l’enfant avec autisme, par exemple en cas d'intolérances alimentaires [K] : « Maman s'est mise à acheter des choses aux noms bizarres. Quinoa, chia, millet, farine de riz, curcuma, algues... et beaucoup, beaucoup de légumes frais de toute sorte »; « Maman a dit que si c'était bon pour le petit frère, c'était bon pour nous. Alors tout le monde a eu cette nouvelle nourriture dans son assiette. C'était vraiment différent et pas toujours à mon goût »). L'intervention d'une grand-mère auprès de sa fille [C] révèle à quel point l'enfant typique peut avoir l'impression de ne pas exister pour ses parents et d’être délaissé au profit de l’enfant avec autisme : « Et Emma, tu t’en soucies ? Même si tu as envie de gâcher ta vie, tu as pensé à elle ? »; « Tu es en train de massacrer cette gosse »; « Au cas où tu n’aurais pas remarqué, elle est normale, elle ; mais avec ta façon d’agir, tu vas te retrouver avec une gamine dépressive ». Dans certains ouvrages sur l'autisme, le frère ou la soeur peuvent donc éprouver le sentiment d’une véritable abnégation justifiée par une demande parentale forte au profit de l’enfant avec autisme. Explicitement ou implicitement, il doit renoncer à une vie « ordinaire » et à l'attention de ses parents dans l’intérêt de l’enfant avec autisme pour qui il doit accepter de tout sacrifier.

La colère de la fratrie envers les parents face aux injustices. Suite aux injonctions parentales et au sentiment d'injustice vécu par la fratrie, des conflits peuvent éclater entre l’enfant ordinaire et l’un des parents.

Dans quatre ouvrages sur la trisomie, la colère de la fratrie vis-à-vis des parents est mise en scène. Il peut s’agir d’une colère contre des parents trop permissifs à leurs yeux envers leur frère ou soeur porteur de trisomie [5] : « Mais quelquefois, papa et maman lapin agacent Lili »; « Quand Doudou-Lapin mange en salissant partout, maman lapin soupire et elle l'essuie sans rien dire. Quand Doudou-Lapin fait pipi sur le tapis, papa lapin soupire et il lui change sa culotte sans rien dire »; « Un jour Lili se met à crier très fort : j'en ai assez de ce petit frère, on lui laisse tout faire ! Pourquoi vous ne le grondez pas ? Pourquoi vous ne lui apprenez rien ? Il ne va tout de même pas rester toute sa vie un bébé ! »; « Mais peut-être qu'il faut être aussi un peu sévère »; [9] : « Presque un soir sur deux, elle nous faisait tourner en bourrique dans la chambre jusqu'à ce que maman dise que ça suffisait [...] J'étais convaincue que ça n'était pas la bonne méthode ». Des réactions sont également mises en évidence lorsque les aides demandées sont trop conséquentes [6] : « Et bien non, pas cette fois. Ils trouveront un autre pigeon. J’en ai marre. Marre de devoir toujours aider mon frère. Marre de voir que l’univers familial tourne autour de sa petite personne. Marre de devoir faire des sacrifices à cause de lui »; « Je commence à en avoir plus que mon compte de cette famille-là ! »; « J’en ai ras le bol d’être patient avec lui! ». La colère trouve aussi sa source dans le fait de se faire réprimander à la place de son frère porteur de trisomie [11] : « Maman est en pétard parce que Flo a tapissé la moquette de spaghettis. J’ai eu le malheur d’en rire, alors c’est moi qui ai tout pris. Évidemment »; « J'encaisse tout en ce moment les bêtises de mon frère… » ou lorsque les félicitations considérées comme méritées ne sont pas reçues [9] : « Zoé, où est Alice a demandé maman. Elle aurait pu me féliciter d'abord ! ».

Dans les ouvrages sur l’autisme, cette colère est majorée quand la fratrie peut avoir le sentiment de ne pas être aimée [D] : « Aux yeux de ses parents, Iléna était tout. L'ainée, la plus belle, celle qui surtout avait tant besoin d'eux »; [C] « Mais maman, elle s’en fout de ma main. Ma souffrance à moi, elle ne vaut rien » (…) « Il n’y avait aucune place pour mon désir à moi. Personne ne se souciait de ce que je souhaitais vraiment. J’étais une sorte de pion, déplacé sur un échiquier géant où les reines et les fous avaient plus de droits que moi », ou de ne pas être comprise [A] : « Ça ne sert à rien que je rouspète : Nono a toujours raison »; [C] : « Je ne réponds pas à maman, ça ne sert à rien. Elle ne veut tellement pas voir la réalité qu’elle n’entend absolument pas ce qu’on peut lui dire ». La peur de se faire disputer se fait jour [G] : « Chut ! Chut ! Tais-toi ! Ne commence pas ! Les parents vont se réveiller, vont arriver… »; [C] : « Thomas est désemparé » et accompagnée d’un sentiment d'injustice profonde : « Maman était vraiment injuste. Une fois de plus, je n’étais pas la victime mais « le monstre sans soeur » battant « le petit ange sans défense »; [E] : « Il ne joue pas, ne parle pas, leur casse les oreilles, fait mille bêtises et en plus, il n'est jamais puni ! »

Les parents, si mobilisés par la prise en charge, en viennent parfois à confier momentanément leur enfant typique à des amis [L] : « Merli fut confié à une famille amie, nichant dans le même arbre » pour se consacrer à leur enfant avec autisme ; dès lors ils viennent à manquer aux étapes importantes du développement de leur enfant typique : « Monsieur et Madame Merlo auraient voulu, tous deux, accompagner Merli dans ce moment si essentiel; mais Neigeuse devait être constamment surveillée ». La réaction des frères et soeurs d'enfants avec autisme aux colères de ces derniers peut être la fuite afin de se préserver. Ainsi un frère préfère aller vivre chez sa grand-mère [E] : « Un soir, il convoque ses parents dans sa chambre et leur déclare qu'il veut partir »; « Il va vivre dans la rue d'à côté, chez grand-mère Sylvita »; « Ce n'est pas une crise d'adolescence, c'est seulement qu'il a besoin d'espace »; une soeur, confrontée à l'injustice, fugue [C] : « Puisque dans cette maison, personne ne s’intéresse vraiment à moi, que je n’ai pas de place et qu’en plus, on m’accuse injustement, je vais m’en aller » en laissant une lettre d'adieu à sa mère : « Chère maman, J’ai décidé de partir de la maison. La vie n’est plus possible ici. Je n’ai pas de place. Tu vas maintenant avoir tout ton temps pour t’occuper d’Alienor ».

Les relations sont donc davantage empreintes de conflictualité dans les familles d'enfants avec autisme. La demande parentale de sacrifice adressée à l’enfant ordinaire au profit de l’enfant avec autisme fait probablement écho aux sacrifices parentaux eux-mêmes, plus prégnants que dans les ouvrages sur la trisomie. Cela est sans doute également dû, au moins en partie, au fait que l’enfant est dans une dualité subjective plus contrainte avec le parent, exacerbée par l’absence d’un lien fraternel élaboré, empêchant d’une certaine façon la création d’un sous-système enfant. Les trames narratives rendent compte de cette particularité puisque dans 11 des 12 livres les fratries avec autisme sont de deux enfants.

L’inscription dans la durée

Le devenir professionnel de la fratrie. Dans trois récits, la fratrie se projette dans un avenir professionnel qui lui permet de « réparer » en quelque sorte le handicap de son frère ou de sa soeur. Dans les deux ouvrages sur la trisomie, le projet professionnel est plus direct; le rapport est plus distancié dans l’ouvrage relatif à l’autisme.

Dans les deux premiers, le frère et la soeur veulent devenir médecins, dans la recherche pour Alexis [8] : « Il veut devenir médecin. Ou plutôt chercheur en médecine. Il a bien envie de lui tordre le cou, à ce chromosome 21 en trop, en trouvant pourquoi il se forme et comment l'en empêcher. Nelly le sait. Elle lui répète souvent : Tu auras le prix Nobel pour ça. Et grâce à moi » et dans l'humanitaire pour Juliette [7] : « Maintenant je sais que je veux faire comme le docteur Teasdale : médecin en Afrique ».

Dans le troisième, Emma [C] ne souhaite pas directement s'orienter vers un métier lié au handicap, mais vise à faire profiter des retombées de ses compétences et de son travail les associations oeuvrant pour l'autisme, favorisant ainsi la guérison de sa soeur : « Mon rêve, c’est de devenir une grande concertiste. Je serai connue dans le monde entier, j’irai jouer dans les plus belles salles de concert et les gens m’applaudiront. Je gagnerai plein d’argent et je le donnerai à l’association de la recherche sur l’autisme. Grâce à moi, Alienor sera guérie et maman hyper fière de moi ».

Le devenir du rapport de la fratrie et le devoir de prise en charge. Dans quatre ouvrages sur la trisomie, l'avenir du rapport entre l'enfant typique et son frère porteur de trisomie est évoqué. Juliette, qui veut devenir médecin dans l'humanitaire [7], s'inquiète que ce type de profession entraine l'éloignement : « La seule chose qui m'embête, c'est que je devrai vivre loin de ma famille, loin d'Émilien ». Florent [11] se questionne sur la solution d'accueil future de son frère : « J’ai bien du mal à imaginer Flo avec quelqu’un d’autre que moi. Ou maman à la rigueur. Qui à part nous, pourrait le comprendre ? ». Juliette fait part de son inquiétude [7] : « Qu'est-ce qu'il va faire Émilien quand il sera plus grand ? S'il n'est pas capable d'étudier, d'apprendre, de se débrouiller tout seul… car mon frère aura toujours besoin de quelqu'un pour veiller sur lui, pour le nourrir, le laver, le protéger. Qu'est-ce qui va arriver à mon frère plus tard ? ». L’acuité du problème est plus forte encore pour Étienne [6] qui se questionne sur la solution d'accueil future de son frère quand ses parents seront décédés : « Tout à coup, mon coeur se serre en regardant papa et maman. Je réalise qu'ils ne seront pas toujours là. Que Nicolas va grandir. Qu'ils vont vieillir... Qu'un jour, je quitterai la maison. Nom d'un chien ! Que deviendront-ils, Nicolas à leurs côtés ? Qui pourra s'occuper de lui quand ils ne le pourront plus ? Et quand ils ne seront plus là, plus là du tout... Qui aura assez d'amour pour supporter tout ça ? Je ne vois qu'une réponse : moi ». Mais lors d'une discussion, les parents mentionnent clairement qu'ils prendront des dispositions et feront en sorte que l’avenir d’Étienne ne soit pas compromis : « En tout cas, Étienne, ajoute maman, jamais nous n'accepterons que tu te sacrifies pour ton frère ! Jamais ! Renchérit papa avec véhémence. Tu auras ta propre vie à mener ». Ils ajoutent même que la prise en compte du handicap et l'inclusion des personnes en situation de handicap sont des questions dont la portée dépasse la sphère familiale et la mère d’Étienne affirme son point de vue : « C'est à la société en général de prendre en charge les enfants comme lui ! À une société digne de ce nom, humaine et généreuse... ». Quand sa voix s’étrangle, son mari prend le relais : « C'est pourquoi nous nous battons, ta mère et moi, et nous nous battrons toute notre vie ! Pour que les handicapés comme Nicolas ne soient plus rejetés, cachés ou laissés dans leur coin comme c'est encore malheureusement assez souvent le cas ! ».

Dans un seul ouvrage sur l'autisme, le frère se projette dans sa relation fraternelle future, mais de façon relativement peu réaliste [H] : « Alors peut-être que lorsqu'il sera grand, il jouera dans un groupe célèbre et comme je suis son frère, il me donnera des billets dans la première rangée ! Ça serait vraiment génial ! ».

Les questions difficiles du devenir du lien fraternel, voire douloureuses du décès des parents, sont donc autorisées dans certains livres sur la trisomie, alors qu’elles ne sont pas abordées dans les livres sur l'autisme.

Le devenir affectif de la fratrie. Dans presque la moitié des ouvrages sur la trisomie, la vie affective ou le devenir affectif du frère ou de la soeur sont abordés. En effet, dans cinq ouvrages l’enfant typique éprouve des sentiments amoureux pour un autre enfant : le fait d’avoir un frère ou une soeur avec trisomie 21 va le rapprocher de l’être aimé, car celui-ci se montre sensible à ce frère ou cette soeur différente.

Anaïs [3] défend l’enfant porteur de trisomie face aux moqueries des autres enfants : « Clément n'est pas contagieux ! Vous pouvez jouer avec lui ! » et appelle Mathieu à se remettre en question face à son comportement : « T'es vraiment nul, Mathieu » car il n'a pas défendu son petit frère, elle le traite même de « lâche ». Mathieu se remet ainsi en question : « Heureusement, Anaïs était là… Elle a raison ». Dès lors, grâce à Clément, une relation amoureuse se noue entre Anaïs et Mathieu : « En plus, grâce à lui, Anaïs est devenue mon amoureuse ! ». Dans un scénario très proche, Élise [6] défend Nicolas, enfant porteur de trisomie, face aux moqueries d'un camarade : « Ferme-la, Franck ! » et appelle Étienne à se remettre en question face à son comportement : « Ce que tu peux être égoïste » car celui-ci a laissé Nicolas l'attendre tout seul dans le froid. Étienne se questionne sur la possibilité de nouer une relation amoureuse en ayant un frère en situation de handicap : « Même Élise, qu'irait-elle faire avec "le frère de... ?" ». Mais c'est justement en partie grâce à la spontanéité de Nicolas : « Hein, 'tienne? Hein, t'es 'moureux? » dit Nico « 'lise…è t'aime ? » ; « F'rez bisous? » qu’Étienne se rapproche petit à petit d’Élise.

Juliette [7] déteste Patrick Pépin, qui porte bien son nom car il cherche sans cesse la bagarre et n'hésite pas à insulter son frère : « Décampe avec ton débile de frère ». Mais au fil des événements, Juliette commence à changer d'avis : « Il cherche trop la chicane pour tout et pour rien. C'est pourquoi depuis longtemps, je crois qu'il joue au dur à cuire. Pour cacher je ne sais quoi. Et je le pense encore plus depuis l'incident dans les toilettes de l'école », avis qui se confirmera quand Patrick n'hésitera pas à risquer sa vie pour sauver Émilien qui a fugué, exploit qui sera à l’origine d’une histoire d'amour naissante.

Zoé [9], grâce à Alice, va rencontrer un nomade, Bayaraa, dont elle va tomber amoureuse, car il a sauvé la vie d'Alice et qu'elle le trouve particulièrement attentif et intuitif dans sa façon de se comporter avec sa soeur. Lui-même est sensible à la complicité qu’il observe entre les deux soeurs : « Toutes deux semblaient parler la même langue. Mais laquelle ? Celle des yeux ? ».

Marie [11] choisit Mathieu parce que le fait d’avoir lui-même un frère handicapé le rend plus apte à comprendre la différence : « Savoir qu'il a un frère handicapé me le rend encore plus attachant. Cette fois, c'est sûr, je vais parler avec lui » (…) « car nous avons beaucoup de choses à nous dire »; ils sont ainsi devenus amoureux : « Marie et moi, nous sommes devenus inséparables ».

Relevons que, dans trois des cinq ouvrages cités, l’être aimé est concerné par le handicap, soit au sein de sa famille comme Patrick [7] –sa tante est aussi porteuse de trisomie –, soit directement comme Marie [11], qui est paraplégique. La familiarité avec le handicap induit compréhension et empathie : « Les gens ne savent pas ce que c'est, le handicap. Toi, je suis sûre que tu sais » [11].

Ainsi, malgré ou grâce au handicap de l'enfant porteur de trisomie, le frère ou la soeur va pouvoir accéder à une relation amoureuse, message positif pour le lecteur qui peut s'interroger sur cette question. Ce sujet n'est abordé dans aucun des ouvrages sur l'autisme. Peut-être que les troubles du comportement que manifestent les enfants avec autisme apparaissent comme un obstacle aux relations amoureuses de leurs frères ou soeurs, ou du moins n’en sont pas des éléments facilitateurs.

DISCUSSION

Reprenons les questions initiales en comparant les deux modes d’approche de la question fraternelle au sein des ouvrages en fonction du type de handicap.

Le lien fraternel en « places »

Les auteurs se sont intéressés aux composantes structurelles de la fratrie, car les difficultés des frères et soeurs de personnes avec handicap peuvent varier selon la composition de cette fratrie. Le fait qu’elle soit composée d’au moins deux enfants en plus de l’enfant avec handicap pourrait, selon Peille (2005), représenter un facteur de protection. Les difficultés peuvent varier selon les âges respectifs des enfants et selon leur rang dans la fratrie (Rufo, 2002). S’ils sont nés après l’enfant avec handicap, les frères et soeurs peuvent éprouver des difficultés à le dépasser dans ses acquisitions (Scelles, 2003a, 2003b) ; s’ils sont nés avant, ils peuvent être amenés à prendre des responsabilités excessives.

Dans les ouvrages du corpus, les relations sont plus conflictuelles dans les familles d'enfants avec autisme que dans celles d'enfants avec trisomie. Mais les fratries d'enfants avec autisme sont de façon plus systématique des fratries duelles, plaçant donc de façon plus directe l’enfant dans une dualité avec le parent. Cette dualité subjective est exacerbée par l’absence d’un lien fraternel élaboré, entravant la construction d’un sous-système enfant. Dans les ouvrages sur l'autisme, il y a autant de frères et soeurs qui occupent la place d'aîné qu'une des trois autres places (jumeau, intermédiaire ou dernier), alors que dans les ouvrages sur la trisomie cette place d'aîné est occupée dans 2/3 des cas par la fratrie. Les trames narratives renforceraient donc une forme de parentalisation de la fratrie des enfants avec trisomie et une culpabilité empreinte de difficultés relationnelles de la fratrie des enfants avec autisme.

Le lien fraternel à l’épreuve

Qu'ils portent sur l'autisme ou la trisomie, les ouvrages autorisent l’expression de sentiments douloureux et reconnus comme tels (tristesse, colère, honte et culpabilité) qui suggèrent un traumatisme ou tout du moins une difficulté à faire face à la différence. Du fait de la moindre disponibilité parentale, des troubles du comportement de l’enfant avec autisme, ou du regard social, l’enfant typique éprouve des difficultés dans la construction du lien fraternel. Mais ce lien suit par ailleurs deux voies d’élaboration spécifiques en fonction du handicap au regard de la relation d’attachement qui peut ou non s’élaborer entre enfants.

Dans les ouvrages sur la trisomie, la fratrie éprouve toute une gamme de sentiments et d'émotions face à la différence, qu'elle soit cognitive ou comportementale, sentiments tant négatifs (tristesse, découragement et colère) que positifs (fierté lorsqu'il y a le moindre progrès et amour), cet enfant étant représenté comme un frère ou une soeur facile à aimer. La fratrie de l’enfant avec trisomie est l'objet d’une attente du fait des compétences sociales, relationnelles, communica-tionnelles, de l'empathie et des manifestations d'amour de l'enfant avec trisomie. Si face au regard d'autrui, notamment de ses pairs, la fratrie éprouve honte, honte d'avoir honte et crainte d'être assimilée au handicap, elle ne va pas hésiter à prendre la défense du frère ou de la soeur que ce soit auprès d'inconnus, d'amis ou camarades de classe et à être secourable pour l'aider à s’intégrer, inaugurant par suite une forme de complicité. La fratrie sera également vecteur d'intégration en incluant le frère ou sa soeur dans son groupe d'amis et en accompagnant ses progrès.

Les ouvrages sur l'autisme mettent en scène un enfant différent, dont les troubles du comportement sont difficilement compréhensibles pour la fratrie, notamment l’expérience d’un enfant avec lequel on peut difficilement jouer. La fratrie de l’enfant avec autisme est confrontée à la distance, à l'indifférence et au rejet perçus. L'enfant avec autisme ne regarde pas son frère ou sa soeur, se comporte comme si il/elle n’existait pas, ne répond pas à ses sollicitations ni à ses sourires, ne se laisse pas toucher et se soustrait à ses marques d'affection. Plusieurs sentiments sont éprouvés, tout d'abord de la tristesse – voire de la détresse ou de la peur –, du rejet, de la honte, de la culpabilité (honte d'avoir honte) et même de la colère et de la violence. Une des échappatoires se fait par la voie du rêve. Malgré leurs capacités d'adaptation, et tout en cherchant à nouer une complicité avec l'enfant avec autisme, la fratrie éprouve des sentiments ambivalents, tiraillée entre amour et haine d’un enfant avec lequel elle ne peut ni vivre, ni renoncer à vivre, ce qui nuit à la construction du lien fraternel. La fratrie vit donc un mode de relation formellement obligé dans la tension, puisqu'elle ne peut pas jouer avec son frère ou sa soeur comme c’est habituellement le cas dans les familles typiques et qu'elle a une impression de manque de retour de l'enfant avec autisme. C'est en partie pour ces raisons que la fratrie peut être triste, désemparée, voire en réelle souffrance et que sa colère est plus prégnante, davantage extériorisée, pouvant même se transformer dans certains cas en violence. Ceci va entraîner des répercussions en cascades puisque les modalités de cette relation fraternelle vont contribuer à structurer la relation aux pairs hors milieu familial, qui va s’organiser en quelque sorte en miroir du vécu intrafamilial.

Des points communs peuvent donc être mis en évidence, tristesse de la fratrie, colère, honte et culpabilité, qui suggèrent un traumatisme ou tout du moins une difficulté à faire face à cette différence et à en être publiquement le témoin. Mais la tristesse et la honte sont davantage éprouvées vis-à-vis des difficultés d'apprentissage pour la fratrie des enfants avec trisomie, et davantage en lien avec les troubles du comportement pour la fratrie des enfants avec autisme. La colère est un sentiment partagé par les frères et soeurs d'enfant avec trisomie et autisme. Mais cette colère est encore plus prégnante dans les ouvrages sur l'autisme, où elle s’extériorise davantage, pouvant même se transformer en violence.

La différence la plus marquante entre les deux catégories d'ouvrages est que les enfants avec trisomie sont représentés comme ayant de grandes compétences relationnelles et sociales. Ils ont certes des difficultés à mettre de la distance avec leurs frères et soeurs, ce qui les rend accaparants et cramponnants, mais aussi très attachants. Ils manifestent une joie de vivre débordante, sont empathiques et montrent leur amour avec effusion (câlins et embrassades). Cela les rend « faciles à aimer » pour la fratrie qui est en retour récompensée de son investissement (par exemple, lorsqu’elle inclut son frère ou sa soeur dans le groupe d'amis et le fait progresser), ce qui favorise une grande complicité et la construction du lien fraternel. Il y aurait donc un impact positif des capacités sociales des enfants avec trisomie dans la construction de ce lien.

À l'inverse, les enfants avec autisme ont des comportements qui peuvent être interprétés par la fratrie comme de l'indifférence ou du rejet : ils ne regardent pas leurs frères et soeurs, font comme s'ils n'étaient pas présents, ne répondent pas à leurs sollicitations ni sourires, ne se laissent pas toucher et se soustraient à leurs marques d'affection. La fratrie peut difficilement jouer avec l’enfant avec autisme comme c’est le cas dans une famille ordinaire, elle peut en être triste, désemparée, voire être en réelle souffrance. Cette impression de manque de retour de l'enfant avec autisme nuit donc à la construction du lien fraternel.

Le lien fraternel face aux parents

Il n'y a pas de différence majeure entre les livres sur la trisomie et l'autisme, plusieurs ouvrages partagent l’idée d’une responsabilisation, voire d’une parentalisation des enfants qui résulte d'une injonction parentale. Les ouvrages abordent les sacrifices réalisés par les parents pour s'occuper au mieux de leur enfant avec handicap en s'autorisant à évoquer le caractère épuisant et contraignant pour les parents, mais aussi pour la fratrie, de la prise en charge de l'enfant porteur de handicap. Les parents sollicitent une compréhension et indulgence à l’égard des troubles des enfants avec handicap et il leur arrive de s'emporter lorsque l'enfant typique se dérobe aux exigences ou exprime des sentiments de honte.

Les relations entre les fratries et les parents sont vécues bien plus difficilement pour les fratries d'enfants avec autisme qui peuvent avoir l'impression de ne pas exister pour leurs parents, d’être délaissées au profit de l’enfant avec autisme qui est le centre des soins et de l’attention des parents. L’impression de devoir se sacrifier et accepter tous les renoncements avec la plus grande abnégation engendre un sentiment d'injustice profonde et de colère chez cette fratrie qui se sent mal-comprise et mal-aimée et peut passer à l'acte (fugues, violence). Les difficultés propres de l'enfant avec autisme impactent la construction du lien fraternel, d’autant plus que ce sont principalement des fratries de deux enfants et que les parents peuvent délaisser leur enfant typique au profit de l'enfant avec autisme (les parents peuvent aller jusqu'à confier momentanément leur enfant à des amis pour s'occuper de lui). En conséquence, la création d'un sous-système enfant est entravée et le lien filial parent-enfant est mis à l'épreuve. Ces caractéristiques découlent des difficultés spécifiques liées au handicap et relèvent des représentations sociales afférentes. D’une part, les types de souffrances et de difficultés partagées découlent directement du handicap, d’autre part, la construction narrative renforce les traits spécifiques du fait notamment de la dynamique du récit, du modèle de famille...

Le lien fraternel dans la durée

Dans certains ouvrages sur la trisomie, la fratrie se projette dans un avenir professionnel, qui permet de « réparer » en quelque sorte le handicap du frère ou de la soeur. L'inscription du lien fraternel dans la durée est évoquée, un ouvrage [6] s'autorisant même à aborder la question difficile et douloureuse de l'avenir de ce lien suite au décès des parents. La seule fois où l’avenir est évoqué dans les ouvrages sur l’autisme [C], c'est au sujet de l'insertion professionnelle, et de façon relativement distanciée dans le rapport au handicap, alors que très impliquée dans les livres sur la trisomie. Cette perspective d’avenir est en filigrane des choix amoureux, seuls évoqués et constructifs dans le rapport au handicap pour les frères et soeurs d'enfants avec trisomie. Cette évocation quasi absente de l'avenir du lien fraternel dans les ouvrages sur l'autisme est à pointer, ces ouvrages ne sollicitant donc pas le dialogue sur la relation à long terme.

CONCLUSION

Tel que rappelé en introduction, la littérature jeunesse véhicule des messages et offre des fonctions d'instruction et d'éducation : par un mécanisme d'identification projective au héros, le lecteur est invité à partager les sentiments et valeurs du personnage et les faire siens. En s'identifiant aux personnages et en se projetant dans l'histoire, les enfants peuvent trouver des réponses à leurs préoccupations.

Ces ouvrages portant sur le lien fraternel à l'épreuve du handicap peuvent être l’objet d’une attention particulière pour les familles dont un des enfants est porteur de handicap puisque leurs frères et soeurs évoquent ou à en être les destinataires prioritaires. En mettant des mots sur les situations, les vécus et ressentis, ces récits vont permettre à l'enfant de se déculpabiliser vis-à-vis des sentiments de honte ou de colère qu'il peut ressentir et vont proposer des modalités de réponse aux questions qu'il se pose. Ces ouvrages vont donc contribuer à accompagner la fratrie dans son développement personnel et social et peuvent être un appui éducatif pour les parents et professionnels.

Les ouvrages analysés ici sont indiscutablement documentés, riches, et permettent réellement un dialogue pour les fratries d'enfant avec handicap qui ont besoin d'un panel de réponses possibles à leurs questionnements sur la différence. Mais sur la base des thématiques abordées, on constate un infléchissement ou une orientation de leur abord qui renvoie partiellement aux représentations ou à la catégorisation qui caractérise chaque handicap. On peut envisager que leur usage croisé (le recours à la lecture d’ouvrages portant sur un handicap différent de celui qui concerne une fratrie particulière) puisse permettre d’aborder des questionnements plus larges ou renouvelés pour les jeunes lecteurs.

La comparaison entre les deux types de handicap met également en exergue le fait qu’ils n’abordent que rarement certains sujets indicibles comme les décisions auxquelles les fratries seront confrontées dans la construction de leur vie amoureuse ou à la suite du décès des parents. S’ils s’autorisaient à le faire, peut-être ces livres sur les fratries d’enfants avec trisomie et autisme pourraient-ils opérer comme un double miroir (classique et sans tain) : d’une part, en tant que reflet des problématiques réelles actuelles scénarisées, filtre des préoccupations qui les concernent directement ; d’autre part, en tant qu’image projective qui donnerait à entrevoir une issue possible contribuant à l’élaboration d’une relation fraternelle future plus sereine avec le frère ou la soeur avec handicap.