En tant qu’historienne – féministe – de l’art, je vis dans un monde où les représentations visuelles, les images, constituent en grande partie mon paysage quotidien. Or, depuis quelque temps déjà, passionnée de bandes dessinées (BD) et de romans graphiques et, à l’évidence, produits par des femmes, j’intègre dans mes textes et dans mon enseignement des planches de ces médiums. Attentive aux dernières parutions, je saisis les occasions pour bonifier mon savoir et mes connaissances bédéesques, lesquelles, je le pressens, demeureront toujours lacunaires, compte tenu de l’ampleur des publications actuelles mais aussi moins récentes. Le monde de la BD est vaste et très diversifié. Et l’ouvrage sous la direction de Marys Renné Hertiman et Camille de Singly, Construire un matrimoine de la bande dessinée […], se donnait un mandat de taille, même s’il n’accueille que les femmes, comme son titre le laisse entendre. Comme tout ouvrage qui cherche à construire une histoire, et j’ajouterai de femmes, l’accent est mis sur l’invisibilisation et l’exclusion de celles-ci, deux actions partant du comportement discriminatoire, dénominateur commun des histoires traditionnelles et dominantes. Cet ouvrage m’aura permis de faire de nombreuses découvertes – beaucoup de femmes inconnues – et de constater quelques manques – beaucoup d’autres que j’aurais pensé y trouver, mais qui n’y sont pas. Je ne ferai pas ici la liste des créatrices qui apparaissent dans l’ouvrage, malgré leur entière légitimité. Comme je ne chercherai pas non plus celles qui méritent plus que d’autres le haut du pavé en fonction de tel style graphique ou de tel territoire d’origine. Sans revenir sur les textes fondateurs féministes qui ont fait de la canonisation une voie à éviter pour légitimer la place d’une artiste dans l’histoire, et dont l’ouvrage prend acte, il est quasi impossible pour les essayistes de cet ouvrage de ne pas nommer des oubliées de l’histoire et celles qui y ont amorcé un virage déterminant. Disons d’entrée de jeu que l’ouvrage repose sur le colloque « Faire corps? Représentations et revendications des créatrices de bandes dessinées en Europe et dans les Amériques », qui a eu lieu à Paris en septembre 2022. Or, comme tout colloque, il privilégie des thématiques ou des lieux géographiques qui comportent ses angles morts. L’introduction mise à part, l’ouvrage est constitué de trois parties, comprenant cinq textes pour les deux premières et quatre pour la troisième. À l’évidence, une partie historique s’avérait nécessaire puisque trop peu de données ont été publiées sur les BD produites par des femmes. Intitulée « Reconstituer une généalogie », la première partie s’ouvre sur un texte de Trina Robbins, décédée en avril 2024 à l’âge de 85 ans. Doyenne des BD états-uniennes de superhéros (comics books) américains et historienne de la BD, Robbins met l’accent sur les « superhéroïnes » (p. 31-34) chez les créatrices qui, à elles seules, justifient une histoire féministe de la BD. Des doyennes telles Rose O’Neill, Nell Brinkley ou Ethel Hayes, nous arrivons à Julie Doucet – plus d’une fois mentionnée dans l’ouvrage – à Marjane Satrapi ou à Alison Bechdel, en passant par les Riot Grrrlz qui ont donné un élan remarquable aux féminismes. À noter que peu d’espace est accordé au manga japonais, si ce n’est à la mangaka Naoko Takeuchi dont la production a eu un effet marquant sur la BD. Dans la même partie se trouvent des essais sur les créatrices de BD, que l’ouvrage dans son avant-propos, qui donne quelques précisions terminologiques, nomme « femmes bédéastes » – pour alléger le texte – franco-belges, québécoises et françaises et un texte sur la place des femmes colorisatrices dans la BD française. …
Parties annexes
Référence
- POLLOCK, Griselda, 2007 « Des canons et des guerres culturelles », Les Cahiers du genre, 43 : 45-69.